Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

RÉGION :

Yamaska

SAINT-HYACINTHE, le 9 novembre 2000

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER :

136800-62B-0004

DEVANT LA COMMISSAIRE :

Nicole Blanchard, avocate

 

 

 

 

 

 

 

ASSISTÉE DES MEMBRES :

Nicole Généreux

 

 

 

Associations d’employeurs

 

 

 

 

 

 

 

Noëlla Poulin

 

 

 

Associations syndicales

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ASSISTÉE DE L'ASSESSEUR :

André Perron, médecin

 

 

 

 

 

 

 

 

DOSSIER CSST :

115765216

AUDIENCE TENUE LE :

18 octobre 2000

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À :

Saint-Hyacinthe

 

 

 

 

 

 

_______________________________________________________

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PATRICK ABATE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE REQUÉRANTE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ET

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

AGROPUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PARTIE INTÉRESSÉE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

DÉCISION

 

 

[1]               Le 17 avril 2000, monsieur Patrick Abate (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 28 mars 2000 à la suite d’une révision administrative.

[2]               Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 18 février 1999 et déclare que le travailleur n’a pas subi une lésion professionnelle le 5 mai 1998.

L'OBJET DE LA CONTESTATION

[3]               Le travailleur demande de reconnaître qu’il a subi une lésion professionnelle le 5 mai 1998. 

LES FAITS

[4]               Le travailleur exerce l’emploi d’opérateur d’appareils laitiers chez Agropur (l’employeur) depuis juillet 1986, lequel consiste entre autres à faire des vérifications et prendre des échantillons de ferments lactifs.  Pour ce faire, il se déplace dans différents endroits de l’usine où le sol est soit fait en ciment ou recouvert de céramique.  Il doit aussi monter dans des escabeaux pour avoir accès aux différents réservoirs où il prend ses échantillons pour ensuite enregistrer les données recueillies sur ordinateur.  Pour exécuter ses fonctions, il évalue marcher entre 3 à 5 kilomètres par jour, répartis sur 8 heures de travail.

[5]               C’est l’employeur qui fournit l’habit de travail aux employés, dont les chaussures qu’ils doivent porter.  Chacun est cependant libre de choisir ce qu’il désire mettre à ses pieds.  Comme à l’endroit où il travaille, le plancher est souvent mouillé, monsieur Abate porte des bottes de caoutchouc, qu’il change environ à tous les ans, en raison de son usure.  Le 5 mai 1998, il a justement fait la demande de les remplacer, ces dernières devenant trop glissantes.  Il a opté pour un modèle similaire à celui qu’il a toujours porté mais d’une marque différente.  À l’essai, elles lui convenaient.  Mais, vers le 15-20 mai, il a commencé à ressentir un petit malaise à son talon droit et ce, à la fin de sa journée de travail.  Au début, il n’en a alors pas fait de cas, puisque le soir ça disparaissait.  Il reliait déjà son problème au port de ses nouvelles bottes.  Au début juin, la douleur perdurant, devenant de plus en plus intense et se manifestant aussi le soir, il demande à changer de bottes.  Il avise en conséquence son contremaître. 

[6]               Il change alors pour un tout autre modèle soit un bottillon.  Constatant que la douleur persistait toujours et ce, malgré ce changement de chaussures, il décide d’aller consulter un médecin.  Il prend rendez-vous une semaine ou deux avant qu’il ne rencontre le docteur Deblonde, le 23 juin 1998.  Celle-ci s’interroge quant à la présence d’une épine de Lenoir ou une fasciite plantaire.  Elle demande une radiographie dont le résultat, le 30 juin 1998, démontre l’absence d’épine de Lenoir.  Donc, un diagnostic de fasciite plantaire est posé le 2 juillet et la prise d’anti-inflammatoires est recommandée au travailleur, sans pour autant qu’un arrêt de travail s’ensuive. 

[7]               Monsieur Abate poursuit donc ses fonctions chez l’employeur.  La douleur étant alors supportable, il croit que le tout entrera dans l’ordre sous peu.  Toutefois, durant ses vacances estivales, il veut rencontrer son médecin.  Comme le rendez-vous qu’on lui suggère est beaucoup trop loin, il se rend à une autre clinique médicale où, le 6 août, un médecin lui suggère le port d’orthèses plantaires pour régler son problème.  Tel que conseillé, il se les procure.  Étant bénéficiaire d’un régime d’assurance-collective chez l’employeur, fin août 1998, il dépose une réclamation pour se voir rembourser, le 9 septembre 1998, 90% du coût d’acquisition de ses orthèses.  Les médicaments jusqu’alors prescrits lui sont aussi remboursés et ce, selon la même proportion.  À la même période, il change de poste chez l’employeur.  Ses nouvelles fonctions d’employé à la fromagerie l’amènent tout de même à être debout constamment. 

