Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec

18 juillet 2006

 

Région :

Abitibi-Témiscamingue

 

Dossier :

280601-08-0512

 

Dossier CSST :

111135455

 

Commissaire :

Me Jean-François Clément

 

Membres :

Serge Turgeon, associations d’employeurs

 

Jean-Pierre Valiquette, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Léopold Parent

 

Partie requérante

 

 

 

Et

 

 

 

Mines Agnico Eagle ltée

 

Partie intéressée

 

 

 

Et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail - Abitibi-Témiscamingue

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 15 décembre 2005, monsieur Léopold Parent (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 9 décembre 2005 à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 7 septembre 2005 qui avait refusé au travailleur le remboursement de l’achat de bois de chauffage pour l’hiver 2005-2006.

[3]                Une audience est tenue à Val d’Or le 18 mai 2006 en présence du travailleur, de son procureur et du procureur de la CSST.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il a droit au remboursement de 675,00 $ pour le bois de chauffage qu’il a utilisé pendant l’hiver 2005-2006.

 

L’AVIS DES MEMBRES

[5]                Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs partagent le même avis. La preuve non contredite indique que les conditions d’application prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) sont présentes et permettent de déclarer que le travailleur a droit au remboursement du montant de 675,00 $ déboursé pour du bois de chauffage à l’hiver 2005-2006. Le chauffage au bois est le mode principal de chauffage chez le travailleur, son contrat d’assurances et son témoignage étant clairs à ce sujet.

 

LES FAITS ET LES MOTIFS

[6]                La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a droit au remboursement qu’il demande pour le bois de chauffage acheté à l’hiver 2005-2006 afin de chauffer sa propriété.

[7]                Le travailleur a subi une lésion professionnelle le 11 janvier 1996, reconnue par une décision du 6 février 1997, en lien avec un syndrome de Raynaud bilatéral.

[8]                Les séquelles de cette lésion ont été établies par le docteur Camille Gosselin, chirurgien général, qui avait été initialement mandaté par la CSST en vertu de l’article 204 de la loi. Cependant, l’étude du dossier révèle que le travailleur a choisi ce médecin pour évaluer les séquelles de sa lésion de sorte que cette expertise devient liante au sens de l’article 224 de la loi qui se lit comme suit :

224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.

__________

1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.

 

 

[9]                Ceci n’a d’ailleurs nullement été remis en question à l’audience et est d’ailleurs conforme au principe contenu à la loi en matière d’évaluation médicale.

[10]           L’article 192 de la loi mentionne que le travailleur a droit aux soins du professionnel de la santé de son choix. Le même principe est repris à l’article 199 de la loi qui indique qu’un travailleur peut aussitôt qu’il est en mesure de le faire choisir un médecin qui aura charge de lui.

[11]           En l’espèce, même si le docteur Gosselin a initialement été mandaté par la CSST pour rencontrer le travailleur, ce dernier a par la suite exprimé le choix de retenir ce médecin comme celui qui a charge aux fins de l’évaluation des séquelles de sa lésion. Rien ne l’empêchait de le faire et sa volonté doit être respectée.

[12]           Un médecin désigné par la CSST en vertu de l’article 204 de la loi n’est généralement pas considéré comme le médecin qui a charge d’un travailleur[2]. Toutefois, l’accord du travailleur à retenir le docteur Gosselin comme étant son médecin qui a charge s’apparente à un cas où un travailleur choisit son médecin avec l’aide de la CSST. La jurisprudence en pareille matière reconnaît que ce médecin est alors celui qui a charge.[3]

[13]           Bien que le docteur Gosselin ait été initialement imposé au travailleur, on peut ici conclure qu’il est devenu son médecin qui a charge par l’accord qu’il a donné ultérieurement, ce qui distingue le présent dossier de l’affaire Amara déjà citée.

[14]           Ceci étant dit, le docteur Gosselin retient dans son évaluation faite en lien avec l’examen du 3 mars 1995 un déficit anatomophysiologique (DAP) de 11 % et les limitations fonctionnelles suivantes :

«À mon point de vue monsieur Parent ne peut pas reprendre son travail antérieur comme mineur. Il doit éviter les endroits humides et froids. Il ne peut travailler à l’extérieur du moins l’hiver. Il doit évite de travailler avec des appareils vibrants.

