Côté et Aménagement Logitech inc. |
2010 QCCLP 388 |
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[1] Le 28 novembre 2007, madame Line Côté (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 8 novembre 2007 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme une première décision qu'elle a initialement rendue le 10 octobre 2007 et déclare que la travailleuse n'a pas subi une lésion professionnelle le 15 juin 2007. Elle l’informe qu’aucune indemnité ne sera versée et qu’elle est bien fondée à lui réclamer la somme de 629,16 $.
[3] L’audience s’est tenue le 14 octobre 2009 à Rimouski en présence de la travailleuse et de son procureur. Madame Nancy Bérubé, conseillère aux ressources humaines chez Bois d’Oeuvre Cédrico inc. (l’employeur) est également présente et assistée d’un procureur. La procureure de la CSST et la représentante de Pépinière Ste-Luce ont préalablement informé le tribunal de leur absence à l’audience.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu'elle a subi une lésion professionnelle le 15 juin 2007, soit une tendinite à l’épaule gauche. Elle ne demande plus de conclusion quant à l’épaule droite pour laquelle elle reconnaît qu’il s’agit d’une condition personnelle. Elle demande aussi de déclarer qu’elle n’a pas à rembourser la somme de 629,16 $.
LES FAITS
[5] Bois d’Oeuvre Cédrico inc. (l’employeur) exploite une usine de deuxième transformation du bois à Price. La travailleuse est à son emploi depuis le 4 avril 2007, à titre d’opératrice polyvalente, c’est-à-dire qu’elle est appelée à travailler sur plusieurs machines, à plusieurs postes de travail. Elle travaille 42 heures par semaine, soit quatre quarts de huit heures et un de dix heures de travail. Elle précise que les travailleurs ne bénéficient que d’une pause pour le repas de 30 minutes lors des quarts de huit heures. Pour le quart de dix heures, ils ont aussi deux pauses de dix minutes chacune en plus de la pause pour le repas. Elle travaille alternativement sur des quarts de jour, de soir et de nuit.
[6] Les 14 et 15 juin 2007, elle travaille à la « courroie ». Elle indique à l’audience que ce poste de travail est beaucoup plus exigeant que les autres postes qu’elle avait occupés auparavant. Il s’agit de la première fois qu’elle était affectée à ce poste. Elle décrit sa tâche. Une vidéo de ce poste a d’ailleurs été produite à l’audience.
[7] La travailleuse explique qu’elle travaille avec deux autres collègues. Elle est placée devant une courroie qui roule de la droite vers la gauche et qui apporte des lattes de bois de quatre pieds de longueur par un pouce d’épaisseur et quatre pouces de largeur. Elle prend deux pièces de bois dans chaque main et les pile sur un support métallique. Elle décrit qu’elle soulève les quatre planches avec sa main gauche, la droite ne faisant qu’en maintenir l’équilibre. Ainsi, tout le poids des planches repose sur sa main gauche. Elle se tourne vers sa gauche pour les déposer sur le chariot qui est placé derrière elle un peu à sa droite. Elle ajoute qu’elle doit se baisser pour placer les planches sur le bas du chariot, soit à environ un pied du sol. Elle empile les planches jusqu’à un peu plus haut que ses épaules.
[8] Elle mentionne que la vitesse de la courroie était assez rapide. Elle avait à peine le temps de se tourner pour déposer des planches que d’autres se présentaient. Il arrivait même que des planches passaient tout droit, car elle n’avait pas le temps de les ramasser. Elle précise que contrairement au poste de travail « cut saw », où elle travaillait plus régulièrement, la courroie n’arrêtait pas lorsqu’il y avait un surplus de planches. Elle dit que l’opérateur leur a déclaré qu’il n’avait pu ralentir la vitesse de la courroie car le contremaître était continuellement à ses côtés.
[9] Commentant la vidéo de ce poste de travail, elle ajoute que la vitesse de la courroie était plus rapide les 14 et 15 juin 2007 que ce que l’on constatait sur la vidéo. Cela est probablement attribuable au fait qu’ils étaient trois travailleurs pour piler les planches en juin 2007, alors qu’on en compte deux seulement lors de la prise de la vidéo.
[10] La travailleuse indique qu’à son arrivée au travail le 14 juin 2007, elle se sentait bien. À cette époque, sa santé allait bien. Elle était fatiguée à la fin de ses quarts de travail, mais elle se reposait la fin de semaine et elle était en forme le lundi suivant.