[8]               En raison des orthèses, le travailleur change à nouveau ses chaussures puisque le bottillon qu’il porte depuis peu n’est pas recommandé dans un tel cas.  Des nouvelles bottes appropriées sont ainsi à nouveau fournies par l’employeur.  Malgré cela, il n’y a pas d’amélioration, écrit le docteur Deblonde à sa note évolutive du 2 septembre et c’est pourquoi, elle réfère le travailleur en orthopédie, au docteur Desautels, lequel rencontre le travailleur le 30 septembre.  Celui-ci confirme le diagnostic retenu jusqu’alors et à titre de conduite et traitement, il demande à ce que le travailleur porte une orthèse plantaire ajustée à sa botte de travail, ce à quoi le travailleur lui répond en avoir déjà.  À sa seconde visite du 24 novembre, constatant la douleur toujours persistante, il procède à une infiltration.  C’est alors que s’ensuit un arrêt de travail jusqu’au 30 novembre 1998 et à ce moment, un premier rapport médical est rempli par le docteur Desautels sur un formulaire de la CSST, d’où le formulaire d’« Avis de l’employeur et demande de remboursement » rempli par l’employeur, le 24 novembre 1998. 

[9]               Selon les notes évolutives du docteur Desautels, celui-ci aurait procédé à une deuxième infiltration le 11 juin 1999 et des traitements de physiothérapie (shockwave) auraient été suivis par le travailleur du 25 août au 8 septembre 1999 (3 séances) et du 18 au 25 octobre 1999 (2 séances), ce qui aux dires du docteur Desautels aurait diminué la douleur de 50% (note évolutive du 2 décembre 1999).  Le coût de ces traitements a aussi été remboursé au travailleur par la compagnie d’assurance.

[10]           À la fin de l’année 1999, le travailleur cesse de porter ses orthèses parce que, dit-il, il commence à avoir des problèmes au bas du dos.  Il change aussi de chaussures pour des bottes dont le talon absorberait la pression. 

[11]           À l’audience, le travailleur déclare que c’est le 30 septembre 1998, soit lorsqu’il a rencontré pour la première fois le docteur Desautels, qu’il a vraiment été convaincu que ses bottes de caoutchouc, portées en mai 1998, étaient à l’origine de sa fasciite plantaire puisque le docteur Desautels lui avait alors confirmé qu’il y avait beaucoup de chances que cela puisse en être la cause.  Il indique avoir suivi d’autres traitements de physiothérapie en mai 2000, dépenses que la compagnie d’assurance lui a encore remboursées. Quant à son état actuel, 80% de la douleur est disparue.  Il n’éprouve plus qu’un léger malaise et ce, seulement à la fin de la journée.  Il atteste que c’était la première fois qu’il éprouvait de tels problèmes à son pied droit; au gauche, il n’a jamais rien eu.  Il admet être porteur de pieds plats mais reste convaincu que cela n’est pas la cause de sa fasciite.  Le port d’une paire de bottes de caoutchouc, où son pied « flotte » dedans, associé au fait qu’il marche beaucoup dans le cadre de son travail est, quant à lui, beaucoup plus la cause que son problème personnel qui ne l’a jamais dérangé. 

[12]           Questionné quant aux sports qu’il pratique, il mentionne être un amateur de vélo, ayant parcouru de 1 000 à 2 000 kilomètres durant l’été 1998.  Il prend toutefois soin de souligner que la pratique de ce sport ne lui occasionnait aucune douleur au talon.  Portant des souliers à « clips », spécialement conçus à cet effet, son talon ne touche à rien. 

[13]           La CSST a refusé la réclamation du travailleur, après avoir reçu l’avis de son médecin régional, selon lequel une fasciite plantaire développée après le port de souliers neufs ne serait médicalement pas acceptable, le problème étant probablement plus secondaire aux pieds plats du travailleur. 

