G.S. et Compagnie A |
2012 QCCLP 4770 |
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Dossier 451968
[1] Le 20 octobre 2011, monsieur G... S... (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), le 7 octobre 2011, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle rendue initialement le 24 août 2011 pour donner suite à l’avis du Bureau d'évaluation médicale portant sur la date de consolidation de la lésion du 27 octobre 2008, l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles.
[3] La CSST déclare qu’elle est justifiée de poursuivre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’elle se prononce sur la capacité du travailleur d’exercer son emploi étant donné que la lésion est consolidée avec limitations fonctionnelles.
[4] Elle confirme aussi sa décision du 24 août 2011 portant sur le pourcentage d’atteinte permanente et sur le montant de l’indemnité pour préjudice corporel et déclare que le travailleur conserve une atteinte permanente de 21,6 % et qu’il a droit à une indemnité pour préjudice corporel de 14 628, 80 $.
[5] Elle confirme également sa décision du 1er septembre 2011 et déclare que le travailleur n’a pas droit au remboursement des frais d’entretien courant du domicile pour le déneigement, la peinture intérieure et la tonte de pelouse.
Dossier 474755
[6] Le 20 juin 2012, le travailleur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue par la CSST, le 14 juin 2012, à la suite d’une révision administrative.
[7] Par cette décision, la CSST confirme sa décision du 10 avril 2012 et déclare que le travailleur n’a pas subi de rechute, récidive ou aggravation le 23 novembre 2011, de la lésion initiale du 27 octobre 2008 subie chez [Compagnie A] (l’employeur), le tout en lien avec un diagnostic de dépression majeure.
[8] Une audience est tenue à Baie-Comeau, le 9 juillet 2012, en présence du travailleur et de sa représentante.
[9] L’employeur a informé le tribunal de son absence. La CSST est également absente.
[10] La cause a été mise en délibéré le 9 juillet 2012.
L’OBJET DES CONTESTATIONS
Dossier 451968
[11] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de retenir la date de consolidation du 26 juillet 2011 et d’ajouter un déficit anatomo-physiologique de 5 % avec le pourcentage pour douleurs et perte de jouissance de la vie correspondant, selon les conclusions du docteur Jean-François Roy.
[12] Il demande également de retenir les limitations fonctionnelles décrites par ce médecin, lesquelles sont de classe II. L’indemnité pour préjudice corporel devrait être réajustée selon le nouveau déficit anatomo-physiologique octroyé.
[13] Même si le travailleur n’a pas engagé de frais en 2011 pour l’entretien de sa pelouse, la peinture ou le déneigement, il demande au tribunal de déclarer qu’il avait droit à l’assistance de la CSST à ce niveau.
Dossier 474755
[14] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a subi une rechute, récidive ou aggravation, le 23 novembre 2011, en lien avec un diagnostic de dépression.
L’AVIS DES MEMBRES
[15] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs partagent le même avis quant aux dossiers sous étude.
Dossier 451968
[16] Devant l’admission du travailleur et l’unanimité de la preuve, la date de consoli-dation doit être fixée au 26 juillet 2011. Un déficit anatomo-physiologique additionnel de 5 % doit être octroyé au travailleur puisqu’il s’agit de l’avis prépondérant au dossier.
[17] Les limitations fonctionnelles du docteur Jean-François Roy doivent être retenues puisque les limitations de classe I, fixées par le Bureau d'évaluation médicale, ne reflètent pas la réalité et le vécu du travailleur qui a éprouvé, à de nombreuses reprises, des difficultés à effectuer des tâches respectant les limitations fonctionnelles de classe I. Son témoignage crédible révèle donc que les limitations fonctionnelles de classe II doivent être octroyées.
[18] Puisque le travailleur est incapable de reprendre son emploi, l’indemnité de remplacement du revenu doit se poursuivre. L’indemnité pour préjudice corporel doit être ajustée en conséquence.
[19] Quant aux travaux d’entretien de pelouse, de peinture ou de déneigement, la preuve établit que le travailleur n’a encouru aucun déboursé à ce titre en 2011, de façon concomitante à sa demande. S’il encoure de tels frais dans l’avenir, il devra déposer une nouvelle réclamation à la CSST.
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[20] Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs estiment que la dépression subie par le travailleur est reliée aux conséquences de sa lésion professionnelle du 27 octobre 2008.
[21] Le témoignage crédible et non contredit du travailleur de même que la preuve documentaire au dossier, l’absence de toute autre cause pour expliquer cette dépression et l’absence d’antécédents chez le travailleur, font en sorte qu’on peut conclure, par prépondérance de preuve, que les conséquences de la lésion professionnelle ont causé cette dépression.
LES FAITS ET LES MOTIFS
Dossier 451968
[22] La Commission des lésions professionnelles doit décider de la date de consolidation de la lésion professionnelle du 27 octobre 2008 de même que des questions des limitations fonctionnelles et de l’atteinte permanente.
[23] Les questions accessoires de la capacité de travail et du droit à l’indemnité de remplacement du revenu devront également être traitées.
[24] Le tribunal doit également décider de l’indemnité pour préjudice corporel devant être octroyée au travailleur ainsi que de son droit au remboursement de frais encourus pour du déneigement, la tonte de sa pelouse et des travaux de peinture.
[25] L’événement initial du 27 octobre 2008 survient alors que le travailleur lève une boîte pesant environ 50 livres pour la déposer au sol, avec un mouvement de rotation du tronc.
[26] Un diagnostic initial d’entorse lombaire est accepté par la CSST puis celui de hernie discale lombaire droite L4-L5 s’ajoute, par décision du 9 février 2009.
[27] Le 29 juin 2009, le travailleur subit une discoïdectomie L4-L5.
[28] Le tribunal doit décider, en premier lieu, de la date de consolidation de cette lésion du 27 octobre 2008.
