COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

RÉGION :

Yamaska

LONGUEUIL

 

Le

3 octobre 2003

 

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER :

164138-62B-0106-R

DEVANT la COMMISSAIRE :

Me Ginette Godin

 

 

 

 

 

 

 

ASSISTÉe DES MEMBRES :

M. Robert Dumais

 

 

 

Associations d’employeurs

 

 

 

 

 

 

 

Mme Lucy Mousseau

 

 

 

Associations syndicales

 

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER CSST :

117718817

AUDIENCE TENUE LE :

28 mai 2003

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À :

Saint-Hyacinthe

 

 

 

 

 

 

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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE PRÉSENTÉE EN VERTU DE L'ARTICLE 429.56 DE LA LOI SUR LES ACCIDENTS DU TRAVAIL ET LES MALADIES PROFESSIONNELLES (L.R.Q. c. A-3.001)

 

 

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SUCCESSION JEAN-GUY GAGNÉ

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE REQUÉRANTE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

et

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ASPLUNDH CANADA INC.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE INTÉRESSÉE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DÉCISION

 

 

[1]               Le 19 juillet 2002, la succession de monsieur Jean-Guy Gagné dépose auprès de la Commission des lésions professionnelles une requête en révision ou révocation d’une décision de la Commission des lésions professionnelles rendue le 20 juin 2002.

L'OBJET DE LA REQUÊTE

[2]               La succession de monsieur Gagné demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser ou révoquer sa décision du 20 juin 2002 car celle-ci est entachée d’erreurs de droit manifestes équivalant à un vice de fond de nature à invalider la décision attaquée.

LES FAITS

[3]               Les faits relatés dans la décision attaquée ne sont pas contestés et la soussignée croit utile de les rapporter :

[5]       Monsieur Gagné, un émondeur de métier, est superviseur (chef de groupe) depuis 8 mois pour l’employeur1 et il est responsable de 7 équipes de travail lorsqu’il subit un infarctus du myocarde le 20 août 1999 et décède, à l’âge de 51 ans. 

 

[6]       Monsieur Rondeau, émondeur, témoigne à la demande de la Succession.  Il déclare que vers la fin de l’avant-midi du 20 août 1999, monsieur Gagné les a aidé, lui et son collègue, à décrocher et déplacer (retourner) une déchiqueteuse dans le chemin privé conduisant à la résidence de Mme Rousseau et sur le long duquel ils effectuaient des travaux d’émondage sous les fils électriques.  Il déclare qu’il s’agit d’une tâche exigeante, car la déchiqueteuse est une pièce d’équipement lourde. 

 

[7]       Par la suite, ils ont commencé à réparer des traces de pneu laissées par l’équipement dans le chemin, mais monsieur Gagné leur a dit qu’il les réparerait pendant leur dîner.  Lui et son collègue sont partis dîner vers 11 h 55. 

 

[8]       Selon la preuve soumise à la Commission des lésions professionnelles , la zone à réparer mesurait environ 25 pieds de long par 2 pieds de large et 6 pouces de profondeur.  Le travail consistait à remplir les traces de pneus avec du sable en utilisant une pelle carrée.  Selon Monsieur Rondeau, il y en avait pour une vingtaine de minutes de travail.

 

[9]       Pendant le dîner de ses hommes, Monsieur Gagné a réparé les traces de pneus laissées dans le chemin et il a émondé deux arbres situés à proximité de la résidence de Mme Rousseau.  Il a aussi abattu l’un de ces arbres.

 

[10]      Monsieur Rondeau déclare que son collègue et lui-même sont revenus de leur dîner vers 13 h 15, mais qu’ils n’ont pas aperçu monsieur Gagné.  Ils ont pris le camion nacelle qui avait été déplacé près de la résidence située au bout du chemin privé et ils ont été travailler un peu plus loin sur le chemin privé.  Monsieur Rondeau est retourné près de la résidence vers 13 h 30 et il a alors aperçu monsieur Gagné étendu sur le sol et inconscient, la peau était froide et il était bleu.

