DÉCISION
[1] Le 17 octobre 2000, monsieur Claude Pilon (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue, le 12 octobre 2000, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST maintient la décision qu’elle a initialement rendue, le 10 juillet 2000 et conclut que l’emploi de gardien de stationnement constitue un emploi convenable que le travailleur est capable d’exercer. La CSST maintient également la décision qu’elle a rendue le 11 juillet 2000, à l’effet de refuser le remboursement du médicament Viagra et les traitements de psychothérapie puisqu’ils ne sont pas reliés à la lésion professionnelle.
[3] Lors de l’audience, le travailleur et son procureur sont présents. Pour sa part, l’employeur est absent, et ce, bien que convoqué. Enfin, la CSST n’est pas représentée. Par ailleurs, le procureur du travailleur précise qu’il ne conteste pas le refus des traitements de psychothérapie ayant fait l’objet de la décision rendue par la CSST, le 11 juillet 2000.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que l’emploi de gardien de stationnement ne constitue pas un emploi convenable. Il demande de reconnaître qu’il est désormais inemployable. À ce titre, il invoque l’article 93 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). Enfin, il demande le remboursement du coût du médicament Viagra lequel serait en relation avec la lésion professionnelle.
LES FAITS
[5] Le 21 février 1997, le travailleur est victime d’un accident du travail alors que depuis 1978 il occupe un emploi de professeur de conduite de camions lourds chez son employeur.
[6] À la suite de cet accident du travail, le travailleur est suivi par le docteur Farmer, chirurgien - orthopédiste. Ce dernier consolide la lésion professionnelle au 2 février 1998.
[7] Le 19 février 1998, le docteur Farmer retient un diagnostic d’entorse lombaire sur séquelles de hernie discale opérée L4-L5. Au moment de son examen, il note que le travailleur se plaint de douleurs sévères à la région lombaire avec irradiations vers le membre inférieur gauche surtout, de même que des irradiations de douleurs vers la jambe droite et vers les parties génitales. Ces douleurs sont présentes au repos et même la nuit. Elles sont augmentées par certaines positions, certaines activités et le maintien d’une position stationnaire. Le travailleur se plaint du fait que sa jambe gauche manque lors des déplacements, ce qui peut occasionner des chutes. Il note une diminution de résistance au travail physique et parfois, la présence d’un engourdissement au niveau du membre inférieur gauche, surtout au niveau pied.
[8] Lors de cette évaluation, le docteur Farmer constate que le travailleur a subi un premier accident du travail en 1988. À cette période, il a subi une discoïdectomie au niveau L4-L5 et une exploration L5-S1. Le 15 juin 1993, il note que le docteur Lefrançois émettait les limitations fonctionnelles suivantes :
« - Il peut lever des poids jusqu’à 10 kilos;
- Il doit éviter les mouvements répétitifs du rachis lombo-sacré;
- Il doit éviter d’être assis ou debout plus d’une heure à la fois;
- Il doit éviter d’utiliser un camion dont la suspension serait jugée inappropriée par un expert en la matière. »
[9] Dans cette évaluation, le docteur Lefrançois établit les séquelles actuelles à 13,2 % et les séquelles antérieures à 3,3 %. Il note que le travailleur a repris complètement ses activités chez son employeur.
[10] Le docteur Farmer souligne que, depuis le mois de décembre 1997, le travailleur a réintégré un poste de travail avec travaux légers qu’il tolère bien. À la suite de son examen, il émet les limitations fonctionnelles suivantes :
« Des limitations fonctionnelles devraient être notées :
- éviter le travail en flexion de la colonne lombo-sacrée et ce, de façon continue.
- éviter les mouvements répétitifs de flexion, extension ou de torsion du rachis lombo-sacré.
- éviter de garder la même posture de façon prolongée pour plus de 45 minutes à la fois
- éviter de soulever des poids dépassant 10 kg surtout si cela implique des mouvements répétitifs et/ou de force de la colonne lombo-sacrée
- il devra avoir à sa disposition un siège ou un dossier à hauteur ajustable pour permettre une alternance dans la position assise et position debout avec appui-bras
- il devra éviter de marcher sur terrain inégal
- il devra avoir la possibilité de travailler avec un corset. »
[11] Par ailleurs, le docteur Farmer conclut ce qui suit :
« Il s’agit d’un patient qui avait déjà des séquelles significatives après son premier accident du travail qui s’est aggravé plus récemment à la suite d’autres accidents. Je ne pense pas qu’il soit capable de réintégrer son poste de professeur de conduite de camions lourds et il devra fort probablement occuper un poste plus sédentaire comme par exemple un travail de bureau. »
[12] Le docteur Farmer complète le bilan des séquelles actuelles et retient un déficit anatomo‑physiologique total de 30 %.
