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[1] Le 16 août 2005, monsieur Jean-Jacques Marceau (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 20 juin 2005 à la suite d'une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST déclare irrecevable la demande de révision du travailleur de la décision rendue le 5 novembre 2004.
[3] L'audience s'est tenue le 14 mars 2006 à Chibougamau en la seule présence du travailleur. La cause a été mise en délibéré le jour même de l’audience.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Dans un premier temps, le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de le relever de son défaut d’avoir présenté sa demande de révision dans le délai prévu, car il considère qu’il avait un motif raisonnable pour ne pas respecter ledit délai.
[5] En second lieu, il demande au tribunal de conclure que les travaux d'aménagement effectués dans le cadre de son programme de réadaptation ne sont pas conformes aux règles de l’art.
L’AVIS DES MEMBRES
[6] Les membres issus des associations des employeurs et des associations syndicales, après avoir été consultés sur les questions en litige, sont d'avis d’accueillir la requête en contestation du travailleur aux motifs suivants.
[7] Premièrement, ils considèrent que le travailleur ne pouvait contester la décision proposant les modifications à sa résidence, tant que celles-ci n’étaient pas effectuées. À cet effet, la décision fut rendue le 5 novembre 2004 et les travaux finalisés et approuvés, par lettre, le 23 mars 2005. C’est donc à partir de cette date qu’il était en mesure de contester la décision rendue le 5 novembre 2004. Le travailleur ayant contesté le 29 mars 2005, ils considèrent qu’il doit être relevé de son défaut.
[8] Deuxièmement, ils considèrent que c’est de la responsabilité de la CSST de s’assurer que les travaux qu’elle autorise soient effectués dans les règles de l’art. À cet effet, la CSST avait demandé au travailleur de superviser les travaux. Ils considèrent que le travailleur n’est pas nécessairement celui qui possède l’expertise pour superviser des travaux de cette nature et qu’il est de la responsabilité du payeur de voir à ce que les travaux soient effectués dans les règles de l’art et selon les conditions particulières que peut nécessiter la condition du travailleur.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[9] Après examen et audition et après avoir reçu l'avis des membres, la Commission des lésions professionnelles rend la décision suivante.
[10] Dans un premier temps, le tribunal doit décider si le travailleur avait un motif raisonnable pour contester la décision du 5 novembre 2004, quatre mois et demi plus tard, soit le 29 mars 2005.
[11] En second lieu, la Commission des lésions professionnelles doit décider de qui relève la responsabilité à voir à ce que les travaux soient effectués selon les plans et devis dans le respect des règles de l’art.
[12] À cet effet, la loi prévoit les dispositions suivantes :
358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.
Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365.
Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2.
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1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14.
151. La réadaptation sociale a pour but d'aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s'adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l'accomplissement de ses activités habituelles.
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1985, c. 6, a. 151.
152. Un programme de réadaptation sociale peut comprendre notamment:
1° des services professionnels d'intervention psychosociale;
2° la mise en oeuvre de moyens pour procurer au travailleur un domicile et un véhicule adaptés à sa capacité résiduelle;
3° le paiement de frais d'aide personnelle à domicile;
4° le remboursement de frais de garde d'enfants;
5° le remboursement du coût des travaux d'entretien courant du domicile.
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1985, c. 6, a. 152.
153. L'adaptation du domicile d'un travailleur peut être faite si:
1° le travailleur a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique;
2° cette adaptation est nécessaire et constitue la solution appropriée pour permettre au travailleur d'entrer et de sortir de façon autonome de son domicile et d'avoir accès, de façon autonome, aux biens et commodités de son domicile; et
3° le travailleur s'engage à y demeurer au moins trois ans.
Lorsque le travailleur est locataire, il doit fournir à la Commission copie d'un bail d'une durée minimale de trois ans.
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1985, c. 6, a. 153.