L'AVIS DES MEMBRES

[14]           La membre issue des associations d’employeurs est d’avis que la réclamation du travailleur est tardive, partant la computation du délai de 6 mois au moment de la lésion, soit vers le 15 ou 20 mai 1998.  Dans de telles circonstances, elle ne considère pas devoir se prononcer sur le fond du litige. 

[15]           La membre issue des association syndicales est d’avis contraire.  Elle compute le délai de 6 mois à compter du moment où le travailleur a un intérêt à réclamer soit le 23 juin.  Par ailleurs, elle considère que le fait qu’il ait à marcher 5 kilomètres par jour conjugué au port de nouvelles bottes est l’élément déclencheur à la maladie, elle reconnaîtrait donc l’admissibilité de la réclamation du travailleur.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[16]           La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a subi une maladie professionnelle le 5 mai 1998.  Toutefois, préalablement, elle doit se demander si sa demande d’indemnisation est tardive ou non; l’employeur ayant soulevé cette question préliminaire en début d’audience. 

[17]           Lorsqu’un travailleur allègue être atteint d’une maladie professionnelle et que la tardiveté de la demande d’indemnisation fait l’objet du débat, c’est l’article 272 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) qui s’applique, lequel se lit comme suit :

272. Le travailleur atteint d'une maladie professionnelle ou, s'il en décède, le bénéficiaire, produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la date où il est porté à la connaissance du travailleur ou du bénéficiaire que le travailleur est atteint d'une maladie professionnelle ou qu'il en est décédé, selon le cas.

 

Ce formulaire porte notamment sur les nom et adresse de chaque employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer sa maladie professionnelle.

 

La Commission transmet copie de ce formulaire à chacun des employeurs dont le nom y apparaît.

________

1985, c. 6, a. 272.

 

 

[18]           Donc, une réclamation pour maladie professionnelle doit être présentée dans les six mois de la date où il est porté à la connaissance du travailleur qu’il est atteint d’une telle maladie.  En l’espèce, quand commence la computation du délai?  Certainement pas à compter du 5 mai 1998.  Certes, le travailleur a lui-même indiqué cette date comme date de survenance de la maladie professionnelle et bien que les médecins en ait fait tout autant, cela ne signifie pas que même si cette date était retenue comme étant celle où est apparue la maladie professionnelle, il faille calculer le délai de six mois à partir de celle-ci.  Là, n’est d’ailleurs pas la prétention du représentant de l’employeur.  En fait, le 5 mai 1998 correspond à la date du changement de bottes.  À ce jour, le travailleur n’était porteur d’aucune maladie et n’éprouvait aucun problème.  Doit-on plutôt retenir le 15 ou 20 mai 1998 comme point de départ, tel que le prétend le représentant de l’employeur, soit la date où il a commencé à ressentir des malaises à son talon et qu’il associait dès lors son problème au port de ses nouvelles chaussures?  La Commission des lésions professionnelles ne le croit pas puisqu’alors ce serait appliqué l’article 270 plutôt que l’article 272 de la loi.  La différence en étant que dans le premier cas, c’est à compter de la date de la lésion, soit la date de la survenance même de la blessure ou de la maladie ou au moment même où elle se manifeste, que le délai se compute alors que dans le second cas, c’est à compter de la date où il est porté à la connaissance du travailleur qu’il est atteint d’une maladie professionnelle que commence à courir le délai. 

[19]           En l’espèce, quand a-t-on porté à la connaissance du travailleur qu’il était atteint d’une maladie professionnelle?  Certainement pas le 15 ou 20 mai 1998, puisqu’alors il ne savait même pas encore qu’il était porteur d’une maladie puisque ce ne sera que le 2 juillet que le diagnostic de fasciite plantaire sera posé.  Un travailleur ne peut certes pas déposer une réclamation pour maladie professionnelle à la CSST avant de savoir, au moins, être atteint d’une maladie.  Cette connaissance est apportée par le médecin traitant lorsque celui-ci pose un diagnostic, décidait la commissaire Mildred Kolodny dans Poirier et Hydro-Québec[2]. 

[20]           Donc, le délai de 6 mois ne se compute certainement pas avant soit le 23 juin 1998, date de la première visite médicale, où le médecin s’interroge sur à la présence d’une fasciite plantaire ou d’une épine de Lenoir ou le 2 juillet 1998 date où, ayant interprété la radiographie excluant la présence d’une épine de Lenoir, le médecin traitant diagnostique une fasciite plantaire.  De toute façon, que ce soit une ou l’autre de ces deux dates, la réclamation du travailleur, logée le 24 novembre 1998, serait à l’intérieur du délai imparti par la loi. 

