Gagnon et Université Laval

2008 QCCLP 4618

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec

5 août 2008

 

Région :

Québec

 

Dossier :

315117-31-0704

 

Dossier CSST :

129685202

 

Commissaire :

Me Marie-Andrée Jobidon

 

Membres :

Suzanne McNeil, associations d’employeurs

 

Pierrette Giroux, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Lyne Gagnon

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Université Laval

 

Partie intéressée

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 5 avril 2007, madame Lyne Gagnon (la travailleuse) dépose auprès de la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la C.S.S.T.) à la suite d'une révision administrative datée du 2 avril 2007.

[2]                Par cette décision, la C.S.S.T. confirme celle rendue initialement le 10 novembre 2006 et refuse la réclamation de la travailleuse à titre de maladie professionnelle dont le diagnostic est une tendinite à l’épaule droite et une cervicalgie secondaire. Un montant totalisant la somme de 989,98 $ lui est réclamé à titre de surpayé.

[3]                Lors de l’audience tenue à Québec le 14 mai 2008, les parties étaient présentes de même que leurs procureurs respectifs.

[4]                Le dossier a été mis en délibéré le 20 juin 2006, à l’expiration du délai alloué à la travailleuse pour produire une réplique.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[5]                La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’elle a subi une maladie professionnelle le ou vers le 4 août 2006, soit une cervico-brachialgie et qu’elle a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[6]                La Commission des lésions professionnelles prend acte du fait que la travailleuse demande au tribunal de ne considérer que le diagnostic de cervico-brachialgie aux fins du présent litige. Sa réclamation ne vise donc pas la reconnaissance du diagnostic de tendinite de l’épaule droite, à titre de lésion professionnelle.

LES FAITS

[7]                La travailleuse est âgée de 46 ans et travaille comme agente de bureau au secteur recouvrement du Service des finances de l’Université Laval (l’employeur) depuis le 13 septembre 2004.

[8]                Le 4 août 2006, la travailleuse produit une réclamation auprès de la C.S.S.T. alléguant avoir développé des douleurs à l’épaule droite et au cou en effectuant ses tâches. Dans une annexe à sa réclamation pour maladie professionnelle, la travailleuse décrit son travail et ses principaux outils de travail, soit l’ordinateur et le téléphone.

[9]                Sa réclamation est accompagnée d’une attestation médicale complétée le 4 août 2006 par le docteur Demers. Celui-ci retient un diagnostic de douleur au trapèze droit et tendinite de l’épaule droite récidivante pour lesquels il propose du repos, des anti-inflammatoires et de la physiothérapie.

[10]           Lors d’une visite de relance le 21 août 2006, le docteur  Bonenfant parle de tendinite à l’épaule droite avec cervicalgie secondaire. Le docteur Bonenfant réitère ce diagnostic dans ses rapports médicaux des 5 et 26 septembre 2006. Il demande une consultation en physiatrie.

[11]           Le 3 octobre 2006, la docteure Claudine Morand, physiatre, émet le diagnostic de cervicobrachialgie bilatérale à prédominance droite pour laquelle elle demande une investigation radiologique. Elle recommande en outre des traitements d’ergothérapie.

[12]           Le 8 novembre 2006, une évaluation par résonance magnétique au niveau cervical démontre la présence d’une discopathie dégénérative modérée à C5-C6 et C6-C7 avec hernie discale postéro-latérale gauche et foraminale gauche à C6-C7 qui sont responsables d’une sténose du récessus gauche. Une sténose foraminale gauche légère est également notée en C5-C6.

[13]           Le 19 janvier 2007, la travailleuse revoit la docteure Morand qui retient encore le diagnostic de cervico-brachialgie bilatérale à prédominance droite. Elle recommande une adaptation du poste de travail et un retour au travail progressif.

[14]           Le 6 février 2007, le docteur Michel Blanchette, orthopédiste, complète une expertise à la demande du représentant de la travailleuse.

[15]           Le docteur Blanchette rapporte d’abord que la travailleuse a commencé à éprouver, d’une manière progressive, une douleur cervicale accompagnée de céphalées à partir du printemps 2006. Ces malaises se sont accentués de sorte qu’à l’été 2006, elle présentait des difficultés à terminer ses journées de travail.

[16]           Le docteur Blanchette retient, à la suite de son examen clinique, le diagnostic de syndrome de fatigue cervicale, facilité par une maladie discale cervicale étagée. Il l’associe à une période d’intensité de travail plus grande qu’à l’accoutumée ainsi qu’à une modification du poste de travail effectuée en mars 2006.