[11] Elle témoigne qu’elle a commencé à ressentir une chaleur dans les deux poignets et à l’épaule gauche à force de piler les planches sans arrêt dans le courant de l’après-midi du 14 juin. Elle déclare qu’à la fin de son quart de travail, elle avait mal aux épaules, elle y sentait de la chaleur et avait les bras comme morts. Elle indique qu’elle n’en a pas parlé à son contremaître car elle considérait cela normal vu qu’il s’agissait d’une nouvelle machine, de nouveaux mouvements. Elle pensait qu’elle se serait habituée.
[12] Elle mentionne qu’à son arrivée chez elle, elle a pris un bain et de l’Atasol pour enlever la tension dans ses épaules. Elle ajoute que c’est son mari qui a dû préparer le souper car elle était trop fatiguée. Elle dit que c’était un nouveau mouvement plus rapide pour elle, puisque auparavant à la « cut saw », elle pouvait bénéficier de pauses, l’opérateur arrêtait la courroie lorsqu’elle était pleine. De plus, les deux travailleurs alternaient de poste.
[13] La travailleuse témoigne qu’elle a repris le travail le vendredi 15 juin 2007. Il s’agissait d’un quart de travail de dix heures. Elle indique qu’au début elle était courbaturée, elle avait de la difficulté à suivre la cadence, elle laissait passer plus de planches devant elle. Elle a ressenti de la douleur aux épaules, plus du côté gauche. Elle a demandé au contremaître pour aller aux toilettes afin de se reposer un peu.
[14] Elle mentionne qu’à son arrivée chez elle à la fin de sa journée de travail, elle n’a pas mangé car elle était trop fatiguée. Sa fille a préparé le repas car elle n’en avait pas la force. Elle déclare qu’elle n’a rien fait dans la maison le samedi. Elle ne se sentait pas capable, ayant trop mal à l’épaule.
[15] Elle s’est présentée au travail le dimanche à 21 h pour le quart de nuit. Elle indique qu’elle était fatiguée et avait encore mal à l’épaule. Elle s’est dit que ça allait passer vu qu’elle travaillait à la « cut saw », poste qui est moins exigeant, vu que les travailleurs alternaient les tâches à chaque ballot de bois. Elle a complété son quart de travail malgré la douleur. En arrivant chez elle, elle s’est couchée et a dormi toute la journée.
[16] Elle témoigne qu’elle a repris le travail le lundi soir à 23 h. Elle a commencé à la « cut saw », puis on l’a envoyée à l’étiquetage car elle s’était plainte d’avoir mal aux bras. Elle indique que c’était un peu moins pire, même si elle a dû demander à quelques reprises à l’opérateur du chariot élévateur de brancher et débrancher les tuyaux à air de ses machines. Finalement, à 3 h, elle a averti le contremaître qu’elle ne pouvait plus continuer. Elle avait trop mal, ses bras ne voulaient plus lever. Elle a dit qu’elle irait consulter le matin même.
[17] La travailleuse déclare à l’audience qu’elle n’a pas informé son contremaître plus tôt de ses douleurs puisqu’elle croyait qu’elles passeraient.
[18] Le 19 juin 2007, la travailleuse consulte à l’urgence de l’Hôpital de Mont-Joli. L’infirmière au triage note que celle-ci se plaint de douleur constante aux deux épaules, depuis le 15 juin, sous forme d’élancements qui augmentent à la mobilisation. La travailleuse dit avoir fait de la « courroie » toute la journée avec des mouvements répétitifs. L’infirmière mentionne aussi une diminution de la force musculaire.
[19] La docteure Pascale Déland l’examine et diagnostique une tendinite de la coiffe des rotateurs plus importante à gauche qu’à droite. Elle prescrit des anti-inflammatoires et un arrêt de travail. Une radiographie de l’épaule gauche, passée le même jour, révèle une petite calcification tendineuse dans les tissus mous près du trochiter. Le radiologiste note que le dépôt calcaire était beaucoup plus volumineux à l’examen précédent du 29 juin 2006. Il constate que l’aspect ostéo-articulaire de l’épaule droite est normal.
[20] Le 28 juin 2007, le docteur Pascal Lessard examine la travailleuse. Il pose un diagnostic de tendinite bilatérale de la coiffe des rotateurs, prescrit des traitements de physiothérapie. Il la dirige en orthopédie et en physiatrie. Il refuse l’assignation temporaire de travail proposée par l’employeur et maintient l’arrêt de travail.
