COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL |
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Dossier : |
AM-2000-6195 |
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Cas : |
CM-2002-1926 et CM-2002-1927 |
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Référence : |
2005 QCCRT 0621 |
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Montréal, le |
8 novembre 2005 |
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DEVANT LES COMMISSAIRES : |
Pierre Flageole, vice-président |
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Sygne Rouleau |
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Paul Dufault |
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Club de hockey Canadien inc. Ligue nationale de hockey
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Requérants |
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c. |
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Association des joueurs de la Ligue nationale de hockey
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Intimée |
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DÉCISION |
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[1] La Commission est saisie d'une demande de révision (CM-2002-1926) d'une décision interlocutoire rendue le 17 juin 2005 ( 2005 QCCRT 0354 ) sous la signature du commissaire Jean Paquette. Cette demande de révision, présentée en vertu de l’article 127.3 du Code du travail (le Code), est accompagnée d'une demande d'ordonnance de sauvegarde visant à suspendre l'enquête et l'audience (CM-2002-1927).
[2] Le 26 avril 2005, l'Association des joueurs de la Ligne nationale de hockey (l'Association) demande à être accréditée pour représenter :
« Tous les joueurs jouant dans la Ligue nationale de hockey à l'emploi du Club de hockey Canadien inc. » (le Canadien)
[3] La Ligue nationale de hockey (la LNH) intervient et les parties sont convoquées en audience le 31 mai 2005. La Commission fixe alors un échéancier.
[4] Le 9 juin 2005, une audience est tenue. Elle a pour objet de permettre aux parties de débattre, de façon préliminaire, deux questions ayant trait à l'administration de la preuve. La première traite de l'admissibilité d'une preuve par un témoin expert et la seconde, du droit du Canadien et de la LNH de pouvoir présenter une preuve sur les buts ou la finalité de l'Association.
[5] Le 17 juin 2005, une décision interlocutoire est rendue. Elle délimite le contenu du témoignage de l’expert éventuel et déclare « irrecevable toute preuve de l'employeur sur la finalité de l'association de salariés requérante ».
[6] L'échéancier établi par la Commission prévoit des audiences les 27 juin, 7, 8, 19 et 20 juillet 2005. La Commission indique qu'il n'y aura aucune date additionnelle d'audience au-delà du 20 juillet 2005 et que la requête sera alors prise en délibéré.
[7] Or, de façon concomitante aux audiences tenues devant la Commission, le différend dans la LNH fait l’objet d’un lock-out. Dès lors, les parties demandent le report des audiences à une date ultérieure, pour se consacrer au règlement du conflit à la table des négociations. Ainsi, la Commission remet la suite des audiences au 5 décembre 2005.
[8] Lors de l’audience portant sur la demande de révision, la Commission indique que la présente décision sera rendue avant l’audience prévue pour le 5 décembre 2005. La demande d'ordonnance de sauvegarde du Canadien et de la LNH devient donc sans objet.
[9] Dans la demande, le Canadien et la LNH réclament d’abord la révision de la décision interlocutoire du 17 juin 2005 ( 2005 QCCRT 0354 ), parce que celle-ci n’est pas motivée. Or, par une autre décision interlocutoire rendue le 14 octobre 2005 ( 2005 QCCRT 0560 ), la Commission expose les motifs sur les moyens préliminaires soulevés en audience. Conséquemment, le Canadien et la LNH retirent leur moyen portant sur l’absence de motivation de la décision interlocutoire.
[10] Le Canadien et la LNH demandent aussi la révision de la décision délimitant le contenu admissible du témoignage d’expert. Après avoir pris connaissance des motifs de la décision, le Canadien et la LNH abandonnent ce moyen.
[11] Par ailleurs, le Canadien et la LNH attaquent également cette conclusion de la décision interlocutoire :
« DÉCLARE irrecevable toute preuve de l'employeur sur la finalité de l'association de salariés requérante. »
[12] Essentiellement, le Canadien et la LNH, répondant d'entrée de jeu à l'un des arguments annoncés par l'Association, soutiennent que leur demande de révision est recevable. Les dispositions de l'article 127 du Code n’établissant aucune distinction quant aux types de décision pouvant faire l’objet d’une révision, ils soumettent qu’une requête en révision peut aussi bien viser une décision interlocutoire qu’une décision finale.