[17]           Il juge la lésion consolidée au jour de son examen en ajoutant que la légère raideur résiduelle cervicale est probablement reliée à la présence d’une maladie discale dégénérative.

[18]           Le docteur  Blanchette ne retient aucune atteinte permanente et ne recommande pas non plus de limitations fonctionnelles si ce n’est d’envisager une modification de travail pour éviter l’immobilité prolongée.

[19]           Le 7 février 2007, le docteur Jules Boivin, orthopédiste, complète une expertise à la demande de l’employeur. Le docteur Boivin rapporte d’abord que la travailleuse nie tout antécédent pertinent à sa symptomatologie.

[20]           À la suite de son examen clinique, le docteur Boivin constate une légère ankylose cervicale mais un examen neurologique normal. Étant donné les résultats de l’évaluation par résonance magnétique, le docteur Boivin retient le diagnostic de cervicalgie sur discopathie C5-C6 et C6-C7.

[21]           Le docteur Boivin recommande en outre des limitations fonctionnelles temporaires, soit éviter de soulever, porter, pousser ou tirer des charges de plus de 10 kilos; éviter d’effectuer des mouvements avec des amplitudes modérées de flexion, extension et torsion du rachis cervical; ramper, grimper; subir des vibrations de basses fréquences.

[22]           Lors de l’audience, le représentant de la travailleuse a d’abord fait entendre comme témoin, madame Sylvie Lévesque, qui a remplacé la travailleuse à son poste à partir de son arrêt de travail, soit le 4 août 2006. Elle a occupé ce poste jusqu’au mois de janvier ou février 2007.

[23]           Madame Lévesque a d’abord déclaré que ses principaux outils de travail sont l’ordinateur et le téléphone. Elle précise qu’elle passe environ cinq à six heures par jour au téléphone. En parlant avec le client, elle entre les informations alors fournies directement à l’ordinateur. Pour avoir les mains libres, elle coince le combiné du téléphone entre son épaule et son oreille et travaille avec sa souris de sa main droite et le clavier.

[24]           Quelques temps après avoir commencé ce remplacement, madame Lévesque déclare avoir commencé à éprouver des céphalées et des douleurs au cou, ce qu’elle a rapporté à sa supérieure. Un ergonome a alors procédé à des ajustements (écran abaissé d’un pouce, chaise ajustée à sa hauteur et fourniture d’un casque d’écoute). Madame Lévesque déclare que l’utilisation du casque d’écoute a été très bénéfique.

[25]           Madame Lévesque précise par ailleurs que d’autres tâches connexes doivent être effectuées, soit l’envoi de documents par télécopieur (deux à sept fois par jour), photocopies (« pas beaucoup »), l’impression de lettres à expédier, mise en enveloppe, rencontre de la supérieure pour certains dossiers et réunions de bureau occasionnelles.

[26]           La travailleuse a été entendue à son tour comme témoin. Elle explique que sa collègue de travail a pris sa retraite en septembre 2005, ce qui fait en sorte qu’elle s’est retrouvée pratiquement seule durant trois ou quatre 4 mois, soit jusqu’en janvier 2006. De même, un réaménagement des bureaux a été effectué au mois de septembre 2005.

[27]           La travailleuse évalue le nombre d’appels moyen par jour à une quarantaine mais précise que le nombre avait doublé lorsqu’elle s’est retrouvée seule. La durée moyenne d’un appel téléphonique était de trois à cinq minutes. Elle explique la nature des échanges avec les clients et ce qu’elle doit entrer comme information. La travailleuse soumet qu’elle passe aisément cinq à six heures par jour au téléphone.

[28]           La travailleuse précise que son téléphone était situé à sa droite mais elle le tenait du côté gauche, en coinçant le combiné entre son épaule et son oreille de façon à garder les mains libres pour utiliser la souris et le clavier. Elle déclare qu’elle n’utilisait pas de casque d’écoute considérant alors que ceci était inconfortable.

[29]           La travailleuse convient qu’elle doit aussi effectuer des tâches connexes, dont l’envoi de documents par télécopieur, l’impression de lettres, des photocopies, des échanges avec des collègues.

[30]           La travailleuse décrit par ailleurs trois situations ayant généré, selon elle, une période intense de travail. Ainsi, elle fait allusion au départ à la retraite de sa collègue de travail survenu en septembre 2005, ce qui a entraîné une surcharge pour elle, le temps que sa remplaçante devienne vraiment fonctionnelle, cette dernière étant entrée en fonction en janvier 2006.

