Fréchette c. Boussalmi |
2011 QCCS 6280 |
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JT1490 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-056257-101 |
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DATE : |
21 octobre 2011 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
DANIELLE TURCOTTE, J.C.S. |
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MICHEL FRÉCHETTE |
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Demandeur |
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c. |
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MERHEZ BOUSSALMI -et- SERGE FERNANDEZ -et- COMMANDITE SOCIÉTÉ FINANCIÈRE FIRST NATIONAL |
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Défendeurs |
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-et- L'OFFICIER DE LA PUBLICITÉ DES DROITS, CIRCONSCRIPTION FONCIÈRE DE MONTRÉAL -et- VILLE DE MONTRÉAL Mis en cause |
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JUGEMENT |
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INTRODUCTION
[1] Le propriétaire d'une maison est victime d'un vol d'identité permettant à des escrocs de la vendre et d'encaisser le produit d'un prêt garanti par hypothèque publiée contre l'immeuble en question.
[2] Lorsque la supercherie éclate au grand jour, il tente de faire rétablir ses droits. Il tient le notaire instrumentant responsable de ce qui lui est arrivé.
[3] Voyons le contexte à l'origine de ce litige.
LES FAITS
[4] L'imposture se déroule au cours de l'année 2009.
[5] Un fraudeur et son complice agissent respectivement comme vendeur et acheteur. Ils signent une promesse d'achat concernant l'immeuble de Michel Fréchette, à l'insu de ce dernier. La propriété est libre de toute dette. Le faux acheteur peut aisément obtenir un prêt à être garanti par hypothèque. Il ne reste qu'à officialiser le tout par l'entremise d'un notaire.
[6] C'est de cette manière que le notaire défendeur est impliqué dans cette affaire.
[7] Alors qu'il se préparait à célébrer Noël, M. Fréchette reçoit du courrier adressé à Merhez Boussalmi. Il ouvre tout de même l'enveloppe et voit un compte émis par la Ville de Montréal pour les droits de mutation exigibles à la suite de la vente de sa propriété. Il réalise ultérieurement le subterfuge dont il a été l'objet. Il consulte un avocat qui envoie une mise en demeure à l'acheteur. C'est alors qu'on constate que le nom de ce dernier a également été utilisé malgré lui dans cette histoire.
[8] En début d'instance, le procureur du notaire reconnaît d'emblée que les signatures apparaissant à l'acte de vente[1] ne sont pas celles des vrais Michel Fréchette et Merhez Boussalmi.
[9] Le créancier hypothécaire fait de même et accorde mainlevée de son acte d'hypothèque publié contre l'immeuble de M. Fréchette.
[10] La seule question qui demeure en litige est la responsabilité du notaire.
[11] Aux yeux de M. Fréchette, celle-ci ne fait aucun doute. La négligence du notaire est à l'origine de la fraude. Celle-ci aurait pu être évitée si le notaire avait fait preuve de plus de rigueur.
[12] M. Fréchette lui réclame les honoraires extrajudiciaires qu'il a engagés pour faire annuler les actes de vente d'hypothèque. Il souhaite aussi recevoir une compensation de 5 000 $ pour le stress, les troubles et les inconvénients engendrés par toute cette situation.
[13] Le notaire réplique qu'aucune faute ne peut lui être reprochée. Cette fraude, certes regrettable, ne lui est pas imputable.
QUESTIONS EN LITIGE
[14] Le notaire Fernandez a-t-il commis une faute professionnelle ou a-t-il été négligent lors de la réception de l'acte de vente ?
[15] Dans l'hypothèse d'une réponse affirmative à la première question, quel est le quantum des dommages?
L'ANALYSE
[16] Pour réussir dans son action en responsabilité professionnelle, M. Fréchette doit démontrer que la faute ou la négligence du notaire est à l'origine des dommages qu'il subit. Rappelons que ceux-ci découlent de la fraude. Ainsi, la véritable question est de savoir si le notaire a commis une faute qui a permis de perpétrer la fraude.
[17] L'auteur Patrice Deslauriers[2] enseigne que :
[…]
Pour établir la faute d'un notaire, il incombe donc à la victime de démontrer que le défendeur s'est écarté d'une conduite raisonnablement prudente et diligente eu égard aux circonstances. Toutefois, exceptionnellement, le notaire est tenu à une obligation de résultat, notamment lorsqu'il doit, aux termes d'un mandat clair et précis, « procurer au client un acte valide authentique » ou débourser des fonds, ou encore lorsqu'il reçoit et accepte un « mandat en termes très spécifiques ». […] (notre soulignement)
[18] Voyons les écarts de conduite identifiés par la poursuite.