À cause de sa hanche gauche, monsieur Parent ne peut possiblement pas reprendre son travail antérieur.»

 

 

[15]           À l’été 2005, le travailleur s’adresse à la CSST pour qu’elle assume le coût d’achat de bois de chauffage pour l’hiver 2005-2006. La CSST refuse sa demande par une décision du 7 septembre 2005 qui sera maintenue en révision administrative le 9 décembre 2005. C’est de cette décision dont le travailleur a saisi le présent tribunal.

[16]           Le tribunal estime que la CSST n’avait pas raison de refuser la demande du travailleur.

[17]           Comme la CSST a reconnu au travailleur une atteinte permanente, il avait droit à la réadaptation tel que le mentionne l’article 145 de la loi.

[18]           Quant à la réadaptation sociale, elle est prévue aux articles 151 et suivants de la loi. L’article 151 se lit comme suit :

151. La réadaptation sociale a pour but d'aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s'adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l'accomplissement de ses activités habituelles.

__________

1985, c. 6, a. 151.

 

 

[19]           L’article 165 prévoit quant à lui la possibilité pour un travailleur de se voir rembourser certains coûts relatifs aux travaux d’entretien courant de son domicile :

165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.

__________

1985, c. 6, a. 165.

 

 

[20]           La jurisprudence a depuis longtemps assimilé la fourniture de bois pour chauffer le domicile d’un travailleur à des travaux d’entretien courant du domicile. Le tribunal se rallie à cette jurisprudence.[4]

[21]           Il est également démontré que le travailleur a subi une atteinte permanente grave non seulement à cause du DAP lui-même mais parce que les limitations fonctionnelles décrétées par le docteur Gosselin lui imposent de ne pas travailler avec des appareils vibrants, entre autres choses. Or, selon la jurisprudence à laquelle le soussigné adhère, l’atteinte permanente grave doit s’évaluer non seulement en fonction du pourcentage du DAP mais également en fonction de la capacité résiduelle du travailleur à effectuer les tâches concernées.[5]

[22]           Il est évident que ces limitations empêchent le travailleur de se servir d’une scie à chaîne et le limitent donc dans sa capacité résiduelle à couper son bois de chauffage.[6]

[23]           Il est donc acquis que le travailleur est incapable d’effectuer lui-même la coupe de son bois de chauffage à cause de la limitation fonctionnelle lui demandant d’éviter de travailler avec des appareils vibrants. Le travailleur doit également éviter les endroits humides et froids.

[24]           La preuve démontre également que c’est le travailleur qui aurait normalement lui - même coupé son bois de chauffage n’eût été de sa lésion.

[25]           La preuve non contredite a démontré que de 1982 à 1998, le travailleur coupait lui-même les 12 à 13 cordes de bois nécessaires au chauffage de sa maison. Il vaquait à cette tâche avec son beau-frère qui bûchait du bois pour sa propre maison sur un lot appartenant à une de leurs tantes.

[26]           Il a arrêté de bûcher lui-même son bois à compter de 1998 et a commencé à l’acheter à cause des séquelles de sa lésion. Il n’a jamais réclamé à la CSST auparavant parce qu’il ignorait ses droits. Ceci ne peut les lui faire perdre pour le futur puisqu’on ne peut renoncer à l’avance à un droit issu d’une loi d’ordre public.

[27]           Antérieurement, il faisait de même pour sa maison de Senneterre qu’il a habitée de 1976 à 1982. Il bûchait 15 à 18 cordes de bois annuellement pour combler ses besoins de chauffage.

[28]           Le travailleur a acheté une nouvelle maison à Val d’Or le 29 juillet 2005. Un poêle à bois y est installé et il s’agit du chauffage principal de cette maison. Tout indique donc que le travailleur a continué après l’achat de cette nouvelle maison à fonctionner comme il le faisait dans le passé, à savoir en chauffant sa résidence au bois.

