Boucher et Sintra inc. |
2007 QCCLP 1941 |
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[1] Le 18 novembre 2005, monsieur Bruno Boucher (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) à la suite d’une révision administrative le 19 octobre 2005.
[2] Par cette décision, la CSST confirme une décision qu’elle a rendue le 12 août 2005 et déclare que le travailleur n’est pas porteur d’une maladie professionnelle pulmonaire de sorte qu’il n’a pas droit aux prestations pour une telle lésion.
[3] Le travailleur est présent et représenté par procureur à l’audience tenue par la Commission des lésions professionnelles à Lévis le 19 mars 2007. Sintra inc. (l’employeur) est également représenté à l’audience.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision en litige et de déclarer qu’il est porteur d’une silicose à titre de maladie professionnelle pulmonaire.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Les membres issus des associations d’employeurs ainsi que des associations syndicales estiment que la contestation du travailleur devrait être accueillie. La prépondérance de la preuve au plan factuel et médical milite en faveur d’une silicose que présente le travailleur, lequel a été exposé de façon importante à la poussière de silice dans ses fonctions de chef d’équipe responsable du concassage de la pierre dans les carrières appartenant à l’employeur depuis 1967. Il n’y a pas de facteur personnel susceptible de renverser la présomption de maladie professionnelle au présent dossier.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur est porteur d’une maladie professionnelle pulmonaire.
[7] La maladie professionnelle est définie en ces termes à l’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., chapitre A-3.001) (la loi) :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[8] L’article 29 de la loi énonce, en faveur du travailleur, une présomption de maladie professionnelle dont le libellé se lit comme suit :
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
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1985, c. 6, a. 29.
[9] La silicose est une maladie énumérée à la section V de l’annexe I de la loi. À cette maladie correspond un travail impliquant une exposition à la poussière de silice.
[10] Il ressort de la preuve documentaire et testimoniale soumise à la Commission des lésions professionnelles que le travailleur a œuvré depuis 1967 pour le compte de l’employeur. Il a exercé la fonction de chef d’équipe responsable des opérations de concassage de la pierre dans différentes carrières. À ce titre, il a été appelé à occuper les postes de journalier et d’opérateur de machinerie lourde en plus de superviser les tâches des autres employés. Il a travaillé la majeure partie du temps à la carrière située à St-Jean-Chrysostome où l’exposition à la poussière était la plus marquée.
[11] Le 17 février 2005, le travailleur qui est âgé de 56 ans produit à la CSST une réclamation pour une maladie professionnelle pulmonaire. Il invoque être porteur d’une silicose en lien avec l’exercice de son travail qui implique une exposition à la poussière de silice. Il soumet, à l’appui de sa réclamation, un rapport médical du docteur Lecours du 9 février 2005 faisant état d’un diagnostic de silicose. Ce pneumologue précise que les images tomodensitométriques peuvent être en relation avec une atteinte silicotique à son tout début sans qu’il n’y ait d’atteinte du profil fonctionnel.
[12] Conformément aux prescriptions de l’article 226 et suivants de la loi, le dossier est transmis au Comité des maladies professionnelles pulmonaires (CMPP) qui évalue le travailleur le 6 mai 2005. Le rapport d’évaluation indique que le travailleur, dont l’histoire occupationnelle implique une exposition à la poussière, présente des opacités micronodulaires aux deux sommets suivant le résultat d’une radiographie pulmonaire effectuée lors d’un examen de routine. Le travailleur devient dyspnéique uniquement lors d’efforts physiques intenses. Il présente une toux sèche depuis environ un an. Il n’a pas d’antécédent personnel ou familial d’ordre pulmonaire. Il a par ailleurs cessé de fumer il y a 27 ans. La revue des systèmes est non contributoire.
[13] Les résultats des différents examens sont résumés comme suit au rapport que produit le CMPP à la suite de son évaluation :
EXAMEN PHYSIQUE : On note un patient dont l’apparence est bonne pour son âge. À l’examen du cou, la thyroïde est de volume normal. Il n’y a pas d’adénopathie. À l’examen pulmonaire, le thorax présente une configuration normale. Il n’y a pas d’hippocratisme digital. L’auscultation révèle un murmure vésiculaire présent et symétrique aux deux plages sans aucune évidence de râle crépitant. L’examen cardiaque démontre des bruits normaux. Il n’y a pas de souffle. La tension artérielle est à 168/91 au bras droit. L’examen de l’abdomen est sans particularité de même que l’examen des extrémités.