[13] Le 29 mai 1998, la CSST avise le travailleur qu’à la suite de sa lésion professionnelle du 21 février 1997, son atteinte permanente s’élève à 19,45 %. Cette décision n’est pas contestée par le travailleur.
[14] En mai 1998, le travailleur cesse d’occuper l’emploi qu’il occupait chez son employeur depuis le mois de décembre 1997. Ce travail comportait diverses tâches de répartition d’horaires et cléricales. Le travailleur occupait cet emploi sur une base irrégulière puisqu’il travaillait un nombre d’heures variables d’une journée à l’autre. Lors de son témoignage, il déclare qu’il était incapable d’exercer cet emploi sur une base régulière.
[15] Le 10 novembre 1998, une conseillère en réadaptation rencontre le travailleur afin d’évaluer les aspects fonctionnels, physique et social de sa capacité à exercer un emploi convenable. Elle note que le travailleur a une équivalence de scolarité de niveau secondaire V et 30 crédits universitaires en psychopédagogie. Il a travaillé de 1957 à 1962 comme bûcheron, de 1962 à 1978 comme conducteur de fardier et de 1978 à 1997, comme enseignant. Elle note les lésions physiques du travailleur de même que des limitations fonctionnelles.
[16] Par la suite, elle évalue les possibilités pour le travailleur de reprendre son emploi d’enseignant. À cette fin, une ergothérapeute mandatée par la CSST effectue une analyse du poste. Cette analyse, datée du 8 février 1999, est déposée au dossier. Sa conclusion est à l’effet que le poste d’enseignant, au centre de formation du transport routier, ne respecte pas les limitations fonctionnelles émises par le docteur Farmer. Par la suite, la conseillère en réadaptation entreprend des démarches afin d’identifier un emploi convenable. Dans ce contexte, des discussions ont lieu avec l’employeur.
[17] Le 16 novembre 1999, le représentant du travailleur soumet qu’il ne voit pas la possibilité pour le travailleur de réintégrer son emploi. Il est constaté que le travailleur n’a pas d’habilité à enseigner d’autres matières. Il n’est pas certain qu’il tienne à retourner sur le marché du travail. Il reçoit une rente d’invalidité de l’assurance‑salaire jusqu’à l’âge de 65 ans et, par la suite, il sera éligible à sa pension.
[18] Le 7 décembre 1999, la conseillère en réadaptation rencontre le travailleur. Ce dernier se dit toujours symptomatique au niveau du dos, condition qui est variable. Il prend des médicaments à base de morphine, soit du MS Contin, Tylénol fort et Motrin. Il se considère limité et incapable de répondre aux exigences de tout emploi. Il attend de la CSST une reconnaissance de son invalidité.
[19] Le 18 janvier 2000, le représentant du travailleur, Me Robert Gauthier, transmet à la CSST une lettre dans laquelle il souligne que le travailleur est atteint d’une invalidité grave et prolongée. Il estime qu’il n’y a pas lieu de déterminer un emploi convenable car il ne serait manifestement pas en mesure de l’occuper.
[20] La conseillère en réadaptation donne mandat à un conseiller d’orientation d’évaluer le travailleur. Ce rapport est complété le 18 mai 2000. Dans ce rapport, le conseiller en réadaptation, monsieur Cyr, propose trois options, soit : préposé au stationnement, préposé aux établissements de sports et commis au recouvrement.
[21] À l’égard de l’emploi de préposé au stationnement, il souligne que cet emploi pourrait faire l’objet d’une formation en emploi. Il note que les possibilités du marché sont généralement moyennement basses dans ce secteur. Il ajoute que le préposé perçoit le paiement pour le stationnement et émet les billets. Il dirige les clients et stationne les véhicules.