[21] Le 20 juillet 2007, le docteur Nicholas Massé, orthopédiste, indique qu’il y a des douleurs au niveau des épaules et procède à une infiltration sous-acromiale de l’épaule gauche et il demande une résonance magnétique pour vérifier la possibilité de déchirure partielle de la coiffe à l’épaule gauche. Il demande également des radiographies des deux épaules qui s’avéreront normales tout comme celles des articulations acromio-claviculaires droite et gauche. Le docteur Massé refuse l’assignation temporaire de travail.
[22] Le 8 août 2007, la travailleuse passe cette résonance pour l’épaule gauche. Le radiologiste rapporte :
Acromion de type 1. Possibilité d’une petite déchirure partielle intéressant l’extrémité distale du tendon de l’infra-épineux à son versant supérieur. La déchirure intéresse environ 50 % de l’épaisseur du tendon et s’étend sur environ 7 mm dans le plan latéro-latéral et 5 mm dans le plan latéro-postérieur. Pas de déchirure transfixiante. Pas d’atrophie musculaire associée. Aspect préservé des tendons du supra-épineux, du sous-scapulaire ainsi que du petit rond.
[23] Le 17 septembre 2007, le docteur Massé produit un rapport médical concernant la chirurgie à l’épaule droite pratiquée en 2006 dans lequel il écrit :
Lorsque la patiente est retournée au travail à temps plein, il n’y avait pas de restriction ni limitations fonctionnelles à ce moment.
[24] Le 27 septembre 2007, le docteur Jean-François Fradet, orthopédiste, examine la travailleuse à la demande de l’employeur. Il écrit que l’examen des épaules démontre que la travailleuse se plaint d’une douleur à la palpation de la grosse tubérosité de l’épaule gauche en antérieur. Les autres structures sont silencieuses. Il n’y a pas d’atrophie musculaire. Il n’y a pas de crépitement sous-acromial.
[25] Le docteur Fradet étudie la vidéo du poste de travail de la travailleuse. Il commente ainsi :
Au bout de ce poste de travail, il y a un autre travailleur qui, lui, prend sur le tapis roulant une pile de planches et les empile sur un chariot derrière lui. La cadence n’est pas rapide et n’est pas imposée, quoiqu’il y est certains mouvements d’élévation et d’abduction des épaules, surtout de l’épaule droite, il n’y a aucun mouvement d’élévation des bras en haut des épaules. De plus, il est évident qu’il n’y a aucun travail de fait où les bras doivent être maintenus en haut des épaules pendant une longue période. [sic]
[26] Il considère que la travailleuse faisait un travail qui n’était pas à risque pour développer des tendinites au niveau des épaules. Il indique qu’à la suite de son examen, qui s’est avéré dans les limites de la normale, il n’y a aucune évidence de tendinite, d’accrochage ou d’abutement au niveau de l’épaule gauche. Il dit constater des signes frustres ou de tendinite et d’abutement à l’épaule droite.
[27] Il conclut qu’il n’y a aucun lien entre l’événement rapporté le 15 juin 2007 et la lésion car, selon lui, le fait d’avoir travaillé au poste de travail pendant deux jours au mois de juin n’a pu provoquer une déchirure de la coiffe. Il considère qu’il n’y a aucune atteinte permanente ni limitation fonctionnelle.
[28] Le 1er novembre 2007, le docteur Massé parle d’une tendinite à l’épaule gauche par compensation. Il fait cesser les traitements de physiothérapie vu l’atteinte d’un plateau.
[29] Le 27 février 2008, le docteur Massé consolide la lésion avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.
[30] Le 28 juillet 2009, la docteure Emmanuelle Dudon examine la travailleuse à la demande de son procureur et produit un rapport d’expertise.
[31] Commentant la vidéo du poste de travail, elle écrit :
Sur la vidéo visualisée, encore une fois, nous notons que l’essentiel du travail se réalise sans élévation au-delà de 90 degrés, tant en abduction qu’en élévation antérieure des membres supérieurs. Elle aurait occupé ce travail pendant deux jours et noté l’apparition de douleurs importantes à l’épaule gauche, mais également à l’épaule droite. Elle espérait que ses douleurs disparaissent après une fin de semaine, mais lorsqu’elle a repris le travail la semaine suivante, ses douleurs étaient toujours présentes. Elle nous dit qu’elle a tenté de travailler, mais s’est avérée incapable de le faire en raison des douleurs, qui à ce moment-là, dominaient au niveau du membre supérieur gauche. Elle a donc choisi de consulter.
