Hydro-Québec (Gestion accidents du travail) |
2010 QCCLP 174 |
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[1] Le 28 juillet 2008, l’employeur, Hydro-Québec, dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) le 17 juillet 2008, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision initiale qu’elle a rendue le 18 mars 2008 et déclare que la totalité des coûts dus en raison de la lésion professionnelle subie par le travailleur, monsieur Martial Isabelle le 9 décembre 2005, doit être imputée à l’employeur.
[3] À l’audience tenue le 10 décembre 2009, l’employeur est représenté par son procureur. L’affaire est prise en délibéré ce même jour.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4]
L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de
reconnaître qu’il a droit à un partage de coûts de l’ordre de 10% à son dossier
et de 90% aux employeurs de toutes les unités, alléguant que le travailleur
était déjà handicapé au moment de la survenance de la lésion professionnelle au
sens de l’article
LA PREUVE
[5] Du dossier constitué par la Commission des lésions professionnelles et de la preuve produite à l’audience, le tribunal retient les éléments suivants.
[6] À l’époque pertinente, le travailleur est âgé de 53 ans. Il occupe un poste de chef monteur distributeur chez l’employeur. Le 9 décembre 2005, dans le cadre de son travail, monsieur Isabelle glisse sur une plaque de glace et fait une chute sur le genou gauche.
[7] Un diagnostic d’entorse au genou gauche est d’abord posé. Par la suite, les diagnostics de syndrome de la patte d’oie, de tendinite de la bandelette ilio-tibiale et de gonalgie du genou gauche sont également retenus.
[8] Le 30 mars 2006, le travailleur passe un examen par résonance magnétique du genou gauche. Le docteur Bouchard interprète les résultats. À la corne postérieure du ménisque interne, il note des signes de dégénérescence méniscale. Il suspecte une petite déchirure oblique. Le ménisque externe apparaît normal. Les ligaments croisés et collatéraux sont intacts, les structures osseuses sont homogènes. Le docteur Bouchard note un discret épanchement articulaire. Il note enfin qu’il n’y a pas d’évidence d’anomalie dans les tissus mous de part et d’autre de la bande ilio-tibiale; il n’y a pas de signe inflammatoire à ce niveau.
[9] Le 5 mai 2006, le travailleur consulte l’orthopédiste Dafniotis. Elle retient le diagnostic de dérangement interne du genou gauche et prévoit une arthroscopie.
[10] Cette intervention a lieu le 5 juin 2006. La docteure Dafniotis procède à un rasage du compartiment externe, du condyle fémoral interne et du plateau tibial interne du genou gauche. Au protocole opératoire, elle note l’absence de lésion méniscale. Elle note toutefois une chondropathie du condyle fémoral interne ainsi que du plateau tibial interne minime, sans exposition de l’os sous-chondral.
[11] Le 8 juin 2006, la docteure Dafniotis retient le diagnostic de chondropathie du condyle fémoral interne du genou gauche. Elle prescrit des traitements de physiothérapie. En août 2006, les traitements de physiothérapie sont cessés et, devant la persistance des symptômes, un traitement de viscosuppléance (synvisc) est entrepris.
[12] Le 29 septembre 2006, la docteure Dafniotis produit le rapport médical final. Elle retient le diagnostic de chondropathie du condyle fémoral interne du genou gauche, consolidé le 29 septembre 2006, avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles.
[13] Le 28 novembre 2006, elle examine le travailleur et produit le rapport d’évaluation médicale. Compte tenu de la persistance des symptômes, elle recommande les limitations fonctionnelles suivantes :
Éviter la position à genoux et accroupie;
Éviter les escaliers;
Éviter les manipulations de charges lourdes de plus de 15 kilos.
[14] Le 1er février 2007, la CSST rend une décision par laquelle elle déclare que le travailleur est capable d’occuper l’emploi convenable de chef monteur avec tâches adaptées à compter du 31 janvier 2007. L’emploi étant disponible chez l’employeur, le versement de l’indemnité de remplacement du revenu prend fin à cette date.
