Xie et Vêtements Peerless inc. |
2012 QCCLP 1556 |
|
||
COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
||
|
||
|
||
Gatineau |
1er mars 2012 |
|
|
||
Région : |
Montréal |
|
|
||
366767-71-0812-2R 368510-71-0901-2R 398185-71-0912-2R 398186-71-0912-2R 403480-71-1002-2R 410479-71-1005-2R |
||
|
||
Dossiers CSST : |
133366021 133557629 134910173 134910165 136656675 |
|
|
||
Commissaire : |
Marie Langlois, juge administratif |
|
|
||
Membres : |
Luc St-Hilaire, associations d’employeurs |
|
|
Marcel Desrosiers, associations syndicales |
|
|
|
|
______________________________________________________________________ |
||
|
||
|
|
|
Shao Guang Xie |
|
|
Partie requérante |
|
|
|
|
|
et |
|
|
|
|
|
Les Vêtements Peerless inc. |
|
|
Partie intéressée |
|
|
Et
|
|
|
Commission de la santé et de la sécurité du travail |
|
|
Partie intervenante |
|
|
|
|
|
______________________________________________________________________
DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
______________________________________________________________________
[1] Le 26 juillet 2011, monsieur Shao Guang Xie (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il demande la révision ou la révocation d’une décision de la Commission des lésions professionnelles rendue le 30 juin 2011 en vertu de l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[2] Par cette décision du 30 juin 2011, la Commission des lésions professionnelles rejette la requête du travailleur au dossier 366767-71-0812, confirme la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 15 décembre 2008 à la suite d’une révision administrative et déclare que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le 23 avril 2008 tant au niveau de la région lombaire que du coude droit. Elle rejette la requête du travailleur au dossier 368510-71-0901, confirme la décision rendue par la CSST le 15 janvier 2009 à la suite d’une révision administrative et déclare que le diagnostic d’épicondylite ou tendinopathie épicondylienne au coude droit ne constitue pas une maladie professionnelle. De plus, elle déclare sans objet la contestation du travailleur au dossier 398185-71-0912 et déclare sans effet la décision rendue le 23 novembre 2009 par la CSST à la suite d’une révision administrative. Elle rejette aussi la requête du travailleur au dossier 398186-71-0912, confirme pour d’autres motifs la décision rendue par la CSST le 24 novembre 2009 à la suite d’une révision administrative et déclare irrecevable la réclamation du travailleur du 30 avril 2009 visant à faire reconnaître un diagnostic de thrombose veineuse à titre de lésion professionnelle. Elle rejette également la requête du travailleur au dossier 403480-71-1002, confirme la décision rendue par la CSST le 27 janvier 2010 à la suite d’une révision administrative et déclare irrecevable la réclamation du travailleur pour surdité professionnelle produite le 1er mai 2009. Finalement, elle rejette la requête du travailleur au dossier 410479-71-1005, confirme la décision rendue par la CSST le 6 avril 2010 à la suite d’une révision administrative et déclare que le diagnostic de dépression majeure diagnostiqué le 26 novembre 2009 ne constitue pas une lésion professionnelle.
[3] Une audience portant sur la requête en révision ou en révocation est tenue à Montréal le 7 février 2012 en avant-midi en présence du travailleur qui n’est pas représenté, mais qui est accompagné d’une interprète qui fait la traduction du mandarin au français. À la suite de l’audience, l’après-midi même, le travailleur dépose à la Commission des lésions professionnelles une série de documents de 32 pages que la soussignée a malgré tout accepté de consulter. La cause est mise en délibéré le 7 février 2012.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] Le tribunal comprend de l’argumentation du travailleur qu’il demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision de la Commission des lésions professionnelles du 30 juin 2011 et de déclarer qu’il a subi une lésion professionnelle le 23 avril 2008 au niveau de la région lombaire et du coude droit; une lésion professionnelle du 30 avril 2009, soit une thrombose veineuse; une lésion professionnelle le 1er mai 2009, à savoir une surdité professionnelle; et une lésion professionnelle du 26 novembre 2009, à savoir une dépression majeure.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis de rejeter la requête du travailleur. En effet, ils considèrent que la décision du 30 juin 2011 ne comporte pas de vice de fond de nature à l’invalider. Ils estiment au surplus qu’il n’y a aucun fait nouveau qui, s’il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente. Ils sont aussi d’avis que le travailleur a pu se faire entendre lors de l’audience initiale. En somme, ils considèrent que le travailleur n’a pas fait la preuve d’un motif permettant la révision ou la révocation.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] Le présent tribunal doit déterminer s’il y a lieu de réviser ou révoquer la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 30 juin 2011.