[13] En ce qui concerne le fond de la question en litige, le Canadien et la LNH plaident que la décision interlocutoire comporte plusieurs erreurs apparentes, voire grossières, en particulier en ce qu'elle les empêche de faire une preuve qui s'attaque à la recevabilité même de la requête puisqu'ils prétendent que l'Association n'est pas une « association de salariés » au sens de l’article 1.a) du Code.
[14] Pour sa part, l'Association fait valoir que la demande de révision d'une décision interlocutoire n'est pas recevable. En effet, selon elle, une telle requête est incompatible avec les objectifs de diligence et d’efficacité imposés à la Commission par le Code.
[15] Quant au fond de la question en litige, l'Association soumet que le Canadien et la LNH ne sont pas une partie intéressée au sens de l'article 32 du Code stipulant ce qui suit :
Sont seuls parties intéressées quant au caractère représentatif d'une association de salariés, tout salarié compris dans l'unité de négociation ou toute association de salariés intéressée.
[16] Ainsi, l’Association soumet que la Commission, dans sa décision interlocutoire, est bien fondée de rejeter toute tentative de la part du Canadien et de la LNH de présenter une preuve sur les buts, les intentions ou la finalité de l’Association. De plus, l’Association fait valoir que la Commission dispose de tous les moyens d’enquête pour vérifier si un ou des faits précis, dénoncés par l’employeur, peuvent entraîner le rejet de la requête en accréditation, parce que l’Association ne satisfait pas à la définition d’« association de salariés » prévue à l’article 1.a) du Code.
[17] La décision interlocutoire de la Commission peut-elle faire l’objet d’une demande de révision immédiate? Voilà la première question qui se pose.
[18] Le 21 octobre 2005, au moment où la présente requête en révision est entendue, la Commission n’a pas encore rendu sa décision dans un dossier où la même question s'est posée.
[19] Le 24 octobre 2005, dans l’affaire opposant Ville de Saint-Jérôme c. Coupal ( 2005 QCCRT 0579 ), la Commission répond par la négative à cette question. Il convient de reproduire intégralement les paragraphes 14 à 19 de cette décision :
[14] Depuis le jugement de la Cour d'appel dans l'affaire Collège d'enseignement général et professionnel de Valleyfield c. Gauthier-Cashman (1984, RDJ, p. 385), la règle est bien établie. Elle a été confirmée à de multiples reprises y compris par la Cour d'appel elle-même en particulier, dans l'affaire L'Union des routiers, brasseries, liqueurs douces et ouvriers de diverses industries, local 1999 (Teamsters) et Poirier c. La brasserie Labatt limitée, CA, Montréal, 500-09-000211-953 (19 février 1998), jj. LeBel, Fish et Rousseau-Houle, p. 10. Voici comment la juge Rousseau-Houle la résume :
Le juge Vallerand dans cet arrêt (arrêt Gauthier-Cashman) a établi de façon claire et percutante la politique judiciaire à l'égard des recours en révision judiciaire des sentences arbitrales interlocutoires. Seuls « les cas manifestes d'irrecevabilité et encore là uniquement lorsqu'il y a perspective d'une longue instruction que ne justifie pas le mal-fondé évident et incontestable du droit » peuvent justifier une requête en révision judiciaire préalablement à la décision au fond de l'arbitre.
Cette politique a été réaffirmée dans de nombreux arrêts. Seules des circonstances exceptionnelles, tenant, par exemple, à la nature quasi pénale de la plainte, à l'existence d'un grave conflit jurisprudentiel concernant les normes du travail ou à l'absence d'un lien de droit entre les parties pouvant donner compétence à l'arbitre, ont pu justifier des dérogations à la règle d'abstention judiciaire au stade des décisions interlocutoires.
[15] Plus récemment, le juge Jacques Babin de la Cour supérieure était justement saisi d'une demande de révision judiciaire qui portait sur une décision ayant maintenu une objection à la preuve.
[16] Son jugement dans l'affaire Coopérative des travailleurs-travailleuses de Sacré-Cœur (Unisaco) c. Me Germain-Denis Girard et autres, Cour supérieure, district de Chicoutimi, 150-05-003055-029 (15 août 2002) comporte une intéressante revue de la jurisprudence pertinente et parmi ses conclusions, on retrouve les suivantes :
[59] Le soussigné est d'avis que compte tenu des principes qui précèdent, la requête en révision judiciaire d'Unisaco est prématurée.