BIOLOGIE : Les examens biologiques étaient dans les limites normales.
RADIOGRAPHIE PULMONAIRE : Elle fut classifiée comme suit : P/Q 1/10, ru, lu; hi, od : traînées linéaires supra-hilaires.
TEST DE FONCTION RESPIRATOIRE : Les examens respiratoires fonctionnels montraient un bilan de base avec un abaissement isolé de la diffusion. L’épreuve d’effort s’est avérée normale. Cependant, on a constaté la présence d’une hypertension artérielle significative en particulier au niveau de la systolique qui s’est élevée jusqu’à 272.
[14] Le rapport du CMPP conclut en ces termes :
CONCLUSION ET COMMENTAIRES : Monsieur Boucher fut exposé à la poussière de silice durant de nombreuses années. Il a occupé différents emplois. Face à l’histoire professionnelle ainsi qu’à l’ensemble des autres données, les membres du Comité sont d’avis que ce réclamant est porteur d’une silicose.
BILAN DES SÉQUELLES :
223001 5 %
TOLÉRANCE AUX CONTAMINANTS : Il ne doit plus être exposé à la poussière de silice.
CAPACITÉ À L’EFFORT : Pourvu que les conditions ci-haut mentionnées soient respectées, il nous apparaît très apte à occuper un emploi exigeant des efforts normaux pour un homme de son âge.
RÉVISION SOUHAITABLE ? : Oui, dans 3 ans.
[15] Le 3 juin 2005, le Comité spécial des présidents rend un avis infirmant le diagnostic et autres conclusions du CMPP. Cet avis se lit comme suit :
À leur réunion du 2 juin 2005, les membres soussignés du Comité spécial des présidents ont étudié le dossier de ce réclamant.
Les Présidents ont revu attentivement tous les éléments de ce dossier.
La tomographie axiale révèle en effet la présence de quelques lésions micro-nodulaires mais associées surtout à des travées de fibrose dans les apex suggérant fortement des séquelles d’une infection granulomateuse. De plus, le contexte d’exposition à la silice n’est pas entièrement univoque et il est difficile d’en évaluer l’intensité. Les tests de fonction respiratoire ne montrent aucune altération au niveau des volumes et débits respiratoires forcés, et la tolérance à l’effort demeure à la limite inférieure de la normale.
Considérant l’ensemble des données, le Comité est d’avis qu’il n’a pas les éléments actuellement pour reconnaître une pneumoconiose.
Tenant compte toutefois des antécédents professionnels et les quelques anomalies radiologiques notés, nous recommandons que monsieur Boucher soit réévalué dans trois ans.
[16] Suivant les conclusions d’un rapport environnemental produit à la suite d’une intervention effectuée par le Centre des services sociaux du Grand Littoral le 5 octobre 2005, les sept travailleurs oeuvrant à la carrière de St-Jean-Chrysostome sont exposés à la poussière de silice. Cette exposition dépasse la norme permise pour tous les travailleurs peu importe les fonctions qu’ils occupent. Des recommandations sont alors émises. Elles consistent notamment à effectuer le dynamitage en automne car la pierre est moins poussiéreuse. L’employeur est invité à fournir des cabines climatisées aux conducteurs de camion ou de machinerie lourde qui pourraient ainsi garder leurs fenêtres et portes fermées de manière à réduire l’exposition à la poussière. Des masques à poussière devraient être mis à la disposition des travailleurs à défaut de pouvoir mettre en place des moyens de protection collectifs.
[17] À la suite d’une intervention effectuée par la CSST le 27 février 2006 à la carrière de l’employeur située à St-David, un avis de correction est émis par la CSST. Des corrections doivent être apportées à la suite des dérogations identifiées. L’employeur doit mettre par écrit une procédure de travail visant à éliminer ou à diminuer les concentrations de poussière et de silice lors des opérations de concassage. Il doit aussi inclure cette procédure à l’intérieur de son programme de prévention afin d’assurer la permanence du correctif en cause.