156. La Commission ne peut assumer le coût des travaux d'adaptation du domicile ou du véhicule principal du travailleur visé dans l'article 153 ou 155 que si celui-ci lui fournit au moins deux estimations détaillées des travaux à exécuter, faites par des entrepreneurs spécialisés et dont la teneur est conforme à ce qu'elle exige, et lui remet copies des autorisations et permis requis pour l'exécution de ces travaux.
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1985, c. 6, a. 156.
[13] Le tribunal a reçu le témoignage de Monsieur Marceau et a analysé la preuve documentaire et retient les éléments suivants. Le travailleur est handicapé à la suite d’un accident du travail survenu le 28 octobre 1986. La lésion professionnelle résultant de cet accident oblige Monsieur Marceau à se déplacer en fauteuil roulant et à faire adapter sa cuisine et sa salle de bain afin de les rendre fonctionnelles et ainsi l’assurer d’une plus grande autonomie.
[14] Le 5 novembre 2004, la CSST rend une décision statuant sur les points suivants :
· Confirme l’acceptation de la soumission d’Adaptatech inc. en regard de travaux d’adaptation domiciliaire au niveau de sa cuisine;
· Que le montant maximum accordé pour ces travaux est de 28 550 $ et est accordé uniquement pour les travaux décrits à l’évaluation et à la soumission;
· Que le paiement sera effectué au fournisseur sur réception de la facture originale et sur acceptation des travaux;
· Qu’il est de la responsabilité du travailleur de superviser les travaux et d’avoir les permis nécessaires;
· Qu’il y aura réévaluation des besoins du travailleur en regard de l’aide personnelle.
[15] Monsieur Marceau témoigne que les travaux ont été effectués par cette entreprise, mais sans que quelqu’un ne se présente chez-lui avant d’entreprendre les travaux.
[16] Le travailleur déclare qu’il a déjà bénéficié de mesures d’adaptation de son domicile précédent et que le tout avait été fait par un entrepreneur de la région, à son entière satisfaction.
[17] Concernant spécifiquement les derniers travaux, le travailleur déclare que son plancher de cuisine n’est pas au niveau, ce qui lui cause des problèmes quant à la stabilité de sa chaise roulante. De plus, il y a des endroits comme au-dessus des armoires qui n’ont pas été repeints, le revêtement des armoires est décollé et la porte du four encastré à été brisée lors de l’installation. Enfin, les matériaux qui ont été enlevés n’ont jamais été ramassés et ont été laissés à l’extérieur. Il a dû payer pour les faire ramasser.
[18] Insatisfait des travaux qui avaient été faits, Monsieur Marceau s’est plaint auprès de l’entrepreneur, la CSST ainsi que l’Office des personnes handicapées du Québec (OPHQ).
[19] Concernant la lettre que sa conjointe et lui ont signée le 23 mars 2005, à l’effet que les travaux ont été exécutés à son entière satisfaction, il déclare qu’il venait de sortir de l’hôpital et qu’il était sous forte médication.
[20] Enfin, pour expliquer le fait qu’il ait contesté la décision du 5 novembre 2004 seulement le 29 mars 2005, Monsieur Marceau dira qu’il ne pouvait le faire auparavant, car il devait attendre que les travaux soient effectués. Il était d’accord avec les modifications proposées, mais demande que celles-ci soient effectuées de façon conforme.
[21] Le dossier administratif révèle les éléments suivants. L’agente de la CSST note le 22 mars 2005, que l'entrepreneur est sur les lieux et que le travailleur lui demande d’installer un contre-plaqué de ¾ de pouce au plancher et des panneaux de plâtre aux murs et au plafond. L'entrepreneur lui fait part que ces demandes n’apparaissent pas aux devis acceptés.
[22] Il appert de ces notes, que les relations entre tous les intervenants ont été difficiles et que le représentant du travailleur a dû intervenir. Ainsi, Monsieur Grégoire, représentant de ce dernier, est appelé à la rescousse par la CSST puisque Monsieur Marceau maintient ses demandes auprès de l'entrepreneur qui communique avec la CSST pour lui expliquer la problématique.