[7] Soulignons que la Commission des lésions professionnelles ne peut réviser ou révoquer une décision qu’elle a rendue que pour l’un des motifs prévus à l’article 429.56 de la loi :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[8] Ainsi, pour pouvoir bénéficier de la révision d’une décision de la Commission des lésions professionnelles, une partie doit démontrer, par une preuve prépondérante dont le fardeau lui incombe, l’un des motifs prévus par le législateur à la disposition précitée, sans quoi, sa requête doit être rejetée.
[9] Comme l’énonce la jurisprudence constante de la Commission des lésions professionnelles[2], le pouvoir de révision ou de révocation prévu à l’article 429.56 de la loi doit être considéré comme une procédure d’exception ayant une portée restreinte.
[10] En l’espèce, le tribunal comprend des explications du travailleur à l’audience qu’il demande la révision de la décision invoquant notamment le vice de fond de nature à invalider la décision, en application du troisième paragraphe du premier alinéa de l’article 426.56 de la loi.
[11] La jurisprudence rappelle invariablement que le recours en révision ne peut constituer un appel déguisé compte tenu du caractère final d’une décision de la Commission des lésions professionnelles énoncé au troisième alinéa de l’article 429.49 de la loi :
429.49.
[…]
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[12] Comme le rappelait la Cour d’appel en 2005 dans les affaires Fontaine et Touloumi[3], une décision attaquée pour motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision. La Cour d’appel insiste sur la primauté à accorder à la première décision et sur la finalité de la justice administrative, invitant et incitant la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d’une très grande retenue lorsqu’elle est saisie d’un recours en révision. La première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles fait autorité et ce n’est qu’exceptionnellement qu’elle pourra être révisée[4].
[13] Le tribunal est d’avis que la décision du 30 juin 2011 ne comporte aucune erreur manifeste et déterminante de droit ou de fait assimilable à un vice de fond de nature à l’invalider, et ce, pour les motifs énoncés ci-après.
[14] La première juge administratif devait décider si le travailleur avait subi une lésion professionnelle (accident du travail, maladie professionnelle) le 23 avril 2008 eu égard à des lésions à la région lombaire et au coude droit. Dans l’affirmative, elle devait se prononcer sur les sujets d’ordre médical reliés à ces lésions, à savoir le diagnostic, la date de consolidation, la nécessité de soins ou traitements, l’atteinte permanente à l'intégrité physique et les limitations fonctionnelles. Ces sujets ont fait l’objet d’un avis d’un membre du Bureau d'évaluation médicale.
[15] De plus, elle devait décider de la recevabilité d’une réclamation du 30 avril 2009 pour une lésion professionnelle avec un diagnostic de thrombose veineuse et d’une réclamation pour surdité professionnelle produite le 1er mai 2009. Advenant une conclusion de recevabilité, elle devait décider si ces deux conditions sont reliées au travail et constituent des lésions professionnelles. Finalement, elle devait décider si le diagnostic de dépression majeure posé le 26 novembre 2009 constituait une lésion professionnelle.
[16] La première juge administratif indique avoir pris connaissance de la preuve documentaire et de l’imposante documentation déposée par le travailleur, en plus d’avoir entendu le témoignage du travailleur et celui de madame Marie-Claude Perdriel, conseillère en relations humaines chez l’employeur.