[15] Le 7 mai 2007, la Commission des lésions professionnelles rend une décision[2] par laquelle elle entérine l’accord intervenu entre l’employeur et le travailleur. Par cette décision, le tribunal déclare que le 9 décembre 2005, le travailleur a subi une lésion professionnelle, soit une entorse sévère au genou gauche, un syndrome de la patte d’oie, une tendinite de la bandelette ilio-tibiale gauche, une gonalgie du genou gauche et un dérangement interne du genou gauche associé à une condition personnelle de chondropathie du condyle fémoral interne du genou gauche préexistante à l’événement.
[16] Le 24 juillet 2007, le docteur Villeneuve, médecin de l’employeur, produit une note d’évolution au dossier du travailleur concernant une demande de partage de coûts. Il émet l’opinion que la chondropathie du condyle fémoral interne constitue en l’espèce le principal diagnostic puisqu’aucun autre diagnostic n’a été objectivé à l’arthroscopie. Il ajoute :
«La chondropathie est de l’arthrose. Les principaux traitements prodigués (rasage chirurgical et injections de synvisc) sont reliés à cette condition personnelle préexistante.
Les limitations fonctionnelles sont dues à cette condition.
Cette condition personnelle préexistante a fortement contribué à augmenter les coûts, en prolongeant la période de consolidation et en augmentant les frais de réparation.
Je crois qu’un partage de coûts de l’ordre de 90% à l’ensemble des employeurs et de 10% au dossier d’Hydro-Québec devrait s’appliquer.»
[17] Le 24 juillet 2007, l’employeur produit une demande de partage de coûts à la CSST.
[18] Le 18 mars 2008, la CSST rend une décision par laquelle elle déclare qu’il n’est pas démontré que le travailleur présentait un handicap au moment de la lésion professionnelle. En conséquence, la totalité des coûts dus en raison de la lésion professionnelle demeure imputée au dossier de l’employeur. Cette décision est confirmée le 17 juillet 2008, à la suite d’une révision administrative, d’où le présent litige.
[19] Le docteur Jean-Benoît Villeneuve témoigne à l’audience. Il est lié à Hydro-Québec par contrat depuis 1988. Depuis 2000, il agit uniquement dans les dossiers de lésions professionnelles. Il donne des avis médicaux quant à l’admissibilité des réclamations, sur les demandes de partage de coûts et sur la nécessité d’obtenir des expertises médicales.
[20] Le tribunal reconnaît au docteur Villeneuve le statut de témoin expert.
[21] Dans le dossier qui nous occupe maintenant, le docteur Villeneuve est appelé à donner son avis sur la pertinence de présenter une demande de partage de coûts.
[22] Le docteur Villeneuve constate que plusieurs diagnostics ont été posés dans le cas du travailleur. Il s’étonne toutefois que le diagnostic de chondropathie soit d’abord retenu en lien avec l’événement. C’est pourquoi l’employeur a contesté cette décision.
[23] Finalement, la Commission des lésions professionnelles reconnaît que la chondropathie est une condition personnelle préexistante. De là la demande de partage de coûts présentée par l’employeur.
[24] Le docteur Villeneuve souligne que tous les autres diagnostics retenus ne sont pas objectivés à la résonance magnétique. Le seul diagnostic objectivé est la chondropathie, qui est une condition personnelle.
[25] Le docteur Villeneuve réfère à un extrait du traité Pathologie médicale de l’appareil locomoteur[3] concernant les arthropathies fémoro-tibiales, plus particulièrement la gonarthrose. Le tribunal retient ce qui suit de cet extrait.
[26] L’arthrose du genou est une des affections les plus fréquentes en pratique médicale. L’arthrose du genou est une maladie chronique des plus communes. Elle est aussi une cause fréquente d’invalidité prolongée en Amérique du Nord. On estime qu’environ 50% des malades de plus de 65 ans présentent des signes radiologiques d’arthrose. Plus précisément, entre 55 et 74 ans, 10% des sujets présenteraient de l’arthrose aux genoux et 3% aux hanches. C’est donc une maladie très fréquente qui touche une population âgée chez laquelle la présence de maladies associées comme la maladie cardiaque arthérosclérotique, l’hypertension artérielle, l’insuffisance rénale et le diabète sont aussi des facteurs primordiaux à considérer, particulièrement d’un point de vue thérapeutique.
