Décision

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                              LA COMMISSION D'APPEL EN MATIERE
                              DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES

     QUÉBEC                   MONTRÉAL,  le  5  avril  1990

     DISTRICT D'APPEL
     DE MONTRÉAL

     RÉGION:  MONTÉRÉGIE        DEVANT LE  COMMISSAIRE  :  Me Réginald
                           Boucher

                              ASSISTÉ  DE  L'ASSESSEUR :  Lise  Scott,
                           médecin

     DOSSIER: 07536-62-8805    AUDITION TENUE LE        : 1er  février
     1990

     DOSSIER CSST: 9598 923

                              A                      : Montréal

                              MONSIEUR RENÉ SOUCY
                              355,  rue Brillon
                              Beloeil, (Québec)
                              J3G 2T7

                                                       PARTIE
     APPELANTE

                              et

                              C.I.L.
     

801, route Richelieu McMasterville, (Québec) J3G 1T9 PARTIE INTÉRESSÉE 07536-62-8805 2 D É C I S I O N Le 12 mai 1988, Monsieur René Soucy (l'appelant) en appelle à la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d'appel) d'une décision majoritaire rendue le 31 mars 1988 par le bureau de révision de la Montérégie, maintenant une décision 8 mai 1987 de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la Commission), à l'effet qu'il n'était pas atteint d'une maladie professionnelle.

L'appelant était présent et représenté à l'audience et la partie intéressée était dûment représentée.

OBJET DE L'APPEL L'appelant demande à la Commission d'appel d'infirmer la décision majoritaire du bureau de révision de la Montérégie du 31 mars 1988 ainsi que la décision de la Commission du 8 mai 1987 et de déclarer qu'il est atteint d'une maladie professionnelle.

07536-62-8805 3 QUESTION PRÉLIMINAIRE La partie intéressée s'objecte à ce que la Commission d'appel se saisisse de l'affaire vu que l'appel vise a faire reconnaître le lien de causalité entre une maladie dont souffre l'appelant et son travail, alors que la procédure prévue par la loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles [L.R.Q., chap. A - 3.001] (la loi) n'a pas été suivie.

LES FAITS RELATIFS A LA QUESTION PRÉLIMINAIRE L'appelant a produit a la Commission une réclamation datée du 4 février 1987 alléguant ce qui suit: Ca fait plus de vingt an que je travail dans le secteur des acides. Quand j'ai été voir mon dentiste, il m'a dit que j'avais une érosion dentaire. Après vérification des symtomes du produit H2SO4, que justement, il était spécifié que l'érosion dentaire est par contre très fréquente. (sic) A l'item RENSEIGNEMENTS SUPPLÉMENTAIRES de ce même document, on retrouve une mention du docteur Raymond Richard, dentiste à l'effet que: 07536-62-8805 4 Le plan de traitement élaboré dans le document d'évaluation annexé est a mon avis le seul indiqué pour freiner l'atteinte des dents et le seul qui puisse redonner une fonction adéquate compte tenu de l'état très détérioré des couronnes cliniques.

Le plan de traitement dont fait état le docteur Richard est daté du 11 février 1987 et signé de lui- même; il énumère, prix a l'appui, les traitements dont le coût de 6,706.00$ a été réclamé par l'appelant à la Commission.

Dans un autre document produit par l'appelant, intitulé ESTIMATION DES TRAITEMENTS (valide pour une période de 6 mois), on retrouve une énumération des mêmes traitements estimés, cette fois, à $6706.00 + quelques $.

La Commission a ensuite fait examiner l'appelant par le docteur Pierre Desautels, dentiste, de l'Université de Montréal, a qui elle a demandé s'il existait une relation entre l'état dentaire de l'appelant et l'acide sulfurique.

Dans son rapport d'expertise soumis à la Commission en date du 9 avril 1987, le docteur Desautels ne pose pas de diagnostic rigoureux, mais énonce des hypothèses telles que: 07536-62-8805 5 ...Monsieur Soucy souffrait d'attrition dentaire avancée (usure des dents résultant des forces de mastication). Cependant, en raison des nombreuses années ou ce patient fut exposé aux vapeurs d'acide sulfurique, il se peut fort bien que cette attrition puisse avoir été précédée et accélérée par le phénomène d'érosion (usure des dents par désintégration chimique). On peut présumer ici qu'il y a combinaison de deux phénomènes: érosion et attrition.

...Si Monsieur Soucy n'avait jamais été exposé aux vapeurs d'acide sulfurique, il présenterait fort probablement la même condition d'attrition, mais a un degré beaucoup moindre.

...le fort degré d'attrition peut laisser supposer qu'il y ait eu précédemment une attaque de l'émail par les vapeurs d'acide.

