Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
_

Gauthier et Hamel Construction inc.

2007 QCCLP 4452

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec

26 juillet 2007

 

Région :

Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, Bas-Saint-Laurent et Côte-Nord

 

Dossier :

297042-01A-0608

 

Dossier CSST :

128383254

 

Commissaire :

Me Jean-François Clément

 

Membres :

Richard Morin, associations d’employeurs

 

Mario Boudreau, associations syndicales

 

 

Assesseur :

Docteur Claude Sarra-Bournet

______________________________________________________________________

 

 

 

Omer Gauthier

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Hamel Construction inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail - Bas St-Laurent

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 22 août 2006, monsieur Omer Gauthier (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 10 juillet 2006 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme sa décision initiale du 25 mai 2006 et déclare que la lésion professionnelle du travailleur n’entraîne aucune limitation fonctionnelle de sorte qu’il est capable d’exercer son emploi et qu’il n’a plus droit à l’indemnité de remplacement du revenu.

[3]                Elle infirme aussi sa décision initiale du 1er février 2006 et déclare que le travailleur n’est pas admissible à des mesures de réadaptation professionnelle en vue d’assurer son retour sur le marché du travail. Finalement, elle confirme sa décision initiale du 27 janvier 2006 sous forme d’un avis de paiement et déclare qu’elle était justifiée le 27 janvier 2006 de reprendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu rétroactivement au 14 octobre 2005.

[4]                Une audience est tenue à Matane le 4 juillet 2007 en présence du travailleur, de son représentant et du procureur de Hamel Construction inc. (l’employeur). L’employeur lui-même, la CSST et sa procureure sont absents.

[5]                En début d’audience, le travailleur propose un moyen préliminaire quant au non-respect du délai de référence du dossier au Bureau d’évaluation médicale. L’employeur présente lui aussi un moyen préalable sur le processus d’évaluation médicale ayant prévalu au dossier.

[6]                Ces deux moyens préalables sont pris en délibéré à la date de l’audience et la preuve quant au fond du litige est entendue sous réserve du droit de l’employeur de demander une réouverture d’enquête pour le dépôt d’une expertise ou du témoignage d’un médecin expert. Un délai d’un mois post-décision interlocutoire est donné à l’employeur à ce sujet. Cependant, vu les conclusions auxquelles le présent tribunal parvient quant au moyen préalable de l’employeur, cette démarche ne sera pas nécessaire.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[7]                Au niveau de son moyen préalable, le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer irrégulière la référence du dossier au Bureau d’évaluation médicale en raison du non-respect du délai imparti, faisant en sorte que le tribunal demeurerait lié par l’avis du médecin qui a charge.

[8]                Quant au fond, il demande de retenir les limitations fonctionnelles de classe II émises par le docteur Giguère, de confirmer que la reprise de l’indemnité de remplacement du revenu en date du 14 octobre 2005 était justifiée et de déclarer que le travailleur a droit à la réadaptation parce qu’il n’est pas capable d’exercer son emploi à cause de ses limitations fonctionnelles. Subsidiairement, il demande de retenir les limitations fonctionnelles du docteur St-Pierre et de déclarer que le travailleur n’est pas capable de reprendre son emploi.

[9]                Au niveau de son moyen préalable, l’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer illégal tout le processus d’évaluation médicale concernant les limitations fonctionnelles depuis la réception de l’expertise du docteur St-Pierre puisque le médecin qui a charge avait exercé son mandat à ce niveau au sens de l’article 203 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) de sorte qu’il ne restait plus que la question de l’atteinte permanente à compléter.

 

L’AVIS DES MEMBRES

[10]           Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs partagent le même avis. Le docteur Patrice Tremblay doit être considéré comme le médecin qui a charge du travailleur et son avis lie la CSST et le présent tribunal au sens de l’article 224 de la loi. Or, par son rapport final du 7 octobre 2005, le docteur Tremblay mentionne que la lésion professionnelle du 15 août 2005 est consolidée sans limitations fonctionnelles en lien avec un diagnostic d’entorse lombaire résolue.

