Centre Transition le Sextant inc. |
2010 QCCLP 8627 |
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[1] Le 3 mai 2010, le Centre Transition le Sextant inc. (l’employeur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue le 20 avril 2010 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.
[2]
Par cette décision en révision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 8 février 2010 et refuse la demande de partage des coûts
formulée par l’employeur en vertu de l’article
[3] À l’audience, l’employeur était absent. Cependant, il a fait parvenir une argumentation écrite détaillée appuyée de littérature médicale et de jurisprudence, dont a pris connaissance le tribunal.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4]
L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de
déclarer qu’il a droit à un partage des coûts en vertu de l’article
LES FAITS ET LES MOTIFS
[5]
La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si
l’employeur a droit à un partage des coûts en vertu de l’article
329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.
L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.
[6]
La notion de « travailleur déjà handicapé » n’est pas définie
à la loi. Cependant, deux décisions rendues en 1999 proposent des définitions
qui ont été suivies par la suite et qui représentent le courant majoritaire à la Commission des lésions professionnelles auquel souscrit la soussignée[2].
Il ressort de ces décisions que, pour bénéficier d’un partage d’imputation en
vertu de l'article
[7] L’employeur doit ensuite démontrer l’existence d’un lien entre cette déficience et la lésion professionnelle, à savoir soit que la déficience a influencé l’apparition ou la production de la lésion ou que la déficience a eu un impact sur les conséquences de cette même lésion professionnelle.
[8]
La Commission des lésions professionnelles est d’avis, après une étude
attentive du dossier et après avoir pris connaissance de l’argumentation écrite
de l’employeur ainsi que de la jurisprudence et de la littérature médicale à
son appui, qu’il est établi, par prépondérance de preuve, que le travailleur
était handicapé au sens de l’article
[9] Le travailleur, âgé de 52 ans, occupe le poste de préposé à l’entretien ménager lorsqu’il est victime d’un accident du travail le 2 janvier 2008. À cette date, il chute alors qu’il travaille avec une pelle. Il se blesse à l’hémithorax avec le manche de la pelle. Sa réclamation est acceptée le 24 janvier 2008 par la CSST en raison du diagnostic de contusion au thorax gauche.
[10] La CSST rend une deuxième décision le 29 février 2008 par laquelle elle accepte le nouveau diagnostic de tendinite de l’épaule gauche.
[11] Une résonance magnétique est effectuée le 29 mars 2008. Cet examen a démontré une petite bursite sous-acromiale sous-deltoïdienne, une tendinopathie modérée à sévère du supra-épineux distal avec une déchirure partielle importante du versant bursal du supra-épineux impliquant plus de 75 % de l’épaisseur du tendon et, finalement, un léger œdème intra-médullaire de la tête humérale pouvant témoigner d’un œdème réactionnel ou de séquelles de contusion osseuse.
[12] À la demande de l’employeur, le travailleur est examiné par le docteur Claude Lamarre, chirurgien orthopédiste, le 7 avril 2008. Le docteur Lamarre précise que le travailleur souffre d’un diabète non insulinodépendant pour lequel il prend de la médication. Dans des notes médico-administratives suite à son examen objectif, le docteur Lamarre écrit ce qui suit :
La première notion de problème à l’épaule gauche est environ un mois après l’accident et toute contusion ou traumatisme direct à l’épaule gauche aurait donné une douleur immédiate. C’est pourquoi, selon moi, il n’y a pas de relation entre la capsulite de l’épaule gauche et l’événement du 2 janvier 2008.
De plus, on sait très bien que ceux qui présentent du diabète, prétendent très facilement à des problèmes au niveau des épaules, présentent facilement des capsulites de l’épaule.
Si jamais on accepte la capsulite de l’épaule gauche comme secondaire à son traumatisme, il devrait y avoir un partage de coûts important vu la présence de diabète qui aggrave toujours les conditions au niveau de l’épaule.
En somme, d’après le dossier qu’on m’a fait parvenir, il est peu probable que la capsulite de l’épaule gauche qu’il présente soit en relation avec son accident vu que la douleur au niveau de l’épaule gauche n'est apparue qu’un mois après. Il en est de même pour la rupture partielle qu’on a constatée au niveau de la coiffe des rotateurs lors de la résonance magnétique parce que s’il y avait eu une rupture partielle de la coiffe des rotateurs lors de l’accident, la douleur aurait été immédiate et très importante.