[17] Le travailleur adresse une série de reproches à la première juge administratif :
· Premièrement, il reproche à la première juge d’avoir permis que madame Perdriel rende son témoignage après avoir assisté et entendu celui du travailleur. Il reproche également à la première juge administratif de ne pas lui avoir donné la chance de témoigner et de faire valoir ses arguments.
· Deuxièmement, il lui reproche d’avoir tenu compte dans sa décision du rapport du docteur Duranceau du Bureau d'évaluation médicale. Il soutient que le docteur Duranceau aurait fondé ses conclusions après avoir visionné une vidéo de filature, qu’il considère illégale.
· Troisièmement, il reproche également à la juge administratif d’avoir commis deux erreurs dans l’appréciation des faits. Elle aurait conclu que son travail de presseur se faisait à la machine (laundry press operator dans la version anglaise de la décision) alors qu’il est un presseur à main (hand pressor). Elle aurait aussi tenu en compte que le travailleur n’avait pas travaillé le 23 avril 2009 alors qu’il était au travail.
· Quatrièmement, il invoque également qu’un document déposé lors de l’audience des 2 et 4 mai 2011, le plan détaillé, réalisé par un ingénieur industriel, du secteur où oeuvrait le travailleur (pièce E-3) ne se retrouve pas dans le dossier actuel. Il en infère que la première juge administratif a « fait disparaître » des éléments de preuve. De plus, il se plaint que la première juge administratif a refusé qu’il dépose des documents lors de l’audience du 4 mai 2011.
· Cinquièmement, il soumet avoir découvert une série de faits nouveaux qui, s’ils avaient été connus en temps utile, auraient pu justifier une décision différente. À ce sujet, il dépose le 7 février 2012, 32 pages de documents.
[18] Analysons chacun des reproches invoqués par le travailleur.
1 Le témoignage de madame Perdriel
[19] Au sujet du témoignage de madame Perdriel, le travailleur se plaint que celle-ci a rendu son témoignage après avoir assisté et entendu celui du travailleur. Il en infère que cela n’aurait pas dû être autorisé et soutient que cela a donné un avantage indu à l’employeur.
[20] Rappelons que la Loi sur la justice administrative[5] énonce aux articles 10 et 12 que les tribunaux administratifs exerçant une fonction juridictionnelle, dont la Commission des lésions professionnelles, sont tenus de donner aux parties l’occasion d’être entendues dans des audiences qui sont publiques sauf lorsqu’un huis clos est ordonné pour préserver l’ordre public. Le tribunal doit permettre à chaque partie d’être assistée et d’être représentée.
[21] Les dispositions pertinentes sont les suivantes
Loi justice administrative
RÈGLES PROPRES AUX DÉCISIONS QUI RELÈVENT DE L'EXERCICE D'UNE FONCTION JURIDICTIONNELLE
10. L'organisme est tenu de donner aux parties l'occasion d'être entendues.
Les audiences sont publiques. Toutefois, le huis clos peut être ordonné, même d'office,
lorsque cela est nécessaire pour préserver l'ordre public.
1996, c. 54, a. 10.
12. L'organisme est tenu:
1° de prendre des mesures pour délimiter le débat et, s'il y a lieu, pour favoriser le rapprochement des parties;
2° de donner aux parties l'occasion de prouver les faits au soutien de leurs prétentions et d'en débattre;
3° si nécessaire, d'apporter à chacune des parties, lors de l'audience, un secours équitable et impartial;
4° de permettre à chacune des parties d'être assistée ou représentée par les personnes habilitées par la loi à cet effet.
1996, c. 54, a. 12.
[22] Eu égard à l’exclusion des témoins, le Règlement sur la preuve et la procédure de la Commission des lésions professionnelles[6] (le règlement) prévoit que :
24. Le commissaire peut ordonner que les témoins déposent hors la présence les uns
des autres.