[31]           À partir du départ de sa collègue, la travailleuse explique que le seul numéro de téléphone apparaissant sur les états de compte envoyés aux clients est le sien, et ce jusqu’au 16 juin 2006, tel qu’il ressort d’un complément de preuve déposé par son représentant. Elle devait donc assumer les appels qui entraient, en plus de ceux qu’elle devait faire.

[32]           La travailleuse fait également allusion à une surcharge de travail se produisant à chaque année dans la période correspondant à la fin de l’année financière se terminant le 31 mai de chaque année.

[33]           Finalement, la travailleuse fait référence à deux dossiers qui ont été priorisés en mars 2006, à savoir la perception des comptes en souffrance du Service des résidences et du Service de prêts de la bibliothèque. Elle précise que cette « période de rush » a duré de mars à mai 2006.

[34]           Lors de son retour au travail en janvier 2007, la travailleuse déclare que des modifications à son poste de travail ont été apportées. Ainsi, sa table a été abaissée d’un pouce; un support pour surélever son écran a été installé; des appuis pieds ont été fournis; sa chaise a été ajustée en fonction de sa taille et un nouveau casque d’écoute sans fils lui a été fourni. Des photos de son nouveau poste de travail ont été déposées en preuve (pièce E-1). De même, un plan de son environnement de travail est déposé en preuve (pièce E-4).

[35]           La travailleuse déclare qu’elle n’a jamais pensé, à l’époque, que son poste de travail pouvait être inadéquat. Elle attribuait ses malaises au stress et à son âge.

[36]           La travailleuse déclare que durant ses heures de dîner, elle allait nager deux fois par semaine au PEPS. De plus, il lui arrivait de préparer, à partir de son poste de travail, des problèmes mathématiques pour sa fille qui éprouvait certaines difficultés. Il lui arrivait également de compléter ses cours d’anglais ou de Multimédia sur son temps de dîner.

[37]           Le représentant de la travailleuse a finalement fait entendre le docteur Michel Blanchette, orthopédiste, qui a eu l’occasion d’expertiser la travailleuse le 5 février 2007. Sa qualité d’expert a été reconnue sauf que dans son argumentation, le procureur de l’employeur souligne les limites de son expertise et rappelle que le docteur Blanchette n’est pas un expert en ergonomie et que son opinion repose uniquement sur les affirmations faites par la travailleuse.

[38]           Lors de l’audience, le docteur Blanchette précise d’abord ce qu’il entend par « syndrome de fatigue cervicale », qui correspond à des symptômes précis, soit des raideurs, des spasmes, des gonflements, ce qu’il retrouve au dossier médical.

[39]           Le docteur Blanchette considère qu’il existe une relation entre ce syndrome de fatigue cervicale et les conditions dans lesquelles la travailleuse a effectué son travail. Ainsi, il pointe comme problématique le fait que son écran d’ordinateur était trop haut et le fait qu’elle tenait son combiné de téléphone coincé entre son oreille gauche et son épaule.

[40]           Ainsi, la travailleuse devait garder des positions contraignantes sur des périodes de temps prolongées. Il rappelle que l’amélioration notée par la travailleuse à son retour au travail en utilisant le casque d’écoute corrobore l’existence d’une relation causale.

[41]           Le docteur Blanchette reconnaît toutefois que la condition personnelle de discopathie dégénérative multi-étagée a rendu la travailleuse plus fragile et a contribué, dans une proportion qu’il ne peut toutefois quantifier, au tableau clinique.

[42]           Le procureur de l’employeur a d’abord, pour sa part, fait entendre madame Louise Frenette, supérieure immédiate de la travailleuse. Celle-ci est responsable des droits de scolarité et du recouvrement et gère une équipe de 10 personnes depuis six ans et demi.

[43]           Madame Frenette rappelle d’abord que lors de son arrivée dans son service, la travailleuse disposait du même équipement que les autres employés, notamment d’un casque d’écoute. Comme directive, elle disait à ses employés de prioriser le confort. Elle ajoute que l’ergonomie est un sujet important à ses yeux.

[44]           Madame Frenette a expliqué les tâches devant être effectuées en s’attardant à la charge de travail entre septembre 2005 et août 2006. Elle souligne que : « madame Gagnon avait des approches brillantes pour cibler davantage les comptes à recevoir à risque ». Des lettres de félicitations lui sont d’ailleurs adressées (pièce E-3).

