DÉCISION
[1] Le 23 décembre 1999, Framatome Connectors Canada Inc. (l'employeur) dépose, par l’intermédiaire de ses procureurs, une requête à la Commission des lésions professionnelles en vertu de l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q. ch. A-3.001) (la loi) à l’encontre d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 29 octobre 1999.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles accueille la contestation de madame Carole Nadeau (la travailleuse), infirme la décision rendue le 2 février 1999 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative et déclare que la travailleuse a subi, le 10 juillet 1998, un accident du travail.
[3] À l’audience tenue devant la Commission des lésions professionnelles le 4 mai 2000, l'employeur était présent et représenté. La travailleuse était également présente et représentée.
[4] La Commission des lésions professionnelles a permis aux parties de produire une argumentation écrite ultérieurement à l’audience. Argumentations reçues respectivement le 5 juin 2000 de l'employeur et le 16 juin 2000 de la part de la travailleuse.
L'OBJET DE LA REQUÊTE
[5] L'employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision qu’elle a rendue le 29 octobre 1999 en invoquant l’existence de faits nouveaux qui, s’ils avaient été connus au moment de la décision initiale, auraient pu justifier une conclusion différente.
LES FAITS AU SOUTIEN DE LA REQUÊTE
[6] Le 20 juillet 1998, la travailleuse produit une réclamation à la CSST relativement à un événement qui se serait produit le 10 juillet 1998 pour lequel un diagnostic d’entorse lombaire lui a été émis.
[7] Le 24 septembre 1998, la CSST refuse de reconnaître que la travailleuse a subi, le 10 juillet 1998, un accident du travail.
[8] Le 2 février 1999, la CSST en révision administrative, confirme la décision initialement rendue le 24 septembre 1998.
[9] Le 26 octobre 1999, une audience est tenue devant la Commission des lésions professionnelles.
[10] Lors de cette audience, la travailleuse témoigne sur les circonstances de l’événement qui lui est survenu le 10 juillet 1998, de même qu’elle atteste de la présence de monsieur Réal Reed à titre de compagnon de travail.
[11] À cette audience, a également témoigné monsieur Réal Reed qui confirme essentiellement les circonstances de l’événement allégué par la travailleuse relativement à l’événement du 10 juillet 1998 de même que de sa présence au travail à cette date.
[12] Le 29 octobre 1999, la Commission des lésions professionnelles infirme la décision rendue par la CSST en révision administrative le 2 février 1999 et conclut que la travailleuse a subi, le 10 juillet 1998, une lésion professionnelle.
[13] Le 23 décembre 1999, l'employeur produit une requête pour révision en vertu de l’article 429.56 de la loi de la décision rendue le 29 octobre 1999 par la Commission des lésions professionnelles alléguant la découverte d’un fait nouveau d’où l’audience tenue le 4 mai 2000 par la Commission des lésions professionnelles.
[14] Au cours de l’audience en révision, différents témoins ont été entendus et des documents ont été déposés.
[15] Il appert des documents déposés que monsieur Réal Reed, ayant témoigné lors de l’audience devant la Commission des lésions professionnelles le 26 octobre 1999 dans le dossier de madame Carole Nadeau, la travailleuse, n’était pas au travail le 10 juillet 1998, date alléguée par la travailleuse concernant la survenance d’un accident du travail.
[16] Trois affidavits ont été déposés au dossier et la Commission des lésions professionnelles les reproduits intégralement :
« Je, soussigné, RICHARD VINCENT, domiciliée au 4253 Place D’Assigny à Terrebonne affirme solennellement ce qui suit :
1. Après avoir pris connaissance des nouvelles informations transmises par mon employeur relativement au fait que M. Réal Reed n’a pu être témoin du fait accidentel de Mme Carole Nadeau puisqu’il était absent la journée du 10 juillet 1998, j’aimerais attester ce qui suit :
2. Je suis représentant syndical depuis le mois de septembre 1998 et à ce titre, je suis responsable d’accompagner et d’aider la travailleuse Mme Nadeau dans ses démarches pour faire reconnaître sa lésion professionnelle;
3. Le 14 octobre 1998, j’ai donc accompagné Mme Nadeau chez notre avocate, Me Turbide, en vue de préparer la contestation du refus de reconnaître sa lésion professionnelle.
