Décision

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Lacerte et Cadorette Marine Co. (F)

2008 QCCLP 7055

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec :

9 décembre 2008

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

327617-04-0709-R2

 

Dossier CSST :

096262670

 

Commissaire :

Guylaine Tardif, juge administratif

 

Membres :

Alain Crampé, associations d’employeurs

 

Michel Gravel, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Pierre Lacerte

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Cadorette Marine Co. (F)

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                 Le 8 août 2008, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) dépose une requête en révision à l’encontre de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 3 juillet 2008.

[2]                Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles (le deuxième commissaire) accueille la requête en révision produite par monsieur Pierre Lacerte (le travailleur), révise la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles (la première commissaire) le 13 février 2008, accueille la requête du travailleur sur le fond et déclare qu’il a connu une rechute, récidive ou aggravation le 14 mai 2007 qui est consécutive à la lésion professionnelle qu’il a subie le 2 juin 1987 et qu’il a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) (la loi).

[3]                L’audience a dûment été convoquée et s’est tenue le 28 novembre 2008 à Montréal en présence de la procureure de la CSST, du travailleur et de son procureur. Cadorette Marine Co. (l’employeur) a fermé ses portes. Il n’était ni présent ni représenté à l’audience.

[4]                La cause a été mise en délibéré le 28 novembre 2008.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[5]                La CSST demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision rendue par le deuxième commissaire et de rétablir la décision rendue par la première commissaire.

L’AVIS DES MEMBRES

[6]                Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis qu’il y a lieu d’accueillir la requête, puisque les conditions d’intervention en révision n’étant pas rencontrées, le deuxième commissaire n’aurait pas dû réviser la décision de la première commissaire.

[7]                Il considère plus particulièrement que la décision rendue par la première commissaire est rationnelle et qu’elle prend appui sur la preuve qui était au dossier. Comme il lui appartenait d’apprécier cette preuve et qu’elle n’a commis aucune erreur manifeste en ce faisant, le deuxième commissaire a, selon son avis, procédé à une réappréciation de la preuve et il a substitué sa propre opinion à celle de la première commissaire, ce qu’il ne pouvait faire en vertu de l’article 429.56 de la loi.

[8]                Le membre issu des associations syndicales est d’avis contraire. Il estime que la première commissaire ne pouvait prendre appui sur un seul élément de la preuve qui lui a été présentée, alors que la jurisprudence prévoit que plusieurs éléments différents doivent être appréciés afin de conclure s’il y a rechute, récidive ou aggravation.

[9]                C’est pourquoi, il conclurait que le deuxième commissaire pouvait intervenir.

 

 

LES FAITS ET LES MOTIFS

[10]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a lieu de réviser la décision rendue par le deuxième commissaire.

[11]           La CSST prétend que la décision rendue par le deuxième commissaire doit être révisée en vertu du paragraphe 3 de l’article 429.56 de la loi, puisqu’il s’est livré à une substitution de son opinion à celle de la première commissaire, alors que celle-ci a rendu une décision qui n’était entachée d’aucun vice de fond de nature à l’invalider.

[12]           Le recours de la CSST prend appui sur l’article 429.56 de la loi qui se lit comme suit :

429.56.  La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[13]           Cette disposition doit être lue en corrélation avec l’article 429.49 de la loi qui édicte qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel.

[14]           Dans l’affaire Commission de la santé et de la sécurité du travail et Fontaine[1], la Cour d’appel se prononce de nouveau sur le critère d’intervention en révision en vertu de l’article 429.56 paragraphe 3 de la loi. À la suite d’une longue analyse de la question, elle insiste sur le fait qu’il faut interpréter la loi de manière à éviter que règne un régime de deuxième opinion, vu le caractère final et sans appel de la décision rendue par la formation qui a initialement entendu l’appel.

[15]           La Cour d’appel réaffirme par ailleurs le principe voulant que le vice de fond de nature à invalider une décision corresponde à une erreur grave, manifeste et déterminante sur l’issue du litige.

 

[16]           Les mêmes principes sont repris quelques semaines plus tard par la Cour d’appel dans l’affaire Commission de la santé et de la sécurité du travail et Touloumi[2].

[17]           Ces décisions récentes de la Cour d’appel n’ont donc pas modifié les conditions d’ouverture au recours en révision en vertu du paragraphe 3 de l’article 429.56 de la loi. Il s’agit pour la partie qui demande la révision de démontrer que la décision rendue comporte une erreur manifeste de faits ou de droit qui est déterminante sur l’issue du litige.