[45]           Madame Frenette déclare que lors du départ à la retraite de la collègue de la travailleuse, sa remplaçante, madame Renaud, a été engagée dès le 17 août 2005. Celle-ci a reçu une formation qui a duré trois jours et ajoute que « ça prend deux mois avant d’être performante ».

[46]           Madame Frenette déclare que les dossiers impliquant des montants d’argent importants étaient traités par la travailleuse, à la suggestion de celle-ci. En février 2006, madame Frenette avait conclu, après évaluation du travail de madame Renaud, que celle-ci pouvait maintenant toucher à tous les dossiers. Selon elle, la travailleuse et madame Renaud travaillaient autant l’une que l’autre.

[47]           Invitée à commenter la surcharge de travail alléguée par la travailleuse, madame Frenette soumet que les dossiers des résidences et de la bibliothèque ne représentaient pas du travail en plus mais des dossiers priorisés. Sur « le rush de fin d’année financière », madame Frenette soumet que ceci était terminé le 19 mai 2006 puisqu’elle a autorisé madame Renaud à prendre des vacances à partir de cette date.

[48]           Madame Frenette déclare finalement que depuis son retour au travail le 23 janvier 2007, la travailleuse lui rapporte qu’elle trouve achalant de porter son casque d’écoute. Elle a noté trois occasions où cette dernière ne le portait pas en parlant au téléphone.

[49]           Le procureur de l’employeur a fait entendre comme second témoin monsieur Sylvain Allaire qui travaille comme directeur adjoint responsable de la Santé et la sécurité au travail. Monsieur Allaire rappelle d’abord que l’Université Laval fait de la prévention en ergonomie depuis 1993. Il indique que tout le mobilier acheté est ajustable, incluant celui livré au département des finances en septembre 2005. Il ajoute que les ajustements de départ sont standards puis une conseillère se rend sur place pour personnaliser les ajustements selon la taille des employés.

[50]           Le procureur de l’employeur a fait entendre comme dernier témoin le docteur Jules Boivin, orthopédiste. Sa qualité d’expert est reconnue. Le docteur Boivin a vu la travailleuse le 6 février 2007, dans le cadre d’une réclamation d’assurance-salaire. Il ne s’est donc pas prononcé sur le lien de causalité avec le travail.

[51]           Le docteur Boivin déclare que son examen physique est alors superposable à celui du docteur Blanchette. Il retient, quant à lui, un diagnostic de cervicalgie sur discopathie dégénérative multi-étagée tout en soulignant qu’il s’agit d’une question de sémantique puisque les symptômes sont les mêmes pour tous.

[52]           En ce qui concerne la relation causale, le docteur Boivin soumet qu’en rétrospective, il n’en voit aucune. Il souligne toutefois que cet exercice est périlleux en l’absence d’une visite du poste de travail. Autrement, il faut se fier aux allégations de chacun.

[53]           Dans son analyse du dossier, le docteur Boivin rappelle que les versions rapportées au dossier convergent toutes vers une apparition des symptômes aux alentours du mois de juin 2006. Selon lui, les contraintes doivent donc avoir été contemporaines.

[54]           Le docteur Boivin considère que la reconnaissance d’une maladie professionnelle implique un travail hautement répétitif, une cadence imposée, un cycle de travail, l’absence de temps de récupération et des positions contraignantes.

[55]           Il reconnaît que dans le présent dossier, le fait de passer trois heures au téléphone avec le combiné coincé entre l’épaule et l’oreille constitue une contrainte significative sauf que selon la preuve entendue, cette activité était entrecoupée. Par conséquent, il ne peut conclure à un travail contraignant, compte tenu d’une variété de tâches.

[56]           Le docteur Boivin ne croit pas que la hauteur de l’écran d’ordinateur ait pu représenter une contrainte significative sur le plan physiologique, même s’il a été abaissé de deux pouces.

[57]           Le docteur Boivin conclut donc qu’il s’agit davantage de la manifestation, au travail, d’une condition personnelle bien documentée.

L’AVIS DES MEMBRES

[58]           Les membres issues des associations syndicales et d'employeurs sont d'avis que la travailleuse a démontré, par le biais d’une preuve prépondérante, qu’elle avait été exposée à des facteurs de risque susceptibles de solliciter de façon indue la région cervicale et d’entraîner une cervico-brachialgie.