[29]           En effet, rien dans la preuve n’indique que cette habitude installée depuis longtemps chez le travailleur aurait changé en 2005. Il était permis de croire que le même scénario devait tout simplement se prolonger. Le tribunal constate d’ailleurs que le travailleur a bel et bien chauffé au bois pendant l’hiver 2005-2006.

[30]           Il est de plus établi que le travailleur a déboursé 675,00 $ pour les 15 cordes de bois achetées en septembre 2005 (pièce T-1). Comme la jurisprudence exige que les frais aient été engagés pour donner droit au remboursement prévu à la loi, le tribunal conclut que le travailleur remplit aussi cette condition.[7]

[31]           Il s’agit là des seules conditions expressément prévues par la loi. Toutefois, le refus de la CSST est basé sur le fait que le système de chauffage au bois du travailleur en serait un d’appoint seulement. Cette condition n’est nullement inscrite à la loi et ne lie aucunement le tribunal.

[32]           Il n’est pas ici question d’un foyer de salon dont on se sert par pur agrément. Il ne s’agit même pas d’un système de chauffage d’appoint, comme le mentionne la CSST, qui serait le complément d’un système de chauffage principal à l’électricité ou à l’huile. De toute façon, même en pareil cas, certaines décisions de la Commission des lésions professionnelles ont accordé le droit au remboursement.[8] La Commission des lésions professionnelles a cependant aussi refusé le remboursement en pareilles circonstances.[9]

[33]           La preuve démontre plutôt ici que le système de chauffage au bois du travailleur est celui qu’il utilise de façon principale, ce qui suffit en l’espèce, rien dans la loi ou la jurisprudence n’exigeant que le système de chauffage au bois soit exclusif à tout autre système.[10]

[34]           Il appert que lorsque le travailleur est absent de sa maison, il chauffe alors à l’électricité. C’est donc plutôt le chauffage à l’électricité qui constitue le chauffage d’appoint en l’espèce. D’ailleurs, le témoignage du travailleur indique clairement que le système électrique convient pour chauffer la maison seulement en son absence, mais qu’il n’est pas assez puissant pour chauffer lorsqu’il se trouve dans sa maison : ce seul système ne lui permet pas d’être à l’aise.

[35]           Il est d’ailleurs catégorique sur le fait que, chaque fois qu’il est dans sa maison, il chauffe au bois. Il doit chauffer sa maison à 80 degrés pour ne pas avoir la sensation que ses doigts gèlent, ce que ne peut faire le système électrique.

[36]           Le fait que le système de chauffage au bois du travailleur constitue sa source principale de chaleur et non seulement un système d’appoint ressort donc de son témoignage crédible et non contredit de même que de divers documents qu’il a déposés à l’audience.

[37]           Le fait que le travailleur chauffe au bois se reflète par exemple dans ses factures d’électricité qui ne sont que d’environ 90,00 $ par mois.

[38]           Le document T-3, une modification à la police d’assurance habitation du travailleur, indique bien un chauffage central au bois avec un système électrique auxiliaire, la prime étant calculée nécessairement en conséquence.

[39]           Un autre document déposé sous la même cote en date du 4 mai 2006 indique la même chose.

[40]           Quant au document T-4, une promesse d’achat, indique aussi que le chauffage au bois est utilisé de façon régulière et que les ramonages sont effectués deux fois par année. La nécessité d’effectuer deux ramonages par année indique une utilisation régulière du poêle à bois.

[41]           Même si à la lecture du document T-4 on pourrait être porter à croire que le poêle à bois constitue un système de chauffage d’appoint, cette inscription a été faite par la personne qui a vendu la maison au travailleur, ce qui ne peut lier ce dernier. Son témoignage crédible a expliqué la réalité de la situation.

[42]           Le schéma déposé par le travailleur sous la cote T-5 indique d’ailleurs que plusieurs pièces ne sont pas munies de plinthes électriques. Le poêle à bois est cependant d’une capacité permettant de chauffer la maison dans son intégralité.

[43]           Le remboursement au travailleur de la somme de 675,00 $ pour le bois de chauffage en l’espèce respecte le but de la réadaptation sociale, soit de l’aider à surmonter les conséquences sociales de sa lésion professionnelle et à redevenir autonome dans l’accomplissement de ses activités habituelles.