[11]           À vrai dire, il ne restait que la question de l’atteinte permanente à compléter puisqu’à ce niveau, le rapport du docteur Tremblay n’était pas conforme à l’article 203 de la loi.

[12]           Comme son avis est liant au niveau de l’absence de limitations fonctionnelles, on doit donc conclure que le travailleur est capable d’exercer son emploi et que l’indemnité de remplacement du revenu devait prendre fin à la date de consolidation.

[13]           En l’absence de contradiction au niveau des limitations fonctionnelles entre l’avis du docteur Tremblay et celui du médecin désigné par l’employeur, il n’était pas requis de transmettre le dossier au Bureau d’évaluation médicale à ce niveau de sorte que l’avis du membre de ce Bureau ne lie pas le présent tribunal.

[14]           En conséquence, le travailleur n’a pas droit à la réadaptation et il n’avait pas droit à la reprise de l’indemnité de remplacement du revenu rétroactivement au 14 octobre 2005.

 

LES FAITS ET LES MOTIFS SUR LE MOYEN PRÉALABLE DE L’EMPLOYEUR

[15]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si le moyen préalable présenté par l’employeur est bien fondé.

[16]           Le tribunal estime devoir traiter cette question avant de se saisir du moyen préalable présenté par le travailleur. En effet, si le moyen préalable de l’employeur est fondé, il deviendra inutile de vérifier si le Bureau d’évaluation médicale a été saisi du dossier du travailleur dans les délais prescrits à la loi puisque dans ces circonstances, cela reviendra à dire que le dossier n’aurait pas dû y être référé, peu importe le délai.

[17]           Comme le moyen préalable déposé par l’employeur concerne le processus d’évaluation médicale à une étape antérieure à celle concernée par le moyen préalable du travailleur, il y a donc lieu de traiter le moyen préalable de l’employeur en premier lieu.

[18]           En d’autres mots, si la référence au Bureau d’évaluation médicale en ce qui concerne les limitations fonctionnelles est considérée illégale dès le départ, il va sans dire qu’il devient alors inutile de vérifier si les conditions prévues par loi pour son déroulement ont été remplies.

[19]           En pareil cas, il ne servirait à rien d’annuler l’avis d’un membre du Bureau d’évaluation médicale au motif qu’il n’aurait pas été saisi du dossier du travailleur dans le délai de 30 jours prévu à l’article 212 de la loi puisque la référence elle-même de la question des limitations fonctionnelles au membre du Bureau d’évaluation médicale serait nulle ab initio. Cela serait donc inutile et sans effet.

[20]           Cela étant dit, le travailleur a subi sa lésion professionnelle le 15 août 2005 dans les circonstances décrites à sa réclamation reçue le 30 août 2005 par la CSST :

« Le 15 août j’etais sur le chantier à Eastmain vers 10 hrs je transportais des panneau de coffrages sur un terrain accidenté j’ai alors senti une douleur dans le bas au dos. J’en ai parler a un contremaitre et j’ai continuer a travailler. Le lendemain je n’etais plus capable de me lever J’ai rester 3 jrs dans le camp suite au recommandation de infirmier. » [sic]

 

 

[21]           Cet accident a lieu au chantier Eastmain situé à la Baie-James.

[22]           Sur place, le travailleur rencontre un infirmier mais à son retour à Matane, il consulte le docteur Patrice Tremblay le 25 août 2005. Ce dernier diagnostique une entorse lombaire, diagnostic qu’il réitérera le 31 août 2005 tout en prescrivant des exercices pendant quatre semaines. Il parle déjà d’une consolidation éventuelle. À la note consignée au dossier du Centre hospitalier de Matane, le docteur Tremblay indique qu’après trois jours d’arrêt des travaux légers et des anti-inflammatoires, la condition du travailleur était revenue « OK » mais qu’il y a eu reprise de la douleur le 24 août en revenant de l’épicerie. Il mentionne dès lors que le pronostic est bon ne notant qu’une légère diminution de la flexion antérieure et un indice de Schoeber à 14.5 sur 10 (pièce T-1).

