Rondeau et Groupe sécurité Garda inc. |
2012 QCCLP 7972 |
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[1] Le 24 avril 2012, monsieur Armand Rondeau (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 26 mars 2012, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, l’instance de révision confirme la décision initiale rendue le 4 janvier 2012 et déclare que le travailleur n’a pas droit à l’aide personnelle à domicile.
[3] Une audience est tenue à Montréal le 7 décembre 2012. Le travailleur est présent et n’est pas représenté. Groupe Sécurité Garda inc. (l’employeur) est absent. La cause est mise en délibéré le même jour.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] Le travailleur demande de reconnaître qu’il continue, comme par le passé, d’avoir droit à l’aide personnelle à domicile.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont d’avis d’accueillir la requête au motif que la CSST n’était pas justifiée de cesser de payer au travailleur l’aide personnelle à domicile à laquelle il continue d’avoir droit et doit reprendre le versement de cette allocation à compter du 4 janvier 2012.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a toujours droit à l’aide personnelle à domicile.
[7] Le travailleur était agent de sécurité. À la suite d’un accident du travail survenu en 1983 et un accident du travail survenu le 8 avril 1989, le travailleur a subi successivement d’importantes chirurgies[1] qui ont entraîné une pachydurite avec arachnoïdite adhésive. La mise en place d’un pacemaker épidural permanent a été effectuée afin de soulager les douleurs.
[8] Le travailleur a conservé des séquelles importantes compte tenu des chirurgies effectuées, de la persistance d’ankyloses de la colonne lombo-sacrée et d’atteintes sensitives et motrices au membre inférieur gauche. Une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique et des limitations fonctionnelles relativement sévères ont donné droit à la réadaptation. Le travailleur a bénéficié d’un processus de réadaptation à la suite d’une décision de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles rendue en septembre 1993 mais la CSST a dû mettre fin au plan individualisé de réadaptation en 1995. Dans les faits, le travailleur n’est jamais retourné au travail depuis 1989.
[9] Depuis de nombreuses années, la CSST reconnaissait au travailleur le droit à une aide personnelle à domicile. Le tribunal retrace des mentions à ce sujet aux notes évolutives à compter de 1997. Ensuite, les intervenants font référence à des montants consentis par la CSST en raison d’une « entente particulière »[2] avec le travailleur, montants qui semblent couvrir l’entretien courant du domicile et l’aide personnelle à domicile. Ceci se reflète, entre autres, dans les notes évolutives du 18 novembre 1997, 18 août 1998, 21 septembre 1998, 23 septembre 1998, 8 septembre 1999, 17 novembre 1999, 10 septembre 2001, 21 septembre 2001, 1er octobre 2001, 2 octobre 2001, 13 septembre 2002 (référence à l’entente particulière), 8 octobre 2003, 10 octobre 2003 (référence à l’entente particulière), 25 septembre 2004 (référence à l’entente particulière), 6 septembre 2005 (référence à l’entente particulière, aide reconduite pour deux ans), 5 novembre 2007 (référence à l’entente particulière, aide reconduite pour l’année 2008), 31 août 2009 (décision en continuité : l’aide est renouvelée pour deux ans). Deux grilles d’évaluation des besoins d’aide personnelle à domicile sont retracées au dossier : l’une en 2002, l’autre en 2007. Quatre décisions accordant cette aide sont retracées au dossier : 16 septembre 2002 (manuscrite), 10 octobre 2003, 11 septembre 2009 et 9 février 2011.
[10] À compter du 1er février 2011, un mandat d’« intervention READ Ad Hoc » est donné à une intervenante de la CSST pour le prolongement des versements d’aide personnelle à domicile.
[11] Le 15 février 2011, cette intervenante écrit qu’en l’absence de changement dans la situation médicale et personnelle du travailleur, il ne lui semble pas opportun de procéder à une analyse approfondie de la situation de ce dernier.
[12] Le 5 décembre 2011, l’intervenante écrit :
Titre : Retour d’appel au Travailleur
- ASPECT PSYCHOSOCIAL :
Sans évaluation comme telle et en prenant pour acquis que rien n’est changé à sa situation personnelle et résidentielle), nous autorisons le prolongement de l’aide personnelle pour une année de plus soit jusqu’à la fin de 2012.
Le dossier sera à réévaluer à l’automne 2012 concernant cette question.
(le tribunal souligne)
[13] Le 16 décembre 2011, l’intervenante écrit :
Titre : Rencontre à domicile
Étaient présents : Le Travailleur et nous-mêmes
Objectifs : Réévaluation de l’aide personnelle
- ASPECT PSYCHOSOCIAL :
Monsieur Rondeau est déménagé depuis la dernière évaluation (téléphonique) il y a environ deux (2) ans. Il réside au douzième étage d’un logement faisant partie d’un complexe immobilier pour les personnes âgées.