[22] À la suite de cette évaluation, la conseillère en réadaptation rencontre le travailleur, le 14 juin 2000. Elle souligne qu’elle devra déterminer un emploi convenable en tenant compte des cinq critères de cet emploi. Le travailleur n’est pas d’accord avec cette décision. Il se dit non employable et non compétitif sur le marché du travail. La conseillère souligne, qu’à son avis, le travailleur n’est pas inemployable et qu’il peut occuper à temps plein tout emploi respectant ses limitations fonctionnelles. Elle note qu’en fonction du rapport d’orientation, il existe trois options accessibles au travailleur. Le salaire de l’emploi convenable est égal au salaire minimum. Elle propose au travailleur un support à la recherche d’emploi.
[23] Le 10 juillet 2000, la CSST avise le travailleur qu’elle retient l’emploi convenable de gardien de stationnement lequel procure un revenu annuel estimé à 14 750,00 $. Elle précise également que le travailleur aura droit aux indemnités de remplacement du revenu jusqu’au plus tard, le 13 juin 2001. Cette décision est contestée par le travailleur.
[24] La CSST a déposé au dossier une description de tâches de l’emploi de gardien de stationnement, laquelle provient du système « Repères ». Il est noté ce qui suit :
« PRINCIPALES TÂCHES
- Emet au début de la journée des billets aux voitures déjà arrivées.
- Reçoit le client et remet un billet-collection sur lequel il a enregistré l’heure d’arrivée et le numéro de plaque d’immatriculation.
- indique les places libres aux automobilistes ou les dirige vers les espaces réservés.
- Reprend, lorsque les clients quittent le terrain, les billets remis au moment de l’entrée et perçoit les sommes dues.
- Voit à maintenir l’ordre, la propreté et la sécurité (vol, vandalisme) du terrain.
- Peut garder la clé du client pour déplacer la voiture dans le cas ou le stationnement est plein.
- Compte la caisse de la journée.
- Remplit les rapports quotidiens des transactions et les rapports d’événements tels que constats sur des incidents, des irrégularités, vol, vandalisme.
- Peut aller stationner la voiture à l’arrivée du client, et aller la chercher à son départ.
- Contrôle le fonctionnement des équipements techniques.
- Intervient lors d’un incident ou d’un problème pour régulariser la situation. » (sic)
[25] Selon ce même document, les capacités physiques au niveau de la position corporelle se lisent comme suit : « Être capable de rester assis et debout ou en marche durant de longues périodes ». À l’égard de la coordination des membres : « Être capable de coordonner les mouvements de ses membres supérieurs et inférieurs ». Finalement, à l’égard de la force physique : « Être capable de soulever un poids jusqu’à 5 kg ». Quant aux perspectives d’emploi jusqu’en 2002, elles sont qualifiées comme étant « inférieures à la moyenne ».
[26] Par ailleurs, le travailleur réclame à la CSST les coûts de l’achat du médicament Viagra. À cette fin, la conseillère en réadaptation avise le travailleur, le 10 mai 2000, des informations qu’elle a besoin pour se prononcer sur cette demande.
[27] Le 7 juin 2000, le médecin régional de la CSST communique avec le docteur Côté, médecin qui a charge. À l’égard du Viagra, il note que le travailleur n’a pas de signe objectif d’une atteinte érectile ou de vessie neurogène. Il ajoute qu’il s’agit d’une plainte subjective que le docteur Côté ne peut relier d’aucune façon au problème lombaire de façon objective. À l’égard de l’investigation, il note qu’il n’y en a aucune de prévue à l’égard du trouble érectile. Le travailleur n’a fait mention d’aucun problème de vessie neurogène.
[28] Le 29 juin 2000, le médecin régional de la CSST souligne que, suite au bilan du docteur Côté, il est difficile de retenir une relation entre la dysfonction érectile et la lésion lombaire. Il conclut que le Viagra n’est pas en relation avec la lésion professionnelle.
[29] Le 11 juillet 2000, la CSST avise le travailleur qu’elle ne peut lui rembourser le coût du médicament Viagra, ni les traitements de psychothérapie. Cette décision est contestée. Toutefois, la réclamation pour les traitements de psychothérapie n’est plus en litige.
[30] Le 16 août 2000, le docteur Alcaidinho, urologue, transmet une lettre au docteur Farmer. Il souligne que le travailleur présente des douleurs importantes à la région lombo-sacrée avec irradiation vers les membres inférieurs et les organes génitaux. Il ajoute que, depuis 1997, le travailleur a noté une diminution des érections nocturnes et matinales avec une dysfonction érectile, de même qu’une perte de l’érection à la pénétration.
