COMMISSION D'APPEL EN MATIERE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES QUÉBEC QUÉBEC, le 31 mai 1996 DISTRICT D'APPEL DEVANT LA COMMISSAIRE: GINETTE GODIN DE QUÉBEC RÉGION: Québec ASSISTÉE DE L'ASSESSEUR: Serge Donati, médecin DOSSIER: 64134-03-9411 DOSSIER CSST: 102278165 AUDITION TENUE LE: 10 avril 1996 DOSSIER BRP: 6144 1525 À: Québec MONSIEUR JULES CARRIER 101, rue Goyette Beauport (Québec) G1C 4S9 PARTIE APPELANTE et SOC. CANADIENNE DES POSTES 300, St-Paul, #525 Québec (Québec) G1K 3W0 PARTIE INTÉRESSÉE D É C I S I O N Le 14 novembre 1994, le travailleur, M. Jules Carrier, dépose auprès de la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel) une déclaration d'appel à l'encontre d'une décision majoritaire du bureau de révision, le membre représentant les travailleurs étant dissident, rendue le 8 août 1994 et notifiée le 6 octobre 1994.La décision dont appel est interjeté déclare que le travailleur ne fut pas victime d'une lésion professionnelle le 17 septembre 1991.
OBJET DE L'APPEL Le travailleur demande à la Commission d'appel d'infirmer la décision du bureau de révision pour déclarer qu'il fut victime d'une lésion professionnelle le 17 septembre 1991.
LES FAITS En 1991, le travailleur occupe un emploi de facteur chez l'employeur.
Le 23 septembre 1991, il consulte le Dr B. Tremblay lequel pose un diagnostic de tendinite plantaire. Un travail léger est recommandé.
Le 24 septembre 1991, le travailleur signe le formulaire «Avis d'accident et demande de remboursement» et mentionne souffrir de douleur au talon gauche depuis deux à trois semaines.
Le Dr A. Gilbert voit le travailleur à la demande de l'employeur.
Il rédige une expertise médicale le 6 octobre 1991. Ce médecin retient un diagnostic de fasciite plantaire laquelle peut apparaître sans cause connue. Aucune relation avec le travail du travailleur n'est établie.
Le 19 novembre 1991, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la Commission) accepte la réclamation du travailleur et l'employeur en demande la révision.
Par la suite, le médecin ayant charge du travailleur fait sien le diagnostic de fasciite plantaire.
Le Dr A. Gilbert revoit le travailleur toujours à la demande de l'employeur. Il produit une expertise le 21 janvier 1992. La symptomatologie attribuable à la fasciite plantaire est toujours invalidante et le retour au travail régulier de facteur n'est pas recommandé.
Le 19 juin 1992, le Dr M. Blanchet parle de plateau de récupération atteint même s'il y a persistance de douleur. Un travail léger pour six mois est recommandé.
Le 12 janvier 1993, le Dr A. Grégoire procède à l'évaluation des séquelles de la lésion du travailleur. Il mentionne que la symptomatologie attribuable à la fasciite plantaire demeure inchangée. Le travailleur doit éviter les marches fréquentes et prolongées et un déficit anatomo-physiologique de l'ordre de 2 % est retenu.
Le 3 mars 1993, le Dr M. Blanchet parle de fasciite plantaire avec état stable.
Entre-temps, le dossier du travailleur est envoyé au bureau d'évaluation médicale aux fins de déterminer la date de consolidation et les séquelles engendrées par la lésion du travailleur.
Le Dr L. Leclerc, orthopédiste, donne son avis le 10 mars 1993.
Il parle de fasciite plantaire bilatérale avec signes plus marqués à gauche qu'à droite. Il retient deux facteurs prédisposants majeurs soit le poids du travailleur et une flexion dorsale limitée avec une raideur aux deux chevilles.
Lors de son témoignage devant la Commission d'appel, le travailleur précise exercer le métier de facteur depuis 1973.