[29] Le membre du Bureau d'évaluation médicale retient le 26 juillet 2011 comme date de consolidation et la CSST a rendu une décision en conséquence.
[30] À l’audience, la représentante du travailleur mentionne qu’elle admet cette date de consolidation de sorte qu’à toutes fins pratiques, le tribunal estime qu’il n’y a plus de contestation de cet aspect du dossier.
[31] En conséquence, le tribunal retient comme date de consolidation le 26 juillet 2011, telle qu’établie par le neurochirurgien Guy Bouvier du Bureau d'évaluation médicale.
[32] Quant à l’atteinte permanente, le premier médecin à émettre un avis sur ce point est le neurochirurgien Jacques Francoeur, en date du 25 octobre 2010. Il attribue initialement un déficit anatomo-physiologique total de 12 % se détaillant comme suit :
Code |
Description |
DAP |
204219 |
discoïdectomie L4-L5 droit |
3 % |
207582 |
limitations de la flexion antérieure à 40 degrés |
7 % |
204585 |
fibrose périneurale L5 droite objectivée par tests spécifiques |
2 % |
[33] Il estime cependant souhaitable que le travailleur subisse une étude électromyographique au niveau du membre inférieur droit pour vérifier la présence d’une atteinte de la racine L5.
[34] Cet examen est pratiqué le 10 février 2011 par le docteur Camil Boily, neurologue, qui note une légère faiblesse de la dorsiflexion des orteils et du pied droit. Il y a diminution de l’amplitude des potentiels d’action musculaire au niveau du nerf sciatique poplité externe droit, le tout étant secondaire à l’atrophie du muscle extenseur court des orteils.
[35] L’électromyogramme démontre des signes de dénervation chronique observés dans le territoire de L5 droit, le tout découlant d’une séquelle de discopathie L4-L5 droite.
[36] En conséquence, il ajoute le déficit anatomo-physiologique suivant :
Code |
Description |
DAP |
111729 |
atteinte motrice L5 droit - déficit anatomo-physiologique de |
5 % |
[37] Quant au membre du Bureau d'évaluation médicale, il retient un déficit anatomo-physiologique total de 18 % :
SÉQUELLES ACTUELLES :
Code |
Description |
DAP |
204219 |
Discoîdectomie L4-L5 droite |
3% |
204585 |
Fibrose périneurale L5 droite, objectivée par tests spécifiques |
2% |
|
|
|
ANKYLOSE : |
||
|
|
|
207582 |
Flexion antérieure - 40 degrés |
7% |
207635 |
Extension - degrés retenus 10% |
2% |
207680 |
Flexion latérale droite - degrés retenus 20 |
1% |
207724 |
Flexion latérale gauche - degrés retenus 20 |
1% |
207760 |
Rotation droite - degrés retenus 20 |
1% |
207804 |
Rotation gauche - degrés retenus 20 |
1% |
[38] L’orthopédiste Jean-François Roy s’est également prononcé sur cette question dans un examen du 26 mars 2012. Il se dit d’accord avec les conclusions du docteur Bouvier du Bureau d'évaluation médicale, en date du 25 juillet 2011 mais ajouterait le déficit anatomo-physiologique suivant, que le docteur Francoeur avait lui aussi ajouté :
Code |
Description |
DAP |
111729 |
atteinte motrice de la racine L5 droite |
5 % |
[39] Malgré la présence de plusieurs concordances, il existe des divergences à deux niveaux :
1. les ankyloses;
2. l’octroi d’un déficit anatomo-physiologique de 5 % pour l’atteinte motrice L5 droite.
[40] Le tribunal estime que la preuve prépondérante milite en faveur de l’octroi d’un déficit anatomo-physiologique de 5 % sous le code 111729, pour une atteinte motrice L5 droite. Le test objectif que constitue l’étude électromyographique appuie cette position tout comme l’examen clinique.
[41] Deux des spécialistes aux dossiers, les docteurs Francoeur et Roy, octroient ce pourcentage.
[42] Le docteur Bouvier n’explique aucunement pourquoi il écarte l’octroi de ce déficit anatomo-physiologique. Selon le soussigné, il semble s’agir d’un oubli ou d’une simple erreur cléricale.
[43] Le tribunal estime que le docteur Jean-François Roy a raison lorsqu’il mentionne ce qui suit:
Compte tenu que monsieur S... présente la persistance d’une légère faiblesse au niveau de la dorsiflexion des orteils, même si le gros orteil fonctionne bien, compte tenu de l’engourdissement des orteils qui persiste et compte tenu que ceci est confirmé par l’ÉMG, il était justifié d’ajouter le DAP de 5% pour cette atteinte motrice L5 droite sous le code 111729. De plus, compte tenu que l’IRM montre une fibrose radiculaire dans l’examen effectué le 28 février 2011.
[44] Quant au docteur Francoeur, il mentionne ce qui suit :
J’ai bien reçu le rapport de l’étude électromyographique qui a été effectuée par le Dr Camil Boily, neurologue, le 10 février 2011.
Ce dernier a noté une légère faiblesse pour la dorsiflexion des orteils et la dorsiflexion du pied droit.
À la conclusion de l’étude électromyographique il retient que les conditions sensistives et motrices réalisées au niveau des membres inférieurs demeurent normales dans l’ensemble à l’exception d’une diminution de l’amplitude des potentiels d’action musculaires au niveau du nerf sciatique poplité extrême droit, le tout étant secondaire à l’atrophie du muscle extenseur court des orteils.
Selon l’étude électromyographique il notait des signes de dénervation chroniques observés dans le territoire L5 droit le tout découlant d’une séquelle de la discopathie L4-L5 droite.