[31] Il considère que le travailleur semble présenter un problème de dysfonction érectile aggravé par l’élément douleur et engourdissement de l’hémicorps inférieur. La libido serait normale. Le travailleur a reçu 50 milligrammes de Viagra au besoin. Ce médicament semble modérément efficace chez ce patient mais provoque des effets secondaires dont des céphalées importantes. Il conclut à un diagnostic de dysfonction érectile dont l’élément douleur sévère est certainement très contributif.
[32] À l’égard de la conduite à suivre, il recommande des alternatives telles que le Viagra, le Muse, des auto-injections de papavérine ou prostaglandine. Il souligne qu’il ne peut déterminer avec certitude la cause du problème érectile mais qu’il est évident que les séquelles de douleurs chroniques attribuées à son accident sont un élément important du problème.
[33] Le 25 septembre 2000, le docteur Farmer complète un Rapport médical dans lequel il fait mention d’un suivi pour les séquelles d’une discopathie lombaire stable. Il note que le Viagra est nécessaire et est secondaire à un syndrome de douleur.
[34] À l’audience, le travailleur soumet ses commentaires quant aux exigences de l’emploi de gardien de stationnement. Il souligne avoir une connaissance personnelle de ce genre de travail qui s’effectue dans une guérite ou à l’extérieur. Il doit remettre les sommes d’argent aux clients de façon répétée ainsi que leur billet de stationnement. Ce travail s’exerce assis ou debout sur un tabouret. Il considère que le mouvement exécuté à répétition, pour remettre l’argent et les billets, aurait pour conséquence d’augmenter ses douleurs, lesquelles irradient au niveau de ses jambes.
[35] À l’égard d’un terrain de stationnement extérieur, où il aurait à stationner les véhicules et à marcher sur un terrain inégal, il estime ne pas être en mesure de l’exécuter. S’il devait travailler dans un stationnement à étages, il aurait à monter des escaliers, ce qui serait un problème pour lui. Il ajoute que dans son milieu, à savoir le secteur de Saint-Jérôme, il existe à sa connaissance deux stationnements publics où un tel emploi pourrait être disponible. Un premier emploi se situe à l’hôpital Hôtel-Dieu de Saint-Jérôme. À cet endroit, il y a une guérite. Il existe également un autre stationnement extérieur dans une polyclinique de la région.
[36] Il a noté que, dans le cadre de cet emploi, le préposé devait nettoyer les lieux et également répandre du sel en période hivernale. Ce type d’emploi serait plutôt disponible dans la région de Montréal. Or, il déclare ne pas être en mesure de se déplacer dans cette région puisque cela implique des déplacements d’une durée d’une heure à une heure et demie. Il se dit limité dans ses déplacements en automobile. Il peut, tout au plus, exécuter de façon consécutive, un déplacement en automobile d’une durée maximum d’une demi-heure à une heure.
[37] Le travailleur ajoute que ses douleurs sont constantes au niveau lombaire et irradient aux membres inférieurs. En raison de sa condition physique, il réussit à dormir de très courtes périodes pendant la nuit. Il doit se lever à maintes occasions et doit prendre des médicaments. De façon régulière, il se lève le matin entre 4 h 30 et 5 h et doit se recoucher un peu plus tard dans l’avant-midi. Il est fonctionnel en après-midi durant approximativement une à deux heures. Il est en mesure de marcher pendant approximativement quinze minutes après quoi, il doit s’asseoir. Il précise qu’il ne fait pas lui-même l’entretien de son domicile et que les frais inhérents à l’entretien courant sont couverts par la CSST.
[38] Il déclare que de décembre 1997 à mai 1998, il a occupé un emploi en travaux légers chez son employeur. Durant cette période, il ne travaillait que quelques heures par jour. Actuellement, il a changé sa médication et prend du Célébrex de même que du Tylénol pour soulager ses symptômes. Il prend également des médicaments pour les nausées de même qu’un médicament antidépresseur. Il porte un TENS de façon régulière pendant la journée de même qu’un corset.