[23]           Le 20 septembre 2005, le même diagnostic d’entorse lombaire est repris par le docteur Robert Larose.

[24]            Le docteur Tremblay revoit le travailleur le 7 octobre 2005 et émet un rapport final avec comme date de consolidation le 14 octobre 2005 sans limitations fonctionnelles mais avec une atteinte permanente. Il estime que l’entorse lombaire du travailleur est résolue. Il note une douleur au grand dorsal droit de nature musculaire. Il suggère un retour progressif au travail avec reconditionnement. Il mentionne qu’il ne produira pas le rapport d’évaluation médicale ni qu’il ne réfère le travailleur à un autre médecin. La note consignée au dossier hospitalier du travailleur indique un examen normal avec une flexion antérieure à 110 degrés, ce qui dépasse la normale de 20 degrés et qui constitue une amélioration de 30 ou 40 degrés par rapport à un examen antérieur.

[25]           Le travailleur mentionne initialement à la CSST que le rapport d’évaluation médicale sera préparé par le docteur Stéphane Bachand. Finalement, en date du 9 novembre 2005, le travailleur informe la CSST qu’il choisit plutôt le docteur Louis St-Pierre pour la confection du rapport d’évaluation médicale.

[26]           Le docteur Louis St-Pierre produit donc le rapport d’évaluation médicale en date du 6 décembre 2005. L’examen objectif au niveau lombaire est normal. Le docteur St-Pierre émet tout de même des limitations fonctionnelles de classe I malgré qu’il admette que le travailleur a récupéré entièrement au niveau des mouvements. Il octroie un déficit anatomophysiologique de 0 % pour une entorse lombaire sans séquelles objectives.

[27]           Le 21 décembre 2005, la CSST rend une décision décrétant l’absence d’atteinte permanente. Cette décision ne sera pas contestée.

[28]           Le 22 février 2006, le travailleur rencontre le docteur Michel Blanchette, orthopédiste, à la demande de l’employeur. Il émet le diagnostic d’entorse lombaire résolue consolidée le 14 octobre 2005 sans indication de traitements additionnels, ni atteinte permanente, ni limitations fonctionnelles.

[29]           Le docteur Louis St-Pierre produit un rapport complémentaire le 21 mars 2006 dans lequel il mentionne que les douleurs décrites par le travailleur sont suffisantes pour l’empêcher d’effectuer ses tâches antérieures et peuvent donc supporter l’attribution de limitations fonctionnelles de classe I.

[30]           Le docteur Marc Ross-Michaud rencontre le travailleur le 10 mai 2006 à titre de membre du Bureau d’évaluation médicale. Les mouvements du rachis dorsolombaire excèdent la normale. En conclusion, il retient qu’il y a absence de séquelles fonctionnelles objectivées malgré certaines allégations de douleurs résiduelles du travailleur. Il conclut à l’absence de limitations fonctionnelles.

[31]           Le 15 mai 2007, le travailleur rencontre le docteur Michel Giguère, orthopédiste, qui est d’avis d’accorder un déficit anatomophysiologique de 2 % et des limitations fonctionnelles.

[32]           L’étude du dossier révèle que c’est le docteur Patrice Tremblay qui doit être considéré comme étant le médecin qui a charge du travailleur tel que prévu à l’article 199 de la loi :

199. Le médecin qui, le premier, prend charge d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle doit remettre sans délai à celui-ci, sur le formulaire prescrit par la Commission, une attestation comportant le diagnostic et:

 

1°   s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée dans les 14 jours complets suivant la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la date prévisible de consolidation de cette lésion; ou

 

2°   s'il prévoit que la lésion professionnelle du travailleur sera consolidée plus de 14 jours complets après la date où il est devenu incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion, la période prévisible de consolidation de cette lésion.

 

Cependant, si le travailleur n'est pas en mesure de choisir le médecin qui, le premier, en prend charge, il peut, aussitôt qu'il est en mesure de le faire, choisir un autre médecin qui en aura charge et qui doit alors, à la demande du travailleur, lui remettre l'attestation prévue par le premier alinéa.

__________

1985, c. 6, a. 199.

