Laperrière et GE Canada (St-Augustin-de-Desmaures) |
2013 QCCLP 5353 |
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[1] Le 28 mars 2013, monsieur Patrick Laperrière (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 26 février 2013, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST infirme en partie celle qu’elle a initialement rendue le 21 décembre 2012 et déclare que le travailleur n’a pas droit au remboursement du coût d’achat de bois de chauffage, au cordage et au ramonage de la cheminée de sa résidence.
[3] L’audience s’est tenue à Québec le 6 août 2013, en présence du travailleur et de sa procureure. Bien que dûment convoqué, G.E. Canada (l’employeur) ne s’est pas présenté. Le dossier est mis en délibéré le 3 septembre 2013, à la suite de la réception du document demandé à l’audience.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] Le travailleur demande au tribunal de déclarer qu’il a annuellement droit au remboursement du coût d’acquisition de son bois de chauffage. Pour l’année 2012-2013, le montant du remboursement demandé est de 960 $, représentant 12 cordes de bois.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] La membre issue des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont toutes deux d’avis qu’il y a lieu d’accueillir la requête du travailleur et de lui accorder le remboursement du coût d’acquisition de son bois de chauffage pour l’année 2012-2013.
[6] En l’instance, l’atteinte permanente subie par le travailleur le rend incapable d’effectuer les travaux d’entretien courant de son domicile. Par ailleurs, la preuve démontre que sa famille possède un vaste terrain où il prélève gratuitement son bois de chauffage. Enfin, le système de chauffage principal de sa résidence est constitué d’un poêle à bois.
[7] L’ensemble de ces éléments permet donc d’accorder au travailleur le coût d’acquisition de son bois de chauffage, à titre de travaux d’entretien courant de son domicile.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[8] Le 9 avril 2009, en forant un trou avec une perceuse, le travailleur subit un traumatisme aux poignets lorsque la mèche de l’outil se bloque subitement. En se braquant, la perceuse a entrainé les structures des poignets et des mains dans un mouvement brusque de torsion.
[9] Le diagnostic initial de la lésion est un syndrome bilatéral du canal carpien. Par la suite, l’investigation radiologique met aussi en évidence une déchirure du ligament scapho-lunaire droit. Notons que ces lésions ont nécessité une chirurgie de décompression aux deux poignets ainsi qu’une arthrodèse du scaphoïde droit. Dans une décision rendue le 9 janvier 2013[1], la Commission des lésions professionnelles a évalué l’atteinte anatomo-physiologique du travailleur à 13,2 %. En raison de ses séquelles, le travailleur a bénéficié de mesures en vue d’exercer un emploi convenable d’estimateur de coûts de construction.
[10] À l’approche de la saison d’hiver 2012-2013, un conseiller en réadaptation se rend chez le travailleur pour évaluer ses besoins au titre des travaux d’entretien courants de son domicile. En effet, la CSST reconnait que la gravité de l’atteinte permanente du travailleur lui donne droit à des mesures de réadaptation touchant de tels travaux. La disposition applicable est prévue à l’article 165 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi) et se lit comme suit :
165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.
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1985, c. 6, a. 165.
[11] Au mois de décembre 2012, la CSST accorde au travailleur le remboursement des frais de déneigement et de tonte de sa pelouse, qu’il a encourus pendant l’été. Il n’est pas contesté que le travailleur exécutait lui-même ces travaux avant de subir sa lésion professionnelle et que depuis, il n’est plus en mesure de le faire.
[12] La CSST examine également la question du remboursement du bois de chauffage réclamé par le travailleur. Dans la note suivante, consignée le 13 novembre 2012, la CSST explique pourquoi elle a initialement accepté de rembourser le travailleur :
T nous a remis une preuve de ses assurances concernant le bois de chauffage. Il est indiqué que le chauffage principal est à l’électricité. T dit qu’il utilise le chauffage au bois de novembre à avril, la compagnie inscrit que c’est le chauffage électrique qui prévaut. Comme nous avons constaté au domicile du T que son chauffage principal est réellement au bois, cela nous sert de preuve dans cette situation précise.
[notre soulignement]
[13] Incidemment, la police d’assurance couvrant le domicile du travailleur indique que son chauffage principal est à l’électricité et que son chauffage auxiliaire est au bois. Sur la base de ces informations, l’employeur a contesté le remboursement accordé au travailleur au motif que le chauffage principal de sa maison était à l’électricité et non pas au bois.
[14] Le 26 février 2013, la contestation de l’employeur est accueillie par l’instance de révision administrative puisque « selon le contrat d’assurance du travailleur, il appert que le chauffage au bois constitue un chauffage d’appoint et non le mode de chauffage principal de sa résidence ». La requête du travailleur visant à rétablir la décision initiale constitue le litige dont est saisi le présent tribunal.
[15] Le travailleur a lui-même construit la maison qu’il habite avec sa conjointe et leurs deux enfants (pièce T-1 : photos en liasse). Il s’agit d’une vaste propriété d’un étage et demi comprenant deux salles de bains et trois chambres. La plupart des pièces sont pourvues de plinthes électriques pour le chauffage de la maison. À première vue, ces installations constituent le système de chauffage principal. Cependant, tel n’est pas le choix du travailleur qui préfère chauffer au bois.