[32] La docteure Dudon indique que la mobilisation des deux épaules s’avère douloureuse et que la travailleuse se plaint de sensation de bras morts lors de l’examen avec sensation d’engourdissement décrite au niveau du bras gauche. Elle ajoute que les manoeuvres du « lift up » et les tests pour la coiffe des rotateurs sont négatifs en dehors d’une douleur lors de la mise en tension de la coiffe des rotateurs à gauche et à droite. Les épaules sont stables.
[33] Elle conclut aux diagnostics suivants :
- Status post réparation de la coiffe de l’épaule droite avec signes et symptômes de tendinose persistante. Il s’agit d’une condition personnelle préexistante.
- Tendinose et tendinite calcifiante de l’épaule gauche avec déchirure incomplète de la coiffe des rotateurs gauches, mais sans faiblesse significative. La déchirure et tendinose sont également des conditions personnelles préexistantes dont la symptomatologie fut déclenchée par une modification des tâches de travail.
- Syndrome douloureux chronique des deux épaules.
En relation avec l’événement, considérant l’examen physique et la révision du dossier, nous retenons donc un diagnostic d’exacerbation d’une condition personnelle préexistante asymptomatique de tendinite de l’épaule gauche, condition qui, au dossier, était asymptomatique à tout le moins depuis 2005, puisque nous ne disposons pas de dossier antérieur à cette date. Le fait qu’elle présente une lésion à gauche quasi superposable (cf IRM) à celle de l’épaule droite milite en faveur de la condition personnelle. L’événement, le type de travail ayant joué le rôle de rendre symptomatique cette condition. Par ailleurs, la courte durée (quelques jours au poste et moins de 3 mois au sein de l’entreprise) de l’exposition, ne permet pas d’imputer au travail réalisé, la condition actuelle.
(Le tribunal souligne)
[34] La docteure Dudon consolide la lésion en date de son examen vu l’atteinte d’un plateau. Elle indique que la travailleuse devrait éviter tout travail nécessitant l’élévation antérieure de son membre supérieur gauche au-delà de 80 degrés et ceci avec ou sans charge. Elle devrait éviter les mouvements de rotation même avec le bras à la hauteur du nombril, ceci avec ou sans charge.
[35] Elle ne retient aucune atteinte permanente considérant la présence d’une condition personnelle préexistante de tendinite et la déchirure incomplète de la coiffe des rotateurs. Elle pense que la travailleuse présente une capacité actuelle et future d’exercer un travail à temps partiel ou à temps plein rémunérateur qui respecterait les limitations fonctionnelles qu’elle présente.
[36] La travailleuse témoigne à l’audience qu’elle a déjà connu des problèmes au niveau de ses épaules il y a quelques années. Le 31 juillet 2006, le docteur Massé a procédé à une acromioplastie et résection partielle de la clavicule distale de l’épaule droite, à une reconstruction de la coiffe des rotateurs ainsi qu’à une bursectomie de la même épaule. La travailleuse indique, qu’à la suite de cette chirurgie, elle n’a pas travaillé jusqu’au début d’avril 2007, malgré qu’elle était rétablie depuis le 1er février 2007. Elle faisait tout ce qu’elle voulait, n’avait pas de limitation à l’emploi. Elle précise qu’au printemps 2007, elle n’avait aucune douleur au niveau de ses épaules.
[37] Elle a consulté le 26 juin 2006 pour des douleurs à l’épaule gauche qu’elle avait surutilisée, puisque la droite ne bougeait plus, étant en attente de la chirurgie. Elle ajoute que les douleurs au membre supérieur gauche n’ont jamais entraîné d’arrêt de travail.
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[38] Le procureur de la travailleuse soumet que celle-ci a subi une lésion professionnelle le 15 juin 2007, soit une tendinite à l’épaule gauche. Selon lui, il s’agit d’une condition personnelle préexistante qui est devenue symptomatique par les nouvelles tâches plus exigeantes qu’elle a accomplies les 14 et 15 juin 2007. Il ajoute qu’il peut s’agir d’un accident du travail causé par la cadence ou le rythme élevé ainsi que par la surcharge de travail lors de ces deux journées.