 

 

[33]           Le travailleur n’a pas choisi d’autre médecin par la suite et ce, même si le docteur Tremblay a été rencontré à l’urgence.

[34]           Le docteur Tremblay remplit les critères reconnus par la jurisprudence, soit ceux élaborés dans l’affaire Marceau et Gouttière Rive-Sud fabrication inc.[2].

[35]           En effet, il a examiné le travailleur, il a été choisi par le travailleur puisque ce dernier a continué à le rencontrer sans opposition, il a établi un plan de traitements pour lui comprenant notamment des traitements de physiothérapie et des médicaments, il a prescrit des radiographies et il a assuré le suivi du dossier en vue de la consolidation de la lésion, consolidation déterminée dans le rapport final du 7 octobre 2005. C’est lui qui a vu le travailleur le plus grand nombre de fois.

[36]           Ces critères permettant de conclure à l’identité du médecin qui a charge ont d’ailleurs été avalisés par la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Guillaume c. Commission des lésions professionnelles[3].

[37]           Il est vrai que le travailleur a rencontré la première fois le docteur Tremblay parce qu’il était de garde à l’urgence. La preuve est moins claire quant aux visites subséquentes à savoir si des rendez-vous avaient été pris ou si le docteur Tremblay était à nouveau rencontré parce qu’il était de garde à l’urgence.

[38]           Cela ne change rien au statut de médecin qui a charge du docteur Tremblay puisque, même s’il avait été rencontré par hasard à l’urgence, il n’en reste pas moins qu’en décidant de s’en remettre au médecin de garde lorsqu’il se rendait dans une urgence ou dans une clinique externe, le travailleur conférait le statut de médecin qui a charge au médecin qu’il rencontrait à un moment donné[4].

[39]           Ces principes ont été réitérés dans l’affaire Alcan Aluminium ltée-Usine Saguenay et Ratthé[5] alors que la Commission des lésions professionnelles décidait une nouvelle fois qu’un médecin consulté par le travailleur à l’urgence pouvait devenir le médecin qui a charge. Le tribunal rappelait dans cette affaire qu’un travailleur peut, comme le prévoit l’article 199, choisir par la suite un autre médecin tout comme il peut continuer de consulter à l’urgence auprès du médecin de garde.

[40]           Il est aussi vrai que le travailleur a rencontré le docteur Larose le 20 septembre 2005. Il s’agit cependant d’une visite isolée et ce médecin n’a d’aucune façon assuré le suivi du dossier en vue de la consolidation. C’est clairement le docteur Tremblay qui a été le plus impliqué dans le suivi de l’évolution de la lésion et qui doit être considéré comme celui qui a charge du travailleur[6].

[41]           En conséquence, le rapport final du docteur Tremblay du 7 octobre 2005 lie la CSST et le présent tribunal au sens de l’article 224 de la loi[7] :

224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.

__________

1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.

 

 

[42]           Les seuls motifs permettant de corriger un rapport final sont la présence d’une erreur cléricale ou d’écriture,  l’absence d’un examen clinique ou encore la présence d’une évolution inattendue et soudaine de l’état du travailleur[8].

[43]           Or, aucun de ces scénarios ne se présente en l’espèce. Au surplus, le docteur Tremblay n’a d’aucune façon tenté de corriger son rapport final du 7 octobre 2005.

[44]           Il est vrai que le rapport final du 7 octobre 2005 n’est pas tout à fait complet et ne respecte pas complètement les prescriptions de l’article 203 de la loi :

203. Dans le cas du paragraphe 1° du premier alinéa de l'article 199, si le travailleur a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, et dans le cas du paragraphe 2° du premier alinéa de cet article, le médecin qui a charge du travailleur expédie à la Commission, dès que la lésion professionnelle de celui-ci est consolidée, un rapport final, sur un formulaire qu'elle prescrit à cette fin.

 

Ce rapport indique notamment la date de consolidation de la lésion et, le cas échéant:

 

1°   le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des indemnités pour préjudice corporel adopté par règlement;

 

2°   la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;

 

3°   l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion.