[18]           Dans l’affaire Bourassa et Commission de la santé et de la sécurité du travail[3] la Cour d’appel avait déjà insisté sur la retenue nécessaire, et ce, dans les termes suivants :

« […]

 

[22] Sous prétexte d’un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d’ajouter de nouveaux arguments1.

 

[…] »

_______

1              Voir : Y. OUELLETTE, Les tribunaux administratifs au Canada, Procédures et Preuves, Montréal, Les Éditions Thémis, 1997, p. 506-509. J.P. VILLAGI, Droits publics et administratifs, Vol. 7, collection de droit 2002-2003, Éditions Yvon Blais, 2002, p. 127-129. »

 

(Nos soulignements)

 

[19]           C’est ainsi que dans l’affaire Amar et CSST[4], la Cour d’appel est intervenue pour casser la décision en révision, la simple divergence d’opinions quant à l’interprétation de la loi ne devant pas être considérée comme un vice de fond invalidant la décision du premier commissaire.

[20]           Les critères d’intervention en révision judiciaire ont été revus et modifiés tout récemment dans l’affaire Dunsmuir c. Nouveau Brunswick[5]. Toutefois, cet important jugement n’a pas d’impact sur les critères d’intervention en révision interne.

[21]           C’est ce qu’exprime la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Soc. Signalisation SSS inc. et CSST[6] comme suit :

« […]

 

[76] Il y a lieu de noter, dans un premier temps, que la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles fait une différence entre la révision judiciaire et la révision ou révocation interne.21

 

[77] La norme de contrôle applicable lorsqu’un tribunal de droit civil est appelé à se prononcer dans le cadre d’une requête en révision judiciaire est différente de celle que doit appliquer la Commission des lésions professionnelles aux fins de décider s’il y a lieu de réviser ou de révoquer une décision.22

 

[78] Le fait que la Cour suprême du Canada ait révisé les normes de contrôle applicables en révision judiciaire n’a aucun impact sur le droit applicable à la révision ou révocation interne.

 

[79] Les propos de la Cour suprême s’appliquent aux recours en révision judicaire intentés devant la Cour supérieure et qui se retrouvent, par la suite, devant la Cour d’Appel ou la Cour Suprême elle-même.

 

[80] Cet arrêt de la Cour Suprême ne statue aucunement sur les critères de révision interne que le présent tribunal doit appliquer. Les arrêts précités de la Cour d’Appel du Québec en matière de révision ou révocation interne demeurent donc toujours d’actualité.

 

[81] Bien au contraire, cet arrêt de la Cour Suprême rappelle la déférence dont on doit faire preuve face au processus décisionnel voulu par le législateur qui a décidé de constituer des tribunaux administratifs assortis de pouvoirs spécifiques.

 

[…] »

_________ _____

21                   Purolator Courrier ltée et Lanthier, 011842-62-9806, 10 mars 1999, L. Couture;              Bélanger et Castonguay & Frères ltée, 100682-05-9804, 30 août 2000, M. Zigby.

22             Jacques et Procureur général du Québec, 195443-05-0212, 23 août 2004, F. Mercure, requête en révision judiciaire rejetée, C.S., Sherbrooke, 450-17-001257-048, 18 mars 2005, j. Bureau.; Lalumière et Multi-Services Lanaudière, 234740-63-04005, 28 avril 2005, L. Nadeau.

 

 

[22]           C’est donc à la lumière de ces principes qu’il y a lieu de déterminer si la décision rendue par le deuxième commissaire comporte un vice de fond de nature à l’invalider.

[23]           Le deuxième commissaire était saisi de la requête en révision du travailleur qui alléguait que la première commissaire avait commis deux erreurs manifestes d’appréciation de la preuve, qui s’avéraient déterminantes sur l’issue du litige.

[24]           Le deuxième commissaire écarte le premier motif invoqué par le travailleur. Cependant, il retient le deuxième motif présenté et conclut que la première commissaire a commis une erreur manifeste et déterminante sur l’issue du litige, pour les motifs qu’il exprime aux paragraphes [37] à [45] de sa décision, qu’il y a lieu de reproduire :

« […]

 

[37] Aux paragraphes [50] et [51] la première commissaire conclut à l’absence de changement significatif de l’état de santé de la cheville du travailleur malgré une augmentation des ankyloses pour les motifs suivants :

 

[50]      Quant à la mobilité de la cheville droite, la Commission des lésions professionnelles constate que l’examen du docteur Tremblay démontre une perte de 10 degrés en flexion-extension et une absence de mouvement en inversion éversion de la sous-astragalienne alors que les docteurs Des Marchais et Laflamme rapportaient de meilleurs mouvements. Toutefois, la Commission des lésions professionnelles constate que le travailleur n’a toujours aucune atrophie de son membre inférieur droit.