1. Erreur de date
[19] M. Fréchette allègue que le notaire a commis une erreur dans la rédaction de l'acte de vente passé entre les faux vendeur et acheteur. Il y est écrit que le titre de propriété du vendeur origine de 1963, alors qu'en réalité, c'est en 1968[3].
[20] Il est vrai que l'acte comporte cette erreur cléricale. Cependant, celle-ci n'a aucune relation de cause à effet avec la fraude. Il s'agit d'une erreur, somme toute anodine, facilement corrigible mais surtout, qui n'a aucunement facilité la vie aux malfaiteurs.
2. Attestation de l'identité des parties
[21] Bien que M. Fréchette reproche au notaire d'avoir failli dans son devoir d'attester l'identité des parties, la preuve ne supporte pas cette prétention.
[22] Tout d'abord, comme la loi l'y oblige[4], le notaire requiert des pièces d'identité des faux acheteur et vendeur. Ceux-ci lui fournissent leur permis de conduire et leur carte d'assurance maladie. Ensuite, le notaire s'assure que les photographies apparaissant sur les pièces d'identité correspondent aux individus qu'il reçoit dans son bureau[5]. Les photographies[6] déposées au dossier lui donnent raison.
[23] Le permis de conduire et la carte d'assurance maladie constituent un moyen raisonnable d'établir l'identité des co-contractants. La preuve ne démontre pas que le notaire devait douter de l'authenticité des documents qu'on lui a exhibés. Après tout, son mandat ne consiste pas à enquêter sur les personnes requérant ses services.
[24] Ceci étant, force est de conclure que le notaire a correctement procédé à l'identification des parties.
3. Intervention de l'épouse
[25] M. Fréchette reproche au notaire d'avoir omis de faire intervenir son épouse à la transaction.
[26] Or, il est en preuve que le régime matrimonial de M. Fréchette et de son épouse est la séparation de biens. Il est donc exact, comme le mentionne le notaire[7], que l'épouse n'avait pas à intervenir à l'acte.
[27] M. Fréchette étant propriétaire unique, il pouvait vendre sa résidence sans le concours de sa conjointe.
4. Variation dans le dépôt
[28] On reproche au notaire de ne pas avoir porté attention au fait que l'offre d'achat stipule qu'un montant de 30 000 $ est versé en acompte au vendeur, alors que c'est 33 000 $ qui ont été payés.
[29] À ce sujet, le notaire répond s'en être tenu à ce que les parties lui ont démontré, à savoir le versement d'une somme de 33 000 $ par l'acheteur au vendeur.
[30] En l'absence d'indication que le notaire n'a pas les bonnes personnes devant lui, il n'a aucune raison de réagir du fait que le vendeur reçoit 3 000 $ de plus que prévu.
[31] Son mandat est de protéger les deux parties à l'acte. C'est ce qu'il fait en donnant dûment crédit pour la totalité de ce que le vendeur a déjà reçu à titre d'acompte.
5. Certificat de localisation
[32] L'acte de vente intervenu entre les fraudeurs fait état que l'acheteur dispense le vendeur de lui fournir l'original de son titre de propriété et un certificat de localisation à jour.
[33] M. Fréchette argue que cela n'est pas normal.
[34] Cependant, le notaire explique que les parties à l'acte y ont renoncé. Elles ont opté pour une assurance-titre qui couvre les problèmes qui peuvent résulter d'un tel défaut[8].
[35] Puisqu'il s'agit d'une pratique courante, on ne peut reprocher au notaire de s'être écarté d'une conduite prudente et diligente. Il n'avait pas à s'immiscer dans la décision des parties.
6. Absence de similitude entre les signatures du vendeur
[36] On peut constater une disparité des signatures du vendeur, entre celle apparaissant à la dernière page de l'offre d'achat et celle de la fausse pièce d'identité[9].
[37] Toutefois, les informations que le notaire recherche dans l'offre sont le prix et les conditions de vente. Cela lui permet de préparer son acte de vente avant de recevoir les signataires. Il est normal qu'il ne se soit pas attardé à comparer la signature[10] sur l'offre et sur les pièces d'identité qu'on lui remet en personne, dans un deuxième temps. De toute manière, il n'y a là aucune erreur de sa part puisque les faussaires qui sont devant lui veulent passer titre et confirment la validité de l'offre. En l'absence d'indices plus clairs, le notaire ne peut pas deviner qu'il s'agit d'imposteurs.
7. Encaissement du chèque du produit de la vente
[38] M. Fréchette reproche au notaire d'avoir manqué de vigilance lorsqu'il a réalisé que le vendeur veut faire affaires avec un centre d'encaissement de chèques.
[39] En effet, le fraudeur s'y présente après coup pour y encaisser le produit de la vente. À supposer que le notaire aurait dû trouver étrange que M. Fréchette transige à cet endroit plutôt qu'à son institution financière régulière, il aurait tout simplement téléphoné au faux Michel Fréchette. Nul doute que celui-ci aurait confirmé son intention d'encaisser son chèque auprès de cette compagnie.