[23] La Commission des lésions professionnelles énonce à bon droit dans l’affaire Bélair[7] que les parties ont le droit d’assister à l’audience, et ce, même dans le cas où elles sont appelées à y témoigner. Dans cette affaire, la Commission des lésions professionnelles citant la décision Bénard rendue par la Cour supérieure[8] énonce avec justesse que le principe de l’exclusion des témoins ne s’applique pas à la partie elle-même, même dans le cas des personnes morales ou des organismes qui peuvent se faire représenter à l’audience par la personne de leur choix. Dans cette affaire le tribunal rappelle qu’il « devra évidemment apprécier la pertinence et la force probante de la preuve présentée devant lui, de même que la crédibilité des témoignages ».
[24] Dans l’affaire Garda[9], la Commission des lésions professionnelles énonce les mêmes principes s’appuyant également sur une décision de la Cour supérieure de 1996 et sur la doctrine reconnue. Elle s’exprime ainsi:
[19] Dans la cause Marcel Bénard c. CALP5 la Cour supérieure a décidé que le représentant ou le mandataire de l’employeur ne peut être exclu de l’audience:
«Si on se réfère à Me Léo Ducharme, “L’administration de la preuve”, 2e éd., Wilson & Lafleur ltée, p.118, #333:
«…une ordonnance d’exclusion des témoins ne s’applique pas aux parties elles-mêmes, qui ne peuvent être privées de leur droit d’assister à l’enquête. Lorsqu’il s’agit d’une personne morale, le droit s’étend au représentant ou mandataire par lequel cette personne doit agir et qui s’identifie alors à elle.»
et à Me Jean-Claude Royer, “La preuve civile”, 2e ed. Les éditions Yvon Blais Inc., p.313, 3532:
«L’exclusion des témoins ne peut-être obtenue à l’égard des parties, que celles-ci soient des personnes physiques ou morales. Dans ce dernier cas, c’est le représentant d’une société ou d’une corporation qui a le droit d’assister à la preuve.»
__________________________
5 500-05-012259, 11 mars 1996, juge Jean-Jacques Croteau.
[25] La soussignée estime que les mêmes principes s’appliquent en l’espèce et conclut que la première juge administratif n’a commis aucune erreur de droit en permettant à madame Perdriel d’assister à l’audience et de témoigner par la suite.
[26] Au surplus, soulignons que lors de la première audience tenue les 2 et 4 mai 2011, la procureure du travailleur n’a pas fait d’objection à ce sujet. Le travailleur ne peut, devant le présent tribunal siégeant en révision, se plaindre de la stratégie alors adoptée par sa procureure.
[27] Quant au reproche touchant au fait que la première juge administratif n’ait pas permis au travailleur de témoigner et de faire valoir ses arguments, il doit être rejeté puisqu’il est faux. En effet, le travailleur a effectivement témoigné lors de l’audience débutée le 16 juin 2010 et de longues heures les 2 et 4 mai 2011. De plus, sa procureure a fait une argumentation verbale et le travailleur a pu déposer au surplus une argumentation écrite de sa main.
2 La vidéo de filature
[28] Lors de la première journée d’audience du 16 juin 2010, une vidéo de filature (surveillance du travailleur la journée du 14 août 2009) a été déposée par l’employeur. La soussignée constate que cette vidéo n’a pas été visionnée lors de cette audience. En effet, lors de cette audience, le travailleur a demandé une remise qui lui a été refusée par la juge administratif chargée de l’instruction de l’affaire. Il a obtenu une suspension de trente minutes pour faire venir sa fille qui a agi à titre d’interprète. À l’arrivée de celle-ci, le travailleur a fait une nouvelle demande de remise qui a été à nouveau refusée. Puis, le travailleur a déclaré se sentir mal et l’audience a finalement dû être ajournée dans des circonstances où le travailleur a demandé d’être conduit à l’hôpital. Au procès-verbal de l’audience, la juge administratif écrit ce qui suit :
À peine l’audience commencée, le travailleur déclarait qu’il ne se sentait pas bien et qu’il n’était pas en état physique et mental de procéder. Il y a eu plusieurs suspensions. À chaque fois que le tribunal tentait de reprendre l’audience, le travailleur déclarait se sentir de plus en plus mal accompagnant le tout de pleurs, cris, gémissements surtout à la suite de questions de la procureure de l’employeur. Alléguant se sentir vraiment très mal, le travailleur a même demandé qu’on appelle une ambulance. Il voulait être immédiatement conduit à l’hôpital. Ne voulant prendre aucune chance, le tribunal a demandé qu’on appelle des ambulanciers et c’est en ambulance que le travailleur a quitté les lieux, ce qui mit fin à l’audience et la cause a finalement dû être ajournée.