[59]           Les membres insistent plus particulièrement sur le fait que sa façon de travailler impliquait de tenir le combiné coincé entre l’épaule et l’oreille gauche.

[60]           Sur le plan médical, les membres considèrent que la preuve prépondérante est à l’effet que la reconnaissance d’une maladie professionnelle dans le présent dossier peut se faire mais en tenant compte de la condition de discopathie multi-étagée au niveau cervical, laquelle a, de façon probable, contribué à rendre la travailleuse plus vulnérable.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[61]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si la travailleuse a subi une lésion professionnelle le ou vers le 4 août 2004, à savoir une cervico-brachialgie, soit le seul diagnostic mis en cause par la travailleuse, tel que précisé en début d’audience.

[62]           D’entrée de jeu, la soussignée écarte l’application de la présomption prévue à l’article 28 de la loi étant donné la nature du diagnostic en cause qui ne peut, à première vue, être assimilé à une « blessure » au sens de cet article.

[63]           Au surplus, il serait difficile d’appliquer cette présomption à une lésion diagnostiquée le 4 août 2006 alors que la travailleuse décrit une symptomatologie apparue de façon progressive depuis le mois de juin 2006. Les faits invoqués au soutien de la présente réclamation ne supportent donc nullement l’application de la présomption prévue à l’article 28 de la loi.

[64]           La soussignée écarte également  l’application de la notion d’accident du travail prévue à l’article 2 de la loi qui impliquerait le recours à la théorie des microtraumatismes pour les raisons exprimées par la commissaire Desbois et citées par le procureur de l’employeur[2] :

« […]

 

[39]      D’emblée, la Commission des lésions professionnelles déclare ne pas souscrire à la théorie selon laquelle des microtraumatismes étalés dans le temps pourraient constituer un accident du travail. Un accident est un accident et la soussignée conçoit mal, avec respect pour l’opinion contraire, qu’un accident puisse être étalé sur des jours, voire des semaines. De tels microtraumatismes doivent plutôt être abordés sous l’angle de risques particuliers, dans le cadre de l’appréciation de la survenance d’une maladie professionnelle.

 

[…] »

 

 

[65]           La soussignée se propose plutôt d’aborder l’analyse de la présente réclamation sous l’angle de l’article 30 de la loi qui prévoit ce qui suit :

30.  Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

__________

1985, c. 6, a. 30.

 

[66]           De façon plus particulière, c’est en fonction de la notion de « risques particuliers » de ce travail que la réclamation de la travailleuse doit être analysée. Celle-ci doit donc démontrer, par une preuve prépondérante, qu’elle a été exposée à des risques particuliers à son travail et que cette exposition était susceptible d’entraîner la lésion diagnostiquée.

[67]           La preuve ainsi offerte doit être appréciée en fonction d’une balance des probabilités, qui va au-delà des simples possibilités, mais sans exiger une certitude scientifique, comme l’a déjà rappelé la Cour suprême[3].

[68]           La Commission des lésions professionnelles retient de la preuve offerte que les risques particuliers invoqués au soutien de la présente réclamation sont essentiellement le fait de tenir le combiné téléphonique coincé entre l’oreille gauche et l’épaule et le fait que l’écran d’ordinateur était placé à deux pouces trop haut par rapport à la taille de la travailleuse.

[69]           Les procureurs de chacune des parties ont longuement disserté sur la question de la surcharge de travail, les amenant, de part et d’autre, à attaquer la crédibilité de leurs témoins dans l’analyse de la preuve.

[70]           À cet égard, le tribunal se doit de souligner qu’il ne remet nullement en cause la crédibilité de la travailleuse qui a témoigné de façon claire et cohérente. Les divergences de versions notées par le procureur de l’employeur relève davantage de situations qui ont évolué dans le temps, sur une période de plusieurs mois. Ainsi, par exemple, les chiffres avancés pour quantifier le nombre d’appels téléphoniques varient dans le temps en fonction de circonstances diverses s’étant produites au travail. La variation du nombre d’appels téléphoniques ne peut donc être mise sur le compte d’un manque de crédibilité de la travailleuse.

[71]           Le procureur de l’employeur se réfère, dans son argumentation, à des extraits de jurisprudence pour proposer des critères devant être rencontrés pour conclure à une surcharge de travail.