[21]           Dans de telles circonstances, la Commission des lésions professionnelles ne croit nullement opportun de déterminer si le 23 juin ou le 2 juillet 1998, le travailleur avait été informé d’une relation possible entre sa maladie et son travail.  S’il est vrai qu’une jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles et de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles est à l’effet que le délai de six mois ne commence à courir qu’à partir du moment où le travailleur est informé par son médecin d’une relation possible entre sa maladie et son travail[3], toujours est-il que dans la présente affaire même si on concluait que c’est à l’une ou l’autre de ces deux dates que le travailleur a été informé de la relation possible, la réclamation logée le 24 novembre 1998 est toujours dans le délai imparti par la loi. 

[22]           En conséquence, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la demande d’indemnisation du travailleur n’est pas tardive et qu’il y a lieu de se prononcer sur le fond du litige. 

[23]           Pour démontrer qu’il souffre d’une maladie professionnelle, un travailleur peut bénéficier d’une présomption prévue à l’article 29 de la loi, s’il démontre être atteint d’une maladie prévue à l’annexe I de la loi et ensuite qu’il a exercé le travail correspondant à cette maladie d’après l’annexe.  Or, la fasciite plantaire ne fait pas partie des maladies prévues à l’annexe I de la loi.  Donc,  le travailleur ne peut en bénéficier et il doit alors démontrer par une preuve prépondérante que la pathologie diagnostiquée chez lui est une maladie caractéristique du travail qu’il exerce ou qu’elle est reliée aux risques particuliers de son travail et ce, tel que le commande l’article 30 de la loi. 

[24]           Pour qu’une maladie soit considérée caractéristique du travail, il faut démontrer que d’autres travailleurs ont présenté, dans des conditions semblables, la même maladie.  Ici, il ne peut en être question puisque dans un tel cas, il aurait été nécessaire que le travailleur démontre que l’incidence de la maladie est plus grande dans la population de travailleurs qui effectuent le même genre de travail que lui, par rapport à la population en général ou à un groupe témoin.  Or, aucune preuve scientifique ou médicale n’a été apportée pour établir que la fasciite plantaire constitue au sens de l’article 30 une maladie caractéristique du travail d’opérateur de produits laitiers ou de tout autre travail impliquant de marcher beaucoup ou de garder la station debout de façon prolongée et encore moins, que ceux qui portent des bottes de caoutchouc sont plus susceptibles que d’autres de contracter une fasciite plantaire. 

[25]           Cette situation n’exclut cependant pas la possibilité que la fasciite plantaire, constitue dans le cas du travailleur une maladie directement reliée aux risques particuliers de son travail.  Or, pour qu’une maladie soit considérée reliée aux risques particuliers du travail, on doit faire la preuve que son travail présente un danger plus ou moins prévisible et propre à l’exécution de ses fonctions et qu’il existe un lien entre sa maladie et le risque invoqué.  La preuve relève donc de données factuelles et de données médicales; il faut démontrer le lien entre la maladie et les risques. 

[26]           Monsieur Abate attribue l’apparition de sa fasciite plantaire au pied droit au port de nouvelles bottes de caoutchouc fournies par son employeur, le 5 mai 1998, associé au fait que dans le cadre de ses fonctions, il doit beaucoup marcher; la preuve étant qu’il marche de 3 à 5 kilomètres par jour et qu’il doit monter plusieurs fois par jour des échelles pour avoir accès à des réservoirs.  Son représentant prétend que le port des nouvelles bottes serait même assimilable à un accident du travail puisqu’avant qu’il ne les change, le travailleur n’avait aucun antécédent de fasciite plantaire, alors que quelques semaines après un tel diagnostic est posé. 

[27]           La coïncidence est pour le moins troublante, la Commission des lésions professionnelles doit l’admettre.  Toutefois, en accord avec le représentant de l’employeur, elle est d’avis que rien dans la preuve ne démontre que les bottes mises à la disposition du travailleur par l’employeur, le 5 mai 1998, étaient défectueuses ou non adaptées. 

[28]           Le travailleur n’a pas témoigné à l’effet que la pointure des bottes remises par l’employeur n’était pas la bonne ni qu’un vice de fabrication y avait été décelé.  On ne peut donc pas parler d’accident du travail soit un événement imprévu et soudain survenu au travail. 