Si jamais la CSST accepte que le problème de capsulite de l’épaule est secondaire à sa contusion thoracique, à ce moment-là, il devra y avoir un partage de coûts important pour l’épaule gauche vu comme je l’ai dit plus haut, que le diabète aggrave fréquemment les problèmes de capsulite au niveau de l’épaule.
[13] Dans un rapport complémentaire du 5 mai 2008, le médecin traitant se dit en accord avec les conclusions du docteur Lamarre.
[14] Puisque le docteur Lamarre avait émis le diagnostic de capsulite à l’épaule gauche, diagnostic repris par le médecin traitant, la CSST a rendu une troisième décision le 19 septembre 2008 acceptant la relation entre l’événement et le diagnostic de capsulite de l’épaule gauche.
[15] Une arthrographie distensive de l’épaule gauche a eu lieu le 17 octobre 2008. La docteure Jacinthe Gagnon qui a procédé à cet examen indique que l’arthrographie distensive a été pratiquée avec succès et elle ajoute : « Ce patient est diabétique, les conseils d’usage lui ont été donnés […] ».
[16] Une deuxième arthrographie distensive de l’épaule gauche est effectuée le 21 novembre 2008. Finalement une troisième arthrographie distensive est effectuée le 9 janvier 2009 et la docteure Gagnon réitère que « Ce patient est diabétique et les conseils d’usage lui ont été donnés. »
[17] La lésion est consolidée le 25 août 2009 avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles. Dans son rapport d’évaluation médicale, le docteur Catchlove accorde 3 % d’atteinte permanente ainsi que des limitations fonctionnelles qu’il décrit à son rapport.
[18] C’est le 20 janvier 2009 que l’employeur formule sa demande de partage des coûts alléguant principalement la condition de diabète du travailleur.
[19] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que la preuve est prépondérante dans le présent dossier à l’effet que le travailleur présentait une déficience en raison de sa condition de diabète. La preuve est aussi prépondérante à l’effet que cette déficience a eu un impact significatif sur les conséquences de la lésion professionnelle.
[20] D’abord, l’employeur a fourni une preuve, sous la forme d’une opinion médicale, démontrant l’existence d’une déficience en raison de la condition de diabète du travailleur. Cette opinion du docteur Lamarre est supportée par la littérature médicale[3] déposée par le représentant de l’employeur ainsi que par une jurisprudence importante du tribunal.
[21] Le représentant de l’employeur a cité des extraits[4] pertinents des études soumises à l’appui de son argumentation et il y a lieu de les reproduire :
1er extrait :
[…] The correlation between limited joint mobility and microvascular complication of diabetes has been well documented, but there are also two studies showing an association between shoulder capsulitis and retinopathy.
[…]
Discussion
This report shows that shoulder capsulitis is a common disorder in both type I and type II diabetic subjects, which is in line with previous studies. […] The prevalence of shoulder capsulitis increased after the age of 40 and 50 years in type I and II diabetic patients, respectively.
[…]
In conclusion, this study shows that shoulder capsulitis is a common disorder in type I and II diabetic patients.
2e extrait:
The relationship between diabetes and frozen shoulder is well documented (Bridgman 1972; Lequesne et al. 1977; Fisher et al. 1986; Pal et al. 1986). Diabetic patient have 10% to 20% incidence in frozen shoulder and this rises to 36% in insulin-dependant diabetics.
[22] De plus, la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles reconnaît que le diabète constitue une déficience et que, lorsqu’il est question d’une capsulite, le diabète a favorisé l’apparition de cette capsulite.
[23] Dans l’affaire Bell Canada[5], la Commission des lésions professionnelles a accepté la demande de partage des coûts en raison d’une condition de diabète. Le juge administratif s’exprime comme suit :
[59.] Plus particulièrement, la preuve est prépondérante quant à la relation à faire entre la condition diabétique du travailleur, la tendinite de son épaule droite et le fait que cette tendinite ait débouché sur une capsulite de son épaule.