Les symptômes cliniques présentés par Monsieur Soucy nous amènent à faire un diagnostique (sic) d'attrition dentaire. En raison de son histoire occupationnelle et du rebord incisif irrégulier de ses dents antérieures, nous sommes obligés de présumer que son attrition avancée peut avoir été précédée et accrue par le phénomène d'érosion chimique. Toutefois, l'intégrité de l'émail au niveau gingivobuccal nous empêche de diagnostiquer un cas d'érosion classique.

Forte de cette opinion, la Commission a refusé, dans sa décision du 8 mai 1987, d'accepter la réclamation de l'appelant, alléguant qu'il ne souffrait pas d'une maladie professionnelle.

L'appelant a contesté cette décision mais le bureau de révision de la Montérégie, par décision majoritaire du 31 mars 1988, l'a maintenue sans 07536-62-8805 6 toutefois prendre en considération la procédure d'évaluation médicale prévu par la loi.

ARGUMENTATION SUR LA QUESTION PRÉLIMINAIRE Le représentant de la partie intéressée opine que la Commission ne peut se prononcer sur une relation causale pour déterminer l'existence d'une maladie professionnelle en l'absence d'un diagnostic médical établi conformément à la loi.

A son article 199, la loi énonce que le médecin qui prend charge d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle doit lui fournir une attestation comportant le diagnostic, etc.

Or, tout ce que contient le dossier provient d'un dentiste et non d'un médecin et ce dentiste ne pose pas de diagnostic; il fournit plutôt un plan de traitement.

D'autre part, la Commission peut, selon l'article 204, dans le cas où aucun médecin n'a fourni l'attestation prévue à l'article 199, référer le cas à un médecin qu'elle désigne, mais encore ici, plutôt que de référer l'appelant à un médecin, elle a fait appel à un dentiste.

07536-62-8805 7 Si la référence à un dentiste avait été valide, le travailleur aurait dû procéder en vertu de l'article 206 et fournir, lui, une attestation médicale de son médecin contredisant ce supposé diagnostic Finalement, en examinant les articles 212 et 213, on retrouve le cas où l'employeur ou la Commission peuvent contester l'attestation du médecin en référant le travailleur à un professionnel de la santé; c'est ici que la notion de dentiste et de médecin devient importante.

L'article 213 mentionne un professionnel de la santé alors que les articles 199, 212, 204 et autres énoncent un médecin.

Or si la référence au docteur Desautels avait été faite dans le contexte des articles 213 et 214, la résultante de cette expertise aurait dû donner lieu à un arbitrage médical.

On aurait eu alors un diagnostic du médecin traitant à opposer à celui d'un autre médecin et on en serait venu à un diagnostic établi ou reconnu par l'arbitre.

07536-62-8805 8 Dans la présente affaire, il n'y a pas de diagnostic mais seulement un plan de traitement; ce qui sépare les parties est de savoir quel est le diagnostic.

La seule question est de savoir si l'appelant souffre d'érosion ou d'attrition dentaire.

Une fois le diagnostic établi par le médecin du travailleur ou par arbitrage médical, personne ne contestera le reste, ajoute-t-il.

La relation causale n'est pas contestée ici; il ne s'agit que de connaître le diagnostic.

Le représentant de la partie intéressée plaide enfin que ce dossier devrait être retourné à la Commission pour que les formalités prévues par la loi soient suivies et que les contestations appropriées soient effectuées conformément à la loi, le cas échéant.

Le représentant de l'appelant, pour sa part, déclare que la Commission a demandé une consultation à un expert en la matière, peut-être pas un médecin tel que la loi le prescrit, mais à un spécialiste des 07536-62-8805 9 dents, le docteur Desautels, qui enseigne à la faculté de médecine dentaire de l'Université de Montréal.

Dans son expertise du 9 avril 1987, le docteur Desautels porte un diagnostic d'attrition dentaire avancée; il y a donc eu un diagnostic de porté par le docteur Desautels quant à la condition dentaire de l'appelant.

Il suggère également que l'employeur aurait pu, s'il avait voulu se préparer devant le bureau de révision, produire une contre-expertise d'un ou d'autres médecins; qu'il pouvait faire examiner l'appelant par un autre médecin ou par un autre professionnel de la santé de son choix pour corroborer ou infirmer ses prétentions quant à cette objection préliminaire.

Il demande le rejet de l'objection préliminaire parce que l'employeur n'a pas fait ce qu'il pouvait faire, soit produire une contre-expertise, comme c'était son droit.

07536-62-8805 10 Selon lui, le diagnostic du docteur Desautels est suffisant et c'est sur celui-ci que la Commission d'appel devrait se baser pour rendre une décision à la suite de l'audience.

Le représentant de la partie intéressée rétorque qu'avant de rechercher une relation, il y a lieu de poser un diagnostic médical et que, par la suite, se posera la question d'établir s'il s'agit de maladie professionnelle.

MOTIFS DE LA DÉCISION SUR LA QUESTION PRÉLIMINAIRE La Commission d'appel doit déterminer si le dossier, tel que constitué, lui permet de décider de l'affaire conformément à la loi.