Il faut donc ajouter à l’item Pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique selon le barème des dommages corporels le code suivant :
111729 Atteinte motrice L5 droit DAP : 5%:
[45] En conséquence, en plus d’être retenu par une majorité des examinateurs, l’octroi d’un déficit anatomo-physiologique de 5 % selon le code 111729 est motivé et expliqué par deux d’entre eux, alors que le troisième n’en traite pratiquement pas.
[46] Ce déficit du travailleur s’illustre notamment lorsqu’il pratique la raquette et que « le côté droit ne suit pas ». Son pied est « mou et insensible ».
[47] Le tribunal estime donc que la preuve au dossier milite en faveur de l’octroi de ce déficit anatomo-physiologique de 5 %.
[48] Pour le surplus, les docteur Bouvier et Roy sont unanimes, notamment, au niveau des ankyloses.
[49] Le docteur Francoeur obtient les ankyloses différentes mais il faut noter que son expertise est réalisée avant la date de consolidation retenue du 26 juillet 2011, de sorte que la condition du travailleur n’était pas encore stabilisée. Il faut donc privilégier les trouvailles faites par le docteur Guy Bouvier au moment de la consolidation et confirmées par le docteur Roy, plusieurs mois par la suite.
[50] Au surplus, le docteur Francoeur n’indique pas utiliser des outils de mesure des ankyloses alors que le docteur Roy utilise un inclinomètre et une boussole.
[51] En conséquence, l’atteinte permanente se décrit comme suit :
Code |
Description |
DAP |
111729 |
Atteinte motrice L5 droite |
5% |
204219 |
Discoïdectomie L4-L5 droite |
3% |
204585 |
Fibrose périneurale L5 droite, objectivée par tests spécifiques |
2% |
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|
ANKYLOSE : |
||
|
|
|
207582 |
Flexion antérieure - 40 degrés |
7% |
207635 |
Extension - degrés retenus 10% |
2% |
207680 |
Flexion latérale droite - degrés retenus 20 |
1% |
207724 |
Flexion latérale gauche - degrés retenus 20 |
1% |
207760 |
Rotation droite - degrés retenus 20 |
1% |
207804 |
Rotation gauche - degrés retenus 20 |
1% |
[52] Au déficit anatomo-physiologique total de 23 % doit s’ajouter un déficit pour douleurs et perte de jouissance de la vie de 5,75 %, pour un total de 28,75 %.[1]
[53] Cette atteinte permanente donne droit, au travailleur, à une indemnité pour préjudice corporel, tel que prévue à l’article 83 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi).
[54] Le calcul de ce montant est prévu à l’article 84 de la loi :
84. Le montant de l'indemnité pour préjudice corporel est égal au produit du pourcentage, n'excédant pas 100 %, de l'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique par le montant que prévoit l'annexe II au moment de la manifestation de la lésion professionnelle en fonction de l'âge du travailleur à ce moment.
Le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique est égal à la somme des pourcentages déterminés suivant le barème des préjudices corporels adopté par règlement pour le déficit anatomo-physiologique, le préjudice esthétique et les douleurs et la perte de jouissance de la vie qui résultent de ce déficit ou de ce préjudice.
Si un préjudice corporel n'est pas mentionné dans le barème, le pourcentage qui y correspond est établi d'après les préjudices corporels qui y sont mentionnés et qui sont du même genre.
__________
1985, c. 6, a. 84; 1999, c. 40, a. 4.
[55] Le travailleur a également droit à des intérêts prévus à l’article 90 de la loi :
90. La Commission paie au travailleur des intérêts sur le montant de l'indemnité pour préjudice corporel à compter de la date de la réclamation faite pour la lésion professionnelle qui a causé l'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur.
Le taux de ces intérêts est déterminé suivant les règles établies par règlement. Ces intérêts sont capitalisés quotidiennement et font partie de l'indemnité.
__________
1985, c. 6, a. 90; 1993, c. 5, a. 2; 1999, c. 40, a. 4.
[56] Le dossier est donc retourné à la CSST afin qu’elle effectue le calcul conformément aux dispositions de la loi et qu’elle verse au travailleur le solde dû concernant cette indemnité.
[57] Les docteurs Francoeur, Bouvier et Roy se sont aussi prononcés sur la question des limitations fonctionnelles.
[58] L’avis du docteur Francoeur ne peut être retenu puisque donné avant la consolidation de la lésion et donc, avant une certaine détérioration de la condition du travailleur bien identifiée par le docteur Bouvier, à la page 12 de son expertise :
Depuis cette évaluation faite par le Dr Francoeur, M. S... a rapporté que sa condition s’est détériorée et on ne peut considérer qu’un plateau thérapeutique ait été atteint en cette date du 25 octobre 2010. Il y a eu des fluctuations dans l’intensité des douleurs et ce n’est que depuis mars ou avril 2011 que monsieur rapporte une condition stable tout en conservant un tableau de lombosciatalgie droite.
[59] De plus, le docteur Francoeur établit les limitations fonctionnelles avant de recevoir les résultats de l’électromyogramme qui révèle qu’une atteinte au niveau de la racine L5 droit.
[60] La même remarque doit être retenue quant au docteur Bouvier. Il ne retient pas un déficit anatomo-physiologique de 5 % au niveau de la dorsiflexion des orteils et de l’engourdissement de celles-ci, tels que confirmés par l’électromyogramme.
[61] Ceci a donc pu fausser l’avis du docteur Bouvier qui énonce d’ailleurs que les limitations fonctionnelles qu’il émet sont de classe I, pour la région lombaire seulement, sans tenir compte du problème au membre inférieur droit.
[62] Reste donc l’opinion du docteur Roy qui est basée sur l’intégralité de la preuve et de la condition du travailleur.