[23] Le 7 avril 2005, le travailleur avise la CSST qu’il refuse de payer l'entrepreneur et qu’il conteste la décision traitant des adaptations. Le 7 avril 2005, l’agent au dossier note :
Appel à M. Grégoire lui fait part du message de M Marceau. Il me dit qu’il est en train de faire un message écrit au T. (illisible). Il est tout à fait d’accord pour que l’on paie le contracteur pas question de retarder. Me dit également que ça n’est pas une demande de révision. Il est tout à fait d’accord avec notre position. (Sic)
[24] La note du 26 avril 2005, rapporte ce qui suit :
Recevons fax du R et discussion avec DSS :
Constatations au dossier :
17-08-04 fax fourni au T par Adaptatec inc. pour liste d’adaptation.
5-11-04 lettre de décision sur adaptation résidentielle faite par Luc Racine (non contestée)
23-3-05 lettre d’accord après exécution des travaux signé par le T et sa conjointe.
30-03-05 fax reçu au bureau. Insatisfait des travaux.
26-04-05 Appel au T : Expliquons ce qui précède et le fait que les travaux sont complétés et que le T a donné son accord.
De plus, expliquons que dans son fax ce n’est pas clair qu’il conteste la mesure. Ainsi, expliquons qu’il nous fournisse une contestation concernant la mesure (déc. 5-11-04) Cependant, il est hors délai.
Expliquons qu’il ne peut contester les travaux, Si les travaux sont mal fait il doit s’arranger avec le contracteur en personne.
N.B. : T est très impoli et en colère (Sic)
[25] Le 31 mai 2005, il y a une discussion entre la CSST et l'Office des personnes handicapées du Québec en regard d’une plainte que le travailleur leur a adressée.
[26] Enfin, le 13 juin 2005, la réviseure de la CSST écrit :
M. Jean-Jacques Marceau et sa conjointe : Selon eux : Réitèrent ce qui est écrit dans leurs lettres et aux notes évolutives de la CSST notamment :
Qu’il est insatisfait des travaux tels que réalisés et que ceux-ci sont incomplets. Qu’il n’avait pas vu l’estimé avant le début des travaux puisque le document avait été soumis à la CSST par son représentant. Qu’il est allé chercher ce document à Montréal plus tard, en allant rencontrer son représentant. Que les travaux auraient dû inclure du contreplaqué plus épais ¾ et du placo-plâtre sur les murs même si ce n’est pas écrit dans l’estimé. Que l’estimé des travaux n’est pas assez détaillé. Qu’il veut une adaptation satisfaisante, dont un plancher au niveau, ce en étant conscient que la CSST a écrit qu’il était de sa responsabilité de superviser les travaux. Que les murs sont en pré-fini, que c’est dangereux pour le feu et que la CSST devrait poser du gyproc comme ils l’ont fait dans l’autre maison d’avant. Que c’est écrit dans le livre sur la loi que la CSST aurait dû faire un chèque à son nom et à celui de l’entrepreneur alors qu’il a été fait juste au nom de Adaptatech. Que cela l’a empêché de retenir le chèque. Qu’il pense que Adaptatech et Grégoire (son représentant) ont mis de l’argent dans leurs poches. Que c’est Adaptatech qui s’est arrangé avec Grégoire, ils se sont arrangés ensemble pour la soumission. Que lui n’avait jamais vu la soumission avant d’aller la chercher à Montréal par après que la CSST l’ait autorisée. Qu’Adaptatech avait jamais vu la maison avant de faire l’estimé. Qu’ils viennent de Montréal. Et qu’ils avaient pleinement confiance en M. Grégoire. (Sic)
[27] Ceci constitue l’essentiel de la preuve et amène les conclusions suivantes.
[28] Le tribunal retient que le travailleur ne conteste pas la décision rendue le 5 novembre 2004, mais bien la qualité des travaux d’adaptation qui ont été faits. Il fallait donc que lesdits travaux soient effectués pour que le travailleur soit en mesure de contester la décision du 5 novembre 2004. Le travailleur est donc relevé de son défaut d’avoir contesté, dans les 30 jours, ladite décision.