 

[51]      La Commission des lésions professionnelles partage le raisonnement du docteur Des Marchais quant au fait qu’en l’absence d’une atrophie musculaire, il faut conclure qu’il n’y pas de pathologie importante. Transposant ce raisonnement à une réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation, il faut conclure que même si en degrés la mobilité de la cheville s’est détériorée, il est raisonnable de conclure qu’en pratique il y a peu de conséquence sur la démarche du travailleur. En l’absence d’atrophie, il faut conclure qu’il utilise toujours, en mai 2007 comme en avril 2004, autant sa jambe droite que sa jambe gauche. Il n’y a donc pas lieu de conclure à un changement significatif de l’état de santé de la cheville droite du travailleur. 

 

[38] Le travailleur reproche à la première commissaire d’avoir conclu à l’absence de changements significatifs dans sa condition malgré une aggravation de ses ankyloses et l'opinion du Dr Tremblay à cet effet et ce, sur la base d’un argument puisé dans une expertise bien antérieure.

 

[39] Le raisonnement de la première commissaire est de façon évidente fortement influencé par l’opinion du Dr Des Marchais émise en 2004 car elle reprend à son compte son commentaire à l’effet qu’en l’absence d’atrophie musculaire il n’y a pas de pathologie importante ce qui surprend quant on sait que le travailleur a subi une arthrodèse astragalo-scaphoïdienne, qu’on lui a reconnu un déficit anatomo-physiologique de 13 % et des limitations fonctionnelles.

 

[40] La première commissaire a conclu que même si la mobilité de la cheville s’était détériorée qu’en pratique, il y avait peu de conséquences sur sa démarche. Cette conclusion est une déduction qu’elle tire de l’absence d’atrophie qui démontrerait que le travailleur utilise toujours autant sa jambe droite que sa jambe gauche.

 

[41] La première commissaire n’a pas reçu de preuve à l’effet que le travailleur utilisait en 2007 autant sa jambe droite que sa jambe gauche. Pour en arriver à cette conclusion elle a fait sien le raisonnement du Dr Des Marchais.  Or, le Dr Desmarchais a établi ce raisonnement suite à l’examen du travailleur qu’il a fait en avril 2004 soit 3 ans avant la récidive, rechute ou aggravation alléguée et cela, dans le cadre de la récidive, rechute ou aggravation de 2002 dans le but d’obtenir son avis sur des questions de nature médicale.

[42] À cette époque, le Dr Des Marchais avait noté une diminution des ankyloses par rapport à 1999 et il jugeait qu’une triple arthrodèse n’était pas indiquée. Or, en 2007 le Dr Tremblay note une aggravation des ankyloses et confirme à l’audience que le travailleur devrait bénéficier d’une pan-arthrodèse.

 

[43] La Commission des lésions professionnelles considère que la première commissaire, en important un raisonnement établi dans un autre contexte et dont il n’avait pas été démontré qu’il était médicalement pertinent dans le cadre de la récidive, rechute ou aggravation alléguée de 2007, a fait des déductions quant à l’utilisation des deux jambes qui n’étaient pas supportées par la preuve.

 

[44] De l’avis du soussigné, la première commissaire a conclu à l’absence de changement significatif dans la condition de santé de la cheville du travailleur sur la base d’une déduction qu’elle ne pouvait faire ce qui constitue une erreur qui a eu un effet déterminant sur l’issue de la requête et qui justifie de réviser sa décision.

 

[45] Contrairement à ce qui est allégué par la CSST, le tribunal ne peut en venir à la conclusion que la première commissaire a conclu, sans le dire directement, qu’il y avait absence de preuve prépondérante de récidive, rechute ou aggravation. La première commissaire a uniquement recherché un changement significatif dans la condition du travailleur et c’est strictement sur cette base qu’elle motive sa décision.