[63] La preuve au dossier accrédite cette opinion émise comme suit par le docteur Roy :
En ce qui a trait aux limitations fonctionnelles, nous croyons que les limitations fonctionnelles émises par les docteurs Francoeur et Bouvier ne correspondent pas à la réalité. Effectivement, monsieur S..., à l’examen physique, ne peut effectuer la flexion la moindrement importante et il est impensable de mettre comme limitations fonctionnelles qu’il devrait éviter les amplitudes extrêmes de flexion, d’extension ou de torsion du rachis lombaire. Ceci ne correspond pas à la réalité de l’examen physique de ces deux examinateurs.
[64] Au surplus, le travailleur l’a bien expliqué à l’audience et a donné plusieurs exemples de gestes qu’il a effectués en respectant des limitations fonctionnelles de classe I et qui se sont avérés nuisibles pour lui, entraînant des consultations à l’urgence ou une augmentation de ses problèmes de santé.
[65] C’est ainsi qu’il a tenté de manipuler des charges de 15 à 25 kilogrammes, notamment une pelle-traîneau et une brouette contenant de la terre ou encore, une caisse de 24 bouteilles d’eau de source. Des problèmes sont aussi survenus lorsqu’il a tenté de transférer un déshumidificateur, pesant environ 20 à 25 kilogrammes, sur une très courte distance.
[66] Le tribunal estime donc que les limitations décrites par le docteur Roy représentent la réalité du travailleur dont le témoignage crédible et non contredit est retenu sans aucune hésitation par le tribunal.
[67] Ni la CSST ni l’employeur n’étaient présents à l’audience pour contredire la preuve du travailleur et ce dernier bénéficie de la présomption de bonne foi prévue au Code civil du Québec.
[68] La fiabilité du témoignage du travailleur est confirmée par le fait que les manœuvres de distraction de Waddell sont négatives dans le cadre de l’examen du docteur Bouvier.
[69] En conséquence, les limitations fonctionnelles à retenir sont les suivantes :
Monsieur S... devrait éviter les mouvements avec des amplitudes moindrement significatives de flexion, d’extension ou de torsion du rachis lombaire. Il devrait éviter de manipuler des charges de plus de 30 livres. Il devrait éviter de travailler en position penchée ou accroupie. Il devrait éviter de ramper, grimper, de marcher sur les terrains accidentés et subir des vibrations de basses fréquences ou des contrecoups à la colonne vertébrale.
[70] Il ne faut pas oublier que les limitations fonctionnelles visent deux buts. Premièrement, de constater qu’il résulte d’une atteinte permanente des limitations découlant de la lésion empêchant la personne blessée d’exécuter certains mouvements. Elles peuvent aussi avoir pour but d’empêcher un travailleur d’exercer une activité qui va probablement aggraver sa condition ou, engendrer des rechutes.[3]
[71] Le témoignage crédible du travailleur démontre que le respect des limitations fonctionnelles de classe I ne prévient pas la survenance de nouveaux problèmes au niveau de ses structures lombaires.
[72] Il est donc nécessaire d’octroyer des limitations fonctionnelles de classe II qui sont plus conformes à la preuve et à la réalité du travailleur.
[73] Les limitations fonctionnelles retenues empêchent le travailleur d’exercer son emploi de sorte que l’indemnité de remplacement du revenu doit se poursuivre jusqu’à la détermination d’un emploi convenable et, par la suite, selon les prescriptions prévues à la loi.
[74] Quant aux travaux pour lesquels le travailleur réclame la reconnaissance d’un droit, c’est l’article 165 de la loi qui s’applique :
165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.
__________
1985, c. 6, a. 165.
[75] Le tribunal prend acte du témoignage du travailleur voulant qu’il n’a encouru aucune somme à cette fin dans le cadre de sa réclamation formulée en 2011.
[76] Il n’a effectué aucun travail de peinture et quant à la tonte de la pelouse et au déneigement, ces tâches ont été effectuées par sa conjointe et son beau-père.
[77] Le présent tribunal ne peut donc rendre une décision hypothétique et académique en reconnaissant théoriquement l’existence d’un droit non-assorti d’une valeur monétaire.
[78] Il est vrai qu’à première vue le travailleur se qualifie et remplit les conditions prévues à l’article 165 de la loi. Il est vrai aussi qu’il n’a pas reçu les informations nécessaires de la CSST à ce niveau et que cet organisme n’a pas fait une enquête approfondie de son cas.
[79] Cependant, l’article 165 précité vise clairement le remboursement de frais réellement encourus alors que de tels frais n’ont pas été déboursés dans le présent dossier.[4]
[80] Il serait donc prématuré de faire droit à la réclamation du travailleur alors qu’il n’a encouru aucuns frais. Il devra, s’il encoure de tels frais dans l’avenir, s’adresser à la CSST, en première instance, pour qu’elle traite de sa demande.[5]
[81] La Commission des lésions professionnelles ne peut disposer à l’avance et de façon exécutoire du droit d’un travailleur au remboursement de frais éventuels susceptibles d’être engagés pour les années à venir. Ces frais n’ont pas encore fait l’objet d’une réclamation à la CSST et n’ont pas non plus été engagés pour faire effectuer les travaux en cause.[6]
[82] Le tribunal, s’il donnait suite à la demande du travailleur, rendrait ce qui serait similaire à un jugement déclaratoire alors que tel n’est pas le rôle de la Commission des lésions professionnelles.[7]
[83] En conséquence, le tribunal ne peut acquiescer aux propos tenus dans l’affaire Poulin et Grenier & Jalbert inc.[8] et procéder à une « admissibilité de principe ». Cela est contraire à la jurisprudence majoritaire du tribunal.
