Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

Hôpital Sainte-Justine

2012 QCCLP 7749

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Laval

4 décembre 2012

 

Région :

Laval

 

Dossier :

469369-61-1204

 

Dossier CSST :

134480805

 

Commissaire :

Louise Boucher, juge administratif

 

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Hôpital Sainte-Justine

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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DÉCISION

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[1]           Le 26 avril 2012, Hôpital Sainte-Justice (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles, une requête par laquelle il conteste une décision rendue le 23 avril 2012 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.

[2]           Cette décision confirme une première décision rendue par la CSST le 20 février 2012 et déclare que l’employeur doit être imputé de la totalité des coûts reliés à la lésion professionnelle subie par madame Lucie Buist (la travailleuse) le 10 décembre 2008.

[3]           L’audience de la présente requête est fixée le 6 novembre 2012 à Laval. Par lettre transmise à cette date, l’employeur informe le tribunal qu’il sera absent de l’audience. Il dépose cependant une argumentation écrite, accompagnée d’une opinion médicale rédigée par le docteur François Kassab, médecin-conseil, en date du 29 octobre 2012.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision de la révision administrative, de déclarer que la travailleuse était handicapée au moment de la lésion professionnelle et de lui accorder un partage d’imputation dans la proportion de 40 % à son dossier financier et 60 % aux employeurs de toutes les unités.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[5]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’employeur a droit à un partage d’imputation en raison d’un handicap dont la travailleuse aurait été porteuse au moment de sa lésion professionnelle.

[6]           La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) prévoit que la CSST impute à l’employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail survenu à un travailleur alors qu’il était à son emploi (article 326). L’employeur peut cependant obtenir un partage d’imputation s’il démontre que le travailleur était handicapé au moment de la lésion professionnelle :

329.  Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.

 

 

[7]           Dans l’affaire Canbec[2], la Commission des lésions professionnelles rappelle le fardeau de preuve d’un employeur qui présente une demande basée sur l’article 329 :

[13]      Le législateur ne définit pas ce qu’est un handicap. Cependant, la jurisprudence pratiquement unanime de la Commission des lésions professionnelles interprète maintenant cette expression selon la définition suivante citée dans l’affaire Municipalité Petite-Rivière-St-François et C.S.S.T. :

 

            « La Commission des lésions professionnelles considère qu’un travailleur déjà     handicapé au sens de l’article 329 de la loi est celui qui présente une déficience           physique ou psychique qui a entraîné des effets sur la production de la lésion     professionnelle ou sur les conséquences de cette lésion. »

[14]      L’employeur doit donc démontrer de façon prépondérante que le travailleur présente une déficience physique ou psychique avant la survenance de la lésion professionnelle du 27 juin 2005 et que cette déficience a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur les conséquences de celle-ci.

 

[15]      La notion de déficience a également fait l’objet d’une interprétation dans l’affaire précitée, basée sur la Classification internationale des handicaps, élaborée par l’Organisation mondiale de la santé (Paris, CTNERHI-Inserm, 1988). Elle se définit comme étant une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique qui correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. Elle peut être congénitale ou acquise ou elle peut exister à l’état latent sans s’être manifestée avant la survenance de la lésion professionnelle.

 

[16]      Enfin, le tribunal est d’avis qu’il est primordial aussi de faire une distinction entre une condition personnelle et une déficience car ce ne sont pas toutes les conditions personnelles qui peuvent répondre à la définition de déficience. Seule la condition personnelle qui correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale peut être considérée lors d’une demande de partage de coûts. Il faut donc que la condition personnelle s’écarte de ce qu’on retrouve normalement chez des personnes au point de constituer une anomalie pour qu’on puisse la considérer comme une telle déficience.

 

[17]      Il appartient à l’employeur de démontrer l’existence d’une déficience et d’établir également que cette déficience a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur les conséquences de celle-ci. Certains critères sont utilisés pour analyser cette relation entre la déficience et la lésion professionnelle. On réfère notamment à la nature et à la gravité du fait accidentel, au diagnostic initial de la lésion professionnelle, à l’évolution du diagnostic et de la condition du travailleur ainsi qu’à la compatibilité entre le plan de traitement prescrit et le diagnostic de la lésion professionnelle, à la durée de la période de consolidation, à la gravité des conséquences de cette lésion, à l’âge du travailleur et aux diverses opinions médicales à ce sujet.