 

[…] »

 

 

[25]           Le deuxième commissaire se prononce ensuite sur le fond du litige. Il accueille la requête du travailleur sur le fond et conclut qu’il a connu une rechute, récidive ou aggravation le 14 mai 2007 - soit à la date de l’examen pratiqué par l’expert du travailleur, le docteur Tremblay - qui est consécutive à la lésion professionnelle du 2 juin 1987.

[26]           La CSST plaide que le deuxième commissaire n’aurait pas dû intervenir, puisque la première commissaire n’a commis aucune erreur manifeste et déterminante en rejetant la requête du travailleur sur le fond.

[27]           Elle prétend plus particulièrement que le deuxième commissaire ne devait pas simplement se demander s’il aurait rendu la même décision[7], puisque la primauté doit être accordée à la décision de la formation initiale; il devait trouver un vice de fond dans la première décision.

[28]           Or, elle estime que la première commissaire n’a commis aucune erreur d’appréciation de la preuve en concluant que l’absence d’atrophie entrait en contradiction avec l’allégation du travailleur à l’effet qu’il n’utilisait pas son membre inférieur.

[29]           Elle est d’avis que la première commissaire a pris tous les éléments pertinents en compte, qu’elle en a discuté, qu’elle a motivé sa décision et que son raisonnement est rationnel.

[30]           Puisque selon la jurisprudence, il faut rechercher la preuve d’un changement significatif dans l’état du travailleur et qu’une augmentation de l’ankylose ne constitue pas en soi un tel changement[8], la procureure de la CSST argumente qu’il n’y avait aucun vice de fond justifiant l’intervention du deuxième commissaire.

[31]           Ceci étant, elle considère que le deuxième commissaire a simplement substitué son opinion à celle de la première commissaire, commettant lui-même un vice de fond de nature à invalider la décision qu’il a rendue.

[32]           La procureure de la CSST demande à la Commission des lésions professionnelles de rétablir la décision qu’elle a rendue le 13 février 2008.

[33]           Le procureur du travailleur prétend pour sa part que la CSST harcèle le travailleur et que la première commissaire a rendu une décision malicieuse.

[34]           Quant au bien fondé de la requête de la CSST, le procureur du travailleur prétend que le deuxième commissaire devait intervenir, puisque l’augmentation prouvée de l’ankylose ne pouvait être écartée par la première commissaire. Il plaide en effet que puisque le Règlement sur le barème des dommages corporels ((1987) 119 G.O. II, 5576) (le règlement) prévoit la compensation de l’ankylose, il s’agissait d’un élément que la première commissaire devait nécessairement considérer pour disposer du litige qui lui était soumis.

[35]           Il prétend par ailleurs que la première commissaire a commis une deuxième erreur manifeste et déterminante en recourant à un signe neurologique - l’absence d’atrophie musculaire au membre inférieur - afin d’écarter l’existence d’un signe musculo-squelettique non contredit - l’augmentation de l’ankylose au pied.

[36]           De l’avis du procureur du travailleur, la première commissaire a rendu une décision fondée sur une méprise totale, tant au niveau médical que juridique. Il soumet certaines décisions au soutien de ses prétentions[9] et demande à la Commission des lésions professionnelles de rejeter la requête en révision de la CSST.

[37]           Après avoir considéré les arguments des parties et la jurisprudence pertinente et avoir analysé les décisions rendues par la première commissaire et par le deuxième commissaire, la commissaire soussignée en vient à la conclusion qu’il y a lieu d’accueillir la requête en révision de la CSST et de rétablir la décision de la première commissaire.

[38]           La première commissaire devait déterminer si le travailleur a connu une rechute, récidive ou aggravation de sa condition. Elle a énoncé aux paragraphes [43] et [44] de sa décision quel était le fardeau qui reposait sur les épaules du travailleur :

« […]

 

[43] Il appartient au travailleur d’établir, par une preuve prépondérante, d’abord un changement significatif de son état de santé et ensuite qu’une relation existe entre l’état de santé qu’il présente lors de la récidive, rechute ou aggravation alléguée et la lésion initiale. À cette fin, la simple preuve testimoniale ne suffit pas. Celle-ci doit être soutenue par une preuve médicale.

 

[44] La jurisprudence retient, de façon non limitative, plusieurs éléments qui peuvent être examinés afin de déterminer si une relation existe. Ces différents éléments sont la nature de la lésion initiale et le degré de la gravité de l’événement qui s’est produit, le site de la lésion, les diagnostics posés, la continuité et la similitude des symptômes, la présence ou non d’un suivi médical, la proximité ou non des événements, l’existence ou non d’une condition personnelle qui pourrait expliquer la lésion du travailleur. Il n’est pas nécessaire que chacun de ces éléments soit examiné; la présence ou l’absence d’un seul peut suffire, selon les circonstances de chaque cas, à conclure à la présence ou non d’une relation.