[29] L’audience s’est poursuivie les 2 et 4 mai 2011. Il appert du procès-verbal de l’audience du 2 mai 2011, que l’employeur a retiré la vidéo qu’il avait déposée le 16 juin précédent. Ainsi, la vidéo en question ne fait pas partie du dossier de la Commission des lésions professionnelles et la juge administratif n’en a pas pris connaissance avant de rendre sa décision.
[30] Par ailleurs, le travailleur soulève le fait que le docteur Duranceau, membre du Bureau d'évaluation médicale, a visionné la vidéo avant de rédiger son avis du 6 octobre 2009. Cette affirmation est carrément contredite par la lettre du 30 septembre 2009 adressée à madame Mélina Lozito, au service de la santé et de la sécurité chez l’employeur, par le docteur André Perron, directeur du Bureau d'évaluation médicale. Cette lettre fait partie des documents déposés par le travailleur le 7 février 2012. La lettre est la suivante :
Madame,
Je vous retourne ci-joint un document vidéo identifié comme un document de filature et d’investigation de votre travailleur, M. Shao Guang Xie.
Ce document a été acheminé à nos bureaux à l’attention du Docteur J.-A. Duranceau, membre du Bureau d'évaluation médicale.
Je vous rappelle que le Bureau d'évaluation médicale (B.E.M.) a pour mandat d’appliquer le mécanisme d’évaluation médicale prévue à l’article 212 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.A.T.M.P.). Son mandat est de nature médicale et scientifique dans le respect de la personne. Il a le devoir de neutralité et d’impartialité. Conséquemment le membre du B.E.M. ne peut prendre connaissance de ce document car ce dernier ne constitue pas une information pertinente à l’accomplissement de son mandat et de plus cette situation entacherait la crédibilité du membre du B.E.M.
[31] Par conséquent, la soussignée rejette l’argument du travailleur à propos du document vidéo.
3 Les erreurs dans l’interprétation des faits
[32] Le travailleur soutient que la juge administratif a commis des erreurs dans l’interprétation des faits en retenant que son travail était celui d’opérateur de presse alors qu’il était presseur à main.
[33] La première juge administratif écrit que le travailleur occupe un emploi de presseur chez l’employeur. Elle précise ce qui suit :
[29] Le travailleur occupe un emploi de presseur chez l’employeur. (…).
(…)
[71] Des informations contenues au dossier, des témoignages entendus et des photographies produites montrant le poste de travail et l’activité de repassage, le tribunal retient ce qui suit en ce qui concerne le travail exercé par le travailleur:
- le travail consiste à presser, à l’aide d’un fer à repasser, des devants de veston;(…)
(…)
[74] Quoi qu’il en soit de cette divergence quant au nombre exact de pièces à produire par jour, la preuve ne laisse aucun doute dans l’esprit du tribunal quant au fait que le travail de presseur comporte des mouvements répétitifs pour le membre supérieur droit. Toutefois, le tribunal constate qu’il ne s’agit pas d’un travail à risque pour le développement d’une épicondylite car il n’y a pas de sollicitation des épicondyliens. Le fer à repasser n’est pas lourd et il n’y a pas de mouvements de pronation-supination de l’avant-bras ni de mouvements d’extension résistée du poignet droit. Le poignet est toujours en position neutre.