[39] À l’égard de sa réclamation pour le remboursement du Viagra, il déclare avoir constaté certains problèmes érectiles, et ce, dès sa première chirurgie au niveau lombaire. À cette époque, cette problématique s’est résorbée après quelque temps. Ce problème a réapparu à la suite de son accident du travail de 1997. Il a constaté que la douleur vive, qui se manifeste lors de ses relations sexuelles, provoque la perte de son érection. Il a alors décidé d’en parler à son médecin.
[40] À cette occasion, le docteur Farmer l’a référé au docteur Alcaidinho. Il souligne que le Viagra ne lui occasionne plus autant d’effets secondaires qu’au début. Il ajoute que son médecin lui a fait passer divers examens et qu’il n’a pas été identifié d’autres causes à son problème érectile.
[41] À l’audience, le docteur Farmer déclare qu’il suit le travailleur depuis le mois de mars 1997. Il souligne que son état n’a pas beaucoup évolué avec les années. Il constate que le travailleur présente une symptomatologie au niveau lombaire qui irradie aux membres inférieurs. Il lui a recommandé de prendre du Tylénol de façon régulière de même que du Célébrex à raison de deux fois par jour. Il utilise une crème analgésique. Il a tenté une médication à base de morphine mais celle-ci a été cessée rapidement en raison de l’intolérance du travailleur. Il déclare avoir constaté que les douleurs étaient assez significatives et constantes. Il n’envisage pas d’amélioration notable du tableau clinique.
[42] À l’égard de l’emploi de gardien de stationnement, il déclare posséder une certaine connaissance de cet emploi, et ce, en raison de ses nombreux déplacements. Il constate que, si le travailleur devait être préposé dans une guérite, il serait amené à exécuter des mouvements répétés qui impliqueraient des rotations ou des flexions de la colonne lombaire, ce qui contreviendrait à ses limitations fonctionnelles. Il constate également que si le travailleur devait stationner les véhicules des clients, cela contreviendrait aussi à ses limitations fonctionnelles. De même, si le travailleur devait circuler dans le stationnement, cela serait contre-indiqué car il marcherait sur un terrain inégal. De la même façon, il souligne que la situation serait la même, si le travailleur circulait dans un stationnement à étages comportant des escaliers. À son avis, l’exécution de ce type de tâches augmenterait la douleur.
[43] À l’égard de la réclamation pour le Viagra, il souligne que le travailleur lui a fait part de son problème de dysfonction érectile et, c’est pourquoi il l’a référé à un urologue. Il souligne que dans le cadre de sa pratique, il rencontre plusieurs patients qui ont des problèmes de dysfonction érectile, tout en étant affecté d’un problème sévère au niveau du dos. Il ne peut affirmer de façon certaine que la douleur est responsable du problème. Toutefois, il ne constate aucune autre cause à la dysfonction érectile décrite par le travailleur. Il associe donc celle-ci à la douleur chronique dont est affecté le travailleur.
[44] Il appert également du dossier que, depuis le 24 octobre 2000, le travailleur est victime d’une rechute, récidive ou aggravation de sa lésion initiale. Le 16 février 2001, la CSST a reconnu la relation entre l’état dépressif et la lésion initiale. Cette décision a été contestée par l’employeur mais, par la suite, il a déposé un désistement.
L'ARGUMENTATION DES PARTIES
[45] Le procureur du travailleur est d’avis que l’emploi de gardien de stationnement ne constitue pas un emploi convenable puisque ses exigences ne respecteraient pas les limitations fonctionnelles. Il constate que cet emploi implique des mouvements de rotation et de flexion au niveau de la colonne lombaire de même que des déplacements sur un terrain inégal. De plus, il souligne que le travailleur présente une symptomatologie chronique qui le rend incapable d’exercer un emploi sur une base régulière. Il considère que cet emploi ne présente pas de possibilités raisonnables d’embauche puisque dans la région où habite le travailleur, il n’y a que deux ou trois stationnements disposant d’un gardien. À son avis, le travailleur est inemployable et devrait être reconnu en invalidité totale. À cet effet, il réfère à l’article 93 de la loi. Il demande que la décision rendue par la CSST soit annulée.
[46] À l’égard de la réclamation pour le Viagra, il souligne que l’article 1 de la loi prévoit l’indemnisation de toutes les conséquences d’une lésion professionnelle. Il soumet que la preuve prépondérante établit une relation entre les douleurs chroniques du travailleur et la dysfonction érectile. Il réfère au témoignage du docteur Farmer et à l’opinion de l’urologue. Il demande de faire droit à cette réclamation.