 

[11]      Monsieur Rondeau a alors demandé de l’aide par radio et il a déplacé le camion  afin de dégager le chemin pour le véhicule d’urgence.  Il n’a pas tenté de manœuvres de réanimation.  C’est un autre employé, monsieur Giroux, qui avait entendu l’appel d’urgence à la radio, qui a entrepris les manœuvres de réanimation cardio-respiratoires vers 13 h 45, à son arrivée sur les lieux.  Ces manœuvres ont été poursuivies par les ambulanciers à leur arrivée sur les lieux.  Le décès a été constaté à l’hôpital. Le pathologiste a conclu à un infarctus antéro-latéral récent avec artériosclérose coronarienne avec sténose à 90 % de la descendante antérieure et à 40 % de la droite.  Il a aussi noté un œdème et une congestion pulmonaire bilatérale marqués.

 

[12]      Le Dr Brochu, coroner investigateur, a conclu que monsieur Gagné était décédé de mort naturelle et que la cause du décès était l’arythmie maligne consécutive à un infarctus aigu.  Il a recommandé à la CSST d’insister d’une part, pour que les émondeurs aient une bonne formation sur les manœuvres de réanimation cardio-respiratoire et d’insister d’autre part, sur les dangers à travailler seul.

 

[13]      Madame Rousseau, technicienne chez Hydro-Québec, témoigne à la demande de l’employeur.  C’est dans le cadre d’un contrat à forfait entre l’employeur et Hydro-Québec, qu’une équipe de travailleurs sous la supervision de monsieur Gagné a émondé des arbres sur son terrain le 20 août 1999. C’est sur son terrain et sur son chemin privé que monsieur Gagné a déplacé la déchiqueteuse, réparé des traces de pneus et émondé deux arbres près de sa propriété et subi un infarctus.

 

[14]      Elle témoigne qu’elle côtoyait monsieur Gagné dans le cadre de son travail.  Elle lui montrait les travaux à effectuer et elle effectuait le suivi et la vérification par la suite.  Elle déclare qu’au mois de juin 1999, elle a rencontré monsieur Gagné alors qu’il patrouillait la ligne électrique sur son terrain.  Elle déclare lui avoir mentionné qu’elle avait deux arbres à abattre près de sa maison, elle les lui a montrés et elle lui a demandé si l’un de ses hommes accepterait de les abattre au privé, car ces travaux ne faisaient pas partie du contrat avec Hydro - Québec.  Il lui aurait alors dit qu’il lui en reparlerait,  mais elle n’a plus eu de discussions à ce sujet avec lui, par la suite.  Elle était en vacances et elle n’était pas chez elle lorsque monsieur Gagné et ses hommes ont effectué les travaux.  Elle ne s’attendait pas à ce que monsieur Gagné effectue les travaux lui-même, elle ne l’a jamais vu travailler physiquement.

 

[15]      Madame Rousseau déclare qu’elle n’a pas son mot à dire dans l’octroi des contrats.  Le contrat est attribué au plus bas soumissionnaire suite à un appel d’offres réalisé par les personnes responsables des contrats chez Hydro-Québec.

 

[16]      Monsieur Richard Gagné, le frère de monsieur Jean-Guy Gagné, témoigne à la demande de la Succession.  Il est élagueur depuis 20 ans et il travaillait pour son frère en 1999 à titre de chef d’équipe.  En 1998, il a occupé le poste de superviseur chez le même employeur.  Il explique que la politique de l’entreprise est de travailler en partenariat avec les employés d’Hydro-Québec.  Cela implique d’être disponible et d’avoir beaucoup d’échanges avec les gens d’Hydro-Québec.  Il faut leur montrer ce dont on est capable et prendre des initiatives susceptibles de satisfaire le client.  C’est au superviseur de prendre les initiatives et lui-même, à ce titre, il a décroché une cabane à oiseaux chez un ancien employé d’Hydro-Québec.  Il laisse entendre que c’est probablement dans cette optique et au nom de son employeur, que son frère a décidé d’élaguer et d’abattre les arbres situés près de la résidence de madame Rousseau.