[39] Le procureur soutient également que les risques particuliers du travail ont aggravé une condition personnelle qui était jusque-là asymptomatique. En effet, la travailleuse avait travaillé pendant deux mois et demi sans aucun problème.
[40] Pour sa part, le procureur de Bois d’Oeuvre Cédrico inc. soutient que la preuve démontre qu’il ne peut s’agir d’une lésion professionnelle. Il n’y a pas eu de cadence élevée ni de surcharge de travail. De plus, le fait que la travailleuse ait ressenti des douleurs aux deux épaules milite plus en faveur d’une condition strictement personnelle, d’autant plus qu’en 2006, alors qu’elle ressentait de la douleur aux deux épaules, elle avait subi une chirurgie à l’épaule droite, ce qui a été considérée comme une condition personnelle.
[41] Le procureur souligne que la preuve ne révèle pas de risque particulier pouvant rendre symptomatique une tendinite calcifiante, ni de sollicitation indue des épaules rendant plausible une relation entre le travail et la lésion.
L’AVIS DES MEMBRES
[42] Le membre issu des associations syndicales est d’avis que la requête de la travailleuse devrait être accueillie. Selon lui, la preuve révèle qu’elle a occupé les 14 et 15 juin 2007 un poste de travail qui a sollicité énormément son épaule qui était déjà fragilisée et qui a aggravé une condition personnelle qui était jusque-là asymptomatique.
[43] Pour sa part, le membre issu des associations d’employeurs est d’avis contraire. Il estime que la travailleuse n’a pas connu de surcharge de travail lors de ces journées. Cela faisait partie de son travail habituel. Selon lui, celle-ci n’était pas asymptomatique les 14 et 15 juin 2007, puisqu’un diagnostic de tendinite chronique avait été reconnu en septembre 2006. Il ajoute que la travailleuse avait aussi déjà souffert d’une bursite à l’épaule gauche en 2006. De plus, il partage l’avis de la docteure Dudon qui dit que la courte durée du travail ne permet pas de relier la lésion au travail.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[44] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 15 juin 2007 et si elle a droit aux prestations prévues par la loi.
[45] L’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) définit la lésion professionnelle comme suit :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1.
[46] Eu égard à la preuve soumise et aux représentations des procureurs des parties, ce n’est qu’en fonction de la notion d’accident du travail que les faits doivent être analysés. Cette notion est aussi définie à l'article 2 de la loi :
« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1.
[47] Tout comme les procureurs, le tribunal est d’avis que la présomption de lésion professionnelle prévue à l’article 28 de la loi pour faciliter la preuve de l’existence d’une lésion professionnelle ne peut s’appliquer en l’instance.
[48] D’entrée de jeu, le tribunal retient comme diagnostic celui de tendinite aux deux épaules, plus prononcée à gauche qu’à droite. C’est le diagnostic qui a été émis par tous les médecins ayant examiné la travailleuse, sauf le docteur Fradet qui ne voit aucun signe clinique de tendinite, d’abutement ou d’accrochage à l’épaule gauche. De plus, la résonance magnétique confirme une lésion à l’épaule gauche. La preuve médicale est donc nettement prépondérante.
[49] Toutefois, il appert clairement de la preuve qu’il s’agit d’une condition personnelle préexistante qui était asymptomatique avant les événements des 14 et 15 juin 2007. En effet, la travailleuse avait travaillé à temps complet depuis environ deux mois et demi sans ressentir aucune douleur aux épaules, si ce n’est d’une légère fatigue à l’occasion.
[50] La travailleuse allègue que sa lésion aux épaules est apparue dès les premières heures après qu’elle ait changé de poste de travail, ayant été assignée à la « courroie » lors de ces deux jours. Elle a d’ailleurs consulté pour cette raison dans les jours suivants. C’est d’ailleurs le principal argument de son procureur.
[51] La CSST a d’abord refusé la réclamation de la travailleuse, car elle considère qu’il ne s’agit pas d’un accident du travail vu les informations contenues au dossier, principalement, puisque les douleurs étaient apparues progressivement et que celle-ci n’alléguait pas d’événement particulier ayant pu provoquer l’apparition de ses douleurs.
[52] Avec respect, le tribunal ne partage pas le point de vue de la CSST.
[53] Il est reconnu que la lésion professionnelle comprend l’aggravation d’une condition personnelle par le fait ou à l’occasion du travail[2] pourvu que la preuve démontre la survenance d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle[3].