 

[…] »

 

 

[39]           Nul ne prétend que cet énoncé est manifestement contraire au droit applicable.

[40]           Il ressort de la lecture de la décision qu’elle a rendue que la première commissaire a procédé à une analyse approfondie de la volumineuse preuve au dossier, y incluant le témoignage du travailleur et l’opinion de son expert, le docteur Tremblay, et qu’elle a discuté des prétentions des parties et motivé ses conclusions.

[41]           Dans sa requête en révision, le travailleur lui reprochait d’avoir commis deux erreurs manifestes d’appréciation de la preuve. Le deuxième commissaire a conclu que la première commissaire n’avait commis aucune erreur en retenant que la modification du patron de marche du travailleur n’était pas un élément nouveau susceptible de démontrer l’existence d’un changement dans sa condition. Le deuxième commissaire retient cependant le deuxième moyen proposé par le travailleur.

[42]           Le deuxième commissaire conclut en effet que la première commissaire a commis une erreur manifeste « en important un raisonnement établi dans un autre contexte et dont il n’avait pas été démontré qu’il était médicalement pertinent dans le cadre de la récidive, rechute ou aggravation alléguée de 2007 ».

[43]           L’erreur serait selon le deuxième commissaire d’avoir déduit, à partir de l’absence d’atrophie au membre inférieur, que la condition du travailleur n’avait pas changé significativement.

[44]           Il convient de reproduire ici le paragraphe [22] de la décision de la première commissaire où elle rapporte la portion de l’opinion du docteur Des Marchais sur laquelle elle prend appui :

« […]

 

[22] Étant donné la longue période en cours, il y a lieu de rapporter intégralement le «résumé /synthèse » fait par le docteur Des Marchais :

 

Résumé/synthèse

 

Depuis huit ans, le patient attend un traitement au niveau de sa cheville droite qui n’a jamais été réalisé.

 

Le patient nous dit que plusieurs médecins ont mis en doute la nécessité d’un tel traitement.

 

Le point le plus important dans notre évaluation est celui d’absence d’atrophie musculaire au niveau du triceps droit. Malgré que le patient marche en boitant, qu’il utilise des cannes, l’absence de triceps nous amène à dire que le patient utilise son membre inférieur droit tout autant que la gauche, de manière consciente ou inconsciente.

 

Conséquemment, on en arrive à la conclusion qu’il n’y a pas de pathologie sous-jacente suffisamment importante qui entraînerait le patient à ne pas utiliser son membre inférieur droit comme il le prétend et, conséquemment, d’obtenir une atrophie musculaire.

 

Donc, s’il n’y a pas d’atrophie musculaire, c’est qu’il n’y a pas de pathologie importante au niveau de la région de la cheville et du pied droit.

 

D’ailleurs, la résonance magnétique  que le patient a passée le 9 mars 2002, tend à confirmer qu’il n’y a pas de pathologie importante intra-articulaire.

 

Nous avons demandé une autre investigation radiologique afin de re-statuer l’état de la cheville et du pied lors de radiographie simple.

 

Ø         Suite à l’évaluation du dossier du patient;

Ø         Suite à l’évaluation dans le passé de mes collègues qui n’avaient pas trouvé d’élément objectif justifiant une récidive/ rechute/aggravation.

 

Force nous est d’en arriver à la même conclusion, que nous n’avons pas retrouvé d’élément justifiant une rechute/récidive/aggravation, malgré la persistance d’algie fruste au niveau de la cheville droite.

 

Personnellement, nous ne voyons aucun critère objectif, surtout devant l’absence d’atrophie musculaire au niveau du quadriceps pour justifier une triple arthrodèse, ce qui semble de toute façon avoir été oublié par l’ensemble des médecins traitants.

 

Investigation radiologique

 

Une radiographie des deux pieds et des deux chevilles a été demandée. À gauche, les structures sont normales. À droite les structures sont normales, sauf l’arthrodèse astragalo-scaphoïdienne.

 

Nous remarquons qu’il n’y a aucune modification de l’espace articulaire tibio-astragalien. Il n’y a même pas un petit ostéophyte sur la lèvre inférieure-antérieure du tibia. La sous-astragalienne est normale.