(Le tribunal souligne)
[34] Ces paragraphes de la version traduite en anglais de la décision se lisent comme suit :
[29] The worker is employed as a laundry press operator by the employer. (…)
(…)
[71] From the information in the file, the testimony heard and the photographs showing the workstation and the pressing activity, the tribunal noted the following facts about the worker’s tasks:
- le travail consiste à presser, à l’aide d’un fer à repasser, des devants de veston;(…)
(…]
[74] Whatever the difference as to the exact number of the pieces to be finished par day, the evidence leaves the tribunal in non doubt that a laundry press operator’s work involves repetitive movements of the upper right limb. However, the tribunal notes that there is no risk of developing epicondylitis in this job since there is no solicitation of the epicondylars. The iron is not heavy and there are no pronatin/supination movements of the forearm or resisted extension movements of the right wrist. The wrist is always in a neutral position.
(Le tribunal souligne)
[35] Bien que dans la version traduite de la décision, il est question au paragraphe [29] de « laundry press operator », on comprend des autres passages, notamment des paragraphes [71] et [74] que le travail se fait à l’aide d’un fer à repasser et non pas avec une machine à presser opérée par un opérateur. De toute façon, la version traduite de la décision n’est pas la version officielle conformément à l’article 429.50 de la loi puisque ce n’est pas la version signée. En effet, la version signée par la juge administratif est la version française. L’article 429.50 se lit comme suit :
429.50. Toute décision de la Commission des lésions professionnelles doit être écrite, motivée, signée et notifiée aux parties et à la Commission.
Dans la division de la prévention et de l'indemnisation des lésions professionnelles, le commissaire fait état dans la décision de l'avis exprimé par les membres visés à l'article 374 qui siègent auprès de lui ainsi que des motifs de cet avis.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[36] Par conséquent, l’argument du travailleur eu égard au titre de sa fonction utilisé au paragraphe [29] de la version traduite en anglais de la décision du 30 juin 2011 est rejeté.
[37] Le travailleur soutient également qu’une seconde erreur dans l’appréciation des faits a été commise puisqu’il a travaillé le 23 avril 2008 alors que l’Avis de l’employeur et demande de remboursement indique que le dernier jour travaillé est le 23 avril 2008, ce qui à ses yeux constitue une erreur que la juge administratif a reproduite dans sa décision.
[38] Il est vrai qu’au formulaire Avis de l’employeur et demande de remboursement, il est indiqué que le dernier jour travaillé est le 23 avril 2008. C’est à cette date que le travailleur a soutenu devant la première juge administratif avoir subi une lésion professionnelle alors qu’il était au travail. D’ailleurs, c’est la date que la CSST a retenue dans l’analyse de son dossier. Nulle part à la décision de la première juge administratif il est indiqué que celle-ci a considéré que le travailleur n’a pas travaillé à cette date, au contraire, elle a tenu pour acquis que le 23 avril 2008, le travailleur était au travail. Le présent tribunal siégeant en révision ne voit pas quelle erreur la première juge administratif aurait commise à ce sujet.
[39] L’argument du travailleur doit donc être rejeté.
4 Les documents manquants
[40] En ce qui a trait au plan détaillé, réalisé par un ingénieur industriel, du secteur où oeuvrait le travailleur (pièceE-3) dont la première juge administratif fait mention à sa décision, soulignons que ce plan a été déposé au dossier à titre d’objet de preuve. Une note de dépôt de cet objet de preuve au dossier est d’ailleurs à la page 478 du dossier de la Commission des lésions professionnelles. Il est donc faux de dire, comme le prétend le travailleur, que la première juge administratif a fait disparaître des éléments de preuve. Cela est une déclaration sans aucun fondement.