 

[17]      Il explique aussi que le superviseur distribue le travail aux chefs d’équipe.  Il est responsable des cartes de temps.  Il vérifie si le travail est exercé de façon sécuritaire, il contrôle la qualité des travaux effectués et il aide à l’entretien des équipements défectueux.  Durant la journée, il se déplace en camionnette d’une équipe de travail à l’autre.  À son avis, c’est un travail qui implique beaucoup de déplacements, mais qui n’est pas très exigeant sur le plan physique.  Le superviseur n’est pas syndiqué contrairement aux personnes qui travaillent pour lui.  Selon l’entente avec Hydro-Québec, le superviseur n’a pas le droit d’effectuer de travaux d’élagage.

 

[18]      Monsieur Richard Gagné déclare que son frère lui avait mentionné dans les jours précédent son décès que monsieur Desjardins (le directeur général) l’avait avisé que certaines de ses équipes de travail n’avançaient pas assez rapidement.

 

[19]      Monsieur Desjardins confirme dans son témoignage qu’il avait rencontré le travailleur quelques jours avant son décès et qu’il lui avait fait remarquer que certaines équipes prenaient du retard. 

 

[20]      Madame Nicole Gagné, la conjointe de monsieur Jean-Guy Gagné, déclare que son mari l’avait avisé peu avant son décès que c’était la dernière année qu’il entendait effectuer le travail de superviseur, car il trouvait cela trop stressant.  Son patron l’avait avisé qu’il lui avait fait perdre de l’argent dans le contrat de la région de Sherbrooke.

 

[21]      La Commission des lésions professionnelles a aussi entendu madame Brigitte Gagné, la fille de monsieur Gagné.  C’est elle qui a préparé le rapport d’enquête détaillé qui est consigné au dossier.

 

[22]      Deux cardiologues ont préparé des rapports d’expertise et ont témoigné à l’audience et déposé de la doctrine médicale.  Le Dr Terriault est d’avis qu’il « existe une relation évidente entre l’activité physique intense qu’il a dû faire lors de son travail et son infarctus du myocarde suivi d’une mort subite ».  Le Dr Sestier est plutôt d’avis qu’il « avait une condition médicale préexistante bien établie par l’autopsie, qui a engendré son décès.  Le travail physique qu’il faisait était un facteur de protection et non pas causal de son infarctus.  On ne pourrait reproduire l’infarctus et la mort subite qu’il a présentée qui est un événement aléatoire survenu sur une condition préexistante significative. »

 

[23]      Les deux médecins sont d’avis que le travailleur présentait des facteurs de risque à développer une maladie coronarienne; le tabagisme, une dyslipédimie et une surcharge pondérale (indice de masse corporelle de 28).

 

[24]      Le Dr Terriault considère que le travailleur présentait un autre facteur de risque, la sédentarité ce que conteste le Dr Sestier.  Le Dr Terriault en arrive à cette conclusion vu que monsieur Gagné n’effectuait pas d’activité physique régulière équivalente à celle que lui-même recommande, soit une marche rapide de 30 minutes par jour.  Sur ce point, la preuve révèle que monsieur Gagné n’avait pas d’autre emploi et que ses loisirs consistaient à jouer à la balle et aux quilles 1 fois par semaine de façon saisonnière. L’été, il se rafraîchissait dans la piscine en arrivant de travailler.  Le Dr Sestier considère plutôt que monsieur Gagné n’était pas sédentaire et que sa condition physique était probablement au-dessus de la moyenne.  Il se base notamment sur le fait que le travailleur accomplissait régulièrement une activité de 10 mets lorsqu’il marchait dans la neige dans le cadre de son travail.  

 

[25]      Les deux médecins sont d’avis que la pratique régulière de l’exercice physique réduit le risque d’un incident cardio-vasculaire. Le Dr Terriault est toutefois d’avis qu’un effort important ou vigoureux, soit un effort supérieur à 6 mets, augmente le risque d’un accident cardio‑vasculaire, car il est susceptible d’entraîner une rupture de plaque athéromateuse laquelle aboutit à l’infarctus.

 

[26]      Le Dr Terriault est d’avis que l’effort le plus intense qu’a eu à effectuer monsieur Gagné, a été la réparation du chemin qui exige plus de 6 mets.  Il évalue toutefois que l’activité d’élagage implique aussi des efforts supérieurs à 6 mets, et il considère qu’il n’est pas possible de préciser quelle est l’activité qui a provoqué l’infarctus.