4. Il est à noter que la décision de refus avait été envoyée pour contestation par télécopieur à Me Turbide le 05-10-98, ce qui fut fait dans la même journée. Comme il est toujours d’usage dans ce genre de dossier, j’ai donc pris le rendez-vous avec Me Turbide et c’est ainsi que le 14-10-98 fut la première rencontre avec l’avocate pour discuter du dossier;
5. Je peux ici affirmer que tous les éléments de l’affidavit signée cette même journée de Mme Nadeau qui me concerne sont exacts;
6. Il est donc exact que lors de ce rendez-vous, j’ai été mandaté pour vérifier auprès de M. Reed et de M. Giroux lequel avait été témoin de la douleur qu’avait ressenti Mme Nadeau après avoir manipulé le rouleau qui pesait près de 100 lbs;
7. Ma première démarche fut d’aller rencontrer M. Reed ce que j’ai fait quelques jours après la rencontre avec Me Turbide. Lorsque je l’ai vu, c’était à Lachine au département 5158. Je lui ai demandé s’il se rappelait avoir vu, quelques mois auparavant, Mme Nadeau se blesser avec le rouleau de fin de cycle;
8. M. Reed a alors été spontanément très affirmatif en me disant qu’il s’en rappelait très bien l’avoir vu se tenir le dos mais sans toutefois qu’il ait vu directement l’accident. Je lui ai alors demandé s’il voulait venir en témoigner à la cour et il m’a dit que oui, qu’il n’y avait pas de problème, que je n’aurais qu’à lui dire quelques jours d’avance. J’ai donc transmis cette information à Mme Nadeau ainsi qu’à Me Turbide;
9. Je dois dire que je n’ai jamais précisé de date précise à M. Reed mais simplement que ça s’était passé au début de l’été précédent;
10. Comme il était tellement certain de se rappeler cet incident, je n’ai pas cru opportun de continuer mon enquête et de vérifier auprès de l’autre travailleur;
11. J’ai donc pris pour acquis que c’était le 10 juillet que M. Reed avait vu Mme Nadeau blessée. Je n’ai pas pensé que ça aurait pu être la fois d’avant (en juin) dont avait effectivement parlé Mme Nadeau à l’avocate lors de la première rencontre;
12. Puis, nous nous sommes présentés à l’audience le 26 octobre 1999 et dans les minutes qui ont précédé l’audience, M. Reed a alors réitéré devant moi ce qu’il m’avait dit à l’avocate, Me Turbide;
13. Il est important de souligner que la date du 10 juillet n’a jamais été avancée par M. Reed lui-même. L’avocate en parlait comme si c’était acquis que c’était le 10 juillet et personne ne posait des questions sur la date ce dont il était question et ce dont se rappelait M. Reed, c’était les détails de ce qui c’était passé et non de la date précise car la question n’était pas soulevée;
14. Après que l'employeur m’est avisé du fait qu’il venait de découvrir que le 10 juillet, M. Reed était absent du travail, j’ai avisé M. Reed du tout et ce dernier a continué à maintenir sa version et il m’a assuré qu’il a vraiment été témoin de ce qu’il avait raconté et qu’il en témoignerait encore à la Cour et sous serment sans hésitation;
15. J’ai donc appelé l’avocate pour l’informer de la situation et celle-ci m’a relu ses premières notes d’entrevue où entre autres Mme Nadeau indiquait qu’un événement similaire était survenu quelques semaines auparavant;
16. J’ai donc fait ressortir les feuilles de présence de Mme Nadeau et de M. Reed et effectivement, cette version fut corroborée par le fait que le 05 juin, Mme Nadeau était partie avant la fin de son chiffre de travail et qu’à cette date, M. Reed était bel et bien présent au travail;
17. Il semble donc que je sois en partie responsable de l’erreur quant à la date où effectivement M. Reed ait vu Mme Nadeau avec des douleurs au dos car je n’ai jamais précisé le tout avec M. Reed et je n’ai pas vérifié auprès de l’autre travailleur.