[84] Le tribunal tient cependant à rappeler que même si le travailleur a eu droit jusqu’ici à l’aide de sa famille, la jurisprudence mentionne qu’on ne peut présumer de l’aide perpétuelle de parents ou d’amis.[9]
[85] La disponibilité d’un parent pour effectuer certains travaux ne doit pas affecter les droits d’un travailleur puisque décider autrement porterait préjudice à ce travailleur qui peut recevoir l’aide d’un proche comparativement à celui qui n’en reçoit pas. Rien dans la loi ou dans la jurisprudence n’oblige un travailleur à attendre l’aide perpétuelle d’un parent.[10]
Dossier 474755
[86] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a subi une lésion professionnelle le 23 novembre 2011, notion définie à l’article 2 de la loi :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
__________
1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1.
[87] Le diagnostic de dépression n’est pas contesté et lie le tribunal en vertu de l’article 224 de la loi qui se lit comme suit :
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.
__________
1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
[88] Il n’est pas ici question de la survenance d’un nouvel accident du travail ou d’une maladie professionnelle mais plutôt d’une rechute, récidive ou aggravation, concepts définis par la jurisprudence comme signifiant une reprise évolutive, une réapparition ou une recrudescence d’une lésion ou de ses symptômes.[11]
[89] La partie qui réclame la reconnaissance d’une rechute, récidive ou aggravation doit faire la démonstration, à l’aide d’une preuve prépondérante, d’une relation de cause à effet qui unit la lésion professionnelle initialement admise à la récidive alléguée.
[90] Cette preuve doit démontrer un rapport entre la lésion initiale et la récidive alléguée de telle sorte que la première explique la seconde et que la condition prévalant lors de la rechute, récidive ou aggravation alléguée découle plus probablement de la lésion première que de toute autre cause.[12]
[91] Les critères retenus par la jurisprudence pour évaluer la relation entre une lésion initiale et une rechute, récidive ou aggravation de nature physique doivent être évalués avec circonspection et nuance lorsqu’on est en présence d’une rechute, récidive ou aggravation de nature psychologique.
[92] La preuve d’une relation entre la condition psychique du travailleur et les conséquences de la lésion professionnelle antérieure permettra de conclure à la survenance d’une telle rechute, récidive ou aggravation.[13]
[93] En l’espèce, le tribunal estime qu’une telle relation est prouvée de façon prépondérante.
[94] L’événement initial du 27 octobre 2008 peut être qualifié de grave lorsqu’on évalue ses conséquences. La consolidation n’a été acquise que près de trois ans après sa survenance. Une importante atteinte permanente et des limitations fonctionnelles de classe II en ont découlé. Le travailleur a dû subir une chirurgie.
[95] Le travailleur tout autant que sa conjointe mentionnent que le comportement de ce dernier s’est détérioré après la survenance de la lésion professionnelle et que le tout s’est exacerbé vers juillet 2011.
[96] Il a tardé à en parler à son médecin parce qu’il n’était pas à l’aise avec la situation.
[97] Même sa conseillère en orientation, madame Dompierre, lui a dit qu’il valait mieux interrompre la démarche d’emploi convenable parce que le travailleur n’allait pas bien.
[98] Le tout s’est manifesté par une perte d’intérêt, un désir de solitude, des problèmes de concentration et une tendance à oublier facilement.
[99] L’accident du travailleur a réduit à néant la vie sociale qu’il avait au bureau et comme sa conjointe travaille à l’extérieur, il passait beaucoup de temps seul. Il a même formulé des « idées noires », a ressenti une baisse d’énergie et se sentait très anxieux. Il a consulté une psychologue.
[100] Dans l’affaire Sears et Sécurité-Policiers,[14] la Commission des lésions professionnelles énonce que la gravité et les conséquences de la lésion physique initiale, les effets de celle-ci sur la condition psychologique du travailleur, la présence ou l’absence de problèmes personnels sans lien avec la lésion professionnelle et les opinions médicales au dossier sont des paramètres essentiels en cette matière.
[101] Le tribunal estime qu’une majorité de ces critères est applicable en l’espèce.
[102] Le fait que le travailleur ait été reconnu incapable par la CSST d’exercer son emploi et qu’un emploi convenable doive être identifié fait en sorte que le travailleur doit apporter des ajustements significatifs dans sa façon de vivre, ce qui est de nature à causer chez lui des problèmes d’ordre psychologique.[15]
[103] Dans une autre affaire,[16] il fut décidé que la dévalorisation associée à la perte de capacité résultant d’une lésion professionnelle et l’inquiétude par rapport à l’avenir professionnel sont des facteurs qui peuvent être pris en compte dans l’évaluation de la relation entre la lésion d’ordre physique et une lésion d’ordre psychologique. Tel est le cas, en l’espèce.
[104] Il est également important de noter que le travailleur n’a aucun antécédent psychologique et que la preuve au dossier, dont les témoignages crédibles du travailleur et de sa conjointe, ne révèle absolument aucune autre cause qui puisse être à la base de cette dépression.
[105] Le travailleur accepte très mal le fait de devoir vivre avec des capacités réduites, de ne pouvoir refaire le travail qu’il a exercé pendant 23 ans et de voir sa capacité physique largement diminuée. Il doit faire des deuils et cela est difficile.
[106] Le deuil d’un emploi peut constituer une conséquence de la lésion professionnelle initiale qui explique la lésion psychologique.[17]
[107] Le travailleur se confie d’ailleurs à son psychologue, le 9 février 2012, pour lui faire part de son anxiété face à l’avenir, se demandant ce qu’il lui réserve en raison des conséquences de sa lésion professionnelle.
[108] Le travailleur a également appris de son orthopédiste à Québec qu’il devra vraisemblablement subir une autre chirurgie, ce qui constitue un autre facteur de stress.