 

[18]      Aucun de ces critères n’est à lui seul déterminant, mais pris ensemble, ils peuvent permettre au tribunal de se prononcer sur le bien-fondé de la demande de l’employeur.

 

 

[8]           C’est à la lumière de ces dispositions législatives et critères jurisprudentiels que la soussignée a entrepris l’analyse de la présente demande. Or, après une lecture attentive de la documentation pertinente, des arguments et de l’opinion du docteur Kassab, la Commission des lésions professionnelles en vient à la conclusion que l’employeur a droit à un partage d’imputation tel que prévu à l’article 329 de la loi. En voici les raisons.

[9]           D’abord, l’employeur démontre que la travailleuse, le 10 décembre 2008, était handicapée puisqu’elle était porteuse d’une déficience, à savoir, une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique qui correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale.

[10]        En 2008, la travailleuse est au service de l’employeur depuis près de 30 ans et elle est âgée de 49 ans. Le 10 décembre 2008, alors qu’elle occupe un poste de préposée au service alimentaire, elle subit une lésion professionnelle dont le diagnostic retenu est celui d’entorse dorsale. Par décision de la Commission des lésions professionnelles qui entérine un accord entre les parties[3], la date de consolidation est fixée au 13 mars 2009 avec suffisance des soins et traitements à cette date. Il ne résulte aucune séquelle ni limitation fonctionnelles de cette lésion.

[11]        Il est en preuve que la travailleuse est porteuse d’une condition personnelle de scoliose dorsolombaire idiopathique accompagnée de discopathie dorsale. Ces conditions personnelles préexistantes sont révélées par imagerie. D’abord, une radiographie du 15 décembre 2008, qui met en évidence une « attitude scoliotique dorsale à grand axe à convexité droite ayant son maximum d’intensité à D5-D6 et qui forme un angle de 9 degrés », ensuite, une résonance magnétique du 11 mai 2009 dont le rapport se lit comme suit :

De D3-D4 à D11-D12, il existe une discopathie avec un hyposignal des disques en pondération T2 et un amincissement des espaces discaux D3-D4 à D9-D10 associée à une hernie postéro-latérale droite en D7-D8 et à de minimes protrusions discales postéro-centrales en D9-D10 et D10-D11 n’entraînant pas de compression médullaire ni de sténose.

 

Des hernies intraspongieuses (ou nodules de Schmorl) étagées sont notées par ailleurs, l’alignement des vertèbres est anatomique, la moelle osseuse est homogène, le canal spinal est large à tous les niveaux et il n’y a pas d’anomalie du signal médullaire.

 

 

[12]         Dans son opinion sur dossier, le docteur Kassab est d’opinion que ces conditions constituent une déficience au sens de la loi :

À la lecture du dossier de cette travailleuse, les facteurs principaux qui expliquent la durée prolongée de sa symptomatologie au point de vue musculo squelettique est la présence d’une scoliose dorsale idiopathique avec convexité maximale en D5-D6 accompagnée d’une rotoscoliose compensatrice au niveau du rachis lombaire, le tout greffé sur une discopathie dégénérative dorsale résultant en un syndrome douloureux dorsal aggravé et prolongé.

 

Il est d’ailleurs bien reconnu dans la littérature médicale sur les scolioses dorso-lombaires idiopathiques que la présence de cette malformation a un impact direct sur les plaintes de douleur dorso-lombaire étant donné le dérangement du fonctionnement normal de la mécanique du rachis vertébral. (…)

 

Dans ce contexte, la scoliose dorsale de la travailleuse a directement contribué à la survenance du syndrome douloureux dorsal ainsi qu’à la prolongation de la période de guérison, la travailleuse ayant même reçu des blocs facettaires à deux reprises, qui ne sont pas en soi le traitement usuel d’une simple entorse dorsal (son médecin traitant n’ayant prescrit que de l’acétaminophène au départ).

(notre soulignement)

[13]        Dans Bell Helicopter Textron[4], la Commission des lésions professionnelles reconnaît qu’une scoliose est un handicap :

[42]      Effectivement, la scoliose a convexité gauche démontrée par radiographie correspond à une altération d’une structure et à une déviation par rapport à la norme biomédicale puisque chez une personne normale, il n’y a pas de défaut d’alignement entre la vertèbre et les facettes articulaires.