 

[27]      Le Dr Sestier considère que les efforts qu’a dû faire monsieur Gagné pour déplacer la déchiqueteuse, pelleter le sable et émonder les arbres est du même ordre de grandeur soit 6 à 7 mets.  Il soumet que le risque accru à développer une maladie cardiaque survient lorsqu’un individu non entraîné effectue un exercice vigoureux au-delà de ses capacités, ce qui n’était pas le cas de monsieur Gagné, lequel était selon toute vraisemblance en mesure de fournir des efforts supérieurs à ceux qu’il a effectués cette journée-là.

 

[28]      Le Dr Sestier soumet que l’infarctus est un événement aléatoire qui survient tant au repos qu’à l’effort, et que la survenance d’un infarctus aigu après un effort est l’effet du hasard et n’est pas la conséquence d’un risque accru par l’effort.

 

[29]      Le Dr Sestier soumet également que l’on a retrouvé des signes macroscopiques d’infarctus aigu à l’autopsie ce qui révélerait, selon l’interprétation qu’il fait de la littérature médicale qu’il soumet à l’attention de la Commission des lésions professionnelles, que le processus d’infarcissement a débuté 2 à 3 heures avant l’arrêt cardiaque.

 

[30]      Le Dr Terriault considère que le stress a pu jouer un rôle dans la manifestation de la maladie alors que le Dr Sestier soumet qu’en l’espèce, il ne s’agit pas d’un facteur de risque, compte tenu du genre de stress en cause.

 

[31]      La preuve révèle qu’il faisait chaud le jour où monsieur Gagné est décédé (25° C avec une humidité relative de 40 %).  Le Dr Terriault déclare toutefois qu’il ne s’agit pas d’un facteur de risque documenté dans la littérature médicale.

 

[32]      Le Dr Terriault ne mentionne pas que le fait que les manœuvres de réanimation n’aient pas été entreprises dès que monsieur Gagné a été découvert a eu une incidence sur l’évolution de la condition.  Il ignore depuis combien de temps le travailleur était inconscient lorsqu’il a été retrouvé alors que les manœuvres doivent être entreprises dans les dix minutes suivant l’arrêt cardiaque.  Il signale aussi que le traitement de choix dans un tel cas est la défibrillation et non les manœuvres cardio-respiratoires.

 

[…]

_________________

1          Il occupe des tâches de supervision depuis une dizaine d’années.

 

 

[4]               Le décideur initial rapporte l’avis des membres en ces termes :

[33]      Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont d’avis qu’il n’a pas été démontré de façon prépondérante que l’infarctus de monsieur Gagné avait été causé par un effort physique important effectué dans le cadre de son travail.  Il n’a pas été démontré que l’infarctus avait été causé par les efforts que le travailleur avait fait pour déplacer la déchiqueteuse ou réparer le chemin, car les efforts fournis lors de l’émondage et l’abattage des arbres ne sont pas des efforts qui ont été effectués par le fait ou à l’occasion du travail.

 

 

[5]               Le décideur initial rejette la requête de la succession de monsieur Gagné pour les motifs suivants :

[34]      La Commission des lésions professionnelles doit décider si l’infarctus du myocarde subi par monsieur Jean-Guy Gagné le 20 août 1999 et ayant entraîné son décès, constitue une lésion professionnelle.

 

[35]      La Succession n’a pas soutenu que la présomption de lésion professionnelle prévue à l’article 28 de la loi s’appliquait en l’espèce, et la Commission des lésions professionnelles l’aurait écarté étant donné que la lésion diagnostiquée est une maladie et non une blessure.

 

[36]      La Succession soutient que le travailleur a subi un accident du travail.  L’accident du travail est ainsi défini à l’article 2 de la loi :

 

«accident du travail» : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;

 

[37]      Pour que la réclamation puisse être acceptée à titre d’accident du travail, la Succession devait notamment démontrer qu’un événement imprévu et soudain s’était produit le 20 août 1999.

 

[38]      La jurisprudence développée par la Commission des lésions professionnelles et par la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles auparavant, reconnaît en matière d’infarctus du myocarde que les efforts accomplis au travail peuvent être à l’origine d’une lésion cardiaque ou précipiter une condition personnelle préexistante, et ainsi constituer un accident du travail si ces efforts revêtent un caractère imprévu et soudain parce qu’ils sont à titre d’exemple, anormaux, excessifs ou inhabituels.