[60.] Ainsi, parmi la littérature médicale citée par l’employeur, on retrouve des affirmations comme les suivantes :
- l’incidence du syndrome du «frozen shoulder et les non diabétiques est d’environ 3% alors qu’elle est de trois à six fois plus grande chez les diabétiques» (notre traduction)3;
- «la capsulite de l’épaule se retrouve de façon significative fréquemment plus chez nos patients diabétiques que les non diabétiques» (notre traduction)4;
- «la survenance de capsulite à l’épaule s’accroît après l’âge de 40 et 50 ans pour les diabétiques respectivement de type I et II» (notre traduction)5. Il est à noter que le travailleur est en fin de quarantaine au moment de l’accident en novembre 1995.
- «la présente étude corrobore et confirme la relation entre l’augmentation des capsulites et le diabète» (notre traduction)6;
- «Péritendinite et bursite de l’épaule conduisant à de sévères capsulites adhésives sont bien connues chez les patients diabétiques» (notre traduction)7.
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3 "Periarthrosis of the Shoulder Associated with Diabetes Mellitus", American Journal of Physical Medecine & Rehebilitation. Copyright 1989 by Williams & Wilkins.
4 PAL, B., ANDERSON, J., DICK, W.C., GRIFFITHS, I.D., "LIMITATION OF JOINT MOBILITY AND SHOULDER CAPSULITIS IN INSULIN-AND NON-INSULIN-DEPENDENT DIABETES MELLITUS", Departments of Rheumatology and Medecine, Royal Victoria Infirmary, British Journal of Rheumatology 1986; 25 :147-151.
5 ARKKILA, Perttu E T, KANTOLA, Illkka M, VIIKARI, Jorma SA, RÖNNEMAA, Tapini, "Shoulder capsulitis in type I and II diabetic patients : association with diabetic complications and related diseases", Ann Rheum Dis 1996; 55 :907-914, Finlande.
6 LEQUENE, M., DANG, N., BENSASSON, M., MERY, C.,"INCREASED ASSOCIATION OF DIABETES MELLITUS EITH CAPSULITIS OF THE SHOULDER AND SHOULDER - HAND SYNDROME", Scand J. Rheumatology 6 : 53-56, 1977.
7 Textbook of Rheumatology, Fourth Edition.
[24] C’est aussi la conclusion dans l’affaire Maillot Baltex inc.[6] et dans laquelle le juge administratif réfère d’ailleurs à la décision Bell Canada précitée.
[25] Dans l’affaire Q.I.T. Fer & Titane inc.[7], le tribunal retient de la preuve que le diabète est une déviation par rapport à la norme biomédicale et que ce diabète a joué un rôle dans l’apparition de la capsulite.
[26] Dans l’affaire Charest Automobile ltée[8], le juge administratif Clément, toujours en présence d’une condition de diabète et d’une capsulite, s’exprime comme suit :
[42] Le diagnostic de capsulite peut être d’ordre traumatique comme le reconnaît le docteur Giasson et la littérature qu’il a déposée. Cependant, l’extrait du document E-1 démontre les genres de traumatismes qui peuvent entraîner une capsulite adhésive et on cite la fracture et la luxation de l’épaule. Nous sommes en l’espèce loin de ce type de diagnostics et force est donc de constater que le docteur Giasson a raison et que la capsulite est survenue comme complication d’un traumatisme survenu chez un diabétique.
[43] La durée de consolidation d’environ 116 semaines est également complètement disproportionnée et démesurée face à un traumatisme de cet ordre de même que l’existence d’une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles à la présence desquelles on serait en droit de ne pas s’attendre dans de pareilles circonstances.
[44] Bien entendu, le présent tribunal ne peut nier le fait que la capsulite a été reconnue à titre de lésion professionnelle. Ceci n’empêche cependant pas le tribunal de vérifier, à l’étape de l’imputation des coûts, si ce diagnostic reconnu comme lésion professionnelle est totalement attribuable au traumatisme subi par le travailleur ou si des facteurs personnels ont aussi contribué à son apparition.
[45] En vertu de la théorie du crâne fragile, le travailleur a reçu pleine indemnisation parce qu’il a subi un événement imprévu et soudain alors qu’il exerçait son travail. L’indemnisation du travailleur ne veut cependant pas dire que la capsulite ne peut être considérée comme l’aggravation d’une condition personnelle ou la conséquence, en tant que complication, d’une condition personnelle ayant interféré dans le processus lésionnel.