[27] Le docteur Villeneuve souligne de plus que, selon la littérature, il n’y a que peu de corrélation entre la sévérité des lésions radiographiques et les symptômes au moment où la radiographie est demandée.
[28] Pour le docteur Villeneuve, la condition du travailleur, qui est âgé de 53 ans au moment de l’événement, dévie donc de la norme biomédicale puisque selon les données rapportées dans la littérature, moins de 10% des gens de son âge présente de l’arthrose aux genoux.
[29] Il reconnaît par ailleurs que la condition d’arthrose est ici légère, à son début. Malgré cela, la condition peut être symptomatique, puisqu’il n’y a pas de corrélation entre la gravité de l’arthrose et les symptômes. Bien que le travailleur ait été asymptomatique avant l’événement, il l’est devenu après l’accident du travail, ce qui est fréquent selon le docteur Villeneuve.
[30] Le docteur Villeneuve constate que le traitement par synvisc a procuré au travailleur une amélioration ce qui veut dire que le problème était relié à la condition d’arthrose, ce traitement étant indiqué pour cette condition. Il estime de plus que les limitations fonctionnelles reconnues par la docteure Dafniotis sont reliées à la condition personnelle du travailleur d’autant plus que c’est là le seul diagnostic retenu au moment de la consolidation.
[31] Considérant qu’une entorse guérit habituellement en six semaines et que dans le cas du travailleur la période de consolidation est de 41 semaines, le docteur Villeneuve estime qu’un partage de coûts de l’ordre de 10% au dossier de l’employeur et de 90% aux employeurs de toutes les unités serait justifié.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[32]
L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de lui
accorder un partage d’imputation en vertu de l’article
329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.
L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.
[33] Le tribunal constate d’abord que la demande de partage d’imputation présentée par l’employeur le 24 juillet 2007 respecte le délai prescrit.
[34] La Commission des lésions professionnelles doit donc déterminer si le travailleur était déjà handicapé au moment de la survenance de la lésion professionnelle le 9 décembre 2005.
[35] La loi ne définit pas la notion de handicap. Il convient donc de s’en remettre à la définition retenue par la jurisprudence de façon pratiquement unanime depuis l’affaire Municipalité Petite-Rivière St-François[4] :
« La Commission des lésions professionnelles considère
qu’un travailleur déjà handicapé au sens de l’article
[36] La jurisprudence nous enseigne également qu’une déficience est une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique qui correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. Elle peut être congénitale ou acquise et elle peut se traduire ou non par une limitation des capacités du travailleur à fonctionner normalement. Elle peut aussi être asymptomatique jusqu’à la survenance de la lésion professionnelle[5].
[37] L’employeur doit donc démontrer que le travailleur était, au moment de la lésion professionnelle, porteur d’une déficience qui correspond à une déviation par rapport à la norme biomédicale.
[38] Dans le cas où l’employeur réussit cette démonstration, il doit démontrer que cette déficience a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur les conséquences de cette lésion.
[39] Considérant la preuve médicale, et plus particulièrement le témoignage du docteur Villeneuve, le tribunal estime qu’il est démontré de façon prépondérante que le travailleur était déjà handicapé au moment de la lésion professionnelle. Cette conclusion repose sur les éléments suivants.
[40] En l’espèce, la résonance magnétique a démontré la présence de dégénérescence méniscale. Au protocole opératoire, la docteure Dafniotis décrit une chondropathie, bien que minime, du condyle fémoral interne et du plateau tibial.
[41] Le docteur Villeneuve a expliqué dans son témoignage que la chondropathie est de l’arthrose. La présence d’arthrose constitue une déficience. De plus, il est reconnu par la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles entérinant l’accord intervenu entre le travailleur et l’employeur, que cette chondropathie constitue une condition personnelle préexistante.