 

Commentaires additionnels

 

Les radiographies en date d’aujourd’hui, après 15 ans d’évolution et huit ans sans traitement, ne font que confirmer que le syndrome algique prédomine ici sur les éléments objectifs.

 

Ces résultats radiographiques ne font que renforcer les opinions émises dans le résumé/discussion où le syndrome de non organicité est prédominant chez ce patient. (Sic)

 

[…] »

 

            (Nos soulignements)

[45]           La preuve de l’absence d’atrophie au moment de la rechute, récidive ou aggravation alléguée du 14 mai 2007 n’était pas contredite. L’expert du travailleur le confirmait lui-même.

[46]           L’expert du travailleur avançait deux motifs au soutien de son opinion à l’effet que la condition du travailleur s’était aggravée. En l’absence de changement au niveau du patron de marche depuis la rechute, récidive ou aggravation précédente, il ne restait à la première commissaire qu’à apprécier le deuxième motif avancé par le docteur Tremblay, soit l’augmentation de l’ankylose.

[47]           En prenant appui sur l’opinion du docteur Des Marchais qui était au dossier, la première commissaire pouvait conclure explicitement au paragraphe [51] de sa décision que « même si en degrés la mobilité de la cheville s’est détériorée, il est raisonnable de conclure qu’en pratique il y a peu de conséquence sur la démarche du travailleur » et que « le travailleur utilise toujours, en mai 2007 comme en avril 2004[10], autant sa jambe droite que sa jambe gauche ».

[48]           Le raisonnement tenu par le docteur Des Marchais pouvait rationnellement s’appliquer à l’appréciation de l’existence d’une rechute, récidive ou aggravation peu importe le moment où elle se serait manifestée. Le médecin l’utilisait d’ailleurs lui-même explicitement pour  conclure à l’absence de rechute, récidive ou aggravation en 2002.

[49]           Ceci étant, le deuxième commissaire a commis une erreur manifeste en concluant qu’il « n’avait pas été démontré qu’il (le raisonnement du docteur Des Marchais) était médicalement pertinent ».

[50]           Qui plus est, il n’y avait rien de juridiquement erroné dans la transposition par la première commissaire de cette opinion médicale à une réclamation ultérieure. En effet, par sa nature même, l’argument pouvait être repris dans l’étude de toutes réclamations ultérieures si l’absence d’atrophie se maintenait, ce qui est le cas en l’espèce. Il ne s’agissait pas d’un élément spécifique à l’analyse de réclamation de 2002.

[51]           Par ailleurs, vu la jurisprudence sur la question[11], la première commissaire n’a commis aucune erreur manifeste en rejetant la requête du travailleur en dépit de l’augmentation de l’ankylose de la cheville.

[52]           La Commission des lésions professionnelles ne voit pas d’illogisme dans le raisonnement de la première commissaire. Elle a utilisé l’absence d’atrophie à titre de preuve indirecte de l’utilisation du membre inférieur pour rejeter l’allégation du travailleur qui était à l’effet contraire. Elle a donc en réalité opposé deux éléments appartenant à l’évaluation du système musculo-squelettique. L’argument du travailleur selon lequel la première commissaire a opposé l’absence d’atrophie en tant que signe neurologique à un signe musculo-squelettique ne peut être retenu.

[53]            Ainsi que la jurisprudence l’énonce de façon constante, il appartenait à la première commissaire d’apprécier la preuve qui lui a été présentée. Dans l’exercice de sa compétence, elle pouvait choisir la preuve qui lui paraissait convaincante, ce qu’elle a fait en prenant appui sur la preuve et en adoptant un raisonnement rationnel et motivé.

[54]           Incidemment, ainsi que la jurisprudence l’a établi depuis longtemps[12], en matière de rechute, récidive ou aggravation, aucun des critères servant de guide à l’analyse n’est décisif en lui-même et chaque cas doit être apprécié suivant ses faits particuliers. Autrement dit, les critères ont un poids relatif qui varie selon les faits propres à chaque dossier. C’est pourquoi, même s’il était vrai que la première commissaire a fait reposer sa décision sur un seul élément, on ne peut pour autant en conclure que ce serait une erreur manifeste et déterminante de l’avoir fait.