Je, soussigné, RÉAL REED, domicilié au 2328 rue Ste-Clothilde à Ste-Clothilde affirme solennellement ce qui suit :
1. Après avoir pris connaissance des nouvelles informations transmises par mon employeur relativement au fait que j’étais absent la journée du 10 juillet 1998 alors que j’ai témoigné avoir été témoin d’un incident impliquant Mme Nadeau, j’aimerais expliquer ce qui suit :
2. Je travaille à la compagnie Nortel Télécom depuis plus de 28 années;
3. Depuis 1998, je travaille dans le département no 5158 et mon horaire de travail est de 11 hres p.m. et 7 hres a.m. Mon travail consiste en celui d’opérateur de « Bruderer »;
4. Durant l’année 1998, nous étions trois (3) à travailler à cet endroit soit moi, Mme Nadeau et René Giroux;
5. Je me rappelle très bien que Carole Nadeau s’est fait mal en manipulant un rouleau de fin de cycle. Je m’en rappelle pour l’avoir vu se tenir le dos et pour lui avoir suggérer de s’asseoir et de s’en aller chez elle; je m’en rappelle très bien car il m’arrivait moi aussi d’avoir des problèmes de dos après avoir forcé après le même genre de rouleau qui pouvait peser près de 100 lbs et qu’on doit lever pour le porter sur un chariot. Je pourrais ainsi vous répéter mot pour mot tout ce que j’ai dit sur le sujet au Tribunal le 26 octobre 1999;
6. J’ai donc été très choqué d’apprendre que l'employeur croyait que j’avais menti lors de cette audience car tout ce que j’ai dit est bel et bien la vérité;
7. Je comprends maintenant qu’il s’agit d’une erreur sur la date où j’ai vu Mme Nadeau blessée.
8. En effet, lorsque M. Vincent est venu me voir pour me demander si je me rappelais de cet accident, je n’ai eu aucune hésitation comme tel car je m’en rappelais très bien avoir vu Mme Nadeau se tenir le dos après avoir manipulé le rouleau. Cependant, si M. Vincent m’avait demandé une date précise de l’événement, je n’aurais certainement pas pu le faire car nous étions plusieurs mois plus tard. Il m’a probablement suggéré le 10 juillet et je n’ai pas protesté car ça correspondait en gros à la période où ça s’était passé;
9. En aucun temps c’est moi qui a précisé la date. Si on me dit que ça s’est passé le 10 juillet, je n’avais aucune raison de ne pas le croire et je n’avais pas de carnet journalier pour attester précisément la date;
10. Ce fut la même chose lorsque j’ai raconté à l’avocate, Me Turbide, ce que je savais. Ce n’est jamais moi qui a avancé la date du 10 juillet car je n’aurais jamais pu être si précis;
11. Que ce soit lorsque je lui ai parlé au téléphone quelques jours avant l’audition ou que ce soit dans les minutes qui ont précédé l’audition, ma version a toujours concerné les faits de l’histoire et non pas la date précise;
12. Pour moi que ça soit arrivé un 05 juin ou un 10 juillet ça ne change rien. J’ai pris pour acquis que si l’avocate disait que c’était le 10 juillet ça devait être le 10 juillet. Je n’ai ainsi jamais porté une attention particulière à cette date;
13. Je n’ai aucun intérêt personnel dans cette cause. Je n’ai aucune autre relation que celle de travail avec Mme Nadeau et je n’ai absolument rien à gagner de la perte ou du gain de sa cause;
14. Si j’ai accepté de témoigner c’est par simple devoir moral pour raconter ce que je savais;
15. Je maintiens donc totalement ma version des faits en comprenant toutefois que le tout se serait passé le 05 juin plutôt que le 10 juillet 1998;
16. Si j’indique « se serait » c’est que même maintenant, ce n’est pas ma mémoire qui me fais rapporter cette date précise du 05 juin mais bien les documents de présence de l'employeur qui nous oriente pour cette date. Chose certaine, cependant, peu importe la date, je vous assure et j’affirme solennellement que le tout s’est bel et bien passé comme je l’ai raconté.