Le chapitre VI de la loi, intitulé PROCÉDURE D'ÉVALUATION MÉDICALE (articles 199 à 225) énonce la procédure à suivre dans le cas où un travailleur est victime d'une légion professionnelle, ce terme étant lui-même défini à l'article 2 de la loi comme suit: Une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident de travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation.

07536-62-8805 11 Les articles 199 et 200 énoncent l'obligation pour le médecin qui prend charge du travailleur de lui remettre une attestation et d'expédier à la Commission un rapport sommaire sur le formulaire qu'elle prescrit, comportant le diagnostic, etc.

Les articles 199 à 207, de même que 209 (alinéa 2), 212, 214, 215, 221, et 224 mentionnent spécifique- ment un médecin alors que les articles 209 (alinéa 1), 213, et 218 mentionnent un professionnel de la santé, terme aussi défini comme suit à l'article 2 de la loi: Un professionnel de la santé au sens de la Loi sur l'assurance-maladie (chapitre A-29).

La Loi sur l'assurance-maladie, à son article 1, définit comme suit le professionnel de la santé: Tout médecin, dentiste, optométriste ou pharmacien légalement autorisé à fournir des services assurés.

Il est donc évident que lorsque le législateur a spécifié un médecin à la loi, il référait bien spécifiquement à un membre de la profession médicale seulement et non pas indifféremment à tout profes- sionnel de la santé, tel que défini à la loi.

07536-62-8805 12 Le présent dossier ne contient aucune attestation de quelque médecin que ce soit qui établit un diagnostic médical; le seul diagnostic est celui du docteur Desautels, dentiste, qui énonce son opinion en termes de possibilités.

La procédure d'évaluation médicale, prévue aux articles 199 à 225 de la loi, requiert d'abord le diagnostic d'un médecin (articles 199 et 200); vient ensuite la possibilité de désignation d'un autre médecin par la Commission (article 204) et le mode de contestation du rapport de ce médecin désigné (article 206).

C'est l'employeur qui, selon la loi, peut demander à un professionnel de la santé d'examiner un travailleur (article 209).

Cependant, la contestation du rapport du médecin qui a charge d'un travailleur n'est ouverte à l'employeur que s'il obtient un rapport d'un médecin qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions du médecin qui en a charge. (Notre soulignement) 07536-62-8805 13 L'article 213 de la loi, qui ne doit servir qu'aux fins de l'application de l'article 214, par dérogation à ses termes, permet à la Commission de référer un travailleur pour examen au professionnel de la santé qu'elle désigne.

Cependant, comme le stipule l'article 214, le rapport du professionnel de la santé prévu à l'article 213 doit être utilisé pour contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge, dressé conformément aux articles 199 à 203, et non pour en tenir lieu.

Mais, en vertu de l'article 214 même, on note que pour contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle, la Commission doit obtenir un rapport d'un médecin à la suite d'un examen de ce travailleur, etc.; c'est donc dire que le rapport qui peut être utilisé pour contester celui du médecin qui a charge est celui d'un autre médecin ou, en appliquant l'article 213, celui d'un professionnel de la santé.

Les contestations prévues aux articles 206, 212 et 214 sont ensuite soumises à l'arbitrage conformément à l'article 217 de la loi.

07536-62-8805 14 Sans un diagnostic du médecin qui avait charge de l'appelant, la partie intéressée n'a donc pu contester et soumettre valablement l'affaire à l'arbitrage médical.

Dans ces circonstances, la Commission d'appel juge qu'il y a lieu de retourner le dossier à la Commission et d'enjoindre l'appelant et la Commission de se conformer à la procédure prévue par la loi.

A ces fins, il y a lieu d'accorder à l'appelant un délai de quatre-vingt-dix (90) jours pour produire à la Commission l'attestation du médecin qui en a charge sur le diagnostic à poser en regard de l'état de ses dents.

POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION D'APPEL EN MATIERE DE LÉSIONS PROFESSIONNELLES: ACCUEILLE la question préliminaire; ACCUEILLE en partie l'appel; INFIRME la décision du bureau de révision du 31 mars 1988; 07536-62-8805 15 INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail du 8 mai 1987; RETOURNE le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail pour que la réclamation de l'appelant soit traitée conformément à la loi; PERMET à l'appelant de produire à la Commission l'attestation médicale requise par les articles 199 et suivants de la loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles dans les quatre- vingt-dix (90) jours de la réception présente décision; Me Réginald Boucher. commissaire Monsieur Bernard Desmarais Syndicat des travailleurs en produits chimiques 886, avenue des Prés McMasterville (Québec) J3G 5C6 Représentant de la partie appelante Me Jean Beauregard Avocat Lavery, O'Brien 1, Place Ville-Marie, 40e étage Montréal (Québec) H3B 4M4 Représentant de la partie intéressée

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.