Décision

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Castonguay et Procar

2010 QCCLP 3482

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Val-d’Or :

10 mai 2010

 

Région :

Abitibi-Témiscamingue

 

Dossier :

355878-08-0808

 

Dossier CSST :

131114019

 

Commissaire :

Paul Champagne, juge administratif

 

Membres :

Rodney Vallière, associations d’employeurs

 

Michel Paquin, associations syndicales

Assesseur :

Robert Belzile

______________________________________________________________________

 

 

 

Serge Castonguay

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Procar

 

Partie intéressée

 

 

 

 

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 15 août 2008, monsieur Serge Castonguay (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 30 juin 2008 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 2 avril 2008 par laquelle elle donnait suite à l’avis du Comité spécial des maladies professionnelles pulmonaires. Elle déclare que le travailleur n’est pas atteint d’une maladie professionnelle pulmonaire.

[3]                Une audience est tenue le 12 janvier 2010 à Val-d’Or. Le travailleur est présent et représenté. L’employeur est également présent et représenté. L’employeur s’est engagé à produire au dossier  les rapports d’intervention de la CSST auprès de son établissement. Ces documents ont été reçus au tribunal le 1er février 2010, c’est donc à cette date que le dossier a été mis en délibéré.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a subi une maladie pulmonaire professionnelle et qu’il a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1](la loi).

L’AVIS DES MEMBRES

[5]                Le membre issu des associations d’employeurs ainsi que le membre issu des associations syndicales sont d’avis unanime que la requête du travailleur devrait être acceptée. La preuve prépondérante révèle que le travailleur présente un asthme professionnel en réaction aux isocyanates présents dans les ateliers de peinture automobile.

[6]                Dans ce contexte, ils sont d’avis que la Commission des lésions professionnelles doit déclarer que le travailleur a subi une maladie pulmonaire professionnelle et qu’il a droit aux prestations prévues par la loi.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[7]                La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a subi une maladie professionnelle pulmonaire.

[8]                De l’ensemble de la preuve, le tribunal  retient les éléments suivants.

[9]                Le travailleur est âgé de 50 ans. Il a commencé à travailler dans un atelier de débosselage et de peinture en 1977. Son premier employeur était l’entreprise de son père (Aldoguay) et les actifs de cette entreprise ont été vendus en 2002 à l’employeur actuel au présent dossier soit Procar.

[10]           Le travailleur a effectué ce travail jusqu’en 2005. En 2005, le travailleur a été embauché par un autre employeur pour occuper un poste d’évaluateur en assurance automobile jusqu’au 30 octobre 2006 où son nouvel employeur  l’a mis à pied.

[11]           Le 11 novembre 2006, le travailleur consulte le docteur Lacroix pour une pneumonie. À la même rencontre, le docteur Lacroix lui remet un rapport médical qui fait état d’un asthme et il est référé en pneumologie. Son médecin lui a suggéré de ne pas retourner travailler comme débosseleur et peintre d’automobiles. En l’absence de preuve contraire, le tribunal conclut que c’est à cette date que le travailleur a été informé par son médecin que ses problèmes respiratoires pouvaient être en relation avec une exposition à des polluants dans des ateliers de peinture automobile.

[12]           Le 17 avril 2007, le travailleur produit une réclamation auprès de la CSST pour une maladie professionnelle pulmonaire.

[13]           Le tribunal retient que le travailleur a une expérience de travail pratiquement unique dans le domaine des ateliers de débosselage et de peinture automobile. Suite, à la perte de son emploi comme évaluateur dans le domaine de l’assurance automobile, le travailleur ne voyait pas d’autres perspectives d’avenir que de se trouver un emploi dans le domaine des ateliers de peinture automobile ou de réorienter sa carrière compte tenu de l’avis de son médecin.

[14]           Le travailleur a précisé à l’audience qu’il a des problèmes pulmonaires depuis plusieurs années. Il présente de façon fréquente des  silements, de la toux, des crachats, de la dyspnée et des oppressions thoraciques. Les symptômes ont  progressivement diminué à partir de 2005 soit à partir du moment où il a occupé un poste d’évaluateur en assurance automobile.

[15]           Le 4 octobre 2007, la CSST dirige le dossier au comité B des maladies professionnelles pulmonaires de Montréal. Au test de provocation à la métacholine, il est mentionné que le travailleur présente une légère hyperréactivité bronchique. Le comité précise qu’il est possible que le travailleur soit désensibilisé aux isocyanates puisqu’il n’est plus exposé depuis 2005. Ils acceptent la possibilité d’un asthme professionnel chez le travailleur et il suggère une tomographie axiale thoracopulmonaire à l’équipe de l’hôpital du Sacré-Cœur. Sur réception des résultats de la tomographie, le comité B doit rendre un avis complémentaire.

[16]           Le 10 octobre 2007, le docteur Jean-Luc Malo de la clinique d’asthme professionnel de l’hôpital du Sacré-Coeur, pneumologue, transmet une correspondance au président du comité B des maladies pulmonaires professionnelles dans laquelle il mentionne les éléments suivants :

L’histoire de ce réclamant est fortement suggestive d’asthme professionnel aux isocyanates. Il est à noter que lors de son évaluation au Comité B, la CP 20 était voisine de 9 mg/ml.