Je, soussigné, CAROLE NADEAU, domiciliée au 61 rue Provost à Châteauguay affirme solennellement ce qui suit :
1. Après avoir pris connaissance des nouvelles informations transmises par mon employeur relativement au fait que contrairement à mon témoignage lors de l’audience à la Commission des lésions professionnelles, M. Réal Reed n’a pu être témoin de mon fait accidentel puisqu’il était absent la journée du 10 juillet 1998, j’aimerais apporter les explications suivantes :
2. Suite à mon accident du 10 juillet 1998, ce n’est que le 14 octobre que j’ai rencontré l’avocate, Me Diane Turbide et ce, en compagnie de mes deux délégués syndicaux, M. Richard Vincent et M. Robert Falardeau;
3. Lors de cette rencontre, Me Turbide m’a demandé s’il y avait eu un témoin de ce qui s’était passé. Je lui ai alors répondu qu’il n’y avait pas eu de témoin direct du fait accidentel puisque chaque travailleur est occupé à sa tâche. Par contre, je lui ai mentionné qu’immédiatement après, je l’avais dit à mon compagnon de travail qui m’a bien vu me tenir le dos à cause de la douleur. Même que celui-ci m’avait aidé par la suite pour déplacer le rouleau;
4. Me Turbide m’a alors demandé qui était ce témoin et je lui ai alors dit que je ne me rappelais pas si c’était M. Réal Reed ou l’autre travailleur qui travaillait sur les mêmes machines que moi. Il fut alors convenu que mon délégué syndical vérifierait auprès de ceux-ci;
5. Puis, par la suite, soit plusieurs jours plus tard, M. Richard Vincent m’a dit qu’il avait parlé à M. Reed et que celui-ci se rappelait très bien m’avoir vu en douleur et me tenir le dos après avoir manipulé le rouleau en question qui était très lourd et difficile d’accès. Il se rappelait aussi que j’avais alors dû quitter plus tôt le travail à cause de ma douleur au dos;
6. J’ai alors pris pour acquis que M. Vincent avait aussi vérifié auprès de l’autre travailleur mais j’ai su suite aux nouveaux développements que ce n’était pas le cas;
7. J’ai donc pris pour acquis qu’il s’agissait bien de M. Reed;
8. Par la suite, je ne me suis jamais entretenu avec M. Reed. Je ne l’ai revu que la journée de l’audition à Valleyfield et c’est l’avocate, Me Turbide, qui lui a posé quelques questions avant que l’audition ne débute;
9. De plus, lors de la rencontre avec l’avocate au mois d’octobre 98, je lui ai aussi indiqué que la même chose, c’est-à-dire le même genre d’événement avec douleurs au dos m’était arrivé quelques semaines avant le 10 juillet et que j'avais aussi alors dû quitter le travail plus tôt. Cependant, comme la douleur était partie et que je n’avais pas consulté de médecin, Me Turbide m’a dit que ceci était plus ou moins important puisque le litige portait sur l’événement précis du 10 juillet;
10. Après avoir pris connaissance du fait que M. Reed était absent du travail la journée du 10 juillet, j’ai vérifié avec M. Vincent ma feuille de présence « feuille de contrôle des absences » et j’ai constaté qu’effectivement le 05 juin 1998, j’ai aussi quitté le travail avant la fin de mon chiffre de travail. Il s’agit donc de la fois précédente où le même genre d’incident avec le rouleau était survenu sans toutefois qu'il y ait eut de suites médicales;
11. Ainsi, j’en comprend forcément que c’est ce 05 juin plutôt que le 10 juillet que M. Reed m’a vu avec mon mal de dos à cause de la manipulation du rouleau qui était difficile d’accès à la fin du cycle;
12. J’ai aussi eut l’occasion récemment de parler avec l’autre travailleur qui était présent le 10 juillet, soit M. René Giroux et ce dernier, vu le long délai depuis, ne se rappelle pas d’incident particulier le 10 juillet 1998. Il se rappelle toutefois qu’effectivement il y avait un problème avec le rouleau en question et que régulièrement, par courtoisie, il m’aidait pour manipuler à ma place le rouleau difficile;
13. Par conséquent, il s’agit d’une malencontreuse erreur de date quant à la présence du témoin dans les suites de l’accident;
14. Je réitère cependant tous les autres éléments de mon témoignage quant à la survenance de l’accident du travail du 10 juillet 1998; »
[17] Plusieurs témoins ont également été entendus lors de l’audience du 4 mai 2000. Notamment madame Carole Nadeau qui, essentiellement, a rappelé qu’il y avait seulement trois travailleurs qui travaillaient la nuit à ce département à savoir monsieur Reed, elle-même et monsieur Giroux, que les deux autres travailleurs l’aidaient régulièrement eu égard à la difficulté que présentait le déplacement du rouleau de la machine sur laquelle elle œuvrait et que si ce n’est pas monsieur Reed qui l’a aidé le 10 juillet 1998 lors de l’événement allégué, c’est donc que c’est monsieur Giroux.
