Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Gaspé

Le 18 février 2005

 

Région :

Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine

 

Dossier :

248654-01C-0411

 

Dossier CSST :

116749888

 

Commissaire :

Me Louise Desbois

 

Membres :

Gilles Cyr, associations d’employeurs

 

Georges Fournier, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Raynald Aubut

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Construction L.F.G. inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 8 novembre 2004, monsieur Raynald Aubut (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 4 novembre 2004 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 8 juillet 2004 et déclare que le travailleur n’a pas droit au remboursement des frais d’entretien courants de grand ménage et d’entretien du gazon.

[3]                Lors de l’audience tenue à New-Richmond le 16 février 2005, le travailleur est présent avec sa conjointe. Monsieur Richard Normandeau est présent pour l’employeur.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’il a droit au remboursement des frais d’entretien courant que constituent le grand ménage et l’entretien de la pelouse.

L’AVIS DES MEMBRES

[5]                Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous deux d’avis que la requête du travailleur devrait être accueillie en partie. Ils considèrent en effet que selon la preuve prépondérante, le travailleur s’occupait de l’entretien de la pelouse lorsqu’il était présent avec son accident du travail et qu’il s’en occuperait maintenant entièrement si ce n’était des conséquences de sa lésion professionnelle.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[6]                Le travailleur, actuellement âgé de 51 ans, subit une lésion professionnelle le 24 août 1999. Les diagnostics retenus à la suite de cette lésion sont les suivants :

-        Facture du tibia proximale gauche

-        Amputation de l’annulaire gauche

-        Tendinite à l’épaule gauche

-        Arthrose traumatique du genou gauche

-        Raideur de la cheville gauche

-        Radiculopathie cervicale

-        Hernie discale lombaire. (sic)

[7]                La lésion professionnelle a été déclarée consolidée le 19 janvier 2001.

[8]                Une récidive, rechute ou aggravation de nature psychique survient le 12 septembre 2001. Elle est déclarée consolidée le 3 septembre 2003.

[9]                Des pourcentages d’atteinte permanente de 21,4 % pour l’atteinte physique et de 18 % pour l’atteinte psychique ont été reconnus comme découlant de ces lésions professionnelles, en sus des pourcentages accordés pour douleur et perte de jouissance de la vie.

[10]           Le travailleur est finalement reconnu par la CSST comme étant inapte à tout travail rémunérateur.

[11]           Les limitations fonctionnelles suivantes ont été reconnues en relation avec les lésions professionnelles subies par le travailleur :

·        Sur le plan physique

Le travailleur doit éviter :

-        de forcer, tirer, pousser ou lever des charges dépassant 5 livres

-        de garder les mêmes postures (assise, debout) ou de marcher pendant plus de 15 à 20 minutes

-        de grimper ou de ramper, d’utiliser les escaliers, de se mettre en position accroupie ou à genoux

-        de travailler dans une position instable

-        d’effectuer des mouvements répétitifs au dos et aux membres

-        de travailler avec les bras élevés au-dessus des épaules

-        de maintenir les épaules en position statique même inférieure à 90°

-        de marcher sur les terrains accidentés ou glissants

-        de subir des vibrations constantes à basse fréquence

·        Sur le plan psychique

Incapacité d’occuper quelque emploi exigeant :

-        une bonne capacité d’adaptation au stress

-        une bonne capacité de concentration

-        une bonne tolérance à la frustration pour travailler par exemple avec le public.

[12]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur a droit au remboursement demandé pour certains travaux d’entretien de son domicile.

[13]           La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) prévoit les conditions d’ouverture du droit d’un travailleur victime d’une lésion professionnelle à la réadaptation, ce qui sous-tend l’objet de la demande du travailleur en l’instance :

145. Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 145.

 

 

[14]           En l’occurrence, le travailleur rencontre la première condition énoncée dans cette disposition, à savoir qu’une atteinte permanente découle de sa lésion professionnelle. Il a donc droit, dans la mesure prévue par le chapitre de la loi portant sur la réadaptation, à la réadaptation requise par son état.

[15]           Les articles 151 et 152 énoncent quant à eux les grandes lignes de ce que peut comprendre la réadaptation sociale assumée dans le cadre de la loi :

151. La réadaptation sociale a pour but d'aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s'adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l'accomplissement de ses activités habituelles.

__________

1985, c. 6, a. 151.

 

 

152. Un programme de réadaptation sociale peut comprendre notamment:

 

1°   des services professionnels d'intervention psychosociale;

 

2°   la mise en oeuvre de moyens pour procurer au travailleur un domicile et un véhicule adaptés à sa capacité résiduelle;

 

3°   le paiement de frais d'aide personnelle à domicile;

 

4°   le remboursement de frais de garde d'enfants;

 

5°   le remboursement du coût des travaux d'entretien courant du domicile.

__________

1985, c. 6, a. 152.