L'AVIS DES MEMBRES
[47] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que l’emploi de gardien de stationnement ne constitue pas un emploi convenable. Dans un premier temps, il estime que les limitations fonctionnelles ne sont pas respectées. Il constate également que cet emploi ne respecte pas les qualifications professionnelles du travailleur et ne présente pas de possibilité d’embauche. Il note que cet emploi présente une faible possibilité d’embauche. Par ailleurs, il est d’avis que le travailleur ne peut être déclaré invalide.
[48] Le membre issu des associations d'employeurs est d’avis que l’emploi de gardien de stationnement ne constitue pas un emploi convenable. À cet effet, il souligne que l’emploi ne possède pas de réelle possibilité d’embauche dans la région du travailleur. Sur cet aspect, il prend acte de la preuve soumise par le travailleur, laquelle n’a pas été contredite. Il considère également que le travailleur ne peut occuper un tel emploi dans un secteur éloigné de sa résidence, en raison de ses limitations fonctionnelles qui ne lui permettent pas d’effectuer un long trajet en automobile. Enfin, il considère que le travailleur ne peut être déclaré invalide.
[49] Le membre issu des associations d'employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis que le travailleur a démontré par une preuve prépondérante que la douleur chronique est responsable de sa dysfonction érectile, de telle sorte que la CSST doit assumer le coût du médicament Viagra. Ils estiment que ce problème est une conséquence de la lésion professionnelle de février 1997. Sur ce sujet, ils prennent en considération les opinions émises par les docteurs Farmer et Alcaidinho.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
Emploi convenable de gardien de stationnement
[50] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’emploi de gardien de stationnement constitue un emploi convenable.
[51] La notion d’emploi convenable est définie à l’article 2 de la loi comme suit :
« emploi convenable » : un emploi approprié qui permet au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles, qui présente une possibilité raisonnable d'embauche et dont les conditions d'exercice ne comportent pas de danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion.
[52] La Commission des lésions professionnelles doit vérifier si cet emploi rencontre tous les critères qui se retrouvent dans cette définition.
[53] La Commission des lésions professionnelles doit également prendre en considération que, depuis le 24 octobre 2000, le travailleur est victime d’une rechute, récidive ou aggravation de sa lésion initiale. La CSST a reconnu, en relation avec la lésion initiale, un état dépressif, et ce, tel qu’il appert de sa décision rendue le 16 février 2001.
[54] D’une part, la Commission des lésions professionnelles constate que le travailleur lui demande d’être déclaré inemployable. À cet effet, il réfère à l’article 93 de la loi, lequel se lit comme suit :
93. Une personne atteinte d'une invalidité physique ou mentale grave et prolongée est considérée invalide aux fins de la présente section.
Une invalidité est grave si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.
Une invalidité est prolongée si elle doit vraisemblablement entraîner le décès ou durer indéfiniment.
________
1985, c. 6, a. 93.
[55] D’une part, cette disposition se retrouve dans la section 3 du chapitre III des indemnités. Cette section s’intitule Indemnités de décès. Il ne s’agit donc pas d’une disposition de la loi qui permet à la CSST de déclarer un travailleur invalide. D’ailleurs, aucune disposition de la loi ne prévoit une telle possibilité.
[56] D’autre part, la décision contestée par le travailleur, dans le présent dossier, ne porte pas sur cette question mais concerne la détermination d’un emploi convenable.
[57] La Commission des lésions professionnelles est alors d’avis qu’elle ne dispose d’aucune compétence afin de déterminer si le travailleur est inemployable.
[58] La Commission des lésions professionnelles doit donc s’assurer que tous les critères de la définition d’un emploi convenable sont respectés dans le présent dossier.
[59] Dans un premier temps, il y a lieu de se demander si l’emploi de gardien de stationnement respecte la capacité résiduelle du travailleur. Afin de se prononcer sur ce critère, il faut analyser les limitations fonctionnelles émises par le docteur Farmer et les exigences physiques de l’emploi. Cet aspect a d’ailleurs été commenté par le docteur Farmer lors de son témoignage ainsi que par le travailleur.