[18] Monsieur Giroux a également témoigné confirmant qu’il œuvrait avec la travailleuse à l’été 1998 et qu’effectivement le 10 juillet 1998 est une soirée qu’il était au travail mais que durant cette soirée il n’a rien noté de particulier. Il a sûrement aidé la travailleuse à sortir les rouleaux comme il l’avait fait d’ailleurs fréquemment avant cette date. Ces rouleaux étant lourds, cela faisait partie de son travail d’aider la travailleuse.
[19] Il se souvient d’une certaine journée où la travailleuse aurait quitté avant la fin de son quart de travail mais ne se rappelle pas pourquoi comme il ne se rappelle pas si le 10 juillet 1998 elle se tenait le dos et affirme que cette dernière ne lui aurait rien affirmé de particulier par rapport à un mal de dos non plus par rapport à un besoin de se reposer. Il confirme qu’à un certain moment, longtemps après que la travailleuse eut quitté le travail, ont lui aurait dit que cette dernière aurait quitté pour la maison suite à un mal de dos.
[20] La Commission des lésions professionnelles a également entendu monsieur Réal Reed, qui pour sa part, confirme qu’il aidait souvent la travailleuse dans son travail à mettre les rouleaux sur le chariot eu égard à la pesanteur de ces derniers et qu’il se rappelle qu’à l’occasion cette dernière se tenait le dos puisqu’elle avait une douleur et qu’il lui a conseillé d’appeler les patrons et qu’à cette époque elle n’avait pas continué de faire son quart de travail mais il ne peut confirmer à quelle date exactement cela s’est passé.
[21] Il rappelle qu’on l’a approché plusieurs mois après la date d’événement pour l’interroger à ce sujet, qu’il se souvenait de l’événement mais ne peut certainement pas en préciser la date.
[22] Il confirme essentiellement le témoignage donné lors de la première audience tout comme il affirme avoir témoigné de bonne foi.
[23] La Commission des lésions professionnelles a également entendu madame Laure Tastayre qui est directrice des ressources humaines chez l'employeur depuis octobre 1998. Elle confirme qu’après l’audience, elle s’est rendue au service de la paye et a pu vérifier que le témoin, monsieur Réal Reed, n’était pas sur l’horaire de travail à la date de l’événement soit le 10 juillet 1998. Elle en a informé monsieur Reed de même que son représentant syndical en janvier 2000 et a reçu les affidavits déjà cités par la Commission des lésions professionnelles.
[24] La Commission des lésions professionnelles ne juge pas nécessaire aux fins du présent litige de rapporter l’ensemble des autres témoignages.
[25] Elle rappelle toutefois que lors de l’audience du 26 octobre 1999 la travailleuse a témoigné et ce témoignage a été reproduit par écrit et déposé sous la cote E-1 à la présente audience. La travailleuse y confirme que l’événement lésionnel est survenu le 10 juillet 1998 au moment où la travailleuse aurait déposé son rouleau par terre et a senti une chaleur dans le bas du dos et elle précise notamment :
« Réal m’a donné un coup de main pour mes autres rouleaux à la suite. »
[26] Plus loin, à une question, elle confirme qu’il s’agit bien de monsieur Réal Reed. Elle précise avoir quitté son travail environ une heure après la survenance de cette chaleur ressentie dans le dos et précise :
« Réal m’a beaucoup aidé. Après ça lui quand je suis en allée, il m’a dit qu’il s’occuperait de fermer mes machines puis tout, il s’est occupé de ça. »
[27] Plus loin dans son témoignage, la travailleuse se rappelle cette même nuit avoir téléphoné et parlé à monsieur Normand Bourgeois.
[28] Suite à ces éléments de preuve, l'employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision qu’elle a rendue le 29 octobre 1999 et de déclarer que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle le 10 juillet 1998.
[29] Les parties ont soumis leur argumentation par écrit accompagné de jurisprudence.
L'AVIS DES MEMBRES
[30] Le membre issu des associations d'employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous deux d’avis que la nouvelle preuve présentée justifie la modification de la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 29 octobre 1999 et sont d’avis, par conséquent, que la travailleuse n’a pas démontré par une preuve prépondérante avoir subi une lésion professionnelle le 10 juillet 1998 sous la forme d’un accident du travail.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[31] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l'employeur a soumis un motif permettant de réviser la décision rendue le 29 octobre 1999.