 

[39]      En l’espèce, il s’agit de décider si les efforts effectués par le travailleur ont précipité son infarctus compte tenu de la présence d’une condition préexistante bien documentée d’artériosclérose importante.

 

[40]      Les deux experts ont témoigné que le travailleur avait effectué un effort de 6 mets ou plus lorsqu’il a réparé le chemin en comblant les traces du pneu avec du sable et lorsqu’il a élagué deux arbres et en a abattu un à proximité de la résidence de madame Rousseau.  Il s’agit d’efforts importants ou vigoureux, et la preuve a révélé que monsieur Gagné n’effectuait pas régulièrement des efforts de cette intensité tant à l’extérieur du travail que dans le cadre de son travail où il effectuait des tâches de supervision depuis plusieurs années.  De tels efforts sont donc assimilables à des événements imprévus et soudains au sens de la loi.

 

[41]      La Commission des lésions professionnelles doit maintenant décider s’il a été démontré de façon prépondérante que l’infarctus avait été causé par les efforts qu’il a exercés.

 

[42]      En l’espèce, le travailleur n’effectuait pas d’exercice sur une base régulière et son travail impliquait peu d’efforts physiques.  La Commission des lésions professionnelles accorde une force probante à l’avis du Dr Terriault à l’effet que  le travailleur était une personne sédentaire.  Le Dr Sestier prétend que le travailleur était dans une condition au-dessus de la moyenne, et il a beaucoup insisté sur le fait qu’il était capable d’effectuer des efforts importants compte tenu qu’il était appelé à se déplacer dans la neige pour effectuer son travail.  La Commission des lésions professionnelles considère son opinion non probante car d’une part, il s’agit d’une activité saisonnière et que d’autre part, il n’a pas été démontré jusqu’à quel point le travailleur devait marcher dans la neige pour effectuer son travail.

 

[43]      La preuve documentaire2 révèle que le risque relatif de présenter un infarctus en effectuant un effort important ou dans l’heure suivant cet effort est environ 6 fois plus élevé que celui de présenter un infarctus au repos, ou lorsqu’on effectue une activité impliquant un effort inférieur à 6 mets.  Il y est aussi mentionné qu’habituellement les symptômes débutent durant l’activité.

 

[44]      La preuve documentaire3 révèle que les personnes habituellement sédentaires présentent un risque beaucoup plus grand de subir un infarctus lors d’un effort important que les personnes qui effectuent de l’activité physique sur une base régulière.  Le risque relatif est de 107 pour une personne sédentaire et de 2,4 pour une personne qui effectue de l’activité physique 5 fois par semaine. 

 

[45]      De plus, en ce qui concerne le thème développé par le Dr Sestier à l'effet que l'exercice physique prévient l'infarctus du myocarde plutôt que d'en être la cause.  La Commission des lésions professionnelles après avoir pris connaissance de la preuve documentaire et entendu les témoignages des experts retient comme prépondérante, l'opinion du Dr Terriault lorsqu'il affirme que l'activité physique pratiquée régulièrement a un effet protecteur à long terme de l'infarctus et de la mort subite, alors que la pratique d'une activité physique intense accroît temporairement le risque de ces événements pendant l’exercice et dans la période immédiate suivant cette activité.

 

[46]      De ce qui précède, la Commission des lésions professionnelles accorde une force probante à l’avis du Dr Terriault et décide qu’il a été démontré de façon prépondérante que monsieur Gagné était une personne à haut risque à subir un infarctus lors d’efforts importants tels que ceux qu’il a effectués le 20 août 1999 et selon la balance des probabilités, c’est ce qui est arrivé ce jour-là.

 

[47]      Il reste maintenant à décider si ces efforts ont été effectués par le fait où à l’occasion du travail.

