DÉCISION
[1] Le 2 avril 2001, monsieur B... L... (le travailleur) dépose au greffe de la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue en révision administrative par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 27 mars 2001.
[2] Par cette décision, la CSST confirmait la décision initiale rendue le 20 décembre 2000, refusant la réclamation du travailleur présentée en regard au remboursement des frais engagés par le travailleur pour les travaux de déneigement.
[3] Lors de l'audience, le travailleur était présent et représenté par monsieur Carol Gobeil; l'employeur et la CSST étaient absents et non représentés.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de conclure qu'il a droit au remboursement pour les frais de déneigement engagés pour la saison 2000-2001.
LES FAITS
[5] La décision rendue en révision administrative par la CSST, le 27 mars 2001, considère que Monsieur L... a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qu'il est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile. Il n'a donc pas lieu de dresser l'historique de ce dossier afin d'établir l'incapacité du travailleur à effectuer les travaux de déneigement.
[6] Par contre, la CSST conclut que le travailleur n'a pas droit au remboursement de ses frais de déneigement puisque, selon les informations recueillies, ce dernier, alors qu'il était au travail, faisait effectuer ces travaux depuis dix ans par un contracteur en déneigement. Ceci étant, la CSST rend sa décision en concluant que Monsieur L... ne respecte pas le troisième critère de l'article 165 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (LATMP) (la loi), qui prévoit :
165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.
________
1985, c. 6, a. 165.
(Les soulignés sont de nous)
[7] Monsieur L... explique que c'est depuis qu'il a subi sa première lésion professionnelle, soit le 15 juin 1983, qu'il fait effectuer ces travaux de déneigement par un contracteur puisqu'il n'est pas en mesure de le faire lui-même. Il mentionne qu'avant son accident, il effectuait lui-même son déneigement.
L’AVIS DES MEMBRES
[8] Les membres issus des associations des employeurs et des associations syndicales, après avoir été consultés sur les questions en litige, sont d'avis d’accueillir la requête en contestation du travailleur aux motifs exprimés à la décision.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[9] La Commission des lésions professionnelles doit décider si Monsieur L... a droit au remboursement pour les frais de déneigement engagés.
[10] C'est effectivement l'interprétation de l'article 165 de la loi qui est en cause.
[11] En matière d'interprétation, il est reconnu que les dispositions de la loi doivent être interprétées afin d'atteindre son objectif.
[12] L'objectif de la loi apparaît à l'article 1 et se libelle comme suit :
1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.
(...)
________
1985, c. 6, a. 1.
[13] L'objet premier de la loi est donc la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires. L’interprétation doit être large et libérale afin d’atteindre l’objectif. C'est une obligation interprétative prévue à l'article 41 de la Loi d'interprétation, L.R.Q., c. I-16, qui stipule :
Objet présumé.
41. Toute disposition d'une loi est réputée avoir pour objet de reconnaître des droits, d'imposer des obligations ou de favoriser l'exercice des droits, ou encore de remédier à quelque abus ou de procurer quelque avantage.
Interprétation libérale.
Une telle loi reçoit une interprétation large, libérale, qui assure l'accomplissement de son objet et l'exécution de ses prescriptions suivant leurs véritables sens, esprit et fin.
S. R. 1964, c. 1, a. 41; 1992, c. 57, a. 602.
[14] À maintes reprises, les tribunaux supérieurs et la Commission des lésions professionnelles ont confirmé que pour atteindre l'objectif de la loi, cette dernière doit bénéficier d'une interprétation large et libérale de ses dispositions.[2]
[15] Enfin, les dispositions d'une loi doivent nécessairement s'interpréter les unes en relation avec les autres comme le prévoit la Loi d'interprétation à l'article 41.1 :
Effet d'une loi.
41.1. Les dispositions d'une loi s'interprètent les unes par les autres en donnant à chacune le sens qui résulte de l'ensemble et qui lui donne effet.