 

Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport.

__________

1985, c. 6, a. 203; 1999, c. 40, a. 4.

 

 

[45]           En effet, le docteur Tremblay indique la présence d’une atteinte permanente sans en donner le détail ni référer le travailleur à un autre expert pour le faire. Or, l’article 203 exige que le rapport final contienne non seulement une mention indiquant qu’il existe une atteinte permanente mais aussi le pourcentage d’une telle atteinte.

[46]           En conséquence, au niveau de l’atteinte permanente, c’est le docteur Louis St-Pierre qui doit être considéré comme médecin qui a charge puisque le docteur Tremblay n’a pas terminé son travail à ce niveau et a mentionné qu’il n’avait pas l’intention de le faire. Le travailleur a ainsi choisi le docteur St-Pierre qui devenait le médecin qui a charge au niveau de la description de l’atteinte permanente.

[47]           Or, le docteur St-Pierre a choisi le code 203997 pour une entorse lombaire sans séquelles objectivées correspondant à un déficit anatomophysiologique de 0 %, ce qui revient ni plus ni moins qu’à l’absence d’atteinte permanente. La CSST a d’ailleurs rendu une décision finale et irrévocable en ce sens le 21 décembre 2005.

[48]           En l’absence de contradiction entre cet avis du docteur St-Pierre et l’avis du médecin désigné par l’employeur quant à l’atteinte permanente, aucune demande de référence au Bureau d’évaluation médicale n’a été et n’avait à être entamée.

[49]           Cependant, le tribunal note que le rapport final du 7 octobre 2005 était parfaitement complet et valide quant à la date de consolidation, quant au diagnostic d’entorse lombaire résolue et quant à l’absence de limitations fonctionnelles.

[50]           L’avis du docteur Tremblay quant à l’absence de limitations fonctionnelles doit donc être considéré comme celui du médecin qui a charge au moment où il émet cette opinion. Cet avis émis dans un rapport final ne peut donc être contredit par la suite sauf pour les causes déjà mentionnées plus tôt lesquelles ne sont pas présentes en l’espèce.

[51]           Les prescriptions de l’article 203 sont ici parfaitement rencontrées puisque le docteur Tremblay n’avait pas à décrire des limitations fonctionnelles qui n’existent pas.

[52]           Ainsi, en matière d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles, la réponse négative d’un médecin qui a charge fait en sorte qu’on peut considérer le rapport final comme conforme à l’article 203. Ce n’est que lorsqu’il y a une réponse affirmative à l’un ou l’autre de ces items que ce rapport doit être complété par un rapport d’évaluation médicale pour devenir conforme aux prescriptions de l’article 203 de la loi. Cependant, comme le docteur Tremblay a jugé qu’il n’y avait pas de limitations fonctionnelles, aucun autre rapport n’avait à être produit par la suite et son avis devenait liant au sens de l’article 224 de la loi.

[53]           La jurisprudence mentionne à de nombreuses reprises qu’un rapport final doit être complété d’un rapport d’évaluation médicale indiquant le pourcentage d’atteinte permanente et décrivant les limitations fonctionnelles résultant d’une lésion professionnelle sans quoi il ne rencontre pas les prescriptions de l’article 203 de la loi[9]. Appliquant ces principes aux présentes, force est de constater que le rapport final du docteur Tremblay n’était pas complet quant à l’atteinte permanente, mais qu’il l’était quant à l’absence de limitations fonctionnelles. Ainsi, lorsqu’un médecin indique après avoir fixé une date de consolidation qu’il n’y a pas de limitations fonctionnelles, un tel rapport final est complet et on ne peut exiger du médecin qui a charge qu’il produise un rapport d’évaluation médicale réitérant cette absence de limitations fonctionnelles et en conséquence l’absence de description précise de toute limitation particulière[10].

[54]           En conséquence, le docteur St-Pierre n’avait pas à traiter de la question des limitations fonctionnelles puisqu’un rapport final avait déjà été émis en bonne et due forme quant à cette question. Un nouveau médecin ne peut contredire le premier médecin qui a charge puisque la loi ne prévoit aucun mécanisme de contestation par le travailleur du rapport de son médecin qui a charge[11].