[54] Dans la présente affaire, la Commission des lésions professionnelles estime que la preuve prépondérante démontre la survenance d’un accident du travail au sens de l’article 2 de la loi, c'est-à-dire qu’il y a un évènement imprévu et soudain, par le fait ou à l’occasion de son travail qui a entraîné la lésion de la travailleuse.
[55] En effet, tel que mentionné dans l'affaire Arsenault et Centre du camion Beaudoin inc.[4], même s'il n'y a pas un événement imprévu et soudain dans le sens « classique » du terme, si la preuve démontre une succession d'événements, de microtraumatismes qui proviennent de gestes qui sollicitent de façon importante le site anatomique de la lésion identifiée, ces événements peuvent être assimilables à la notion d'événement imprévu et soudain prévue à la loi. Or, le tribunal estime que la preuve le démontre.
[56] L'employeur prétend plutôt qu'il ne s'est rien passé de particulier ni d'inhabituel au travail, la travailleuse répétant ces gestes régulièrement. Il s’agissait de son travail normal et habituel. Selon lui, la lésion à l’épaule n’a pu se produire au travail.
[57] Le tribunal ne retient également pas cet argument de l’employeur.
[58] Dans l’affaire Martin et Saturn Isuzu de Trois-Rivières inc.[5], la Commission des lésions professionnelles considère qu’un événement imprévu et soudain peut très bien survenir dans l’exécution d’un geste courant et habituel dans les activités normales du travail. Le juge administratif Clément indique :
[204] Exclure de la définition d’accident du travail les activités posées dans le cadre normal du travail apparaît un illogisme certain puisqu’il est de la nature même d’un accident du travail de survenir par le fait ou à l’occasion du travail exécuté par un travailleur41.
[205] Un événement imprévu et soudain peut très bien survenir dans le cadre des activités normales de travail et une lésion apparaissant dans l’accomplissement d’un geste habituel est parfaitement compatible avec la notion d’événement imprévu et soudain en autant que quelque chose d’inhabituel survienne42. Cet événement imprévu, soudain et inhabituel peut apparaître à sa face même ou encore se déduire par présomption de fait.
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41 Lafortune et Hôpital L.-H. Lafontaine, [1992] C.A.L.P. 1064
42 Morin et Twinpak Inc. [1993] C.A.L.P. 77
[59] La preuve démontre que les 14 et 15 juin 2007, il y a une modification des tâches de la travailleuse en ce qu’elle a travaillé à la « courroie » plutôt qu’à la « cut saw » comme elle le faisait plus régulièrement. C’est la première fois qu’elle était assignée à ce poste de travail.
[60] Cette modification oblige la travailleuse, selon la preuve non contredite, à exécuter son travail plus rapidement sans bénéficier de pauses. La preuve démontre que son membre supérieur gauche est beaucoup plus sollicité, qu’aux autres postes de travail, pour soutenir les planches et ce, pendant des périodes de huit heures moins une demi-heure pour le repas. De plus, la cadence y est beaucoup plus importante.
[61] Enfin, les douleurs sont apparues quelques heures seulement après ce changement de poste de travail et se sont résorbées pendant la fin de semaine suivante pour revenir graduellement avec la reprise du travail et au point de devenir incapacitantes.
[62] La Commission d’appel en matière de lésions professionnelles[6] et la Commission des lésions professionnelles[7] ont reconnu que la notion d’évènement imprévu et soudain s’étend à des modifications dans les conditions de travail, dont des changements dans l’équipement ou la façon d’exécuter le travail.
[63] Dès lors, la Commission des lésions professionnelles estime que le changement de poste de travail survenu les 14 et 15 juin 2007 constitue un évènement imprévu et soudain par le fait du travail qui a rendu symptomatique une condition personnelle qui jusque-là était asymptomatique.
[64] L’apparition de la douleur de façon contemporaine à cette modification et sa réapparition lors du retour au travail fait présumer que le changement de poste de travail a entraîné la lésion en aggravant une condition personnelle préexistante auparavant asymptomatique. C’est d’ailleurs l’opinion de la docteure Dudon.