[29] Quant au fond du litige, contrairement à ce que mentionne la CSST dans sa note du 26 avril 2005, le tribunal considère que ce n’est pas au travailleur de s’arranger avec le contracteur en personne, et ce, pour les motifs suivants.
[30] Premièrement, pour être en mesure de s’arranger avec qui que ce soit, encore faut-il que le travailleur puisse être considéré comme partie au contrat liant le payeur et l'entrepreneur. En effet, une partie au contrat possède la légitimité pour intervenir alors qu’un tiers ne peut penser obtenir gain de cause si l’une des parties refuse tout arrangement.
[31] La preuve démontre que ce n’est pas le travailleur qui est le cocontractant avec Adaptatec inc. Ainsi, lorsque le travailleur a fourni deux estimations pour les travaux à effectuer, c’est la CSST qui a décidé avec qui elle va traiter. C’est elle qui fixe les paramètres des adaptations, qui accepte la soumission des travaux et qui paye l'entrepreneur ayant effectué les travaux. Elle a donc l’autorité légale pour traiter avec ce dernier.
[32] D’ailleurs, les agissements de la CSST démontrent qu’elle s’est comportée comme étant le maître d’œuvre des travaux. Ainsi, lorsque le travailleur demande des modifications aux devis existants, la CSST s’y oppose. Un autre exemple, malgré le fait que le travailleur avise la CSST qu’il refuse de payer l'entrepreneur, la CSST procède au paiement. Ce faisant, elle se comporte comme étant la seule cocontractante avec Adaptatec inc.
[33] Deuxièmement, l’obligation de la CSST envers le travailleur, ne se borne pas au seul paiement des travaux. Elle a l’obligation de s’assurer que les mesures d’adaptation soient adéquates pour le travailleur, ce qui comporte aussi l’obligation de voir à la qualité des travaux. Cette obligation découle de la loi qui prévoit que le travailleur a droit à des mesures d’adaptation et que la CSST est responsable de voir à ce que ces mesures soient conformes.
[34] Enfin, le tribunal comprend que les relations entre le travailleur, son représentant et la CSST sont tendues et que ce dernier manifeste régulièrement son insatisfaction face aux différentes mesures de réadaptation.
[35] Ceci étant dit, il est évident que la formule de confier la supervision des travaux au travailleur, n’a sûrement pas atteint son objectif. Le fait que le travailleur n’avait pas l’autorité nécessaire pour intervenir auprès de l'entrepreneur démontre la futilité de cette mesure.
[36] La preuve documentaire, notamment des différentes communications entre les intervenants au dossier, démontre que la situation a été dénoncée par le travailleur durant les travaux et par la suite. Bien que le représentant du travailleur soit intervenu au dossier, il appert que la CSST aurait dû, par mesure de prudence, retenir le paiement des travaux. À ce moment, elle aurait pu vérifier la conformité des travaux et par la suite agir selon les conclusions de cette vérification.
[37] Le fait que le travailleur et sa conjointe aient signé un formulaire d’acceptation des travaux, s’explique par les différentes pressions qui ont été exercées sur ce dernier ainsi que par l’état de santé du travailleur, au moment de la signature du document. Par contre, il est évident que le travailleur maintenait ses prétentions, notamment lorsqu’il a avisé la CSST qu’il ne payait pas l'entrepreneur. À ce moment, il était du devoir de la CSST de prendre les mesures adéquates pour vérifier les allégations du travailleur et intervenir si nécessaire.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de monsieur Jean-Jacques Marceau, le travailleur;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 20 juin 2005 à la suite d'une révision administrative;
DÉCLARE recevable la demande de révision du travailleur, et;
RETOURNE le dossier à la CSST afin qu’elle vérifie la conformité des travaux effectués au domicile du travailleur et donne suite, le cas échéant, aux réparations nécessaires.
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Robert Deraiche |
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Commissaire |
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PANNETON LESSARD |
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Me Gérard Simard |
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Représentant de la partie intervenante |
AVIS :
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