[55]           De plus, comme l’avis du médecin désigné par l’employeur conclut à l’absence de limitations fonctionnelles et confirme ainsi l’avis du docteur Tremblay, aucune référence au Bureau d’évaluation médicale n’aurait dû être faite et c’est donc sans droit que cet organisme s’est saisi du dossier.

[56]           Force est donc de constater que l’avis du docteur Tremblay doit prévaloir quant à l’absence de limitations fonctionnelles et celui du docteur St-Pierre quant à l’absence d’atteinte permanente. Comme il y avait sur ces deux sujets unanimité et absence de contradiction face à l’avis du médecin désigné par l’employeur, la CSST ne devait donc pas transmettre le dossier au Bureau d’évaluation médicale puisque ce recours existe pour trancher des litiges et non pas pour en susciter. Lorsqu’un médecin traitant et le médecin de la CSST partagent le même avis, il n’existe plus de litige et le recours au Bureau d’évaluation médicale devient inutile[12].

[57]           De plus, le tribunal rappelle que le docteur Tremblay n’a pas délégué la question des limitations fonctionnelles mais a plutôt donné un avis, ce qui lui appartenait.

[58]           Dans l’affaire Landry et Centre d’accueil Émilie Gamelin[13], un médecin qui a charge avait consolidé une lésion avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles ajoutant qu’il ne produirait pas le rapport d’évaluation prévu par la loi et qu’il référait le travailleur à un autre médecin. Le premier médecin avait cependant émis des limitations fonctionnelles précises dans son rapport final. Il fut décidé que le premier médecin n’avait délégué au second que l’évaluation de l’atteinte permanente et non pas des limitations fonctionnelles. Comme le premier médecin n’avait pas délégué au second le soin de déterminer les limitations fonctionnelles, la CSST demeurait donc liée à ce niveau par les conclusions du premier médecin à cet égard et non pas par celles émises par le second médecin. Ces principes s’appliquent parfaitement en l’espèce.

[59]           Dans l’affaire Fata et Pavage CCA inc.[14], un médecin traitant avait produit un rapport final dans lequel il posait le diagnostic d’entorse lombaire et fixait une date de consolidation sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles. Environ un mois plus tard, la CSST recevait un rapport d’expertise faisant suite à un examen pratiqué par un autre spécialiste qui concluait à une atteinte permanente de 2 % avec limitations fonctionnelles. Ce rapport fut ultérieurement approuvé par le médecin qui a charge. La Commission d’appel en matière de lésions professionnelles concluait qu’il est difficile de comprendre comment un deuxième médecin pouvait évaluer l’étendue des limitations fonctionnelles lorsque le premier médecin qui a charge a clairement mentionné qu’il n’y en avait pas. Le tribunal dans cette affaire rappelle de plus que lorsqu’il n’y a ni atteinte permanente ni limitations fonctionnelles, le rapport final devient complet au sens de l’article 203 et lie les instances concernées.

[60]           Dans l’affaire Gagnon et CH de Val d’Or[15] le tribunal rappelle qu’un seul médecin qui a charge peut exister à la fois quant à un aspect particulier et ce, afin d’éviter l’émission d’avis contradictoires rendant ainsi impraticable l’effet liant prévu à l’article 224 de la loi. Ainsi, lorsqu’un médecin qui a charge ne veut pas compléter une démarche prévue à la loi, le travailleur peut en choisir un autre qui deviendra le médecin qui a charge quant à cet aspect. Cependant, lorsqu’un médecin qui a charge a décidé de se prononcer lui-même de façon finale sur un aspect, il en va autrement. Un médecin évaluateur poursuivant le mandat du médecin qui a charge ne doit pas se saisir d’une question réglée mais se confiner à celles qu’ils ne l’ont pas été. Ce dernier doit donc respecter les limites de son mandat et ne peut directement ou indirectement substituer son opinion à celle du premier médecin sur une question déjà déterminée[16].