[65] Sur cette question, le tribunal ne retient pas l’opinion du docteur Fradet. Dans un premier temps, il ne trouve aucune lésion au membre supérieur gauche de la travailleuse alors que tous les autres médecins qui l’ont examinée en diagnostiquent. De plus, il conclut, après le visionnement de la vidéo, qu’il n’y a aucun mouvement d’élévation des bras en haut des épaules. Or, le tribunal constate que, sur la vidéo, les travailleurs pilent les planches au début du chariot, près du sol. Il est évident qu’il n’y a pas alors de mouvement d’élévation des bras. La preuve révèle toutefois que la travailleuse empilait des planches jusqu’à la hauteur de sa tête. Dans ce cas, il y a une élévation des bras dont le docteur Fradet ne tient pas compte. Le tribunal considère tout à fait plausible que ces mouvements d’élévation des bras aient rendu symptomatique une situation qui ne l’était pas avant.
[66] Le tribunal n’a aucune raison de ne pas croire la version de la travailleuse. Celle-ci a témoigné de façon crédible, sans hésitation et sans enrichir son témoignage. Sa description des événements allégués les rend compatibles avec la blessure qu'elle allègue et le diagnostic émis par son médecin. Le tribunal constate que la travailleuse a toujours soutenu la même version des faits lorsqu’elle a décrit l’événement à l’employeur, à l’agente de la CSST, aux différents médecins et au tribunal.
[67] Par conséquent, le tribunal est d’avis que la preuve prépondérante démontre que la travailleuse a subi une lésion professionnelle, soit un accident du travail, le 15 juin 2007. Elle a donc droit aux prestations prévues par la loi et elle n’a pas à rembourser la somme de 629,16 $ que lui réclame la CSST.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de madame Line Côté, la travailleuse;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 8 novembre 2007 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 15 juin 2007 dont le diagnostic est une tendinite à l’épaule gauche et qu’elle a droit aux prestations prévues par la loi au regard de cette lésion.
DÉCLARE que la travailleuse n’a pas à rembourser la somme de 629,16 $ que lui réclame la CSST pour l’indemnité de remplacement du revenu versée par Bois d’Oeuvre Cédrico inc., l’employeur, pour les quatorze premiers jours.
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Normand Michaud |
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Me Édouard Côté |
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GUAY, CôTÉ, AVOCATS |
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Représentant de la travailleuse |
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Me Éric Latulippe |
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LANGLOIS KRONSTRöM DESJARDINS |
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Représentant de Bois d’Oeuvre Cédrico inc. |
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Me Marie-Claude Delisle |
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PANNETON LESSARD |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Les produits chimiques Expro et Richer, [1988] C.A.L.P. 247 , requête en évocation rejetée, [1988] C.A.L.P. 187 (C.S.), appel rejeté, [1995] C.A.L.P. 495 (C.A.); Société canadienne des postes c. CLP (affaire Bernard), [2002] C.L.P. 347 (C.A.); Société canadienne des postes c. CLP (affaire Dumont), [2002] C.L.P. 354 (C.A.); Bouchard et C.H. Notre-Dame de Montréal, [1997] C.A.L.P. 195 ; Sparnaay et Niedner ltée, C.A.L.P. 68768-05-9504, 9 mai 1997, G. Perreault; Aliments Flamingo et L'Heureux, C.A.L.P. 77340-62-9602, 16 décembre 1997, S. Di Pasquale; Biron et For-Net Montréal inc., C.L.P. 89542-73-9706, 18 janvier 1999, J.-D. Kushner, révision rejetée, 17 juin 1999, D. Lévesque.
[3] PPG Canada inc. et CALP, [2000] C.L.P. 1213 (C.A.).
[4] C.L.P. 209801-05-0306, 17 octobre 2003, L. Boudreault.
[5] C.L.P. 145974-04-0009, 5 avril 2005, J.-F. Clément.
[6] Twinpak inc. et Beaulieu, [1990] C.A.L.P. 1029 ; Choinière et Camoplast inc., [1993] C.A.L.P. 1242 .
[7] Roussel et Novabus Corporation, C.L.P. 103871-61-9808, 18 janvier 1999, M. Denis; Bauer inc. et Vaudry, C.L.P. 109191-64-9901, 15 juillet 1999, M. Montplaisir; Verreault et VTL Transport, C.L.P. 169414-64-0109, 5 février 2002, J.-F. Martel; Simard et Créatech inc., C.L.P. 245420-62-0410, 10 mai 2005, R.L. Beaudoin; Tembec inc. et Duquette, C.L.P. 286361-08-0603, 17 septembre 2007, P. Prégent; Robert et Jean-Jacques Campeau inc., C.L.P. 321631-07-0707, 17 décembre 2008, S. Séguin.
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