[32] En l’espèce, l'employeur invoque la découverte d’un fait nouveau tel que le prévoit l’article 429.56 de la loi qui s’énonce comme suit :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
________
1997, c. 27, a. 24.
[33] Ce recours pour les motifs énoncés est exceptionnel puisque le législateur a prévu, à l’article 429.49 de la loi, qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel.
[34] Relativement à l’interprétation à donner au premier paragraphe de l’article 429.56 de la loi, la Commission des lésions professionnelles s’est prononcée dans plusieurs dossiers[1].
[35] Dans l’affaire Bourdon[2], la Commission des lésions professionnelles mentionnait la présence de trois critères pour conclure à la présence d’un fait nouveau permettant la révision :
« La jurisprudence constante de la Commission des affaires sociales établit que pour satisfaire aux exigences du premier paragraphe de l’article 24 de la Loi sur la Commission des affaires sociales, L.R.Q. c,C-34, lequel est identique au premier paragraphe de l’article 429.56, le requérant doit établir de façon prépondérante :
1. la découverte postérieure d’un fait nouveau;
2. la non-disponibilité de cet élément au moment où s’est tenue l’audition initiale;
3. le caractère déterminant qu’aurait eu cet élément sur le sort du litige, s’il eût été connu en temps utile.
Chacun de ces trois critères doit être rempli pour satisfaire aux exigences de cette disposition. »
[36] Le nouveau fait allégué par l'employeur fait référence au témoignage de Réal Reed qui aurait assisté la travailleuse la journée de l’événement lésionnel allégué. En effet, il fut découvert ultérieurement à l’audience que ce dernier était absent du travail à la date alléguée de l’événement.
[37] Tel que soumis par l'employeur, le nom de monsieur Reed n’étant apparu ni dans les notes évolutives de la CSST ni dans les notes de l’infirmière de l'employeur, non plus que dans la décision de la révision administrative de la CSST du 2 février 1999 et ce témoin n’ayant pas été annoncé à l'employeur avant l’audience du 26 octobre 1999, il était à toutes fin pratique impossible pour l'employeur de deviner la présence de monsieur Reed à l’audience de même que de deviner qu’il alléguerait, lors de l’audience, avoir été présent le 10 juillet 1998 au travail en même temps que la travailleuse.
[38] La preuve est prépondérante que la découverte de l’absence au travail de monsieur Reed le 10 juillet 1998 se situe après l’audience du 26 octobre 1999. Le tribunal considère que l’employeur n’avait aucune raison et n’était pas en mesure de vérifier au moment de l’audience cette donnée quant à la présence de monsieur Reed au travail le 10 juillet 1998.
[39] Il y a donc dans le présent dossier la découverte postérieure à l’audience d’un fait nouveau non disponible au moment où s’est tenue l’audience. Reste à déterminer si l’impact de cette découverte a une incidence sur l’issu de cette affaire. Si ce fait avait été connu avant que la décision du 29 octobre 1999 soit rendue, le résultat en aurait-il été différent?
[40] Quelle est donc, en d’autres mots, la portée de la découverte de ce fait nouveau sur l’issu du litige soumis au tribunal.
[41] Dans le présent dossier, la travailleuse allègue avoir subi un accident du travail le 10 juillet 1998. Il lui incombe donc de démontrer par une preuve médico-légale prépondérante, qu’à cette date un événement imprévu et soudain attribuable à toutes causes lui est survenu par le fait ou à l’occasion de son travail et a entraîné pour elle une lésion professionnelle.
[42] Une lésion professionnelle au sens de la loi étant une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l’occasion d’un accident du travail ou une maladie professionnelle y compris la récidive, rechute ou aggravation.
[43] Dans le cas sous étude, il s’agit plus précisément d’une blessure, à savoir une entorse lombaire. La travailleuse devait donc démontrer de façon prépondérante que le 10 juillet 1998 alors qu’elle était à son travail, un événement imprévu et soudain lui est survenu, lequel aurait causé l’entorse lombaire diagnostiquée.
[44] Pour ce faire, lors de la première audience devant la Commission des lésions professionnelles, la travailleuse a témoigné et fait entendre un collègue de travail qui aurait été témoin de certains faits et gestes de la travailleuse après la survenance de l’événement imprévu et soudain.
[45] Il appert, selon la nouvelle preuve présentée, que ce témoin n’était pas au travail à cette date.