[41] De surcroît, la soussignée ne voit pas en quoi le fait que ce document aurait ou n’aurait pas été classé au dossier de la Commission des lésions professionnelles après l’audience pourrait constituer un motif de révision ou de révocation de la décision. Ce qui importe est de savoir si la première juge administratif en a tenu compte dans sa décision, ce qui est évident à la simple lecture de son paragraphe [61] qui se lit ainsi :
[61] Lors de son témoignage, le travailleur donne une version différente de ses déclarations antérieures en ce qui concerne l’événement du 23 avril 2008 et il se contredit lui-même, à plusieurs reprises, dans sa narration des faits. Il réitère qu’il s’est frappé le dos et le coude mais pas au même moment, ni au même endroit. Il s’agirait, en fait, de deux événements distincts. Il ajoute également des éléments nouveaux comme, par exemple, qu’il s’est « tordu » le dos en raccrochant des pièces de vêtement qu’il venait de repasser, ou encore qu’il y avait de l’eau sur le plancher, qu’il a glissé et qu’il est tombé. Jamais auparavant il n’avait été question de chute. Les explications qu’il donne pour ne pas avoir déclaré l’événement à l’employeur sont également contradictoires. De plus, l’employeur a déposé un plan du secteur où oeuvrait le travailleur. Il s’agit d’un plan très détaillé réalisé par un ingénieur industriel. Ce plan et les explications fournies par madame Perdriel, concernant la configuration des lieux et le mode de fonctionnement dans le département, contredisent le témoignage du travailleur sur tous les points. À la lumière de la preuve présentée par l’employeur, il apparaît invraisemblable que les événements rapportés par le travailleur aient pu se produire de la façon dont il les a décrits.
(La soussignée souligne)
[42] Quant aux autres documents, il y a lieu de noter que le 21 avril 2011, le travailleur a déposé à l’accueil du bureau de la Commission des lésions professionnelles 136 pages de documents comportant une lettre de transmission identifiant les différents documents qu’il cote de la façon suivante : E-1, E-4, E-9 à E-17, E-19 à E-22, E-25, E-25, E-27, E-28, E-31 à E-42, E-44, E-46 à E-50, E-53, E-55, E-59, E-62, E-65, E-67 à E-70, E-75 à E-78, E-99 et E-100.
[43] Devant le présent tribunal, il soutient qu’il a aussi déposé les documents E-5, E-6(1), E-6(2), E-6(3) et E-57 lors de l’audience du 4 mai 2011, qui n’ont pas été inclus au dossier. À ce sujet, il y a lieu de noter que le procès-verbal de l’audience du 4 mai 2011 ne fait pas état d’un dépôt de document de la part du travailleur. Cependant, lors de l’audience, dont la soussignée a écouté des extraits d’enregistrement, la juge administratif accepte de recevoir un document d’argumentation écrite du travailleur. Ne s’agissant pas d’un élément de preuve, elle n’avait certes pas à l’inclure au dossier. De toute façon, la soussignée ne voit pas en quoi cela aurait pu constituer un quelconque vice de fond de nature à invalider la décision. De plus, à la fin de l’audience, vers 14h25 le 4 mai 2011, la juge administratif informe les parties que la cause est mise en délibéré et qu’aucun autre document ne sera accepté.
[44] Le travailleur était représenté par une avocate et si des représentations avaient à être faites à ce sujet, il appartenait à la procureure de faire valoir ses arguments, sachant cependant que la décision d’accepter ou de refuser le dépôt d’un document appartient ultimement au juge administratif. En cette matière, le Règlement sur la preuve et la procédure de la Commission des lésions professionnelles[10] énonce ce qui suit :
28. Le commissaire peut refuser de recevoir une preuve qui n’est pas pertinente, qui est inutilement répétitive ou qui n’est pas de nature à servir les intérêts de la justice.
[45] Ainsi, un juge administratif peut refuser de recevoir une preuve si celle-ci n’est pas pertinente, utile ou est inutilement répétitive. Il peut aussi refuser une preuve qui n’est pas de nature à servir les intérêts de la justice. La décision lui appartient et à moins que le travailleur prouve que la première juge administratif a agi de façon capricieuse en contravention à ces principes, le refus de recevoir une preuve ne peut constituer un déni de justice et un motif pour justifier la révision ou la révocation de la décision.
[46] En l’espèce, une telle démonstration n’a pas été faite de sorte que l’argument du travailleur est rejeté.
5 Les faits nouveaux
[47] Le travailleur soutient qu’il possède des faits nouveaux qui pourraient permettre que ses réclamations soient acceptées.