 

 

[14]        Dans une autre affaire, CHSLD Vigi Yves-Blais[5], la Commission des lésions professionnelles reprend cette même opinion, à savoir que la scoliose constitue un handicap au sens de l’article 329 de la loi :

[57]      La présence de la déficience ne fait aucun doute. En effet, une scoliose est une altération d’une structure et d’une fonction anatomique. Cette condition est prouvée radiologiquement

 

(…)

 

[59]      La jurisprudence reconnaît d’ailleurs qu’une scoliose constitue un handicap.

(références omises)

 

 

[15]         La travailleuse en l’instance était donc porteuse d’une déficience par rapport à une norme biomédicale au moment de la lésion professionnelle. Mais, pour réussir dans sa demande, l’employeur doit aussi démontrer que cette déficience a eu un impact sur la survenance de la lésion ou sur les conséquences de celle-ci. La preuve offerte en l’instance démontre que le handicap a eu un impact sur la durée de la consolidation.

[16]        Le fait accidentel survient le 10 décembre 2008 lorsque la travailleuse fait une chute. Le diagnostic d’entorse dorsale est émis initialement et, par la suite, celui d’entorse dorsolombaire est posé. Cette lésion a nécessité une période de consolidation de 93 jours, alors qu’une entorse dorsolombaire est généralement consolidée dans un délai de 35 jours. Il est démontré que la condition personnelle de la travailleuse a eu un impact sur la prolongation de la période de consolidation. Sur cet aspect, le docteur Kassab s’exprime ainsi :

Pour les raisons ci-haut mentionnées et considérant l’ensemble du dossier, il est bien apparent que madame Buist n’a pas suivi le modèle biologique de guérison d’une blessure des tissus mous, soit un processus de réparation qui dure plus ou moins six semaines, elle a été consolidée après 93 jours d’évolution.

 

N’eût été de ses conditions de scoliose dorso-lombaire idiopathique qui était préalable à sa lésion professionnelle et la discopathie discale dorsale qui l’accompagne, cette travailleuse aurait plutôt suivi le processus normal de guérison d’une blessure des tissus mous.

 

(…)

 

En réponse au mandat soumis mes opinions sont les suivantes :

 

a) Effectivement cette scoliose dorso-lombaire idiopathique n’est pas considérée comme étant selon les normes biologiques, mais étant bel et bien hors-normes biologiques;

 

b) Cette scoliose dorso-lombaire idiopathique, malgré qu’elle était jusque-là asymptomatique, était effectivement présente bien avant l’événement du 10 décembre 2008, d’où la présence d’un handicap préalable et à ceci s’ajoute la discopathie dorsale dégénérative aussi présente avant l’événement précité;

 

c)  Le tout explique facilement la durée inhabituelle des plaintes symptomatiques et l’évolution clinique de cette travailleuse (voir explications ci-haut). Elle rencontre parfaitement la définition d’un handicap préalable à la blessure qui a eu un impact direct sur la durée de la lésion professionnelle et sur les soins qui ont été nécessités.

 

 

[17]        L’employeur, en l’instance, se décharge de son fardeau de démontrer les critères d’ouverture à un partage d’imputation, tel que prévu à l’article 329 de la loi. Aussi, la proportion et le pourcentage qu’il propose sont acceptables dans les circonstances. Il a donc droit au partage demandé.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de l’employeur, Hôpital Sainte-Justine;

INFIRME la décision rendue le 23 avril 2012 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le coût des prestations dues en raison de la lésion professionnelle subie le 10 décembre 2008 par madame Lucie Buist, la travailleuse, doit être imputé dans une proportion de 40 % au dossier financier de l’employeur et de 60 % aux employeurs de toutes les unités.

 

 

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Louise Boucher

 

Me Isabelle Auclair

MONETTE, BARAKETT, ASS.

Représentante de la partie requérante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Canbec Automobile inc., C.L.P. 366923-71-0812, B. Lemay, 10 mars 2010.

[3]           Hôpital Sainte-Justice et L. Buist, C.L.P. 387263-61-0908, 11 juillet 2011, M. Larouche.

[4]           C.L.P. 143910-64-0007, 28 mars 2001, M. Montplaisir.

[5]           2010 QCCLP 2279 .

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