Corbeil et Construction Ricktech inc. |
2010 QCCLP 3431 |
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[1] Le 30 octobre 2009, monsieur Gaston Corbeil (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue le 1er octobre 2009 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.
[2] Par sa décision, la CSST déclare que la réclamation faite par le travailleur a été produite à l’intérieur des délais prévus à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), mais confirme pour d’autres motifs sa décision initiale du 16 juillet 2009 et déclare que le travailleur n’a pas subi une lésion professionnelle.
[3] Le travailleur est présent et se représente seul à l’audience qui s’est tenue à Gatineau le 28 avril 2010. L’employeur, Construction Ricktech inc., n’y est pas représenté. L’affaire a été mise en délibéré le même jour.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a subi une lésion professionnelle le 16 juin 2006, sous l’angle d’une maladie professionnelle.
LES FAITS
[5] Le travailleur est menuisier. Il a débuté dans le métier dans les années 1971-1972 pour le quitter le 16 juin 2006.
[6] Le 28 mars 2009, le travailleur produit une demande d’indemnisation à la CSST, dans laquelle il s’exprime comme suit :
À ce moment-là je faisais la finition dans les nouvelles construction. Donc, je travaillais très souvent à genoux pour poser les plaintes, les corderons, etc. Plus le temps passait, plus j’avais mal au genou dr; mais je n’étais pas certain qu’il s’agissait d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle. (voir lettre explicative)
[sic]
[7] Dans sa lettre explicative, le travailleur mentionne avoir commencé à avoir très mal dans le genou droit en octobre 2005. À l’époque, il faisait la finition de nouvelles constructions, ce qui impliquait de travailler à genoux très souvent pour poser des plinthes et quarts-de-rond. Il poursuit en disant avoir consulté plusieurs médecins qui auraient diagnostiqué de l’arthrose, à la suite de radiographies simples. Vu ce diagnostic, il n’a jamais déclaré d’accident du travail, ni de maladie professionnelle.
[8] Le travailleur ajoute dans sa lettre explicative qu’en juin 2006, il est incapable de travailler. Quelques jours avant le 16 juin 2006, son genou et sa jambe droits sont très enflés, si bien qu’il consulte d’urgence un médecin qui soupçonne une phlébite, ce qui ne sera pas le cas. Après son arrêt de travail, il continue d’éprouver des douleurs, mais de moindre importance. En septembre 2008, vu une intensification de la douleur, il consulte un autre médecin qui aurait diagnostiqué une entorse. Il rencontre par la suite un autre médecin qui, après une radiographie simple, parle lui aussi d’arthrose et prescrit de la médication anti-inflammatoire.
[9] Le travailleur poursuit dans sa lettre explicative avoir continué de consulter, mais toujours sans résultats. Finalement, un médecin l’a dirigé au docteur Jean Varin, chirurgien-orthopédiste, qui demande un examen par résonance magnétique que le travailleur passe le 27 février 2009, témoignant, écrit-il, d’une ancienne déchirure méniscale avec des kystes s’y développant autour, nécessitant une chirurgie. Puisqu’il n’opère plus, le docteur Varin lui a remis une demande de consultation.
[10] Le travailleur conclut être certain que cette déchirure existe depuis octobre 2005 et s’est aggravée avec le temps.
[11] Effectivement, le travailleur a passé un examen par résonance magnétique le 27 février 2009 qui, suivant l’interprétation faite par la docteure Claudine Michaud, témoigne d’une déchirure dans les cornes postérieure et antérieure du ménisque interne du genou droit, avec un kyste paraméniscal antérieurement qu’elle soupçonne être une combinaison d’une petite déchirure à l’insertion du ligament à la corne antérieure du ménisque interne et de la décompression de la déchirure dans la corne postérieure. La docteure Michaud parle également d’effusion articulaire, de chondropathie et d’effusion de la bourse du ligament collatéral interne.