 

 

[16]           Finalement, l’article 165 énonce les conditions d’ouverture au remboursement du


coût de travaux d’entretien courant du domicile d’un travailleur :

165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.

__________

1985, c. 6, a. 165.

 

 

[17]           En fait, pour avoir droit au remboursement des frais engagés pour des travaux d’entretien courant, le travailleur doit démontrer :

·          qu’il a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d’une lésion professionnelle;

et

·          qu’il est incapable d’effectuer les travaux d’entretien courant de son domicile qu’il effectuerait normalement lui-même si ce n’était de sa lésion.

[18]           La notion d’atteinte permanente grave doit être interprétée en fonction de la capacité résiduelle du travailleur à la suite de sa lésion professionnelle ainsi que de la finalité de l’article 165 qui vise l’exécution de travaux d’entretien courant du domicile.

[19]           En d’autres termes, la question est de savoir si l’atteinte permanente affectant le travailleur à la suite de sa lésion professionnelle, se traduisant plus particulièrement par les limitations fonctionnelles, est assez grave pour empêcher le travailleur d’exécuter ces travaux.

[20]           Quant aux « travaux d’entretien courant », ce sont les travaux habituels, ordinaires d’entretien du domicile par opposition à des travaux de rénovation, de réparation importante, etc.

[21]           En l’occurrence, il ne fait aucun doute que la lésion professionnelle du travailleur a entraîné une atteinte permanente grave à son intégrité physique.

[22]           Et il ne fait aucun doute que cette atteinte permanente, traduite notamment par les sévères limitations fonctionnelles énoncées, le rend incapable d’effectuer les travaux de grand ménage et d’entretien de la pelouse de son domicile.

[23]           La  CSST a en fait refusé  de  rembourser  le  travailleur  pour les  motifs  qu’elle

énonce comme suit dans sa décision du 4 novembre 2004 :

« Toutefois, l’application de cette disposition implique que doit être considérée la situation qui prévalait au moment où la lésion professionnelle est survenue. Ainsi, nous devons déterminer si le travailleur effectuait les travaux pour lesquels il demande le remboursement.

 

L’analyse du dossier démontre qu’au moment de l’événement d’origine, le travailleur n’effectuait pas le grand ménage annuel de sa résidence et ne s’occupait pas de l’entretien du gazon. Aussi, la Révision administrative conclut que le travailleur n’est pas admissible au remboursement des travaux pour l’entretien du gazon et le grand ménage annuel. »

 

(Soulignement ajouté)

[24]           Or, le tribunal dispose, à la suite de l’audience, d’une preuve différente de celle dont disposait la CSST. De plus, le tribunal ne souscrit pas entièrement à l’interprétation que la CSST donne de l’article 165 de la loi.

[25]           Le travailleur, tout comme sa conjointe, reconnaît d’emblée n’avoir jamais effectué de travaux de grand ménage, ceux-ci ayant toujours été effectués par sa conjointe.

[26]           Il n’est ainsi aucunement question qu’il effectuerait ces travaux lui-même maintenant si ce n’était des séquelles de sa lésion.

[27]           Dans les circonstances, le travailleur n’a par conséquent pas droit au remboursement du coût de travaux de grand ménage.

[28]           Il en va cependant autrement pour l’entretien de la pelouse.

[29]           Les témoignages du travailleur, en l’absence de sa conjointe, puis de cette dernière, sont crédibles et concordants : lorsque le travailleur travaillait à l’extérieur et que l’entretien de la pelouse devait être fait, sa conjointe s’en chargeait. Mais quand le travailleur était à la maison, c’est lui qui s’en occupait.

[30]           Or, bien que le travailleur travaillait régulièrement à l’extérieur de sa région pendant la saison estivale, il revenait la grande majorité du temps aux deux ou trois semaines tout au plus à la maison. Il pouvait alors vaquer à ses occupations, dont l’entretien de la pelouse.

[31]           Outre la preuve prépondérante quant à la responsabilité première du travailleur quant à l’entretien de la pelouse, le tribunal retient que lors de la survenance de la lésion professionnelle, le travailleur approchait du nombre d’heures requis dans l’industrie de la construction pour pouvoir prendre sa retraite.

[32]           Et, comme il ressort clairement de la preuve que c’est le travailleur qui s’occupait de l’entretien de la pelouse lorsqu’il était à la maison, force est de croire qu’à sa retraite, n’eût été la survenance de sa lésion professionnelle, c’est lui qui s’en serait occupé entièrement.

[33]           L’article 165 de la loi réfère aux « travaux d’entretien courant de son domicile qu’il [le travailleur] effectuerait normalement lui-même si ce n’était de sa lésion ».

[34]           Il est ainsi réducteur de la part de la CSST de se limiter, dans son application de cette disposition, à considérer, comme c’est écrit dans sa décision et dans sa politique, « la situation qui prévalait au moment où la lésion professionnelle est survenue ».