[72]           Ainsi, après analyse de la preuve, il conclut que « la travailleuse ne rencontre pas les exigences juridiques établies par la jurisprudence dans l’affaire Michaud et Clinique dentaire Benoît Provençal[4] et à l’effet que la preuve doit établir que la travailleuse a été surchargée au point d’être dépassée par les événements et ait été incapable de satisfaire à la tâche. »

[73]           Il ajoute que, pour ce faire, la preuve doit révéler que la travailleuse a vu sa tâche augmentée ou modifiée de manière importante ou encore qu’elle a été l’objet de changements significatifs[5].

[74]           La Commission des lésions professionnelles tient à souligner que cette grille d’analyse a été utilisée pour disposer d’une lésion à caractère psychique où une situation de stress généré par une surcharge de travail était invoquée.

[75]           Avec respect, cette grille d’analyse ne peut être importée dans un dossier impliquant une lésion de type musculo-squelettique pour laquelle des facteurs d’ordre ergonomique sont invoqués.

[76]           En effet, dans un tel cas, la preuve d’une surcharge de travail pourra avoir une incidence pour quantifier la répétitivité des mouvements comportant des contraintes. Toutefois, dans un cas de maladie musculo-squelettique comme celui en cause, ce n’est pas tant la surcharge de travail qui doit être démontrée mais plutôt l’exposition à des contraintes ergonomiques susceptibles d’avoir causé la lésion.

[77]           Par conséquent, même un travail habituel, sans surcharge de travail, peut être reconnu comme ayant causé une maladie professionnelle dans la mesure toutefois où l’exposition à des risques particuliers est suffisante.

[78]           Dans le cas d’une lésion à caractère psychique, la jurisprudence permet de reconnaître une maladie provoquée par le stress mais dans la mesure où ce stress découle d’une situation qui dépasse le cadre habituel de travail[6], pour répondre au critère d’anormalité. C’est dans ce contexte que la surcharge de travail a été invoquée dans la décision citée par le procureur de l’employeur et que la preuve a été analysée en fonction de la grille d’analyse proposée.

[79]           Ceci étant, la Commission des lésions professionnelles retient de la preuve qui lui a été offerte que sans parler de surcharge de travail à proprement dit, la travailleuse a effectivement dû fournir une prestation de travail intense dans les mois précédant l’apparition de ses premiers malaises, soit en juin 2006.

[80]           Ainsi, le tribunal considère que la travailleuse a, de façon très probable, dû assumer un nombre d’appels téléphoniques important à partir du mois de septembre 2005, soit à partir du moment où sa collègue de travail a pris sa retraite. À compter de ce moment, il est clair que sa remplaçante, madame Renaud, a mis plusieurs mois avant de devenir pleinement efficace, bien qu’elle pouvait être fonctionnelle durant son apprentissage et obtenir des évaluations satisfaisantes de la part de madame Frenette. Le tribunal est donc d’accord avec la lecture qu’en fait le procureur de l’employeur dans son argumentation :

« (...)

 

Il est facile de comprendre que dans les mois qui ont suivi son arrivée, madame Renaud ne pouvait être aussi expérimentée que la travailleuse, qui occupait déjà ses fonctions depuis une année.

 

(…) »

 

[81]           Le tribunal retient de la preuve que le numéro de téléphone du poste de la travailleuse apparaissait sur les états de compte envoyés à tous les clients, tel qu’il ressort des documents déposés en preuve et du témoignage de la travailleuse. Cette situation explique donc le nombre d’appels important que celle-ci a dû assumer entre septembre 2005 et juin 2006. C’est d’ailleurs à ce moment qu’apparaissent les premiers symptômes de la travailleuse.

[82]           Le tribunal retient également de la preuve que dans les semaines précédant l’apparition de ses malaises, deux situations ont aussi contribué à rendre le travail particulièrement intense, soit la perception des comptes en souffrance du Service des résidences et du Service des prêts de la bibliothèque que madame Frenette avait demandé de prioriser. De même, la fin de l’année financière se terminant au 31 mai de chaque année explique également un rythme de travail soutenu.

[83]           Bref, sans parler de surcharge de travail comme telle, la Commission des lésions professionnelles considère fort probable le fait que la travailleuse ait pu passer plusieurs heures au téléphone par jour, tout en utilisant son ordinateur.

[84]           La travailleuse évalue ce nombre d’heures à cinq ou six par jour. C’est également l’évaluation à laquelle en arrivait madame Sylvie Lévesque qui l’a remplacée lorsque la travailleuse a été retirée du travail.