[18] Il ressort enfin du témoignage du travailleur que ce dernier n’a jamais bénéficié de moyens de protection contre la poussière de silice tout au long de sa carrière chez l’employeur depuis 1967. La quantité de poussière était telle que le travailleur était « tout gris » en finissant ses journées de travail. Ce n’est qu’en 2006, et non en 2005, qu’il a obtenu un monte-charge neuf et non pas un camion tel qu’indiqué au dossier.
[19] L’exposition du travailleur à la poussière de silice, qui est désormais documentée au présent dossier depuis octobre 2005, n’est pas remise en cause par l’employeur en l’instance. Ce dernier reconnaît d’emblée l’existence d’une telle exposition.
[20] Le litige porte essentiellement sur l’existence d’un diagnostic de silicose qui est invoqué par le travailleur à titre de maladie professionnelle pulmonaire.
[21] À l’appui de sa contestation, le travailleur soumet l’opinion écrite émise en ces termes par le docteur Lecours le 23 janvier 2007 :
J’ai révisé l’ensemble de la documentation que vous m’avez envoyée chez ce patient que j’avais évalué en 2005 pour des anomalies radiologiques dans le cadre d’exposition à la silice.
Même si les images radiologiques n’étaient pas très impressionnantes, le patient avait été reconnu, par le comité de pneumologues de Québec, comme porteur d’une silicose et cette opinion a été réfutée par le comité des présidents.
Nous sommes ici en face d’une difficulté à savoir est-ce que les anomalies radiologiques de ce patient sont en relation avec l’exposition à la silice. Le comité des présidents mentionnait que le contexte d’exposition à la silice n’est pas entièrement univoque et qu’il est difficile d’en évaluer l’intensité.
J’ai pris tout de même connaissance du constat de l’étude environnementale et, dans le constat, on a observé que l’exposition des travailleurs à la poussière est supérieure à la norme. Il ne fait pas de doute quant à moi que le patient a eu une exposition à la silice. Par contre, est-ce que les images tomodensitométriques s’expliquent par cette exposition ? Personnellement, je crois que nous ne sommes pas capables de réfuter hors de tout doute.
À prime abord, je serais porté à penser, dans un tel contexte, que ces images sont en relation avec une exposition à la silice. Seule une biopsie pulmonaire pourrait trancher le débat, mais cet examen ne sera pas fait compte tenu du grand taux de morbidité que cela peut entraîner pour un patient qui n’a aucune atteinte du profil fonctionnel.
Et, pour répondre à vos questions :
· Question 1 : peut-on établir une relation entre la lésion et le genre de travail effectué par le travailleur ?
Comme mentionné ci-haut, je pense que oui.
· Question 2 : opinion sur l’avis exprimé par le comité des présidents.
Personnellement, je pense qu’il est difficile sans l’ombre d’un doute d’écarter l’exposition à la silice chez ce patient.
· Question 3 : quelle distinction nous pouvons faire au plan médical entre une pneumoconiose et une silicose ?
Le thème pneumoconiose regroupe l’ensemble des maladies professionnelles interstitielles telles l’amiantose, la silicose, la sidérose et la bérylliose et autres pathologies environnementales.
[22] La Commission des lésions professionnelles, après avoir analysé l’ensemble des données factuelles et médicales, puis soupesé les arguments respectifs des parties et considéré l’avis des membres du tribunal, considère que la prépondérance de la preuve milite en faveur de la reconnaissance d’une silicose à titre de maladie professionnelle pulmonaire dont le travailleur est porteur.
[23] Contrairement aux données d’exposition incomplètes dont disposait le Comité spécial des présidents en juin 2005, le rapport environnemental du mois d’octobre 2005 ainsi que le rapport d’intervention de la CSST du mois de mars 2006 ont démontré que le travailleur avait été exposé à la poussière de silice, et ce, peu importe les tâches qu’il a accomplies dans les différentes carrières de l’employeur depuis 1967. Non seulement cette exposition dépasse la norme permise mais le travailleur ne bénéficiait d’aucune mesure de protection avant l’année 2006. La preuve non contestée d’exposition à la poussière de silice est univoque.