[60] À cet effet, la jurisprudence[2] a déjà analysé les exigences physiques d’un tel emploi, alors qu’un travailleur était affecté d’un problème au dos et a conclu que cet emploi ne respectait pas les limitations fonctionnelles.
[61] La Commission des lésions professionnelles constate que, dans le cadre de cet emploi, qu’il soit exercé à l’intérieur d’une guérite ou dans un stationnement où le préposé doit stationner des véhicules, le travailleur doit effectuer des mouvements de rotation et de flexion antérieure de façon répétée particulièrement en période d’heure de pointe, ce qui contreviendrait à une des limitations fonctionnelles, soit : éviter les mouvements répétitifs de flexion, extension ou de torsion du rachis lombo-sacré.
[62] De plus, dans le cadre d’un emploi exercé à l’intérieur d’une guérite, cela implique le maintient d’une posture prolongée pendant plus de 45 minutes à la fois, ce qui contrevient à une autre limitation fonctionnelle.
[63] Le travailleur doit également se déplacer sur un terrain inégal ou encore de monter et descendre des escaliers. Cela contrevient aux limitations fonctionnelles.
[64] L’analyse de l’ensemble des tâches de cet emploi permet de conclure qu’il ne constitue pas un emploi respectant les limitations fonctionnelles.
[65] D’ailleurs, si le travailleur était placé dans une telle situation, cela aurait pour effet d’augmenter sa symptomatologie.
[66] La Commission des lésions professionnelles considère également que cet emploi présente une très faible possibilité d’embauche dans la région du travailleur.
[67] D’une part, le témoignage du travailleur révèle que dans sa région, il n’y aurait qu’environ deux stationnements publics qui utilisent les services d’un gardien. D’autre part, la conseillère en réadaptation ne fait aucune mention quant à la disponibilité de cet emploi dans la région concernée.
[68] D’ailleurs, le système Repères décrit que les possibilités d’embauche sont moyennement basses. Dans ce contexte, le travailleur serait amené à travailler dans une autre région. Il devrait alors se déplacer en automobile, alors qu’il ne peut conserver la même posture pendant plus de 45 minutes. Cette situation limite les secteurs parmi lesquels le travailleur pourrait se trouver un emploi.
[69] De plus, il y a lieu de considérer que le travailleur occupait un emploi d’enseignant et possédait 30 crédits universitaires en psychopédagogie. Il a occupé cet emploi d’enseignant pendant près de 20 ans. Or, s’il devait occuper l’emploi déterminé, cela modifierait grandement son environnement de travail et la nature de ses activités professionnelles. Cela met en doute l’utilisation des qualifications professionnelles du travailleur dans le cadre de l’emploi déterminé.
[70] Certes, la démarche effectuée par la conseillère en réadaptation, dans le but de déterminer un emploi convenable, s’avérait difficile dans le présent dossier car le travailleur se déclarait inemployable. Par contre, la situation vécue par le travailleur depuis sa lésion professionnelle de 1997 n’est pas facile, car il demeure avec d’importantes limitations au point de vue fonctionnel. L’ensemble de sa condition doit donc être pris en considération.
[71] Actuellement, le travailleur est victime d’une dépression qui est reconnue par la CSST comme étant en relation avec la lésion professionnelle. Cette situation devra être prise en considération au moment de déterminer un nouvel emploi convenable.
[72] La Commission des lésions professionnelles conclut que le travailleur a soumis une preuve prépondérante démontrant que l’emploi de gardien de stationnement ne constitue pas un emploi convenable au sens de l’article 2 de la loi.
[73] Pour l’ensemble de ces raisons, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que l’emploi de gardien de stationnement ne constitue pas un emploi convenable. En vertu des articles 44 et suivants de la loi, le travailleur conserve alors son droit à l’indemnité de remplacement du revenu. La CSST devra donc déterminer un nouvel emploi convenable.
Assistance médicale : médicament
[74] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la prescription du Viagra est en relation avec la lésion professionnelle.
[75] L’article 188 de la loi prévoit ce qui suit :
« 188. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à l'assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion.
________
1985, c. 6, a. 188.
[76] L’article 189, alinéa 3 de la loi prévoit ce qui suit :
« 189. L'assistance médicale consiste en ce qui suit :
1 les services de professionnels de la santé;
2 les soins ou les traitements fournis par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S‑4.2) ou la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S‑5);
3 les médicaments et autres produits pharmaceutiques;
4 les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur la protection de la santé publique (chapitre P‑35), prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l'assurance‑maladie du Québec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas établi au Québec, reconnu par la Commission;
5 les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visés aux paragraphes 1° à 4° que la Commission détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.