 

[48]      La preuve révèle que le 20 août 1999, monsieur Gagné, a effectué son travail régulier de superviseur durant l’avant-midi, et que vers la fin de l’avant-midi, il a donné un coup de mains à une de ses équipes de travail en les aidant à retourner une déchiqueteuse et à remblayer des traces laissées dans le chemin privé par l’équipement.  Selon la preuve soumise, il s’agit de tâches que le travailleur a effectuées dans le cadre de son travail, par le fait ou à l’occasion de celui-ci.  Même si le devis d’Hydro-Québec relatif à la maîtrise de la végétation dans les emprises de lignes de distribution mentionne que le superviseur ne participe pas à la réalisation des travaux, il a été mis en preuve que le superviseur aidait occasionnellement les travailleurs dans des tâches accessoires ne touchant pas l’élagage lui-même or, les tâches qu’il a effectuées découlent des travaux d’élagage prévus au contrat à forfait.

 

[49]      Il n’a cependant pas été démontré que l’élagage et la coupe des deux arbres situés à proximité de la résidence d’une employée d’Hydro-Québec était une tâche que le travailleur avait exercé dans le cadre de son travail.  D’une part, ces travaux n’étaient pas prévus dans le contrat à forfait et d’autre part, il s’agit de travaux qui, selon le devis ci-haut mentionné, ne doivent pas être réalisés par le superviseur. 

 

[50]      La Succession soutient que monsieur Gagné a effectué les travaux pour le bénéfice de l’employeur afin de maintenir de bonnes relations avec Hydro-Québec.  La Commission des lésions professionnelles ne peut présumer des circonstances de l’affaire que c’était là l’intention de monsieur Gagné. 

 

[51]      Madame Rousseau lui avait mentionné qu’elle était disposée à payer pour faire effectuer les travaux et Monsieur Gagné ne lui a pas indiqué qu’il les effectuerait à titre gracieux pour le compte de son employeur.  Même si la Commission des lésions professionnelles peut concevoir que l’employeur encourage ses superviseurs à maintenir de bonnes relations avec les employés d’Hydro-Québec, il appert qu’il n’a pas été démontré que le comportement présumé faisait partie de la politique de l’entreprise ou était encouragé ou toléré par l’employeur. 

 

[52]      Le témoignage du frère de monsieur Gagné n’a pas convaincu la Commission des lésions professionnelles que c’était la politique de l’entreprise.  Il est difficile de conclure, sur la base de son expérience personnelle, que l’employeur encourage de telles pratiques envers des employés d’Hydro-Québec.  Quel bénéfice l'employeur récolte-t-il du déplacement d’une cabane à oiseaux chez un retraité d’Hydro-Québec ?

 

[53]      Considérant que monsieur Desjardins nie que l’employeur ait encouragé une telle façon de faire et que cela est confirmé par la politique de l’entreprise prohibant « les travaux sur le privé durant les heures ouvrables », et compte tenu que madame Rousseau témoigne qu’elle n’a rien à voir quant à l’attribution des contrats ce que ne pouvait ignorer monsieur Gagné selon la Commission des lésions professionnelle, cette dernière conclut qu’il ne lui a pas été démontré que les travaux relatifs à l’abattage de deux arbres effectués par monsieur Gagné sur le terrain de madame Rousseau le 20 août 1999 ont été effectués par monsieur Gagné par le fait où à l’occasion de son travail de superviseur qu’il effectuait pour le compte de l’employeur. 

 

[54]      Compte tenu de ce qui précède, si l’infarctus du travailleur relève de ces tâches, il ne s’agit pas d’un accident du travail et de l’avis de la Commission des lésions professionnelles, c’est ce qui est le plus probable dans les circonstances.

 

[55]      D’une part, il n’a pas été démontré que l’infarctus avait été causé par les efforts qu’a effectués le travailleur lorsqu’il a réparé le chemin ou déplacé la déchiqueteuse.  Le Dr Terriault a indiqué à l’audience qu’il n’était pas possible de déterminer si c’était l’effort effectué pour réparer la route ou élaguer et abattre les arbres qui avait causé l’infarctus. 

 

[56]      D’autre part, la preuve soumise révèle que monsieur Gagné a travaillé davantage de temps pour élaguer et abattre les arbres4 et qu’il a donc soutenu un effort supérieur à 6 mets plus longtemps dans cette tâche.  De plus, on peut présumer que les symptômes ne se sont pas manifestés lors de la réparation du chemin vu que le travailleur a été en mesure d’effectuer une bonne partie des travaux d’élagage et d’abattage d’arbres, ce qui de l’avis de la Commission des lésions professionnelles ne permet pas de conclure de façon prépondérante que ce sont les efforts effectués pour déplacer la déchiqueteuse ou réparer le chemin qui ont précipité l’infarctus.  