[40] Si tant est qu'il puisse s'agir d'une faute, celle-ci n'a pu aider à perpétrer la fraude qui s'est déjà matérialisée.
8. Décision du conseil de discipline
[41] En dernier lieu, M. Fréchette dépose une décision du Conseil de discipline de la Chambre des notaires dont le notaire fait l'objet. Il demande au Tribunal de la retenir ou au moins d'en tirer une inférence négative sur le comportement du notaire.
[42] Or, le Tribunal ne peut donner son aval à cette prétention. La plainte disciplinaire vise l'utilisation de sommes d'argent à des fins autres que celles pour lesquelles on les a confiées au notaire.
[43] D'une part, il ne s'agit pas d'une infraction similaire et, d'une autre, le rôle du présent Tribunal n'est pas d'analyser le comportement déontologique du notaire, mais bien d'examiner s'il a commis, dans le cadre de l'acte de vente en litige, une faute dont la conséquence directe est la fraude. Tel n'est pas le cas.
[44] Pour toutes ces raisons, l'action contre le notaire doit être rejetée.
- Frais
[45] Conformément à l'article 477 C.p.c., la partie qui perd supporte les dépens. En principe, le Tribunal devrait condamner M. Fréchette à payer les dépens au notaire défendeur.
[46] Toutefois, le Tribunal est d'opinion que l'action devrait être rejetée mais sans frais.
[47] Il est en preuve que lors de la signification de la mise en demeure, quelques jours après la découverte du pot aux roses, le notaire n'a jamais communiqué avec le procureur de M. Fréchette. Au lieu d'offrir sa collaboration et démontrer un empressement à aider M. Fréchette à se sortir de ce pétrin, il fait le mort. Ce n'est qu'après son interrogatoire hors Cour que le procureur de M. Fréchette voit la copie des pièces d'identité remises au notaire. Son attitude passive a contribué à alimenter l'idée que M. Fréchette se fait, voulant que le notaire est à blâmer dans cette affaire.
[48] De plus, il ne s'est pas présenté au procès, préférant laisser son avocate aux prises avec cette cause, sans le bénéfice de son témoignage.
[49] Pour ces raisons, le Tribunal estime qu'il peut déroger à la règle et rejeter l'action contre le notaire, mais sans frais.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[50] ACCUEILLE en partie l'action du demandeur;
[51] DÉCLARE faux l'acte de vente intervenu le 30 septembre 2009 devant le notaire Serge Fernandez et publié au bureau de la publicité des droits de la circonscription foncière de Montréal sous le numéro 16 594 165 et affectant le lot UN MILLION SIX CENT SOIXANTE-HUIT MILLE SEPT CENT QUINZE (1 668 715) au Cadastre du Québec, circonscription foncière de Montréal;
[52] ORDONNE à l'Officier de la publicité des droits de la circonscription foncière de Montréal de radier l'acte de vente publié sous le numéro 16 594 165 et affectant le lot UN MILLION SIX CENT SOIXANTE-HUIT MILLE SEPT CENT QUINZE (1 668 715) au Cadastre du Québec, circonscription foncière de Montréal;
[53] DONNE ACTE de l'engagement de la Ville de Montréal de radier le compte de droits de mutation portant le numéro 020878-50-00 imposé à la suite de la vente de la propriété sise au […], à Montréal-Nord;
[54] REJETTE sans frais l'action contre Serge Fernandez.
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__________________________________ DANIELLE TURCOTTE, J.C.S. |
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Me René Brabant |
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Avocat du demandeur |
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M. Merhez Boussalmi |
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Non représenté |
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Me Mireille Brosseau BROSSEAU, MORRISSEAU, PARÉ & RAYMOND Avocate de M. Serge Fernandez
Me Vanessa Jodoin BORDEN, LADNER, GERVAIS Avocate de la défenderesse : Commandite Société Financière First National |
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Date d’audience : |
6 octobre 2011. |
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[1] Voir pièce P-1.
[2] Patrice DESLAURIERS, Responsabilité, Collection de droit 2010-2011, École du Barreau du Québec, vol. 4, 2010 (EYB2010CDD94).
[3] Voir pièce P-1.
[4] Art. 41 de la Loi sur le notariat, L.R.Q. ch. N-2.
[5] Voir pages 35 et 64 des notes sténographiques de l'interrogatoire du notaire.
[6] Voir pièce P-8.
[7] Voir notes sténographiques de son interrogatoire, p. 37.
[8] Voir notes sténographiques, p. 24.
[9] Voir pièce P-8.
[10] Voir notes sténographiques, p. 32, où il mentionne ne pas avoir porté attention à la date de l'offre.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.