[42] Selon la littérature médicale déposée au dossier et selon le témoignage non contredit du docteur Villeneuve, l’arthrose du genou se retrouve chez moins de 10% des gens âgés de moins de 55 ans, dont fait partie le travailleur.
[43] Le docteur Villeneuve en conclut donc que la chondropathie présente dans le genou gauche du travailleur constitue en l’espèce une déficience personnelle préexistante qui dévie de la norme biomédicale.
[44] Le tribunal ajoute que selon la littérature médicale déposée au dossier, bien que l’arthrose du genou soit une maladie chronique des plus communes, elle est une maladie très fréquente qui touche la population âgée de plus de 65 ans, alors qu’au moment de l’accident du travail, le travailleur n’est âgé que de 53 ans.
[45] De plus, le docteur Villeneuve témoigne que le traitement par viscosuppléance reçu par le travailleur est prescrit pour traiter l’arthrose. Le rasage pratiqué sous arthroscopie est également relié à cette condition. Le médecin de l’employeur témoigne également que le seul diagnostic qui demeure au moment de la consolidation est celui de chondropathie; c’est d’ailleurs le seul diagnostic qui est objectivé à la résonance magnétique.
[46] Dans un tel contexte, le docteur Villeneuve conclut que c’est davantage la déficience personnelle qui est responsable de la période de consolidation prolongée et des limitations fonctionnelles reconnues par le médecin du travailleur.
[47] Faisant sienne l’opinion du docteur Villeneuve, le tribunal en vient à la conclusion que le travailleur est porteur, au moment de la survenance de la lésion professionnelle, d’une déficience préexistante au niveau du genou gauche, soit une chondropathie de nature personnelle, qui dévie de la norme biomédicale.
[48] Le tribunal retient également que cette déficience a eu un effet sur la période de consolidation et sur la reconnaissance de limitations fonctionnelles.
[49] En conséquence, le tribunal conclut que le travailleur était déjà handicapé au moment de la lésion professionnelle et l’employeur a donc droit à un partage de coûts.
[50] La jurisprudence nous enseigne qu’aux fins d’établir le pourcentage d’un partage de coûts, il convient de considérer l’impact qu’a eu la déficience sur la survenance même de la lésion et sur l’ensemble de ses conséquences.
[51] Tel que mentionné, le tribunal estime que la déficience a eu un impact sur la période de consolidation de même que sur la reconnaissance de limitations fonctionnelles, lesquelles ont empêché un retour au travail régulier et mené à la détermination d’un emploi convenable.
[52] Considérant le témoignage du docteur Villeneuve voulant qu’une entorse guérit habituellement en six semaines et considérant que la lésion professionnelle est consolidée après 42 semaines, le tribunal en arrive à un pourcentage de partage de coûts de l’ordre de 14% au dossier de l’employeur et de 86% aux employeurs de toutes les unités. Considérant au surplus l’impact du handicap sur la reconnaissance de limitations fonctionnelles, le tribunal juge qu’un partage de coûts de l’ordre de 10% au dossier de l’employeur et de 90% aux employeurs de toutes les unités, comme le demande l’employeur, est justifié.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de l’employeur, Hydro-Québec;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 17 juillet 2008, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l’employeur a droit à un partage des coûts dus en raison de la lésion professionnelle subie par le travailleur, monsieur Martial Isabelle le 9 décembre 2005, de l’ordre de 10% à son dossier et de 90% aux employeurs de toutes les unités.
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Diane Lajoie |
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Me Guy-François Lamy |
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AFFAIRES JURIDIQUES HYDRO-QUÉBEC |
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Représentant de la partie requérante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001
[2] Hydro-Québec (Gestion Acc. Trav.) et Isabelle, C.L.P., 306092-04-0612, 7 mai 2007, D. Lajoie
[3] Yves BERGERON, Luc FORTIN et Richard LECLAIRE,
[4] [1999] C.L.P. 779
[5] Municipalité Petite-Rivière St-François et CSST, citée note 3; Centre hospitalier
Baie-des-Chaleurs, C.L.P.,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.