1992, c. 57, a. 603.
[16] Les outils mis de l'avant par le législateur afin d'atteindre l'objet de la loi sont mentionnés au deuxième alinéa de l'article 1 de la loi :
1. (...)
Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour dommages corporels et, le cas échéant, d'indemnités de décès.
(...)
________
1985, c. 6, a. 1.
[17] Au processus de réparation, le paiement de frais reliés à l'entretien courant du domicile est une mesure permettant de pallier aux conséquences des séquelles reliées à la lésion professionnelle.
[18] Ainsi, l'article 165 de la loi doit, lui aussi, être interprété de façon large et libérale. Ceci implique que l'on doive rechercher les éléments permettant aux accidentés du travail d'établir les critères qui y sont énoncés. Ainsi, dans le cas soumis, le tribunal doit rechercher la preuve établissant que le travailleur respecte les critères prévus à l'article 165. Puisqu'il est reconnu que Monsieur D… est porteur d'une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles ne lui permettant pas d'effectuer les tâches reliées au déneigement, reste à considérer la preuve relative au critère « qu'il effectuerait normalement lui-même ».
[19] La preuve révèle que Monsieur L... effectuait ses travaux avant son accident en 1983. Le fait qu'il ait eu recours à un contracteur en déneigement durant un certain temps n'enlève rien à sa capacité de faire lui-même son déneigement tel qu'il était en mesure de le faire avant sa lésion professionnelle. Ce fait ne peut constituer un élément qui empêche l'application du de l'article 165. En effet, l'analyse de l'article 165 de la loi doit se faire en se basant sur l'objet de cet article et répondre à la présente question, soit : est-ce que l'atteinte permanente et les limitations fonctionnelles provenant de la lésion professionnelle, empêchent le travailleur de faire une tâche d'entretien courant de son domicile, tâche qu'il aurait pu effectuer lui-même, avant que les séquelles de son accident ne l'empêchent de le faire?
[20] Dans le cas présent, à cette question, il faut répondre oui. Même une interprétation littérale permet d'établir le droit du travailleur d'être indemnisé pour ses frais engagés, puisque le temps du verbe utilisé (effectuerait) par le législateur signifie que l'on doit s'enquérir si oui ou non le travailleur aurait pu effectuer cette tâche avant qu'il soit atteint des séquelles résultant de son accident l'empêchant de le faire.
[21] Enfin, une interprétation restrictive de l'article 165 ne soutient pas l'objectif de la loi et prive Monsieur L... d'un processus de réparation des conséquences de son accident.
[22] La Commission des lésions professionnelles conclut donc que Monsieur L... a droit au remboursement des frais de déneigement pour l'année 2000-2001.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête en contestation de monsieur B... L..., le travailleur;
INFIRME la décision rendue en révision administrative par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 27 mars 2001, et;
DÉCLARE que le travailleur a droit au remboursement des frais de déneigement pour la saison 2000-2001.
|
|
|
Me ROBERT DERAICHE |
|
Commissaire |
|
|
|
|
|
|
|
|
CABINET DE CONSULTATION & D’EXPERTISE (M. Carol Gobeil) 109-A, rue Béthany Lachute (Québec) J8H 2L2 |
|
|
|
Représentant de la partie requérante |
[1]. L.R.Q. chapitre A-3.001.
[2]. Betts et Gallant c. Workmen's Compensation Board, [1934] 1 D.L.R. 438 (C.S.C.);
Workmen's Compensation Board c. Theed, [1940] R.C.S. 553;
Deschênes et Société canadienne de métaux Reynolds ltée, [1989] C.A.L.P. 300 , requête en évocation rejetée, [1989] C.A.L.P. 891 (C.S.).
Antenucci c. Canada Steamship Lines inc., [1991] R.J.Q. 968 (C.A.). Québec téléphone c. C.A.L.P., [1990] C.A.L.P. 1099 (C.S.)
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.