[29]           Certes, la Commission des lésions professionnelles le conçoit, cette botte n’offre peut - être pas le meilleur support à celui qui doit marcher dans le cadre de son travail, mais cela n’en fait pas nécessairement une botte défectueuse.

[30]           D’autant plus, qu’il ne faut surtout pas perdre de vue le fait qu’il s’agit du même genre de bottes porté antérieurement par le travailleur alors que jamais auparavant, ne s’est-il plaint que cela lui causait un problème.  De plus, aucune preuve médicale ne vient étayer le fait que le port de bottes de caoutchouc serait plus susceptible que toute autre chaussure d’occasionner une fasciite plantaire.

[31]           Le présent cas se distingue de l’affaire Robert et Service Correctionnel du Canada[4] où la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) a reconnu l’admissibilité de la réclamation d’un travailleur, un agent de services alimentaires qui marchait entre 10 à 12 milles par jour.  Celui-ci alléguait que sa fasciite était due au fait qu’il marchait beaucoup dans le cadre de ses fonctions et qu’il devait porter un certain type de bottine.  Toutefois, la preuve a démontré que les bottines étaient défectueuses et inadéquates, ce qui n’est pas notre cas.  Elle étaient fabriquées par des détenus et donnaient lieu à plusieurs plaintes verbales et écrites de la part des travailleurs.  Plusieurs défauts avaient été décelés les rendant inconfortables.  Elles étaient glissantes, les semelles se décollaient, il y a avait des surplus de colle sous les fausses semelles, à cause des arches en bois plutôt qu’en métal, elles  s’affaissaient, elles « mangeaient » les bas.  De plus, le travailleur n’avait pas eu la bonne largeur adaptée à son pied et il était porteur d’une condition personnelle, à savoir une épine de Lenoir.  La Commission d’appel retenait alors l’opinion médicale selon laquelle le fait de marcher longtemps sur un plancher dur, particulièrement avec des chaussures défectueuses, peut causer une fasciite plantaire ou aggraver une condition personnelle.  Par contre, dans Deraspe et Société des Alcools du Québec[5], la Commission des lésions professionnelles a refusé la réclamation du travailleur parce que la preuve n’avait pas permis de retrouver un indice d’une défectuosité ou d’une particularité au niveau des nouvelles chaussures que portait le travailleur, concluant alors à l’absence d’un événement imprévu et soudain. 

[32]           La marche qu’exige le travail d’opérateur à la fromagerie sur une surface dure est l’autre élément sur lequel se fonde le travailleur pour faire reconnaître l’origine professionnelle de sa maladie.  Il lui arrivait aussi d’avoir à monter des échelles pour avoir accès aux réservoirs où il prend ses échantillons.  Fait à noter ce n’est qu’à l’audience que cette cause est invoquée puisqu’à sa réclamation, seul le port de nouvelles bottes était considéré par le travailleur à l’origine de sa fasciite plantaire.  Toujours est-il que la Commission des lésions professionnelles doit déterminer si ces conditions sont suffisantes pour entraîner le problème diagnostiqué chez le travailleur. 

[33]           À cette question, la Commission des lésions professionnelles répond négativement.  Encore une fois, le travailleur ne soumet aucun expertise médicale au soutien de cette prétention et son seul témoignage est insuffisant dans les circonstances. 

[34]           Par ailleurs, si la Commission des lésions professionnelles analyse les facteurs de risque généralement reconnus par la jurisprudence, elle en arrive à la même conclusion. 

[35]           En effet, dans Société canadienne des postes et Tessier[6], la Commission des lésions professionnelles a reconnu l’admissibilité de la réclamation d’un travailleur, mais sur la base de l’aggravation d’une condition personnelle.  Elle a considéré que la fasciite plantaire n’est pas une maladie directement reliée à la marche mais que, par ailleurs, cette activité physique conjuguée aux conditions personnelles du travailleur en était la cause.  Le travailleur était alors porteur d’un talon d’Achille trop court et son travail de facteur l’amenait à marcher sur une distance se situant entre 18 et 21 kilomètres par jour.  Tout au long de son parcours, il livrait le courrier à 150 portes, dont 15 étaient situées au deuxième étage où les escaliers empruntés comptaient entre 20 et 30 marches qu’il doit monter et descendre. 