 

[17]           Le 2 novembre 2007, suite à des tests de provocation bronchique spécifique, le docteur Malo conclut qu’il ne peut pas retenir un diagnostic d’asthme professionnel chez le travailleur. Il ajoute que si le travailleur était réexposé  aux isocyanates, il s’agirait d’un réclamant à suivre de près pour exclure la possibilité qu’il se sensibilise ou resensibilise à ce produit.

[18]           Le 17 janvier 2008, suite aux résultats des tests effectués par le docteur Malo, le Comité B des maladies pulmonaires professionnelles conclut dans un avis complémentaire qu’il ne peut confirmer un asthme professionnel.

[19]           Le 20 février 2008, le Comité spécial des présidents conclut qu’il ne dispose pas des éléments nécessaires pour poser un diagnostic d’asthme professionnel. Dans leur avis, il est mentionné qu’il est possible que le travailleur soit désensibilisé depuis les 3 dernières années puisqu’il n’est plus exposé aux isocyanates.

[20]           Le 16 juin 2008, le docteur Paradis mentionne dans une correspondance adressée au travailleur que son problème respiratoire s’est révélé pour la première fois lors d’une évaluation respiratoire en inhalothérapie le 27 février 1992, confirmé à l’époque par le docteur Jean-Marie Gariépy. Par ailleurs, il maintient que le travailleur ne devrait pas reprendre ses activités de débosseleur ou d’évaluateur dans le domaine automobile.

[21]           Le 6 novembre 2008, le travailleur consulte le docteur Ghislain Paradis, pneumologue. Il mentionne dans son rapport les éléments suivants :

Histoire : M. Castonguay raconte avoir développé au cours des 15 dernières années, du temps où il travaillait comme débosseleur, des symptômes respiratoires sous forme de toux, de sifflement thoracique et de dyspnée, associés à des oppressions thoracique. Ça survenait au travail, surtout lorsqu’il effectuait de la peinture de carrosserie, mais également le soir à la maison et au coucher. Sa conjointe notait que sa respiration était sifflante. En quittant son emploi de peintre-débosseleur pour devenir évaluateur, sa condition respiratoire se serait améliorée, mais dans le cadre de son travail comme évaluateur il était exposé fréquemment à l’atelier à des émanations de peinture d’automobile qui lui causaient les mêmes symptômes. C’est lors d’une consultation pour difficultés respiratoires accrues avec notion de pneumonie qu’on a envisagé le diagnostic d’asthme professionnel. Il a reçu différentes formes d’inhalateurs et est maintenant sous Symbicort qui semble l’améliorer. Tel que déjà mentionné, il ne travaille plus depuis 2006.

 

Il a été évalué au Comité des maladies pulmonaires  professionnelles de la CSST le 11 avril 2007. Dans son rapport initial, le Comité B de Montréal des MPP en venait à la conclusion suivante : « les membres du Comité acceptent la possibilité d’un asthme professionnel chez ce réclamant ». On l’a alors référé à l’équipe de l’hôpital Sacré-Cœur de Montréal pour complément d’investigation, tout en mentionnant que M. Castonguay ne devrait pas retourner au travail comme peintre automobile tant que son investigation ne serait pas complétée.

 

À la Clinique d’asthme professionnel de l’hôpital Sacré-Cœur de Montréal, il a rencontré le Dr Jacques Malo en date du 10 octobre 2007, qui était lui aussi d’accord avec la possibilité d’un asthme professionnel. En conclusion de son rapport, dicté le 10 octobre 2007, il mentionnait que l’histoire de ce réclamant est fortement suggestive d’asthme professionnel aux iscyanates. On a par la suite  procédé à une provocation bronchique spécifique. Cette provocation bronchique spécifique s’est déroulé le 2 novembre 2007 et se serait avérée négative. Dans son rapport daté du 2 novembre 2007, Dr Jean-Luc Malo mentionne l’affirmation suivante : « il n’est pas exclu que le fait que M. Castonguay n’ait pas présenté de réaction asthmatique à la suite de l’exposition aux HDI puisse provenir du fait qu’il s’est désensibilisé puisque M. Castonguay n’est plus exposé depuis 2005 aux dits produits ».

 

[….]

 

Depuis ce temps M. Castonguay a noté une certaine amélioration de sa condition respiratoire, mais est demeuré très sensible à toute forme d’irritant respiratoire. À l’exposition à des odeurs fortes, des changements de température ou à la poussière, il développe des symptômes de dyspnée et d’oppression thoracique . À l’effort, c’est variable. Il a commencé à prendre des marches et parfois ça va très bien, tandis que d’autres journées, surtout par température humide, il doit s’arrêter en raison d’une dyspnée et d’une diaphorèse.