[16] Au sous-sol de la maison se trouve une pièce où est empilé du bois de chauffage en longueur de 16 pouces (pièce T-1). Le tribunal estime que le volume de cette pièce permet certainement d’y entasser l’équivalent de 3 cordes de bois, sinon davantage, le reste étant cordé à l’extérieur. On retrouve également un poêle à bois à double parois de type combustion lente avec un mécanisme de soufflerie pour diffuser la chaleur. Des ouvertures pratiquées dans le plancher permettent à la chaleur de monter à l’étage supérieur (pièce T-1). Le travailleur a également installé un appareil permettant d’équilibrer les débits d’air dans la maison. Tout cela en vue d’économiser sur la consommation d’électricité.
[17] Le travailleur utilise une douzaine de cordes de bois par année pour chauffer sa maison. Son père possède un terrain d’environ 100 arpents et autorise tous les membres de la famille à y prélever gratuitement le bois dont chacun a besoin. Ainsi, depuis son tout jeune âge, le travailleur fait du bois de chauffage. Il a cependant dû cesser cette activité après s’être blessé.
[18] Le travailleur explique que l’apport de chaleur provenant du poêle à bois permet de régler les thermostats à 16 degrés, de sorte que les plinthes électriques fonctionnent peu durant l’hiver. De cette manière, il parvient à maintenir ses coûts d’électricité à une centaine de dollars par mois.
[19] Ainsi, sa facture d’électricité couvrant la période du mois de septembre 2010 au mois de septembre 2011 totalise 1314 $ et celle couvrant la période du mois de mars 2012 au mois de mars 2013 est de 1228 $. De plus, la consommation d’électricité demeure relativement la même au fil des mois, peu importe que l’on soit en été ou en hiver.
[20] En regard de la dimension de la maison, la facture annuelle d’électricité apparait peu élevée pour une famille de quatre personnes. Également, la faible variation de la consommation au fil des mois suggère que l’électricité sert surtout à l’éclairage, à la cuisson et à l’eau chaude, alors que le chauffage de la maison est assuré par le poêle à bois. Le tribunal en est d’autant plus convaincu qu’une pièce servant de réserve pour le bois est aménagée au sous-sol et qu’un système sophistiqué permet la circulation de l’air chaud provenant du poêle. À l’évidence, ces aménagements ne sont pas conçus pour un simple chauffage d’agrément. C’est aussi ce que le conseiller en réadaptation de la CSST avait constaté lors de sa visite chez le travailleur.
[21] Certes, le contrat d’assurance indique que le chauffage principal est à l’électricité. En effet, il est incontestable que la maison du travailleur est pourvue d’un système de chauffage autonome à l’électricité. Toutefois, le principal apport de chaleur pendant la saison froide provient du poêle à bois installé au sous-sol.
[22] Lorsqu’il s’agit là du principal moyen de chauffage, la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles[3] assimile le remboursement du coût d’acquisition du bois de chauffage à des travaux d’entretien courant du domicile. Le tribunal est d’accord avec ce principe lorsque la preuve démontre qu’avant son accident, le travailleur prélevait gratuitement et coupait lui-même le bois de chauffage dont il avait besoin. De l’avis du tribunal, le remboursement ne peut être accordé que si ces conditions sont rencontrées.
[23] Comme le travailleur satisfait aux conditions énoncées ci-dessus et que l’objet de la loi vise la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entrainent pour les bénéficiaires, il apparait juste et équitable de lui accorder le remboursement de son bois de chauffage.
[24] Selon la preuve soumise, le travailleur consomme 12 cordes de bois de chauffage par année, pour une dépense totale de 960 $ (12 cordes x 80 $). Dans la mesure où il atteste être dans les mêmes conditions (habitation et chauffage) et sous réserve de la limite annuelle prévue à l’article 165 de la loi, la CSST doit rembourser au travailleur un maximum de 12 cordes de bois par année, facture à l’appui, le tout à compter de la saison 2012-2013.
[25] La requête du travailleur est donc accueillie.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête déposé par monsieur Patrick Laperrière, le travailleur;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 26 février 2013, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE qu’à compter de l’année 2012-2013, le travailleur a droit au remboursement du coût d’acquisition d’un maximum de 12 cordes de bois par année, sur présentation d’une pièce justificative;
DÉCLARE que le travailleur a droit au remboursement de 960 $ pour l’année 2012-2013 pour l’acquisition de son bois de chauffage.
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Michel Moreau |
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Me Annie Noël |
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MÉNARD, MILLIARD, CAUX |
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Représentante de la partie requérante |
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Me Corinne Lambert |
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ARCHAMBAULT, AVOCATS |
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Représentante de la partie intéressée |
[1] C.L.P. 398241-31-0912, J.-F. Clément.
[2] L.R.Q., c. A-3.001.
[3] Martel et Les entreprises G. St-Amand inc., C.A.L.P. 07955-03-8806, 26 octobre 1990, B. Dufour, (J2-18-06); Alarie et Industries James MacLaren inc., [1995] C.A.L.P. 1233 (décision accueillant la requête en révision); Entr. Bon Conseil ltée et Bezeau, C.A.L.P. 57905-09-9412, 7 août 1995, J.-M. Dubois; Lemieux et Ministère des Transports, C.L.P. 118805-02-9906, 6 mars 2000, P. Simard.
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