[109] Le tribunal note également l’avis de monsieur Denis Doucet, psychologue, en date du 9 février 2012. Il affirme qu’après exploration du vécu du travailleur au cours des dernières années, aucun autre facteur de stress psycho-social n’est impliqué dans la détérioration de son état, au niveau psychologique. Il relie cette condition aux conséquences de l’accident du travail survenu en octobre 2008. Cet avis n’est pas contredit.
[110] Le tribunal ne croit pas que la présence de tracasseries administratives soit significative dans ce dossier. En effet, même si l’employeur a mis fin à la couverture d’assurance santé complémentaire, le tout s’est corrigé rapidement après explications.
[111] L’insatisfaction que le travailleur peut avoir de son programme de réadaptation et les contestations qu’il a dû loger ne lui ont pas causé d’inconfort significatif. Tout cela ne pèse pas lourd en comparaison aux conséquences de la lésion professionnelle initiale qui ont bouleversé sa vie.
[112] Le tribunal ne croit pas qu’on puisse associer la perte d’un emploi, la perte de capacités, l’impossibilité de retourner chez un employeur et les difficultés à trouver un nouvel emploi à de simples tracasseries administratives. Il s’agit plutôt de conséquences directes de la lésion professionnelle initiale et des changements opérés dans la vie du travailleur.
[113] Comme le mentionnait la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Loiseau et Barry Callebaut Canada inc.[18] :
[65] Dans l'argumentation écrite qu'il a transmise, le représentant de la CSST cite l'extrait suivant de la décision Di Bernardo et Breuvages Cott ltée4 au soutien de sa prétention voulant que, selon la jurisprudence, une lésion psychique reliée à une perte d'emploi et aux difficultés à trouver un nouvel emploi ne constitue pas une lésion professionnelle :
Le représentant du travailleur explique le fait que les premiers symptômes ne se sont manifestés qu'en juin 1993 en disant ceci : ce n'est que lorsque le processus de réadaptation a été amorcé que le travailleur a été confronté au fait qu'il ne pouvait plus travailler chez son ancien employeur et qu'il devait trouver un nouvel emploi; c'est à ce moment que ses symptômes se sont manifestés; son état psychologique est donc en relation avec son accident du travail.
Ce que soulève le représentant du travailleur équivaut à dire que sa lésion psychologique serait due aux inquiétudes que lui a causé le fait qu'il devait changer d'emploi. Or, la Commission d'appel a, à différentes reprises, établi qu'il y avait lieu de distinguer entre une condition psychologique découlant d'une lésion professionnelle et celle pouvant être reliée au déroulement du processus administratif qui suit la lésion professionnelle : Commission de la santé et de la sécurité du travail-Chaudière-Appalaches et Bélanger 44310-03-9210, 27 février 1995, et Commission de la santé et de la sécurité du travail et Hamilton, 57833-03-9403, 20 juin 1995. Ce n'est pas parce qu'une personne réagit mal aux conséquences qu'entraîne pour lui le fait qu'il ait subi une lésion professionnelle que l'on doive considérer qu'il y a un lien causal entre l'accident du travail et la condition psychologique.
[66] Cette décision s'inscrit dans le courant qui veut que les lésions psychiques qui sont reliées à des « tracasseries administratives » ou aux conséquences du processus administratif relié à l'application de la loi ne peuvent être reconnues comme étant des lésions professionnelles5 et que seules les lésions psychiques qui sont reliées aux douleurs qui résultent de la lésion physique peuvent l'être6. Dans cette perspective, la lésion psychique qui est associée à la perte de l'emploi ne constitue donc pas une lésion professionnelle7.
[67] Ce courant ne fait toutefois pas l'unanimité en jurisprudence tel qu'en témoigne l'extrait suivant de la décision CSST et Bois Daaguam inc.8 :
Par ailleurs, il est vrai qu'une certaine jurisprudence de la Commission d'appel rapportée dans l'affaire CSST et Hamel Hamilton4 refuse de reconnaître qu'une lésion psychologique causée par les tracasseries administratives avec la CSST ou encore des difficultés financières constitue une lésion professionnelle.
Avec respect pour cette jurisprudence, la Commission d'appel estime qu'on ne doit pas l'appliquer de façon aveugle. En effet, pour chaque cas, on doit faire une analyse approfondie et se demander si le facteur déclencheur de la lésion psychologique est une conséquence de la lésion professionnelle.
[…]
La Commission d'appel estime que les faits dans la présente affaire sont semblables à ceux relatés dans l'affaire Descôteaux et Forestiers Picard inc. En effet, n'eût été de l'incapacité du travailleur résultant de sa lésion professionnelle, il n'aurait pas perdu son emploi et il aurait continué de recevoir un salaire et n'aurait pas eu de difficultés financières. Il n'aurait pas perdu l'estime de soi et n'aurait pas eu de démêlés avec la CSST non plus.
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4 [1996] C.A.L.P. 920.
[68] Cette approche qui apparaît moins restrictive que la précédente a été adoptée dans plusieurs décisions9. C'est celle qu'entend suivre le tribunal dans la présente affaire.
[69] Avec respect pour l'opinion contraire, le tribunal ne croit pas qu'on puisse associer la perte d'emploi qu'entraîne une lésion professionnelle et les difficultés que le travailleur peut rencontrer à trouver un nouvel emploi à de simples « tracasseries administratives » ou n'y voir que des événements reliés au processus administratif d'application de la loi.
[70] À prime abord, une distinction doit être faite entre ces situations et celles qui concernent réellement l'application de la loi, comme le refus d'une réclamation10, la décision de la CSST de mettre fin à un programme de réadaptation11 ou encore, la fin du versement d'une indemnité de remplacement du revenu en raison de l'extinction du droit à cette indemnité12. La perte d'emploi et la difficulté de se replacer sur le marché du travail apparaissent davantage être des conséquences de la lésion professionnelle. En d'autres termes, ces situations ne résultent pas de l'application d'une disposition de la loi mais de l'incapacité du travailleur à reprendre son travail en raison des séquelles permanentes de la lésion professionnelle qu'il a subie.