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1985, c. 6, a. 189; 1992, c. 11, a. 8; 1994, c. 23, a. 23.
[77] Dans le présent dossier, le docteur Farmer, médecin qui a charge, a prescrit du Viagra au travailleur afin de solutionner une dysfonction érectile qu’il associe à la douleur chronique au niveau lombaire. Le docteur Farmer a précisé cette information dans un rapport médical daté du 25 septembre 2000. Antérieurement à cette date, il avait référé le travailleur à un urologue, le docteur Alcaidinho.
[78] Or, le 16 août 2000, le docteur Alcaidinho confirmait un diagnostic de dysfonction érectile dont l’élément douleur sévère était certainement très contributif. Il précisait alors qu’il ne pouvait déterminer avec certitude la cause du problème érectile mais qu’il était évident que les séquelles de douleurs chroniques attribuées à l’accident du travail étaient certainement un élément important du problème. D’autre part, le docteur Farmer a souligné qu’il n’avait été identifié aucune autre cause à ce problème.
[79] Pour sa part, le travailleur a souligné que, lors de sa première chirurgie au niveau lombaire effectuée à la suite de son accident du travail de 1988, il avait connu un premier épisode de dysfonction érectile. Toutefois, cette situation s’est avérée temporaire et est revenue à la normale. Puis, à la suite de son accident du travail du mois de février 1997, ce problème a réapparu et demeure persistant lorsqu’il tente d’avoir des relations sexuelles avec sa conjointe. Il souligne qu’à ces occasions, la douleur intense se manifeste et fait en sorte qu’il ne peut conserver une érection. C’est dans ce contexte qu’il a finalement décidé d’en parler à son médecin, le docteur Côté, de même qu’au docteur Farmer. Il a également rencontré le docteur Alcaidinho qui lui a confirmé que ce problème était fort probablement en relation avec ses douleurs lombaires.
[80] Certes, il n’existe pas de certitude médicale quant à une relation de cause à effet entre la dysfonction érectile décrite par le travailleur et sa lésion professionnelle. Toutefois, le travailleur n’a pas à soumettre une preuve scientifique absolue pour se voir accorder le droit à l’assistance médicale qu’il demande. Il suffit que cela soit établi d’une façon prépondérante.
[81] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que le travailleur a soumis une preuve prépondérante établissant une relation entre ce problème de dysfonction érectile et les douleurs chroniques découlant de sa lésion professionnelle.
[82] À cet effet, l’ensemble de la preuve médicale au dossier milite en faveur de cette conclusion. Il a été établi qu’il s’agit d’une conséquence de la lésion professionnelle, laquelle doit être indemnisée par la CSST.
[83] La Commission des lésions professionnelles conclut que le travailleur a droit à l’assistance médicale que requiert son état, soit dans le cas présent, le remboursement des coûts pour l’achat du médicament Viagra.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête déposée par monsieur Claude Pilon ;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 12 octobre 2000, à la suite d’une révision administrative ;
DÉCLARE que l’emploi de gardien de stationnement ne constitue pas un emploi convenable ;
DÉCLARE que monsieur Claude Pilon conserve son droit à l’indemnité de remplacement du revenu ;
DÉCLARE que le médicament Viagra est couvert par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Me Daniel Martin |
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Commissaire |
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Me
Robert Gauthier |
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Représentant de la partie requérante |
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Panneton
Lessard |
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(Me
Robert Morin) |
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Représentant de la partie intervenante |
[1]
(L.R.Q.,
c. A-3.001)
[2]
C.S.S.T. et Cosme
[1995] C.A.L.P., 778; Buonavita et Abattoir du Nord ltée, 66610-6-9502, 19 juin 1996, S. Moreau; Plante
et Cie de poisson Cité inc., 65978-60-9501,
17 mai 1996, F. Dion-Drapeau; Delarosbil et Fortan inc., 104865-31-9809, 10 février 1999, P. Prégent; Poulin
et Opérations R.B.I. inc. et C.S.S.T.‑Chaudière-Appalaches,
145218-03B-0008, 28 février 2001, R. Jolicoeur.
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