 

[57]      En début d’audience, le représentant de la Succession avait mentionné qu’il entendait démontrer que le travailleur n’avait pas bénéficié de premiers soins adéquats au moment de son infarctus, et que cela était assimilable à un événement imprévu et soudain.  Le représentant n’a toutefois pas élaboré sur cette question dans son argumentation écrite.

 

[58]      La Commission des lésions professionnelles avait alors compris qu’il entendait démontrer que les conséquences de la lésion avaient été plus graves en raison de ce manque de soins.  La Commission des lésions professionnelles considère que la preuve soumise n’est pas prépondérante pour conclure que les conséquences de l’infarctus n’auraient pas été les même si les manœuvres de réanimation cardio-respiratoires avaient été entreprises au moment même où le travailleur a été retrouvé inconscient.

 

[59]      Selon la preuve soumise l’infarctus n’était pas récent compte tenu de la description qui est faite par le témoin Rondeau alors que le Dr Terriault a témoigné sur la nécessité d’une intervention dans les premières minutes suivant l’infarctus, et mentionné que le traitement de premier choix dans de telles circonstances était la défibrillation ce qui implique l’utilisation d’un équipement qui n’était pas à la disposition du témoin.

 

[60]      Finalement, le représentant de la Succession avait aussi allégué que le stress vécu par le travailleur dans la semaine précédent l’infarctus pouvait être en cause dans le présent cas.  Monsieur Gagné a eu des discussions avec son employeur mais il ne s’est rien produit qui, de l’avis de la Commission des lésions professionnelles, puisse être assimilable à un événement  imprévu et soudain au sens de la loi.  La preuve médicale soumise n’est d’ailleurs pas probante pour conclure que l’infarctus a été causé par cette condition.

 

[…]

_______________

2          Mittleman Murray A. et autres,  Triggering of acute myocardial infarction by heavy physical exertion , The New England Journal of Medicine, volume 329, numéro 23, 2 décembre 1993, p.1677.

3          Id.

4          cette tâche aurait occupé monsieur Gagné entre 30 et 45 minutes selon les témoins.

 

 

[6]               Les motifs invoqués par la succession de monsieur Gagné à l’appui de sa requête sont ainsi libellés :

Nous soumettons que le Commissaire a commis des erreurs de droit graves et déterminantes à la page 10 de sa décision :

 

a)         Le Commissaire a commis une erreur de droit grave et déterminante en interprétant de façon restrictive les faits décrivant l’activité ayant causé la mort du travailleur comme n’ayant pas été exécutée « à l’occasion du travail » parce que non conforme à la politique de l’entreprise prohibant les travaux sur le privé;

 

b)         En effet, la jurisprudence constante de la CLP et de la CALP a toujours considéré comme non concluant et contraire à la finalité de la loi le fait de priver un travailleur de son indemnisation parce qu’une directive de l'employeur n’aurait pas été respectée;

 

c)         L’interprétation large et libérale s’applique dans le cas en l’espèce.  La LATMP se veut une loi remédiatrice.  La CLP se devait de respecter la jurisprudence élaborée par sa Commission et rendre une décision allant en ce sens;

 

d)         En effet, l’auteur Line Corriveau, dans son ouvrage Les accidents de travail (Les éditions Yvon Blais inc., Cowansville 1991 p. 113), nous enseigne que la jurisprudence considère que le seul fait qu’un accident survienne durant une activité prohibée par l'employeur n’est pas suffisant pour l’exclure de la protection de la loi;

 

 

[7]               La succession de monsieur Gagné réitère les mêmes motifs que ceux inclus dans sa requête, alors que Asplundh Canada inc. (l'employeur) considère que la requête constitue un appel déguisé.

L’AVIS DES MEMBRES

[8]               La membre issue des associations syndicales est d’avis d’accueillir la requête déposée par la succession de monsieur Gagné car la décision attaquée est entachée d’une erreur manifestement déraisonnable consistant à imposer à la succession un fardeau de preuve trop lourd.