[46] Ce témoin expliquera, à l’aide d’un affidavit et par la suite en témoignage devant ce tribunal, notamment qu’il œuvre à la compagnie depuis 28 ans et qu’il se rappelle très bien qu’à un certain moment donné la travailleuse se serait fait mal au dos en manipulant un rouleau de fin de cycle et qu’il lui est venu en aide. Il explique qu’il s’agit sûrement d’une erreur de date, il avait pris pour acquis la date avancée ou suggérée par monsieur Vincent le représentant syndical ou encore l’avocate de la travailleuse et il n’a pas porté une attention particulière à cette date.
[47] Concernant ce témoin, le tribunal le considère tout à fait crédible malgré cette erreur de date et n’a aucun doute qu’il croyait exprimer une réalité.
[48] Il n’en demeure pas moins que le tribunal ne peut en conséquence retenir le témoignage de monsieur Reed comme corroborant la version de la travailleuse concernant un événement étant survenu le 10 juillet 1998.
[49] Il est également en preuve que la travailleuse a un autre collègue de travail soit monsieur Giroux.
[50] Ce dernier a témoigné devant le tribunal alléguant que le 10 juillet 1998, date de l’événement lésionnel allégué par la travailleuse, il occupait son poste de travail avec cette dernière et n’a aucun souvenir que quelque chose de particulier serait survenu à la travailleuse. Il confirme qu’il aidait régulièrement la travailleuse à sortir les rouleaux de la machine tout comme il a dû le faire également le soir du 10 juillet 1998. Il agissait ainsi par courtoisie puisque ces rouleaux sont lourds et il fait partie de ses fonctions d’aider sa collègue de travail.
[51] Il se rappelle également d’une certaine journée où la travailleuse aurait quitté avant la fin du quart de travail mais ne peut préciser pour quelle raison tout comme il n’a aucun souvenir si cette dernière se tenait le dos à ce moment.
[52] Il précise également n’avoir aucun souvenir que la travailleuse lui aurait dit à cette époque qu’elle aurait eu des douleurs et a été informé longtemps après son départ que la travailleuse était à la maison pour un mal de dos
[53] Ainsi, monsieur Giroux, qui était le compagnon de travail de la travailleuse au moment de l’événement accidentel allégué, n’a aucun souvenir particulier d’allégation de douleurs ou de gestes effectués par la travailleuse démontrant une telle douleur.
[54] Bien que l’appareil sur lequel la travailleuse a effectué un changement de rouleau constituait à l’époque, dans l’opinion du tribunal, un risque de blessure pour le dos, il appartenait tout de même à la travailleuse tel que mentionné précédemment de démontrer par une preuve prépondérante qu’en manipulant le rouleau à la date de l’événement allégué sur un tel appareil, elle s’était occasionnée une blessure au dos.
[55] Le tribunal considère que la nouvelle preuve présentée devant lui vient affaiblir les éléments de preuve présentés lors de la première audience particulièrement au niveau de la crédibilité à accorder au témoignage de la travailleuse de telle sorte que cette preuve ne peut dorénavant être considérée prépondérante tant au niveau de l’application de la présomption de lésion professionnelle prévue à l’article 28 de la loi que pour la détermination de la survenance d’une lésion professionnelle le 10 juillet 1998 sous la forme d’un accident du travail en vertu de l’article 2 de la loi.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête en révision présentée par Framatome Connectors Canada Inc.;
RÉVISE la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 29 octobre 1999;
DÉCLARE que madame Carole Nadeau n’a pas démontré, par une preuve prépondérante, avoir subi le 10 juillet 1998, une lésion professionnelle.
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Denis Rivard |
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Commissaire |
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TURBIDE LEFEBVRE GIGUÈRE, S.E.N.C. (Diane Turbide) |
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Représentante de la partie requérante |
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FASKEN MARTINEAU DUMOULIN, AVOCATS (Me Linda Facchin) |
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Représentante de la partie intéressée |
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Bourdon
et Genfoot inc., C.L.P. Longueuil, 89786-62-9606-R, 15 juin 1999, P. Perron;
St-Michel
et Contenants Rexam Ltée, C.L.P. Montérégie, 89487-62-9706, 23 août 1999, C.
Demers;
Arbour
et Banque Nationale du Canada et CSST, C.L.P. Québec, 104372-63-9808, 27
septembre 1999,
C.
Bérubé.
[2]
Citée
en note 1.
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Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.