[55]           Comme dans d’autres affaires semblables[13], la Commission des lésions professionnelles conclut que le deuxième commissaire ne devait pas intervenir, qu’il a réapprécié la preuve et, ce faisant, qu’il a rendu une décision comportant une erreur manifeste et déterminante sur l’issue du litige.

[56]           Les décisions soumises par le travailleur au soutien de ses prétentions sur la présente requête ne s’appliquent pas en l’espèce.

[57]           Le travailleur prend appui sur les décisions rendues en révision dans les affaires Dieudonné[14], Dansereau[15] et Dumoulin[16]. Dans ces trois affaires, la Commission des lésions professionnelles était saisie d’une deuxième requête en révision qui reprenait les mêmes motifs que ceux énoncés à la première requête en révision, qui avait été rejetée. C’est dans ce contexte précis que le principe de la non multiplication des recours en révision a été énoncé.

[58]           Ce principe ne s’applique pas dans les cas où, comme en l’espèce, une partie démontre que la décision rendue en révision comporte un vice de fond de nature à l’invalider. En pareil cas, il faut réviser la décision rendue[17].

[59]           La dernière décision soumise par le travailleur, soit l’affaire Larose[18],  concerne l’allégation de la découverte d’un fait nouveau, au sens du paragraphe 1 de l’article 429.56 de la loi, et de la mauvaise représentation du travailleur dans le cadre de l’audience initiale tenue par la Commission des lésions professionnelles. Ces deux allégations ont été rejetées par la commissaire siégeant sur la deuxième requête en révision. Quant au reste, la Commission des lésions professionnelles a jugé que le travailleur recherchait une réappréciation de la preuve et que son deuxième recours en révision s’apparentait à un appel déguisé. La deuxième requête en révision a été rejetée.

[60]           Comme indiqué précédemment, la présence d’un vice de fond invalidant la décision rendue par le deuxième commissaire a ici été démontrée. Ce vice de fond constitue une nouvelle cause de révision qui se rapporte à cette décision précise.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête en révision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail;

RÉVISE la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 3 juillet 2008;

RÉTABLIT la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 13 février 2008.

 

 

 

 

Guylaine Tardif

 

Me Michel Cyr

Procureur de monsieur Pierre Lacerte

 

 

Me Annie Veillette

Panneton, Lessard

Procureure de la Commission de la santé et de la sécurité du travail

 



[1]           500-09-014608-046, 17 septembre 2005, jj. Forget, Morissette et Hilton, C.A. Montréal.

[2]           500-09-015132-046, 6 octobre 2005, jj. Robert, Morissette et Bich, C.A. Montréal.

[3]           500-09-0A1014-016, 28 août 2003, jj. Mailhot, Rousseau-Houle et Rayle, C.A. Montréal.

[4]           [2003] C.L.P. 606 .

[5]           [2008] CSC 9 .

[6]           295537-61-0608, 26 mai 2008, J.-F. Clément.

[7]          Bourassa et Commission de la santé et de la sécurité du travail, précitée, note 3.

[8]          Vallée et Confiserie Maison Ste-Julie inc., 227172-62B-0402, 14 juin 2005, N. Blanchard.

[9]          Dieudonné et Garages des Promenades inc., 191830-63-0210-R2, 31 octobre 2005, D.     Lévesque; Dansereau    et Home Dépot, 194806-62A-0211-R2, 4 juillet 2005, L. Nadeau;      Dumoulin et Boflex inc., 216641-62-0309-R, 17 mars 2005, D. Lévesque; Larose et Fenêtre Élite          inc., 144906-03B-0008, 26 janvier 2004, F. Mercure.

[10]         Soit au moment de l’examen du docteur Des Marchais.

[11]         Vallée et Confiserie Maison Ste-Julie inc., précitée, note 8.

[12]         Boisvert et Halco inc., [1995] C.A.L.P.19.

[13]         Gaumond et Centre d’hébergement St-Rédempteur inc., [2000] C.L.P. 346 ; Commission scolaire des Phares c. CLP, C.S. Rimouski, 100-17-000616-062, 23 avril 2007, j. Blanchet, (07LP-14).

[14]         Précitée, note 9.

[15]         Précitée, note 9.

[16]         Précitée, note 9.

[17]         Dansereau, précitée, note 9; Rivard et CLSC des Trois vallées, 137750-64-0005, 31 juillet 2001,   S. Di Pasquale; Arcand et Commission scolaire des Laurentides, [1994] C.A.L.P. 57 .

[18]         Précitée, note 9.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.