La route qui lui est assignée implique de la marche sur une distance de huit à dix milles par jour en portant un sac dont le poids est de 20 à 25 livres.
En septembre 1991, il commence à ressentir une douleur au talon gauche.
Initialement, il croit que cette douleur va s'estomper avec le temps. Comme la douleur perdure, il consulte médicalement le 23 septembre 1991. Un diagnostic de fasciite plantaire est alors posé et un travail léger est recommandé.
L'employeur l'affecte à des travaux légers. Puisque ces travaux ne nécessitent pas de marche prolongée ou de station debout prolongée, le travailleur n'éprouve aucun problème.
En avril 1993, il reprend son travail habituel et doit de nouveau le quitter à l'automne 1993 en raison de la recrudescence de douleur au pied gauche. Le même scénario se reproduit à l'été 1994.
Depuis 1994, le travailleur fut incapable de reprendre son travail habituel chez l'employeur à cause de ses problèmes aux pieds.
M. R. Maltais, agent de liaison chez l'employeur, a également témoigné devant la Commission d'appel.
Il mentionne être responsable de tous les cas de lésions professionnelles impliquant l'employeur pour toutes les régions du Québec à l'exception de Montréal et de l'Est.
Sur un potentiel de 2 000 facteurs, il y eut environ dix réclamations pour des problèmes de fasciite plantaire qui furent majoritairement refusées comme lésions professionnelles.
ARGUMENTATION Le travailleur soutient avoir démontré que sa fasciite plantaire affectant son pied gauche est attribuable aux risques particuliers du travail qu'il exerce.
Il s'en remet à la doctrine médicale qui identifie la marche et la station debout prolongée comme certains des facteurs multiples pouvant causer une fasciite plantaire.
À ce titre, la marche et la station debout prolongée constituent des risques du travail qu'il effectue et l'article 30 de la loi doit recevoir application.
Le fait qu'il soit porteur de facteurs prédisposants tels une certaine obésité et une flexion dorsale limitée ne peuvent avoir pour effet de contrer l'application de l'article 30, car il est démontré que les risques particuliers de son travail peuvent causer sa pathologie et ce sans égard à sa condition personnelle.
L'employeur nie que le travailleur ait démontré par une preuve prépondérante que son travail puisse être la cause de sa fasciite plantaire.
MOTIFS DE LA DÉCISION La Commission d'appel doit déterminer si le travailleur fut victime d'une lésion professionnelle en septembre 1991.
Le travailleur attribue aux risques particuliers de son travail sa pathologie au pied gauche. Il prétend être victime d'une maladie professionnelle au sens de l'article 30 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c.
A-3.001) qui se lit ainsi: 30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
Les risques du travail exercé par le travailleur et identifiés comme étant particuliers audit travail sont la marche et la station debout prolongée.
Il incombe à la Commission d'appel de statuer sur l'impact de ces deux activités sur une maladie telle celle affectant le travailleur, soit une fasciite plantaire.
Dans la cause Roger Green et la Société canadienne des postes, rendue le 30 juillet 1993 par la commissaire Elaine Harvey et portant le no. 20351-62-9007, la Commission d'appel a effectué une analyse de la littérature et doctrine médicale pouvant expliquer l'étiologie de la fasciite plantaire. Voici comment la Commission d'appel s'exprime: «Ne bénéficiant pas de la présomption, le travailleur doit démontrer, par une preuve prépondérante, que sa maladie est caractéristique de son travail ou reliée aux risques particuliers de ce travail, en application de l'article 30 de la loi : 30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
La fasciite plantaire chez le travailleur est bilatérale, ce qui est plutôt rare selon la littérature. L'incidence de la bilatéralité varie de 13 % à 29 % selon les divers auteurs.