[48] Le travailleur a déposé une autre grande quantité de documents après que la décision de la première juge administratif ait été rendue le 30 juin 2011. En effet, le 26 septembre 2011, il dépose 206 pages de documents qu’il cote E-1 à E-106. Ces documents ont tous été inclus au dossier. Le 5 et le 6 décembre 2011, la Commission des lésions professionnelles intègre au dossier d’autres documents que le travailleur a déposé les 1er et 5 décembre 2011, qui comportent respectivement 56 et 52 pages. Le 7 février 2012, 32 autres pages provenant du travailleur ont été intégrées au dossier de la Commission des lésions professionnelles. Plusieurs de ces documents apparaissaient déjà au dossier.
[49] Soulignons que la jurisprudence établit que trois éléments sont nécessaires pour qu’un élément de preuve soit reconnu comme un « fait nouveau » au sens du premier alinéa du premier paragraphe de l’article 429.56 de la loi. La découverte de ce fait doit être postérieure à la décision; ce fait doit avoir existé, mais il doit avoir été non disponible au moment de l’audition; et ce fait doit être déterminant sur le sort du litige[11].
[50] Le fardeau de prouver chacun de ces critères appartient à celui qui invoque ce motif de révision ou de révocation.
[51] Or, en l’espèce, lors de l’audience en révision, le travailleur n’a fait aucune démonstration pour identifier lequel de ces nombreux documents respectait ces critères. Il n’a aucunement établi le caractère déterminant sur l’issue du litige qu’auraient eu les documents en question. À part son allégation, le travailleur n’a fait aucune démonstration satisfaisante devant le présent tribunal.
[52] La soussignée estime que les arguments du travailleur ne peuvent mener à la révision ou à la révocation de la décision du 30 juin 2011 puisque, tel que vu précédemment, et comme le retient la jurisprudence constante de la Commission des lésions professionnelles, le recours en révision ou en révocation n’est pas une occasion pour permettre à une partie de bonifier sa preuve, de contrecarrer ses faiblesses ou de peaufiner ses arguments[12]. Il ne s’agit pas non plus d’une occasion pour faire à postériori ce qui aurait pu être fait lors de l’audience initiale ou pour s’en plaindre. Le travailleur a bel et bien pu se faire entendre lors de l’audience initiale.
[53] En somme, la Commission des lésions professionnelles considère que le travailleur n’a pas fait la preuve d’un vice de fond de nature à invalider la décision du 30 juin 2011. Il n’a pas non plus fait la preuve de la découverte d’un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente.
[54] Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles conclut que la requête en révision ou en révocation doit être rejetée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de monsieur Shao Guang Xie.
|
|
|
Marie Langlois |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Me Élaine Léger |
|
Fasken Martineau DuMoulin, avocats |
|
Représentante de la partie intéressée |
|
|
|
|
|
Me Andréa Rusu |
|
Vigneault Thibodeau Bergeron (DASOM) |
|
Représentante de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Voir entre autres Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 .
[3] CSST c. Fontaine, [2005] C.L.P. 626 (C.A.); CSST c. Touloumi, [2005] C.L.P. 921 (C.A).
[4] Louis-Seize et CLSC-CHSLD de la Petite-Nation, 214190-07-0308, 20 décembre 2005, L. Nadeau, (05LP-220).
[5] L.R.Q., J-3.
[6] L.R.Q., c. A-3.001, r. 12.
[7] Bélair et Fils Cavalier inc., C.L.P. 179288-04B-0203, 24 avril 2003, D. Lajoie.
[8] Bénard c. C.A.L.P. C.S. Montréal 500-05-012259-956, 11 mars 1996, J.-J. Croteau (appel rejeté le 30 septembre 1999, C.A.M. 500-09-002396-968).
[9] Le groupe de sécurité Garda et Bouthot, C.L.P. 90471-71-9708, 29 mars 1999, Anne Vaillancourt.
[10] L.R.Q., c. A-3.001, r. 12.
[11] Voir notamment Cormier c. Commission des lésions professionnelles, [2008] C.L.P. 1613 (C.S.).
[12] Bossé et Mirinox, C.L.P. 352202-31-0806, 6 novembre 2009, C. Racine, (09LP-158).
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.