[12] Le 25 mars 2008, le docteur Varin signe une demande de consultation, sous un diagnostic de déchirure méniscale interne et de kyste méniscal du genou droit.
[13] Questionné par la CSST le 7 mai 2009, le travailleur précise ne pas se souvenir s’être blessé au travail. Il mentionne avoir dû se faire extraire de l’eau à son genou, il y a plusieurs années. Il ajoute que dans les années 1990, il avait quelques complications qui ne l’ont toutefois pas empêché de travailler.
[14] Le 16 juillet 2009, la CSST refuse la réclamation du travailleur, au motif qu’elle n’a pas été déposée dans les délais prévus à la loi.
[15] Saisie d’une demande de révision à l’encontre de cette décision, la CSST estime finalement le 1er octobre 2009 que la demande d’indemnisation du travailleur a été produite à l’intérieur des délais impartis, mais que la preuve demeure insuffisante pour conclure à l’existence d’une maladie professionnelle.
[16] C’est de cette décision dont le présent tribunal est saisi.
[17] Entendu à l’audience, le travailleur témoigne que jusqu’en 2004, il monte des charpentes. Par la suite, il s’occupe de finition résidentielle, ce qui consiste notamment à poser des plinthes, quarts-de-rond, châssis. Dans une semaine de travail de 40 heures, il peut en passer une douzaine à travailler à genoux, cinq à six heures d’affilée. Il devait également travailler dans des escabeaux et des échelles.
[18] Questionné sur ses antécédents médicaux, le travailleur mentionne avoir été en arrêt de travail en 1973 pour une bursite à son genou droit.
L’AVIS DES MEMBRES
[19] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la requête du travailleur devrait être accueillie. L’ensemble des tâches accomplies par le travailleur sur une période de plus de trente ans laissent voir qu’il a travaillé dans des positions instables qui ont sollicité indûment son genou droit, particulièrement à compter de 2004.
[20] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis contraire. La preuve médicale est nettement insuffisante pour conclure à l’existence d’une maladie professionnelle. Le travailleur demande ni plus ni moins au tribunal de présumer d’une relation de cause à effet entre son travail et la lésion diagnostiquée, sans qu’il y ait des données objectives pour supporter sa thèse.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[21] La Commission des lésions professionnelles doit décider en l’instance de l’existence d’une lésion professionnelle chez le travailleur le 16 juin 2006.
[22] L’article 2 de la loi définit comme suit la notion de lésion professionnelle :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[23] Il n’est aucunement prétendu, ni soutenu en preuve, que la lésion diagnostiquée en février 2009 puisse résulter d’un accident du travail ou d’une récidive, rechute ou aggravation. Reste donc pour le tribunal à déterminer si cette lésion origine d’une maladie professionnelle, notion que le même article 2 de la loi définit dans les termes suivants :
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[24] Afin de faciliter la preuve de l’existence d’une maladie professionnelle, la loi crée à son article 29 la présomption suivante :
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
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1985, c. 6, a. 29.
[25] À défaut d’application, l’article 30 de la loi prévoit ce qui suit :
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
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1985, c. 6, a. 30.
[26] Cela étant dit, qu’en est-il dans le cas sous étude?
[27] Aux fins de rendre la présente décision, le tribunal est lié par le diagnostic révélé par la résonance magnétique du 27 février 2009 et confirmé par le docteur Varin dans sa demande de consultation du 28 mars 2009. Il s’agit d’une déchirure méniscale interne du genou droit.
[28] Il est vrai que ce diagnostic n’apparaît pas, comme le prévoit l’article 199 de la loi, dans une attestation médicale sur un formulaire de la CSST. Dans le contexte particulier du présent dossier, le tribunal estime toutefois que ce serait faire preuve d’abus de procédure en déclarant irrecevable la réclamation du travailleur, pour omission d’avoir produit une attestation médicale sur un formulaire de la CSST.