Georges J. Furey insiste sur le fait que la bilatéralité doit faire soupçonner la présence d'une maladie systémique sous-jacente dont la douleur calcanéenne n'est qu'une facette. Cet auteur a étudié 116 malades dont 29 % avaient une fasciite plantaire bilatérale. 16 % des 116 avaient ou ont développé, en moyenne 5,2 ans plus tard, une affection rhumatismale systémique comme de l'arthrite rhumatoïde ou de la goutte et quelques autres affections plus rares. "When the condition is bilateral [...] the suspicion should arise that the fasciitis is either a prodrome or a manifestation of a more serious condition." La majorité des auteurs soumis n'abordent pas la question de la relation entre un travail en particulier et l'apparition de la maladie. Par ailleurs, la plupart des références à une activité ont trait à l'athlétisme, particulièrement à la course sur de grandes distances. À ce sujet, Barbara L. Warren mentionne que le traumatisme répété au point d'impact au talon à chaque pas serait de 2 à 3 fois le poids corporel. Au surplus, il y a une cadence rapide et assez fixe chez les coureurs soit d'environ 600 frappes (fast falls) par kilomètre. Antony A. Schepsis écrit aussi que : "the repetitive excessive loads that occur with long distance running may induce an inflammatory process, leading to fibrosis or degeneration or both".
Dans une autre étude de madame Warren, qui a d'ailleurs été invoquée par le travailleur, a recherché les anomalies anatomiques au pied qui seraient susceptibles d'engendrer une fasciite plantaire chez les coureurs de longue distance. Seules certaines anomalies dans le degré de flexion plantaire chez ces coureurs, dans 50 % des cas. Elle termine en disant ce qui suit : "Therefore, these variables could no be used as pedictors of plantar-fasciitis sufferers, but could predict the non-sufferers. Use of such anatomical variables as predictors for possible injury conditions of the runner would be of great help to the medical profession, as well as to the general public. Therefore, more research should be done in this area." La Commission d'appel ne peut, de toute évidence, établir quelque lien entre les études de madame Warren sur les coureurs de longue distance et la possibilité pour les facteurs de développer la maladie.
L'étude de Lapidus et Guidotti mérite qu'on s'y attarde. Même si elle a été effectuée dans les années «60», elle est souvent citée. Il s'agit, semble-t-il d'un travail fait, semble-t-il, pour un syndicat. "Our analysis and conclusions are derived [...] from [...] patients treated at the New York Hotel Trades Council and Hotel Association of New York City Health Center [...]" Des 171 personnes venant du New York City Health Center, 127 étaient des hommes et 44 des femmes.
4 hommes et 8 femmes avaient un travail sédentaire tandis que 118 hommes et 33 femmes avaient un travail qui impliquait la marche ou la station debout. On ignore l'occupation des 8 autres personnes.
À première vue, on serait porté à associer la marche avec la fasciite plantaire, les sujets étant des serveurs, femmes de chambre, employés de cuisine, d'entretien général ou opérateurs d'ascenseurs.
Cependant, il s'agit probablement d'un biais de sélection. En effet, la maladie a été recherchée presqu'exclusivement chez des sujets dont le métier exige la station debout ou la marche. L'absence d'un groupe contrôle, notamment des sédentaires, enlève beaucoup de valeur à la conclusion tirée par les auteurs de l'étude, conclusion qui n'est d'ailleurs pas déterminante : "The etiology of the painful heel still remains a moot question, but probably it is due to concentrated tension exerted on the medial process of the calcaneal tuberosity." L'étude de James A. Wells, parue en 1983, a également été financée par un syndicat, la "National Association of Letter Carriers" des États-Unis. Le but était de comparer les problèmes musculo-squelettiques chez les facteurs avec ceux rencontrés chez les commis aux Postes d'une part, et, d'autre part, des travailleurs qui doivent marcher sans avoir à transporter de charge (lecteurs de compteurs).
Le tableau en Annexe B tend à démontrer que les facteurs ont davantage de problèmes aux pieds que les autres commis aux Postes, dans une population de facteurs américains à St-Louis, en 1980.
Selon l'étude, les commis aux Postes sont considérés comme des travailleurs sédentaires. Par ailleurs, la différence entre tous les postiers et les autres travailleurs est statistiquement significative du point de vue des douleurs aux pieds.