[71] Chaque personne peut réagir différemment à la perte de son emploi et aux difficultés de se trouver un nouvel emploi de la même façon que la réaction à la douleur chronique peut différer d'une personne à l'autre. Or, si on accepte de reconnaître comme lésion professionnelle la lésion psychique qui est associée aux douleurs chroniques, le tribunal comprend mal les raisons qui justifient qu'on refuse a priori le même traitement à celle qui résulte de la perte d'emploi et des recherches infructueuses d'emploi dans la mesure où la lésion psychique est clairement établie et que la preuve démontre qu'elle est reliée à cette problématique particulière.
[72] Il faut prendre garde cependant de procéder par automatisme et dans cette perspective, comme l'indique la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles dans la décision Bois Daaguam citée précédemment, il convient d'examiner chaque cas en tenant compte de l'ensemble des circonstances qui lui sont propres pour déterminer si la lésion psychique est réellement une conséquence de la lésion professionnelle.
[73] Dans la présente affaire, le tribunal retient que la dépression qui s'est manifestée au cours de l'automne 2006 chez madame Loiseau n'est pas apparue du jour au lendemain à la suite de sa recherche infructueuse d'emploi, de manière isolée, mais qu'elle s'inscrit plutôt dans un contexte évolutif, un crescendo, qui prend origine dans le fait qu’elle aime travailler, qu'elle appréciait le travail qu'elle faisait chez l'employeur depuis onze ans, qu’elle n’a pas été capable de le reprendre à cause des séquelles de sa lésion professionnelle et que les démarches infructueuses qu'elle a entreprises l'ont amenée à croire qu'elle ne pourrait plus se replacer sur le marché du travail.
[74] En effet, au moment de la survenance de sa lésion professionnelle, madame Loiseau travaillait chez l'employeur depuis 11 ans et la preuve indique clairement qu'elle aimait son travail. En 2005, elle effectue des tentatives de reprise progressive de son travail qui avortent en raison de l'aggravation du phénomène douloureux. À partir de la fin du mois d'août 2005, elle doit arrêter de travailler et elle n'aime pas demeurer inactive chez elle. À l'automne 2005, même si elle ne présente pas de symptômes dépressifs comme tels, madame Loiseau est découragée et elle éprouve des problèmes de sommeil. Elle croit toujours pouvoir retourner travailler chez l'employeur. L'évolution du processus de réadaptation est lent et dure plusieurs mois et cette situation génère de l'anxiété et de l'insécurité chez elle, comme l'indique la conseillère en réadaptation dans sa note du 18 mai 2006. L'employeur tarde à lui faire savoir s'il a un autre emploi pour elle dans son entreprise et ce n'est qu'à la mi-juin 2006, qu'elle sait qu'elle ne peut plus travailler chez l'employeur et qu'elle doit se chercher un nouvel emploi. Avec le soutien de madame Cameron, elle effectue plusieurs démarches pour tenter de se trouver un nouvel emploi qui se soldent tous par un échec, malgré ses efforts, ce qui augmente, selon toute vraisemblance, l'anxiété et l'insécurité déjà présente chez elle depuis un certain temps. Madame Loiseau formulait toujours le souhait de pouvoir retourner travailler en manufacture comme elle l'a toujours fait, selon ce que rapporte madame Cameron.
[75] Le tribunal considère que la dépression qu'a subie madame Loiseau déborde largement le cadre des « tracasseries administratives » ou du processus administratif d'application de loi et qu'il s'agit bien davantage d'une conséquence de la lésion professionnelle du 27 août 2004.
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4 Précité, note 3.
5 De Chatigny et Les Gicleurs Delta ltée, C.A.L.P. 16489-63-9001, 11 mai 1993, J.-Y. Desjardins; Chemins de fer nationaux et Maheu, C.A.L.P. 20557-63-9007, 4 février 8 069 431,7 m². Suicco; CSST et Bélanger, C.A.L.P. 44310-03-9210, 27 février 1995, G. Godin; Veilleux et Service de personnel infirmier Dynamique, C.A.L.P. 33856-60-9110, 9 août 1995, N. Lacroix; D'Amour et Ferme de Visons Montcalm, précitée, note 2.
6 Dupuis et For-Net Montréal inc., précitée, note 2; Brodeur et Cie Systèmes Allied, précitée, note 2
7 Soucy et Association montréalaise des directions, précitée, note 2.
8 C.A.L.P. 83837-03-9611, 4 février 1998, M. Carignan.
9 Dumont et Construction Montclair Canada inc., C.A.L.P. 47860-62-9212, 21 juin 1996, M. Zigby; Kelly et Société des alcools du Québec, C.L.P. 129932-32-9909, 31 août 2000, G. Tardif; Tremblay et Scieries des Outardes enr., C.L.P. 123917-09-9909, 15 janvier 2001, Y. Vigneault; Preston et Nicole Samuel (Restaurant Au Faim Renard Enr.), C.L.P. 148905-01B-0010-2, 7 janvier 2002, R. Arseneau; Collin et Les Crustacés de Gaspé ltée, C.L.P. 150467-01B-0011, 8 mars 2002, P. Simard; Tremblay et Peinture Pierre enr., C.L.P. 183246-03B-0204, 24 mars 2003, P. Brazeau.
10 Bélanger et Bois Lacroix ltée, C.A.L.P. 06489-01-8802, 19 février 1990, J-G. Roy, révision rejetée, 2 novembre 1990, J.-M. Dubois.