 

[…]

 

Conclusion : dans le contexte de l’histoire clinique de M. Castonguay et du résultat des tests de provocation bronchique non spécifique  démontrant une hyperréactivité bronchique significative, je retiens que M. Castonguay a souffert d’un asthme. Il me semble impossible d’éliminer hors de tout doute que cet asthme puisse être d’origine occupationnelle, relié à l’exposition aux isocyanates. Le résultat négatif des tests de provocation bronchique aux HDI effectués à la Clinique d’asthme professionnel de l’Hôpital Sacré-cœur de Montréal, peut être dû au fait que M. Castonguay n’était plus exposé au travail depuis deux ans. C’est d’ailleurs l’avis du Dr Jean-Luc Malo.

 

En ce sens, je crois que M. Castonguay ne doit plus être exposé aux isocyanates, que ce soit dans le cadre d’une travail de peintre-débosseleur ou d’évaluateur.

 

[…] [sic]

 

[22]           La maladie professionnelle est définie à l’article 2 de la loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi):

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;

 

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

 

[23]           L’article 29 de la loi prévoit une présomption de maladie professionnelle :

29.  Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.

 

Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.

__________

1985, c. 6, a. 29.

 

[24]           À la section V de l’annexe I de la loi, on peut lire ce qui suit :

ANNEXE I

 

MALADIES PROFESSIONNELLES

(Article 29)

 

SECTION V

 

MALADIES PULMONAIRES CAUSÉES PAR DES POUSSIÈRES

ORGANIQUES ET INORGANIQUES

 

MALADIES

GENRES DE TRAVAIL

 

 

1.      

8.    Asthme bronchique:

un travail impliquant une exposition à un agent spécifique sensibilisant.

 

__________

1985, c. 6, annexe I.

[25]           Le travailleur peut bénéficier de la présomption de maladie professionnelle prévue à l’article 29 de la loi s’il démontre qu’il a un travail démontrant une exposition à un agent spécifique sensibilisant  et qu’il a un asthme bronchique.

[26]           Cette présomption n’est pas irréfragable. L’employeur peut renverser cette présomption s’il démontre que le travailleur n’a pas été exposé à un agent spécifique sensibilisant.

[27]           À l’audience, les parties n’ont pas remis en cause que le travailleur a été exposé à des isocyanates alors qu’il travaillait dans des ateliers de peinture automobile. Tout au plus, l’employeur a démontré qu’en raison  des nouvelles fonctions du travailleur à partir de 2002 ainsi que du réaménagement du système de ventilation la même année, le travailleur était  moins exposé aux isocyanates.

[28]           Selon les informations contenues dans le site internet de la CSST[3], les isocyanates sont des substances chimiques qu’on ajoute à la peinture pour augmenter la résistance et améliorer la qualité du fini. Ils sont très présents dans les ateliers de peinture automobile. Ces substances sont des agents spécifiques sensibilisants qui peuvent provoquer un asthme bronchique.

[29]           Le tribunal constate que les différents avis médicaux au dossier font état que le travailleur a probablement présenté un asthme bronchique en réaction à une exposition à un agent spécifique sensibilisant soit les isocyanates.

[30]           La preuve médicale au dossier veut qu’une période de non exposition aux isocyanates peut expliquer des résultats négatifs à des tests de provocation bronchique spécifique ce qui n’exclut pas que le travailleur peut être atteint d’un asthme bronchique. Au surplus, la Commission des lésions professionnelles[4] a déjà reconnu qu’une perte de sensibilisation en raison d’une période de non exposition peut expliquer des résultats négatifs à des tests de provocation bronchique spécifique tout en reconnaissant qu’un travailleur puisse être atteint d’une maladie pulmonaire professionnelle. Le tribunal croit qu’il en est de même dans le présent dossier et que cet élément ne renverse pas la présomption prévue par la loi.

[31]           Le travailleur n’a pratiquement plus été exposé aux isocyanates depuis qu’il a occupé un poste d’évaluateur en assurance pour un autre employeur soit à partir de novembre 2005.  C’est ce qui explique une diminution des symptômes depuis 2005 ainsi que des résultats négatifs aux tests de provocation bronchique spécifique.

[32]           Le travailleur a rencontré son fardeau de preuve pour bénéficier de la présomption prévue par la loi à savoir qu’il a présenté un asthme bronchique et qu’il a été exposé à des agents spécifiques sensibilisants. Le tribunal ne dispose pas d’éléments qui lui permettraient de renverser la présomption.

[33]           Dans les circonstances, le tribunal conclut que le travailleur est atteint d’une maladie pulmonaire professionnelle.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête du travailleur, monsieur Serge Castonguay;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 30 juin 2008;

DÉCLARE que le travailleur a subi une maladie pulmonaire professionnelle et qu’il a droit aux prestations prévues par la loi.

 

 

 

 

Paul Champagne

 

 

 

 

Gilles Bergeron

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Isabelle Montpetit

Béchard, Morin et ass.

Représentante de la partie intéressée

 

 

 



[1]           L.R.Q. , c. A-3.001.

[2]           L.R.Q., c. A-3.001.

[3]           www.csst.qc.ca.

[4]           Giuseppe Lo Schiavo et Bonaventure Chevrolet Oldsmobile inc. et als, C.L.P. 307340-61-0701, 28 juillet 2008, G. Morin.

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