Il s'agit de la seule étude soumise qui ait été réalisée chez les facteurs, avec un groupe témoin.
Cependant, on ne peut définitivement pas établir, à partir de cette seule étude, une relation entre le métier de facteur et la fasciite plantaire.En effet, elle est le résultat d'un questionnaire seulement.
Aucun examen médical n'a été fait et aucun diagnostic n'a été posé. On s'est limité à demander aux facteurs et aux autres travailleurs s'ils éprouvaient des douleurs aux pieds et à quelle fréquence. La Commission d'appel en arrive donc aux mêmes conclusions que le docteur Munger qui a fait, lui aussi, une étude de la littérature. En dehors du problème des athlètes, coureurs de longue distance, il est forcé de conclure : «Ce vers quoi l'on doit donc tendre, c'est vers des études sérieuses nous permettant de définir un risque accru, significativement plus élevé pour un facteur de développer une dorsalgie, une lombalgie ou une fasciite plantaire en lien avec le port du sac postal et la marche prolongée.
Il existe actuellement un vide sur le sujet que l'exercice présent n'a pas la prétention de combler.» De cette étude, la soussignée retient que la marche ou la station debout prolongée sans forte pression sur les pieds ne sont pas en soi des risques particuliers pouvant causer la fasciite plantaire.
Cependant, il est possible que les facteurs précités, en association avec des conditions pesonnelles comme l'obésité ou une déformation de la colonne vertébrale, soient contributoires d'une faciite plantaire.
Dans un tel cas, il serait cependant impossible de parler de risques particuliers du travail comme cause de la pathologie car lesdits risques seraient étroitement assujettis à la condition personnelle du travailleur ce que n'a manifestement pas voulu le législateur en adoptant l'article 30 précité.
Aucun événement imprévu et soudain n'ayant été démontré, l'article 2 de la loi ne peut non plus recevoir application.
Cet article 2 définit les notions de lésion professionnelle et d'accident du travail comme suit: 2. (...) «lésion professionnelle»: une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation; «accident du travail»: un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle.
Aucune preuve ne fut offerte permettant d'associer la fasciite plantaire dont fut victime le travailleur à un traumatisme quelconque survenu par le fait ou à l'occasion de son travail.
Pour la Commission d'appel, il est plus que probable que la fasciite plantaire du travailleur relève d'une maladie systémique sous-jacente dont la douleur calcanéenne n'est qu'une facette comme le mentionne l'auteur J. Furey1 cité dans la décision Roger Green et Société canadienne des postes.
Cette conclusion de l'auteur repose sur les soupçons engendrés par la bilatéralité d'une telle pathologie.
Dans la cause qui nous occupe, la fasciite plantaire du travailleur fut d'abord constatée au niveau du pied gauche pour devenir bilatérale en 1993 telle que constatée par le Dr Leclerc dans son avis du 10 mars 1993.
La Commission d'appel ne peut ignorer que la fasciite plantaire au niveau du pied droit s'est manifestée alors que le travailleur était affecté à des tâches ne comportant pas de marche prolongée ou de station debout prolongée. Ce fait amène la Commission d'appel à croire qu'une cause autre que le travail de facteur est à l'origine de son problème de fasciite plantaire.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION D'APPEL EN MATIÈRE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES : REJETTE l'appel du travailleur; CONFIRME la décision du bureau de révision du 8 août 1994; DÉCLARE que le travailleur ne fut pas victime d'une lésion professionnelle le 17 septembre 1991.
1 Furey, Georges J. Plantar Fasciitis, The Journal of Bone and Joint Surgery; vol. 57-A, no 5, July 1975, p. 672-673 Ginette Godin Commissaire SYNDICAT DES POSTIERS (M. Denis Lemelin) 5000, boul. des Gradins, #140 Québec (Québec) G2J 1N3 Représentant de la partie appelante ME FRANCOIS DAVEAULT 525, boul. René Lévesque Est Bureau 510 Québec (Québec) Représentant de la partie intéressée
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