11 De Chatigny et Les Gicleurs Delta inc., précitée, note 5.
12 D'Amour et Ferme de Visons Montcalm, précitée, note 2.
[114] Le tribunal estime donc qu’il existe une relation entre la lésion initiale et la dépression diagnostiquée chez le travailleur de sorte qu’il a subi une rechute, récidive ou aggravation.
[115] Même en étudiant les critères classiques qui prévalent en matière de rechute, récidive ou aggravation[19], le tribunal en arriverait à la même conclusion vu la gravité de la lésion initiale, la continuité de la symptomatologie d’ordre physique, l’existence d’un suivi médical, les importantes limitations fonctionnelles, l’importante atteinte permanente et l’absence de condition personnelle.
[116] Le délai entre la lésion initiale et la rechute, récidive ou aggravation alléguée s’explique par la nature même de la lésion psychologique qui peut s’installer insidieusement et qui peut mettre un certain temps à être diagnostiquée.
[117] Il y a également évidence d’une modification à l’état de santé du travailleur qui, lors de l’événement initial, n’éprouvait aucun problème de nature psychologique.
[118] Le tribunal estime que l’ensemble de cette preuve permet de conclure à une relation entre la lésion psychique du travailleur et les conséquences de l’importante lésion professionnelle qu’il a subie en 2008.
[119] Le travailleur a donc subi une rechute, récidive ou aggravation le 23 novembre 2011.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossier 451968
ACCUEILLE la requête de monsieur G... S..., le travailleur;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 10 juillet 2011, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la lésion professionnelle du 27 octobre 2008 est consolidée le 26 juillet 2011 avec une atteinte permanente de 28,75 %;
DÉCLARE que la lésion professionnelle du 27 octobre 2008 a laissé les limitations fonctionnelles suivantes :
Éviter les mouvements avec des amplitudes moindrement significatives de flexion, d’extension ou de torsion du rachis lombaire. Il devrait éviter de manipuler des charges de plus de 30 livres. Il devrait éviter de travailler en position penchée ou accroupie. Il devrait éviter de ramper, grimper, de marcher sur les terrains accidentés et subir des vibrations de basses fréquences ou des contrecoups à la colonne vertébrale.
DÉCLARE que monsieur G... S... est incapable d’exercer son emploi et qu’il a droit à la poursuite de l’indemnité de remplacement du revenu;
DÉCLARE que monsieur G... S... a droit à une indemnité pour préjudice corporel en conséquence de son atteinte permanente et RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail afin qu’elle procède au calcul de cette indemnité;
DÉCLARE que monsieur G... S... n’a droit à aucune somme pour l’exécution de travaux de déneigement, de tonte de pelouse ou de peinture en lien avec la réclamation déposée dans le présent dossier.
Dossier 474755
ACCUEILLE la requête de monsieur G... S...;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, le 14 juin 2012, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que monsieur G... S... a subi une lésion professionnelle le 23 novembre 2011 en lien avec le diagnostic de dépression majeure;
DÉCLARE que monsieur G... S... a droit aux indemnités prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Jean-François Clément |
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Madame Sylvie Morency |
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RESSOURCES S.M. |
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Représentante de la partie requérante |
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Me René Fréchette |
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VIGNEAULT, THIBODEAU, BERGERON |
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Représentant de la partie intervenante |
[1] Règlement sur le barème des dommages corporels, L.R.Q., c. A-3.001, r.2.
[2] L.R.Q., c. A-3.001.
[3] Air Canada et Shanck, [1998] C.L.P. 11.
[4] Côté et Dynamitage M.B. inc., C.L.P. 280678-05-0601, 17 août 2006, L. Boudreault; Savard et Entreprises P.E.B. ltée, [1992] C.A.L.P. 89.
[5] Air Canada et Chapdelaine, C.L.P. 35803-64-9112, 17 novembre 1995, B. Roy, décision accueillant la requête en révision.
[6] Ouellet et Excavation Leqel 1993 ltée, C.L.P. 144557-03B-0008, 13 février 2001, P. Brazeau.
[7] Lamontagne et C.L.S.C. Samuel-de-Champlain, C.L.P. 175805-62-0112, 7 janvier 2004, E. Ouellet; Duciaume et Entrepreneur minier CMAC inc., 2011 QCCLP 3777.
[8] C.L.P. 405184-03B-01003, 14 juin 2010, M. Cusson.
[9] Gauthier et Agence de sécurité de Montréal ltée, C.L.P. 63709-60-9410, 13 février 1996, P. Capriolo.
[10] Gauthier et Constructions Gilbert enr., C.L.P. 163986-01A-0106, 15 août 2003, D. Sams.
[11] Le Centre routier inc., [1989] C.A.L.P. 1171.
[12] Rivest et Star Appetizing Products inc., C.L.P. 175073-61-0112, 7 juillet 2003, J.-F. Martel, révision rejetée le 7 avril 2004, L. Nadeau.
[13] Label et Fernand Label, [2008] C.L.P. 874; Bergeron et Ville de Senneterre, C.L.P. 121386-08-9907, 9 juin 2000, C. Bérubé.
[14] C.L.P. 389082-62-09-09, 24 novembre 2000, C. Racine.
[15] Robinson et C.S.S.T., C.L.P. 52805-01-9307, 22 septembre 1995, M. Beaudoin.
[16] Blais et Produits industriels Jean-Paul Côté, C.L.P. 163199-32-0106, 2 mai 2002, G. Tardif, révision rejetée le 20 janvier 2004, H. Thériault.
[17] Côté et Entreprises P.E.B. ltée, C.L.P. 311203-31-0702, 7 novembre 2007, S. Sénéchal; Pagé et Entreprise d’électricité Doyon & Doyon inc., C.L.P. 340506-31-0802, 27 novembre 2008, C. Lessard.
[18] [2007] C.L.P. 1119.
[19] Boisvert et Halco inc., [1995] C.A.L.P. 19.
AVIS :
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