[85]           Le tribunal considère donc que la preuve permet, de façon probable, de retenir que la travailleuse pouvait passer au moins quatre heures par jour au téléphone, si l’on tient compte des autres tâches connexes devant être accomplies, mais de façon plus accessoire.

[86]           Le tribunal retient par ailleurs de la preuve que la travailleuse avait une façon de travailler telle que ceci impliquait qu’elle coince le combiné du téléphone entre son oreille gauche et son épaule, de façon à lui laisser les mains libres et notamment sa main droite pour actionner sa souris localisée de ce côté.

[87]           Le tribunal accorde peu d’importance au fait qu’un casque d’écoute ait ou non été disponible avant le mois de juin 2006. En effet, l’important est de constater que la travailleuse n’en utilisait pas et qu’elle se conformait ainsi, d’une certaine façon, à la directive de madame Frenette qui a rappelé, dans son témoignage, qu’elle disait à ses employés que c’est le confort avant tout qui importait. À cet égard, la travailleuse expliquait qu’elle avait choisi de ne pas utiliser de casque d’écoute en raison de l’inconfort que lui procurait l’utilisation de cet outil de travail.

[88]           Donc, la façon de travailler de la travailleuse lorsqu’elle tenait le combiné du téléphone entre son oreille gauche et son épaule implique, selon une preuve médicale que le tribunal juge très probante, une sollicitation importante au niveau du cou.

[89]           Même le docteur Boivin, expert de l’employeur, reconnaît dans son témoignage que cette position est très contraignante. Celui-ci nuance toutefois ses propos en soulignant que le fait que cette position soit entrecoupée entre les appels fait en sorte qu’il écarte la relation causale.

[90]           Le tribunal considère que cette nuance faite par le docteur Boivin ne peut être retenue. En effet, le docteur Boivin sous-estimait d’abord le temps passé au téléphone puisqu’il l’évalue à environ trois heures par jour.

[91]           De plus, le tribunal considère qu’il faut aussi tenir compte de la condition personnelle de la travailleuse, à savoir une discopathie cervicale multi-étagée avec hernie discale au niveau C6-C7 entraînant une sténose spinale qualifiée de modérée à importante, le tout tel que décrit sur l’évaluation par résonance magnétique passée le 8 novembre 2006. Cette condition rendait de façon probable la travailleuse plus vulnérable au niveau cervical, de l’avis des deux experts entendus, soit les docteurs Boivin et Blanchette.

[92]           La Commission des lésions professionnelles en vient donc à la conclusion, après analyse de l’ensemble de la preuve, que la travailleuse a été exposée, de façon suffisante, à un risque particulier significatif à savoir le fait de tenir le combiné du téléphone coincé entre son oreille et son épaule durant au moins quatre heures par jour, ce qui est susceptible d’avoir entraîné une cervicobrachialgie. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle en venait la soussignée dans un cas présentant des similitudes[7] :

«[…]

 

[42]      Le facteur de risque identifié pour expliquer l’apparition d’une cervico-brachialgie gauche est la position contraignante devant être maintenue pour coincer l’acoustique du téléphone entre l’oreille et l’épaule, de façon à ce que Madame Gagnon puisse garder les mains libres pour écrire ou utiliser son ordinateur. Cette position implique une flexion latérale du cou que le docteur Lizotte évalue à environ 30 degrés de même que l’élévation de l’omoplate. Le tribunal retient de la preuve que Madame Gagnon exécute ce mouvement environ 48 fois par quart de travail et qu’elle alterne entre son côté droit et son côté gauche. Chaque appel dure entre 10 secondes et cinq minutes, étant parfois mise en attente.

 

[43]      La Commission des lésions professionnelles considère que cette position est effectivement contraignante pour la région du cou et des membres supérieurs et que le maintien de cette position, pour des périodes allant de 10 secondes à cinq minutes, est suffisamment répété au cours d’un quart de travail pour avoir occasionné une cervico-brachialgie. En effet, il s’agit d’une position sollicitante tant pour le côté tenant le téléphone que pour l’autre côté qui se trouve à être étiré de façon prolongée. En tenant compte de cette double sollicitation lors de chaque appel, Madame Gagnon devait maintenir cette position peu ergonomique une cinquante de fois par jour, ce qui représente au moins 15% de son temps de travail, limite que même le docteur Lizotte considérait comme pouvant constituer un facteur de risque. C’est également l’opinion à laquelle en venait Monsieur Bélanger, se référant à l’étude américaine effectuée en 1997. »

 

[…] »

 

 

[93]           C’est également la conclusion à laquelle en venait d’autres commissaires dans des situations analogues[8]. Étant donné la conclusion à laquelle en vient le tribunal sur ce facteur de risque qui peut être considéré comme principal, il devient inutile d’aborder l’autre facteur de risque invoqué, à savoir la hauteur de l’écran.