[44]           Il est vrai que lorsque le travailleur coupait lui-même son bois, il encourait quand même certains coûts. Il est aussi vrai qu’il n’a utilisé qu’environ 12 cordes de bois pendant l’hiver 2005-2006 sur les 15 achetées.

[45]           Toutefois, le surplus de 3 cordes lui servira l’an prochain et diminuera sa réclamation d’autant.

[46]           Quant à la déduction des frais antérieurs, la preuve n’est pas claire à cet effet. De toute façon, l’article 165 ne mentionne aucunement que des déductions devraient être faites. Cet article prévoit que le travailleur a droit au remboursement des frais engagés pour des travaux d’entretien courants, sans tenir compte de ce qu’il pouvait engager lui-même auparavant pour couper son bois de chauffage. Tout autre solution serait de toute façon difficilement praticable.

[47]           Ainsi, si on devait effectuer de telles déductions, cela voudrait-il dire qu’on devrait déduire du coût d’un lit orthopédique le coût d’un lit ordinaire utilisé auparavant? Lors du remboursement de frais de tonte de gazon, le coût de la tondeuse dont se servait antérieurement le travailleur ou de l’essence requise devraient-ils être déduits?

[48]           Le tribunal fait donc droit aux prétentions du travailleur.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de monsieur Léopold Parent, le travailleur;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 9 décembre 2005 à la suite d’une révision administrative;

ET

DÉCLARE que le travailleur a droit au remboursement d’un montant de 675,00 $ pour le coût du bois de chauffage acheté pour l’hiver 2005-2006.

 

 

__________________________________

 

Me Jean-François Clément

 

Commissaire

 

 

 

 

 

Me Denis Béchard, avocat

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Francis Letendre

PANNETON LESSARD

Représentant de la partie intervenante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001

[2]           Lavoie et Aliments Valdi inc., [1989] C.A.L.P. 45 ; Amara et Centre de conditionnement physique Atlantis inc., 211952-71-0307, 10 février 2004, C. Racine

[3]           Loiselle et Paccar Canada Division de la Compagnie Kenworth, 89353-71-9706, 8 juillet 1999, A. Vaillancourt

[4]           Martel et Les Entreprises G. St-Amant inc., 07955-03-8806, 26 octobre 1990, B. Dufour; Alarie et Industries James McLaren inc., [1995] C.A.L.P.1233, décision accueillant la requête en révision; Entreprises Bon-Conseil ltée et Bezeau, 57905-09-9412, 7 août 1995, J.M. Dubois; Lemieux et Ministère des Transports, 118805-02-9906. 6 mars 2000, P. Simard; Champagne et Métallurgie Noranda inc., 144899-08-0008, 1er mars 2001, P. Prégent; Hamel et Mines Agnico Eagle ltée, 134627-08-0002, 10 juillet 2001, M. Lamarre

[5]           Cyr et Thibault et Brunelle, 165507-71-0107, 25 février 2002, L. Couture; Filion et P.E. Boisvert Auto ltée, 110531-63-9902, 15 novembre 2000, M. Gauthier

[6]           Bouthillier et Pratt et Whitney Canada inc., [1992] C.A.L.P. 605

[7]           Savard et Entreprises P.E.B. ltée, [1992] C.A.L.P. 89 ; Air Canada et Chapdelaine, 35803-64-9112, 17 novembre 1995, B. Roy

[8]           Pelletier et CSST, 145673-08-0008, 25 septembre 2001, S. Lemire; Nevins et Les Abatteurs Jacques Élément, 156525-08-0103, 18 février 2002, C. Bérubé

[9]           Champagne et Métallurgie Noranda inc., 144899-08-0008, 1er mars 2001, P. Prégent; Hamel et Mines Agnico Eagle ltée, 134627-08-0002, 10 juillet 2001, M. Lamarre; Benoît et Constructions AJP Rivard inc., 181584-04-0203, 21 février 2003, J.F. Clément

[10]         Champagne et Métallurgie Noranda inc. déjà citée et Hamel et Mines Agnico Eagle ltée, déjà citée

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