[60] Tout d'abord, rien ne permet de préjuger de la décision finale du Commissaire, même en l'absence de la preuve que voudrait administrer Unisaco.
[61] En effet, le Commissaire pourrait, pour toutes sortes de raisons, rejeter purement et simplement la requête en accréditation, comme il pourrait en venir à la conclusion que Boisaco ou 2430-1657 Québec inc. est l'employeur des salariés visés par la requête.
[62] À ce moment, toute la preuve qu'entend faire Unisaco serait absolument inutile.
[63] Il en est de même si le commissaire en venait à la conclusion qu’Unisaco est l’employeur, mais qu’il lui donne raison sur sa requête en irrecevabilité avec les arguments de droit que lui soumettra incessamment sa procureure.
[64] Deuxièmement, Unisaco jouit d'un droit d'appel au Tribunal du travail de la décision du Commissaire en vertu des articles 118 et suivants du Code du travail, qui, nonobstant des modifications majeures à cette législation, sont toujours en vigueur au moment du dépôt du présent jugement.
[65] Troisièmement, nous ne retrouvons dans ce dossier aucunes circonstances exceptionnelles justifiant d'intervenir avant que le Commissaire ait rendu sa décision sur la requête en accréditation.
[66] Enfin, on ne nous a pas démontré que les éléments de preuve d'Unisaco veut établir sont cruciaux en regard du cadre du litige, au point que la Cour supérieure intervienne immédiatement.
[17] La Commission est d'avis que ces conclusions s'appliquent très bien à la présente affaire même si, dans l'état actuel de la législation, il n'y a plus d'appel de la décision qui sera rendue. Récemment, la Cour d’appel le confirmait dans une affaire portant justement sur une décision de la Commission des relations du travail. En effet, dans Technologies avancées de fibres (AFT) inc. c. Fleury CA, Montréal, 500-09-014555-049 (7 décembre 2004), jj. Rochette, Doyon et Bich, p. 2, la Cour écrit :
[2] L’appelante ne nous convainc pas que la décision du juge de première instance est entachée d'une erreur quelconque. Au contraire, en rejetant la requête en révision au motif qu'elle est prématurée, le premier juge a suivi les enseignements de l'affaire Cégep de Valleyfield c. Gauthier-Cashman, enseignements qui sont applicables aux recours soumis à la Commission des relations du travail en vertu de la Loi sur les normes du travail et sont certainement applicables à l'espèce.
(Renvoi omis.)
[18] En effet, si l'employeur a gain de cause malgré la décision rendue accueillant une objection à la preuve qu'il voulait faire, il n'aura subi aucun préjudice. Par contre, si le recours du plaignant est accueilli, l'employeur pourra toujours demander la révision de la décision en alléguant, entre autres, que le refus de recevoir la preuve qu'il jugeait pertinente s'est avéré déterminant.
[19] Décider autrement et permettre la révision immédiate de toutes les décisions prises en cours d'instance, même celles qui accueillent une objection à la preuve, équivaudrait à mettre complètement de côté l'objectif de célérité pourtant expressément prévu au Code du travail.
[20] Dans le présent dossier, aucun élément ne milite en faveur d'une décision qui soit différente de celle rendue par la Commission le 24 octobre 2005 dans l’affaire Ville de Saint-Jérôme c. Coupal ( 2005 QCCRT 0579 ). Il n’existe pas de circonstances exceptionnelles permettant d’accueillir la demande de révision.
EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail
DÉCLARE que la demande d'ordonnance de sauvegarde est devenue sans objet (CM-2002-1927);
REJETTE la demande de révision, portant sur une décision interlocutoire rendue en cours d’instance, et ce, parce qu’une telle demande est prématurée (CM-2002-1926).
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__________________________________ Pierre Flageole, président de la formation __________________________________ Sygne Rouleau __________________________________ Paul Dufault |
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Me Frédéric Massé Me Gary S. Rosen |
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HEENAN BLAIKIE SRL |
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Représentants des requérants |
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Me Gaston Nadeau |
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TRUDEL, NADEAU SOCIÉTÉ EN NOM COLLECTIF |
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Représentant de l'intimée |
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Date de la dernière audience : |
21 octobre 2005 |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.