[35]           En effet, différentes circonstances peuvent faire en sorte qu’au moment de la survenance de la lésion professionnelle le travailleur n’effectuait pas certains travaux d’entretien. Cette situation n’est cependant pas figée dans le temps : cela n’implique pas nécessairement que plus tard il ne les aurait pas effectués.

[36]           Cela ne signifie pas qu’il faille spéculer à outrance et permettre à un travailleur de prétendre que n’eût été sa lésion professionnelle il se serait mis à s’occuper d’un ensemble de travaux dont il ne s’est jamais préoccupé auparavant. Il faut simplement tenir compte des circonstances propres à chaque affaire sans figer le travailleur dans la situation dans laquelle il se trouvait lors de la survenance de sa lésion professionnelle.

[37]           Cette interprétation de la CSST apparaît d’ailleurs contraire au texte et à l’esprit de la loi :

·        Le texte

            Il est question dans l’article 165 des « travaux d’entretien courant de son domicile qu’il effectuerait normalement lui-même si ce n’était de sa lésion ». Et non pas de ceux « qu’il effectuait normalement lui-même au moment de sa lésion ».

·        L’esprit

            La loi prévoit la réparation des conséquences qu’entraîne une lésion professionnelle, lesquelles conséquences peuvent évidemment varier dans le temps :

1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.

 

Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d'indemnités de décès.

 

La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 1; 1999, c. 40, a. 4.

[38]           Si, par exemple, lors de la survenance de sa lésion professionnelle, le travailleur a une conjointe qui s’occupe de l’ensemble des travaux d’entretien courant de son domicile mais qu’il se sépare par la suite : est-il plus conforme au texte et à l’esprit de la loi de lui refuser tout remboursement de frais d’entretien courant du domicile, sous prétexte qu’il ne les effectuait pas lui-même au moment de la survenance de sa lésion professionnelle? Ou plutôt de se demander s’il les effectuerait maintenant lui-même si ce n’était des séquelles de sa lésion professionnelle? Quelles sont les conséquences de la lésion professionnelle?

[39]           Et si, par exemple, un travailleur va travailler quelques années dans le grand nord en prévision de revenir dans le sud s’établir par la suite. Et que, sur le chantier où il travaille, il est logé et n’a aucun travail d’entretien à effectuer. S’il se blesse sévèrement au travail, serait-il ensuite conforme au texte et à l’esprit de la loi de lui refuser pour toujours le remboursement de frais de travaux d’entretien courant, sous prétexte qu’il n’en effectuait pas lorsque la lésion professionnelle est survenue?

[40]           En fait, bien que cela nécessite un peu plus de jugement et d’appréciation de la situation propre au travailleur en cause, et bien que la situation prévalant lors de la survenance de la lésion professionnelle constitue toujours un élément important dans la détermination des travaux que le travailleur « effectuerait normalement lui-même si ce n’était de sa lésion », il s’avère essentiel, dans l’appréciation du droit d’un travailleur en regard de l’article 165 de la loi, de ne pas se limiter à la seule situation qui prévalait lors de la survenance de la lésion professionnelle.

[41]           Ainsi, la question qui doit toujours, conformément à l’article 165 de la loi, être posée, est la suivante : le travailleur effectuerait-il normalement ces travaux lui-même si ce n’était de sa lésion professionnelle?

[42]           Un travailleur vivant en appartement lors de la survenance de sa lésion professionnelle n’est pas condamné à y demeurer toute sa vie. Tout comme il ne poursuivra peut-être pas la vie commune avec sa conjointe. Tout comme ses enfants qui effectuaient peut-être ces travaux quitteront vraisemblablement la maison un jour. Et si l’on conclut qu’en raison de ces circonstances nouvelles, le travailleur effectuerait normalement certains travaux d’entretien courant de son domicile qu’il n’effectuait pas au moment de la survenance de sa lésion professionnelle, mais qu’il ne peut le faire en raison de l’atteinte permanente grave entraînée par sa lésion, il a droit au remboursement des frais qu’il engage pour faire exécuter ces travaux.

[43]           En l’occurrence, il s’avère que le travailleur s’occupait déjà de l’entretien de la pelouse lorsqu’il était à la maison, qu’il serait maintenant à la retraite et à la maison en permanence et qu’il s’occuperait donc de l’entretien de la pelouse en exclusivité pendant toute la saison, si ce n’était des séquelles importantes de sa lésion professionnelle.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE en partie la requête du travailleur, monsieur Raynald Aubut ;

MODIFIE la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 4 novembre 2004 à la suite d’une révision administrative ;

DÉCLARE que le travailleur a droit au remboursement des frais qu’il engage pour faire exécuter les travaux d’entretien de la pelouse de son domicile, le tout dans le respect des normes financières établies par la CSST à cet égard ;

DÉCLARE que le travailleur n’a pas droit au remboursement des frais de travaux de grand ménage de son domicile.

 

 

 

 

 

Louise Desbois

 

Commissaire

 

 

 

 



[1]          L.R.Q. c. A-3.001

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