[29] Tout comme dans l’affaire Munger et Abitibi Bowater inc.[2], le tribunal est également d’avis que dans la mesure où un travailleur dépose à la CSST une réclamation demandant la reconnaissance d’un droit et que cette réclamation est accompagnée d’un document médical faisant état d’un diagnostic posé par un médecin, la CSST se doit d’analyser le bien-fondé ou non de cette réclamation. Dans le cas présent, c’est ce qu’a fait à juste titre la CSST dans le cadre du processus de révision administrative et que fera le tribunal, car il bénéficie des conclusions de l’examen par résonance magnétique et de la demande de consultation du docteur Varin faisant état du diagnostic mentionné ci-haut.
[30] Cela étant dit, le diagnostic de déchirure méniscale n’est pas une lésion visée par la section IV de l’annexe I de la loi, si bien que le travailleur ne peut bénéficier de la présomption de maladie professionnelle prévue par l’article 29 de la loi.
[31] Dans un tel cas, demeure l’article 30 de la loi.
[32] Dès le départ, force est de reconnaître que la lésion du travailleur ne saurait être caractéristique du travail de menuisier puisqu’il n’y a aucune preuve qu’un nombre significatif d’autres travailleurs, placés dans les mêmes conditions de travail chez l’employeur, aient été affectés par une déchirure méniscale ou que l’incidence de cette lésion soit plus grande dans la population de travailleurs qui effectuent le même genre de travail par rapport à la population en général ou un groupe-témoin. Aucune étude épidémiologique établissant la probabilité d’une relation de cause à effet entre le type de travail exercé et la maladie n’a par ailleurs été produite en preuve.
[33] Cette maladie est-elle cependant reliée aux risques particuliers du travail de menuisier exercé par le travailleur?
[34] Sur ce volet du débat, la Commission des lésions professionnelles estime utile de rappeler ici que pour trancher la question en litige, la simple affirmation par un travailleur de l’apparition de symptômes au travail ne peut suffire, à celle seule, pour conclure, de façon probante, à l’existence d’une maladie professionnelle. Le tribunal doit, de façon concomitante avec les affirmations d’un travailleur, analyser la preuve médicale qui est versée au dossier et en retenir les éléments de faits et conclusions qui lui apparaissent les plus probants.
[35] La déchirure d’un ménisque interne peut être d’étiologie traumatique ou dégénérative. Dans le cas présent, le travailleur n’allègue aucun fait accidentel. C’est donc dire que la déchirure diagnostiquée est probablement d’origine dégénérative, au même titre que les nombreuses autres anomalies décrites à l’examen par résonance magnétique.
[36] Bien que les conditions personnelles révélées par la résonance magnétique existaient chez le travailleur probablement depuis un certain temps et qu’elles n’aient pas empêché le travailleur de vaquer à ses occupations professionnelles pendant plusieurs années, le tribunal est d’avis que ces atteintes le rendaient particulièrement fragile à certaines manœuvres ou postures extrêmes exerçant une pression significative sur les structures de ses genoux.
[37] Dans l’exercice de son métier pendant plus de trente ans et particulièrement à compter de 2004, le travailleur a passé une grande partie de son temps de travail en position accroupie ou à genoux ou grimpé dans des échelles ou escabeaux, ce qui implique le maintien, sur des périodes de temps prolongées, de positions exerçant une pression indue sur un genou déjà hypothéqué.
[38] En d’autres termes, le tribunal est d’avis que le travail exercé par le travailleur chez l’employeur, de par les risques particuliers qu’il engendre, est responsable d’une aggravation d’une pathologie préexistante puisque celui-ci a exercé des activités sollicitant particulièrement son genou droit. Semblable aggravation ou provocation de symptômes directement reliés aux risques particuliers du travail exercé constitue une lésion professionnelle[3].
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête du travailleur, monsieur Gaston Corbeil;
INFIRME la décision rendue le 1er octobre 2009 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que monsieur Gaston Corbeil a subi une lésion professionnelle le 16 juin 2006.
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Bernard Lemay |
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