[46] L’intention du législateur est d’indemniser le travailleur sans tenir compte de son bagage anatomique personnel. L’intention de ce même législateur n’est sûrement pas de faire supporter par un employeur les conséquences démesurées chez un travailleur d’un traumatisme dénué de gravité.
[…]
[49] En résumé, le fait que la capsulite ait été reconnue comme une lésion professionnelle ne fait pas en sorte qu’on ne puisse pas au stade de l’imputation, vérifier si une prédisposition ou l’existence d’un terrain fertile à l’éclosion d’une capsulite n’était pas préexistant à la lésion. Bien que la capsulite constitue la lésion professionnelle, cela ne fait pas en sorte que pour des fins d’imputation on doive présumer qu’elle est totalement due à l’événement accidentel initial et que d’autres facteurs personnels n’ont pas pu jouer un rôle quant à son apparition ou à sa survenance.
[50] Comme le mentionnent Dupuis et Leclaire dans le document E-1, la capsulite adhésive a une pathologie probablement multifactorielle et force est de constater en l’instance que même si le traumatisme initial a entraîné une lésion à l’épaule, la capsulite s’est installée à cause de la présence du diabète.
[…]
[53] Comme le mentionne aussi l’extrait de littérature déposé sous la cote E-3, l’association entre la capsulite adhésive et le diabète est très bien documentée. La jurisprudence du présent tribunal a d’ailleurs déjà reconnu le lien entre le diabète et la capsulite en ce que le premier prédispose à développer la seconde8.
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8 Dulac
et Commission scolaire des Découvreurs, C.L.P.
[27] Finalement, dans l’affaire Lafontaine & Fils[9], le juge administratif Ranger reconnaît aussi l’existence d’une déficience ayant eu un impact sur les conséquences de la lésion professionnelle en raison de la présence de diabète tout en précisant que, pour n’importe quel type de diabète, « il existe un risque accru de développer une capsulite adhésive à une épaule » et que « les capsulites de l’épaule sont d’un pire pronostic chez les diabétiques ».
[28] La Commission des lésions professionnelles considère donc prépondérante la preuve médicale soumise par l’employeur à l’effet que le travailleur présentait une déficience en raison de la présence d’un diabète traité par médication. C’est d’ailleurs la position retenue dans un grand nombre de décisions du présent tribunal.
[29] Par ailleurs, compte tenu des explications du docteur Lamarre, de la littérature médicale soumise à l’appui de cette opinion et de la jurisprudence précitée, il ne fait aucun doute que la déficience a eu un impact significatif sur les conséquences de la lésion professionnelle, autant au niveau de la période de consolidation que sur l’attribution d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles en raison d’une capsulite à l’épaule gauche.
[30] Par conséquent, en tenant compte de l’événement accidentel, en tenant compte du fait que le diagnostic en lien avec l’épaule n’est apparu que un mois après l’événement, en tenant compte des résultats de la résonance magnétique et de la présence d’une déficience et, en tenant compte de l’impact significatif de cette déficience sur la période de consolidation ainsi que sur l’attribution d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles, la Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’il est équitable, dans le présent dossier, d’accorder à l’employeur un partage de l’imputation des coûts de l’ordre de 5 % à son dossier et de 95 % aux employeurs de toutes les unités.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête du Centre Transition le Sextant inc., l’employeur;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 20 avril 2010, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l’employeur
a droit à un partage des coûts en vertu de l’article
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Sylvie Arcand |
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Monsieur Dany Bilhète |
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C.Q.E.A. |
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Représentant de la partie requérante |
[1] L.R.Q. c. A-3.001
[2] Municipalité Petite Rivière St-François et CSST, C.L.P.
[3] A. COTTEN, Imagerie musculosquelettique, Pathologies générales, Masson; Perttu E T ARKKILA et al., « Shoulder capsulitis in type I and II diabetic patients : association with diabetic complications and related diseases », Ann Rheum Dis 1996;55 :907-914, Finlande; T.D. BUNKER et P.P. ANTHONY, « The pathology of frozen shoulder, a Dupuytren-like disease », British Editorial Society of Bone and Joint Surgery, 1995.
[4] Précitées, note 3
[5] C.L.P.
[6] C.L.P.
[7] C.L.P.
[8] C.L.P.
[9] C.L.P.