P/r à la grille d’évaluation des besoins d’aide personnelle à domicile, depuis celle produite le 10 septembre 2009, nous ne constatons pas de détérioration de sa santé personnelle dans le sens qu’il est capable de se lever et de se coucher seul et ce même s’il a besoin d’une barre pour s’appuyer pour se lever et se coucher. Il est encore très autonome pour son hygiène corporelle, l’habillage, le déshabillage, les soins vésicaux et intestinaux de même que pour ses besoins en alimentation.
En fait, même pour trois (3) des besoins pour lesquels on lui avait donné des points soit la préparation du dîner, la préparation du souper ainsi que le ménage léger, il ne les fait plus.
Tant qu’aux autres besoins, en termes de surveillance, ils sont restés les mêmes. [sic]
(le tribunal souligne)
[14] Le 29 décembre 2011, l’intervenante écrit :
Titre : Appel au T.
- ASPECT PSYCHOSOCIAL :
T est informé que nous ne pourrons pas donner suite à la mesure pour 2012. Je lui explique que cette mesure en est une d’EXCEPTION et que nous accordons l’aide personnelle seulement dans les cas ou les individus sont en perte d’autonomie sévère et dans ce cas-là la Commission veut éviter le placement en centre d’hébergement plus spécialisé.
Considérant qu’il est en mesure de prendre soin de lui-même, je lui mentionne qu’il est quand même chanceux d’en avoir eu. Monsieur dit qu’il reçoit de l’aide personnelle depuis une vingtaine d’années...
[15] Le 4 janvier 2012, la CSST émet la décision initiale en litige, informant le travailleur qu’aucune allocation d’aide personnelle à domicile ne peut être versée car une telle aide n’est pas nécessaire à son maintien à domicile.
[16] Le tribunal constate que la situation, à l’origine de la démarche de la CSST qui s’est soldée par la cessation de l’allocation d’aide personnelle versée au travailleur depuis plusieurs années, est son déménagement dans une résidence pour personnes âgées autonomes. Le travailleur, maintenant âgé de 75 ans, accuse une perte de mobilité en raison de la lésion professionnelle, laquelle est bien documentée au dossier. Il se déplace avec une canne ou une « marchette » dont le coût a été défrayé par la CSST. Auparavant, le travailleur demeurait dans un appartement. Afin de faciliter ses déplacements, il est déménagé dans une résidence pour personnes âgées autonomes munie d’ascenseurs.
[17] Le travailleur témoigne qu’il s’agit d’une résidence privée offrant différents services. Il paye un loyer de base auquel s’ajoutent des frais pour les services qu’il choisit de payer. C’est ainsi qu’il doit payer pour le service de repas (incluant l’approvisionnement et la préparation) et pour le service d’entretien ménager, ce qu’il n’est pas en mesure de faire en raison des séquelles de la lésion professionnelle. Le travailleur explique qu’en raison de sa situation financière, il a choisi de payer pour le service du diner seulement afin de bénéficier d’un bon repas par jour. Pour le déjeuner et le souper, il mange peu. De plus, il paie pour de l’entretien ménager aux deux semaines qu’il ne peut faire lui-même.
[18] Le tribunal constate que, par rapport aux évaluations des besoins d’aide personnelle à domicile effectuées par la CSST, par le passé, les besoins du travailleur n’ont pas diminués. Toutefois, pour combler les mêmes besoins depuis son déménagement, il doit en payer les coûts à la résidence privée où il demeure.
[19] Il est inexact de conclure, comme le fait l’intervenante de la CSST, que les besoins pour lesquels des points étaient attribués dans les grilles, préparation des repas, approvisionnement et ménage, n’existent plus car il ne « les fait plus ». Le travailleur ne bénéficie pas de services gratuits comme s’il était hébergé dans un établissement public. Le travailleur a toujours les mêmes besoins d’aide personnelle, doit payer pour bénéficier de ces services à la résidence privée où il demeure et s’appauvrit en raison de la coupure de l’allocation d’aide personnelle faite par la CSST le 4 janvier 2012 alors qu’aucune preuve ne démontre que sa condition s’est améliorée et qu’il est désormais capable de combler lui-même ces besoins de base.
[20] Le tribunal estime que la CSST n’était pas justifiée, le 4 janvier 2012, de cesser de payer au travailleur l’aide personnelle à domicile qu’il continue d’avoir droit. La CSST devra reprendre le versement de cette allocation à compter du 4 janvier 2012.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête du travailleur, monsieur Armand Rondeau;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 26 mars 2012, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail n’était pas justifiée de cesser de verser au travailleur une allocation d’aide personnelle à domicile et devra reprendre ce versement à compter du 4 janvier 2012.
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Lina Crochetière |
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