[61]           Cela est d’autant plus vrai dans le présent dossier où la CSST avait clairement établi le mandat du docteur St-Pierre dans un document du 9 novembre 2005. Copie du dossier lui était transmise et on lui demandait d’évaluer le travailleur selon les conclusions du rapport final du docteur Tremblay tout en lui mentionnant que le diagnostic était celui d’entorse lombaire et qu’il ne restait plus que la question de l’atteinte permanente à l’intégrité physique et psychique à évaluer.

[62]           Le docteur St-Pierre s’est donc mépris sur son mandat et le tout entache la procédure d’évaluation médicale qui doit être complètement annulée quant à la question des limitations fonctionnelles.

[63]           Le représentant du travailleur a mentionné que, comme le docteur Tremblay pratique dans une urgence, ses conclusions ne sont pas des plus solides étant donné que les examens s’y font très rapidement. Aucune preuve n’a été apportée à cet effet et le tribunal n’a certes pas la connaissance d’office de la mauvaise qualité des examens qui se pratiquent à l’urgence du Centre hospitalier de Matane, notamment par le docteur Tremblay. De plus, les notes médicales consignées au dossier hospitalier par le docteur Tremblay sont complètes et rien n’indique qu’il ne respecte pas les règles de l’art.

[64]           Le travailleur est lié par conclusion de son médecin et il s’agit là de l’effet de l’article 224 de la loi voulu par le législateur. Cet effet liant est parfois avantageux pour les travailleurs, mais ils doivent aussi vivre avec ses conséquences lorsque les conclusions ne leur sont pas favorables. L’article 224 ne distingue pas entre un examen fait en clinique, en urgence ou à domicile. Son effet liant est universel.

[65]           En conséquence, le tribunal conclut que la lésion professionnelle du 15 août 2005 est consolidée depuis le 14 octobre 2005, date choisie par le médecin qui a charge et non contredite par le médecin désigné par l’employeur. Cette lésion est consolidée sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles pour les motifs déjà établis.

[66]           Le travailleur ne bénéficie donc plus de la présomption d’incapacité prévue à l’article 46 de la loi à compter de la date de consolidation :

46. Le travailleur est présumé incapable d'exercer son emploi tant que la lésion professionnelle dont il a été victime n'est pas consolidée.

__________

1985, c. 6, a. 46.

 

 

[67]           En l’absence d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles, il doit donc être considéré comme capable d’exercer son emploi depuis le 14 octobre 2005 de sorte que l’indemnité de remplacement du revenu doit prendre fin à cette date selon les dispositions de l’article 57 de la loi :

57. Le droit à l'indemnité de remplacement du revenu s'éteint au premier des événements suivants:

 

1°   lorsque le travailleur redevient capable d'exercer son emploi, sous réserve de l'article 48;

 

2°   au décès du travailleur; ou

 

3°   au soixante-huitième anniversaire de naissance du travailleur ou, si celui-ci est victime d'une lésion professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 64 ans, quatre ans après la date du début de son incapacité d'exercer son emploi.

__________

1985, c. 6, a. 57.

 

 

[68]           Le travailleur n’a pas droit d’être admis en réadaptation puisqu’une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique doit être observée avant de pouvoir décider en ce sens tel que le prévoit l’article 145 de la loi :

145. Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 145.

 

 

[69]           Finalement, comme le droit à l’indemnité de remplacement du revenu prend fin le 14 octobre 2005, aucune indemnité n’aurait dû être versée au travailleur après cette date et l’employeur en sera donc crédité en conséquence. La question de savoir si la CSST pouvait ou ne pouvait pas ou encore devait ou ne devait pas reprendre rétroactivement le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu n’est plus actuelle et est devenue académique puisque, de toute façon, le dossier a été actualisé depuis et en concluant à l’absence d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles, le droit à l’indemnité de remplacement du revenu doit prendre fin à la date de consolidation du 14 octobre 2005.

[70]           Le tribunal n’a donc pas besoin de se prononcer sur le moyen préalable du travailleur qui devient sans objet et il en va de même du fond du litige.