[24] Au plan médical, l’interprétation par le radiologiste de l’examen par tomographie axiale auquel réfère le Comité spécial des présidents conclut à l’effet que les traînées linéaires inter apicaux hilaires fibrotiques s’accompagnant de très discrets foyers d’opacités micro-nodulaires aux deux apex suggèrent, en premier lieu, un diagnostic de silicose. Une ancienne atteinte granulomateuse ne peut être complètement exclue mais elle semble moins probable selon le radiologiste qui a interprété l’examen en corrélation avec les renseignements cliniques. De plus, un autre radiologiste appelé à interpréter un second examen par tomodensitométrie thoracique réalisé sous haute résolution conclut également à de petites modifications suggestives de silicose aux sommets.
[25] Il importe de préciser que les résultats de tels examens par tomodensitométrie thoracique s’avèrent nettement plus précis que ceux obtenus à partir des radiographies simples auxquels réfère l’employeur dans son argumentation. De telles radiographies ne constituent pas des examens de choix afin d’établir l’existence ou non d’une maladie pulmonaire. En outre, le protocole radiologique du 7 février 2005 suggère des lésions cicatricielles aux deux apex avec traînées fibreuses apicales hilaires, associées à une rétraction des hiles vers le haut, pouvant témoigner d’une ancienne granulomatose. S’il n’y a pas de lésion pleuro-parenchymateuse évolutive, l’examen suggère par contre une hyperinflation pulmonaire pouvant témoigner d’une maladie pulmonaire obstructive chronique (MPOC). Il n’y a donc pas de donnée concluante pouvant être tirée d’un tel examen, d’autant plus que celui-ci s’avère sous-optimal en raison d’un flou cinétique.
[26] L’avis motivé du CMPP en faveur d’un diagnostic de silicose, auquel souscrivent les radiologistes ayant interprété les deux tomodensitométries thoraciques qu’a subies le travailleur, s’avère prépondérant en l’espèce. À ces opinions médicales s’ajoute celle du docteur Lecours qui, bien qu’étant fort peu catégorique au plan du diagnostic, insiste cependant sur la preuve d’exposition à la silice qui est désormais univoque dans l’état actuel du dossier. Ce pneumologue considère que les images tomodensitométriques sont en relation avec une exposition à la silice, tout en précisant que seule une biopsie pulmonaire aurait pu trancher le débat portant sur le diagnostic. Or, une telle certitude souhaitée par le docteur Lecours ne correspond pas au degré de preuve qui est requis en l’espèce, lequel est plutôt de l’ordre de la balance des probabilités.
[27] La Commission des lésions professionnelles considère que l’absence de déficit observé au niveau de la fonction respiratoire du travailleur ne fait pas obstacle à la reconnaissance de la silicose qui en est à ses débuts, comme l’explique d’ailleurs le docteur Lecours à son rapport de consultation initiale du 9 février 2005.
[28] La preuve étant en faveur d’un diagnostic de silicose chez le travailleur qui a exercé un travail impliquant une exposition à la poussière de silice, la présomption de maladie professionnelle prévue à l’article 29 de la loi doit recevoir application.
[29] Or, il n’y a pas de preuve qui soit de nature à renverser la présomption précitée.
[30] Le présent tribunal constate que le travailleur n’a pas d’antécédents personnels pouvant expliquer favorablement sa condition pulmonaire telle que mise en évidence en 2005.
[31] Le travailleur est donc porteur d’une silicose à titre de maladie professionnelle pulmonaire et il a droit aux prestations pour cette lésion.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Bruno Boucher (le travailleur);
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) à la suite d’une révision administrative le 19 octobre 2005;
DÉCLARE que le travailleur est porteur d’une maladie professionnelle pulmonaire, soit une silicose, et qu’il a droit aux prestations pour une telle lésion professionnelle.
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Geneviève Marquis |
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Commissaire |
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Me Alain Lachance |
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C.S.D. |
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Représentant de la partie requérante |
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M. Paul Côté |
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SANTRAGEST INC. |
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Représentant de la partie intéressée |
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