[9]               Le membre issu des associations d'employeurs est d’avis de rejeter la requête de la succession de monsieur Gagné car cette requête vise à demander à la soussignée de substituer sa propre appréciation des faits et du droit à celle du décideur initial.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[10]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a lieu de réviser ou révoquer sa décision du 20 juin 2002.

[11]           L’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) énumère les motifs pouvant donner ouverture à révision ou révocation.  Cet article se lit ainsi :

429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1°  lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

2°  lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

3°  lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[12]           Le motif allégué par la succession de monsieur Gagné réside essentiellement dans des erreurs de droit assimilables à un vice de fond de nature à invalider la décision attaquée.

[13]           La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles reconnaît que de telles erreurs, en autant qu’elle soient manifestes et déterminantes sur l’issue du litige, peuvent donner ouverture à révision ou révocation.

[14]           Selon la succession de monsieur Gagné, le décideur initial a commis des erreurs de droit en ne reconnaissant pas la finalité et l’utilité de l’activité exercée par monsieur Gagné lors de son décès.  Cette activité serait utile aux bonnes relations entre l'employeur et le travailleur.

[15]           La succession de monsieur Gagné reproche également à la Commission des lésions professionnelles son omission d’interpréter la loi de façon large et libérale.

[16]           Il incombait au décideur initial de déterminer si le travailleur a été victime d’une lésion professionnelle au sens de l’article 2 de la loi qui se lit ainsi :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

[…]

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1.

 

 

[17]           Pour ce faire, le décideur initial se devait d’évaluer la preuve offerte pour déterminer si l’infarctus dont fut victime monsieur Gagné était survenu par le fait ou à l’occasion de son travail.

[18]           Le décideur initial conclut que tel n’est pas le cas pour plusieurs motifs.

[19]           Tout d’abord, il note que les travaux effectués par monsieur Gagné n’étaient pas prévus au contrat auquel il était affecté (paragraphe 49).

[20]           Par la suite, le décideur initial écarte la prétention de la succession de monsieur Gagné voulant que les travaux exécutés lors de la survenance de l’infarctus aient été effectués pour maintenir de bonnes relations avec l'employeur.

[21]           Pour en venir à une telle conclusion, le décideur initial retient qu’il n’y a pas lieu de présumer une telle intention au travailleur (paragraphe 50), que madame Rousseau était disposée à payer les services du travailleur (paragraphe 51) et que l’attribution de contrats ne relevait pas de la compétence de madame Rousseau (paragraphe 53).

[22]           Il est possible que madame Rousseau ait eu à évaluer le travail de monsieur Gagné mais dans un tel cas, le service offert par monsieur Gagné visait l’octroi d’une bonne évaluation personnelle.

[23]           Le décideur initial nie l’existence d’un bénéfice quelconque pour l'employeur en contrepartie de l’activité effectuée par le travailleur en s’en remettant entre autre à une politique de l'employeur prohibant l’exercice de travail privé pendant les heures ouvrables pour démontrer que l'employeur ne tolère pas de telles activités.

[24]           Contrairement à ce que prétend la succession de monsieur Gagné, la référence à cette politique ne vise pas à exonérer la responsabilité de l'employeur mais bien à cerner sa tolérance par rapport à l’exercice d’activités d’ordre privé pendant les heures de travail qu’il rémunère.

[25]           La soussignée écarte la jurisprudence citée par la succession de monsieur Gagné car chaque cas en est un d’espèce mettant en cause des situations autres que celle visée par le litige dont était saisi le décideur initial.

[26]           Le raisonnement du décideur initial apparaît à la soussignée logique et rationnel et dans un tel contexte, l’obligation de favoriser une interprétation large et libérale ne peut recevoir application.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête déposée à la Commission des lésions professionnelles le 19 juillet 2002 par Succession Jean-Guy Gagné.

 

 

 

 

Me Ginette Godin

 

Commissaire

 

 

 

Gagné, Letarte

(Me Jean Gascon)

Représentant de la partie requérante

 

 

P.S.S.T.

(Mme Céline Rouleau)

Représentante de la partie intéressée

 



[1]          L.R.Q., c. A-3.001.

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