[71]           De toute façon, le tribunal tient à mentionner qu’il aurait rejeté le moyen préalable du travailleur devant l’absence de preuve de la date de réception du rapport d’évaluation médicale par l’employeur. Vu la présomption de validité des actes de l’Administration publique, il revenait au travailleur de démontrer que l’avis du Bureau d’évaluation médicale avait été obtenu à la suite d’une procédure viciée par une question de délai.

[72]           Or, le délai écoulé entre l’expertise du docteur St-Pierre et l’avis du docteur Blanchette n’est pas à ce point démesuré qu’on devrait conclure nécessairement à une réception de cet avis par l’employeur plus de 30 jours avant la demande de référence au Bureau d’évaluation médicale. La preuve est donc ambiguë à cet effet et pour ce motif, ce moyen préalable aurait été rejeté le travailleur n’ayant pas démontré le bien-fondé de son objection.

[73]           Quant au fond, le tribunal estime que la preuve prépondérante au dossier démontre l’absence de limitations fonctionnelles. Vu que le tribunal accueille le moyen préalable de l’employeur, il n’est pas besoin de disserter longtemps sur cette question, mais le tribunal tenait quand même à informer le travailleur qu’il en serait venu à cette conclusion.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

 

REJETTE la requête de monsieur Omer Gauthier, le travailleur;

MODIFIE la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 10 juillet 2006 à la suite d’une révision administrative;

ANNULE le renvoi du dossier du travailleur au Bureau d’évaluation médicale quant à la question des limitations fonctionnelles;

DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail est liée par l’avis du docteur Patrice Tremblay contenu au rapport final du 7 octobre 2005 quant à l’absence de limitations fonctionnelles découlant de la lésion du 15 août 2005;

DÉCLARE qu’en l’absence d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles, le travailleur est capable d’exercer son emploi depuis le 15 août 2005;

DÉCLARE que le travailleur n’a pas droit à la réadaptation;

DÉCLARE que le travailleur n’a pas droit à l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 14 octobre 2005;

 

 

 

__________________________________

 

Me Jean-François Clément

 

Commissaire

 

 

 

 

M. Éric Lemay

Conseil santé sécurité

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Christian Tétreault

Bourque, Tétreault ass.

Procureur de la partie intéressée

 

 

Me Manon Séguin

Panneton Lessard

Procureure de la partie intervenante

 



[1]           L.R.Q. c. A-3.001

[2]           91084-62-9709, 22 octobre 1999, H. Marchand

[3]           Cour supérieure Montréal, 500-17-024444-054, 14 décembre 2005, Juge Caron

[4]           Fortin et Société groupe EMB Pepsi Canada, [2004] C.L.P. 168

[5]           [2004] C.L.P. 1152

[6]           Brown et Commission de transport de la CRO, 07894-07-8806, 16 novembre 1990, G. Lavoie.

[7]          Mercier et SEPAQ, CLP 264692-01B-0506, 22 mars 2006,  L. Desbois;  Nobili et Fruits Botner     ltée, [1997] CALP     734

[8]           Lab Chrysotile inc. et Dupont, [1996] CALP 132 ; Talbot et CH La Pieta, [1991] CALP 492 ; Fata et Pavage CCA inc. [1997] CALP 1102 révision rejetée 84456-60-9612, 25 février 1998, T. Giroux

[9]           Gagné et Pyrotex ltée, [1996] CALP 323 ; Bussières et Abitibi Consolidated (division La Tuque) [2004] C.L.P. 648

[10]         Geoffroy et Coopérative fédérée de Québec, [1996] CALP 643 ; Fata et Pavage CCA inc., déjà citée

[11]        Chiazzese et Corival, [1995] CALP 1168

[12]         Tremblay et Machinerie d’emballage Starview inc., C.L.P. 211642-72-0307, 4 novembre 2003, M. Denis

[13]         35494-60-9201, 22 juin 1995, N. Lacroix

[14]         Déjà citée

[15]         [2005] C.L.P. 798

[16]         Cette décision contient un résumé élaboré de la jurisprudence en cette matière et le tribunal y      réfère au soutien de la présente décision.

 

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.