[94]           La Commission des lésions professionnelles tient finalement à discuter du dernier argument soumis par le procureur de l’employeur à l’effet que la lésion de la travailleuse est survenue en raison de la négligence volontaire et grossière de celle-ci, au sens de l’article 27 de la loi qui stipule ce qui suit :

27.  Une blessure ou une maladie qui survient uniquement à cause de la négligence grossière et volontaire du travailleur qui en est victime n'est pas une lésion professionnelle, à moins qu'elle entraîne le décès du travailleur ou qu'elle lui cause une atteinte permanente grave à son intégrité physique ou psychique.

__________

1985, c. 6, a. 27.

 

 

[95]           Le tribunal considère que cet article ne peut recevoir application dans le présent cas parce qu’il n’y a tout simplement pas eu négligence et encore moins volontaire et grossière.

[96]           En effet, il ressort clairement de la preuve que la travailleuse a toujours accompli ses tâches de façon responsable et très efficace, au point même de recevoir des lettres de félicitations. Madame Gagnon a développé une façon de travailler qui a, de toute évidence, été nocive pour elle mais qui correspondait, à l’époque, aux directives de sa supérieure immédiate.

[97]           En effet, madame Frenette mentionnait à ses employés que c’est le confort qui importait. Ainsi, la travailleuse avait choisi de ne pas utiliser de casque d’écoute parce qu’elle trouvait cet outil de travail inconfortable, selon ce qui est rapporté à quelques reprises au dossier.

[98]           La preuve révèle également que la travailleuse était loin d’établir une relation entre cette façon de travailler et l’apparition de ses symptômes. Comme elle l’avoue candidement à l’audience, elle attribuait ces symptômes au stress et à son âge.

[99]           Bref, la preuve ne supporte nullement la conclusion proposée par le procureur de l’employeur à l’effet que la travailleuse a fait preuve de négligence grossière et volontaire en omettant, à l’époque, d’utiliser un casque d’écoute. Elle l’a fait en étant inconsciente du dommage qu’elle s’infligeait.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de madame Lyne Gagnon (la travailleuse);

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 2 avril 2007, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que madame Lyne Gagnon a subi une maladie professionnelle le ou vers le 4 août 2006, soit une cervico-brachialgie;

DÉCLARE madame Lyne Gagnon a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et qu’elle n’a pas à rembourser à la C.S.S.T. le montant de 989,98 $ qui lui est réclamé.

 

 

 

 

Me Marie-Andrée Jobidon

 

Commissaire

 

 

 

M. Eric-Jan Zubrzycki

S.C.F.P.

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Jean-Luc Dufour

UNIVERSTIÉ LAVAL (COORD. SST)

Représentant de la partie intéressée

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Matériaux Campbell,  M.R.N.F.P., Ville Ste-Anne-des-Monts, Hector Laforest inc., Brousse-Nord 2000 inc. et Therrien, 188680-01C-0208, 26 mars 2004, Me L. Desbois.

 

[3]           Farrell c Snell (1990) 2 R.C.S. 311 .

[4]           196596-63-0212 et 205033-63-0304, 1er décembre 2003, R. Brassard; requête en révision rejetée et requête en révision judiciaire rejetée.

[5]           Guimond et Cégep du Vieux-Montréal, 2007 QCCLP 7342 , par. 128.

[6]           À titre d’exemple : Cardin et C.S.S.T.-Québec, 126492-64-9910, 24 mars 2000, Me N. Lacroix et Croteau et Caisse populaire St-Ferdinand d’Halifax, 120825-04B-9907, 29 mars 2000, Me N. Blanchard).

[7]           Hôpital Laval et France Gagnon et C.S.S.T., 104330-32-9808, 3 avril 2000, Me M-A. Jobidon.

[8]           Dubé et C.S.S.T., C.A.L.P. 59590-61-9406, 16 septembre 1996, Me H. Harvey; Suzanne Laberge et Barreau du Québec, 166952-62B-0108, 8 mars 2002, J-M. Dubois; Hanna Michael et Amex Canada inc., 168387-72-0109, 13 mars 2003, Me D. Lévesque.

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