[36]           La même conclusion a été retenue dans Société canadienne des postes et Bernard[7] et Allard et Société canadienne de postes[8] où il a été décidé, dans le premier cas, que bien que la marche ne soit pas la cause de la fasciite plantaire, la preuve médicale permettait de conclure que cette exigence physique de l’emploi de facteur, celui-ci marchait entre 8 à 9 milles par jour, a rendu symptomatique ou a aggravé les conditions personnelles du travailleur, celui-ci étant porteur d’épines de Lenoir bilatérales et d’un tendon d’Achille plus court que la normale.  Dans le second cas, il a été décidé que l’existence d’une relation causale s’infère de la conjonction de la condition personnelle et du travail exercé puisque l’itinéraire du travailleur ne présentait aucune particularité susceptible de provoquer l’apparition de la maladie et il était de même de la nature du travail.  La conclusion était à l’effet que  travailleur avait subi une lésion professionnelle de la nature d’une aggravation de sa condition personnelle.  Celui-ci était obèse, porteur de pieds creux et d’un raccourcissement du tendon d’Achille.  Au même effet, Boivin et Société canadienne des postes[9], et Société canadienne des postes et Paquin[10].

 

[37]           Toutefois dans Société canadienne des postes et Marois[11] la preuve n’ayant pas permis d’identifier une condition personnelle susceptible d’avoir été aggravée dans l’exercice des fonctions, la Commission des lésions professionnelles n’a pas conclu à la présence d’une lésion professionnelle.  Il avait été décidé que la marche sur une distance de 5 ou 6 kilomètres par jour ne constituait pas en soi un risque particulier pouvant entraîner une fasciite plantaire.  Dans Gagné et DRHC Direction Travail et Société canadienne des postes[12], la Commission des lésions professionnelles allait même jusqu'à dire que la marche ou la station debout prolongée sans forte pression sur les pieds n’est pas en soi un risque particulier pouvant causer une fasciite plantaire.  La condition personnelle de pieds creux n’avait pas été considérée aggravée puisque cette relation s’établissait que lorsque la preuve démontre que la personne souffrant d’un tel problème subit des pressions répétitives sous les pieds, tels les coureurs de longues distances ou les personnes ayant à monter de façon répétitive des escaliers.  Ce qui n’était alors pas le cas.  

[38]           Dans un autre cas, Agence de sécurité Labrex et Morin[13], la Commission d’appel a accepté de reconnaître la fasciite plantaire, sans pour autant qu’il n’y ait d’aggravation d’une condition personnelle, mais elle a pris en considération le fait que le travailleur était une personne de 61 ans, non habituée à la marche.  Les structures anatomiques n’étant pas habituées à la marche, le tribunal a conclu à un risque particulier pour ce travailleur, un agent de sécurité qui marchait 8 km par jour et effectuait une montée d’environ 1000 pieds pour se rendre à un bâtiment.  

[39]           Quant est-il du cas particulier du travailleur?  D’abord, on ne peut considérer qu’il est une personne âgée, au moment de sa lésion il a 37 ans, et les sports qu’il a mentionné pratiquer démontre qu’il est une personne en forme.  S’il est porteur d’une condition personnelle, à savoir les pieds plats, il n’a pas démontré médicalement que cette condition, associée à la marche, puisse entraîner la pathologie par un phénomène d’aggravation, contrairement aux causes citées ci-haut.  Au contraire, la Commission des lésions professionnelles a déjà décidé dans Société canadienne des postes et Côté[14], alors que le travailleur était porteur justement de pieds plats et d’une collagénose, que le fascia plantaire possède des propriétés qui en font une structure très résistante et qu’il peut aisément supporter le stress que génère l’action de marcher dans des conditions normales. 

 

[40]           Dans cette affaire Côté, rien n’avait permis d’appuyer l’hypothèse voulant que la collagénose ait fragilisé le fascia du travailleur en le rendant plus fibreux.  Au contraire, la preuve établissait que la fasciite est indépendante de cette pathologie.  Quant aux pieds plats, il avait été démontré que le pied peut s’adapter à cette condition lorsqu’il est confronté à une activité de faible importance comme l’est la marche.  Si ses tâches de facteur et de pieds plats avaient joué un rôle dans le développement de la fasciite, conclut la Commission des lésions professionnelles, on aurait pu raisonnablement penser que cette maladie serait apparue beaucoup plus tôt. 

[41]           Dans les circonstances, la Commission des lésions professionnelles doit conclure que le travailleur n’a pas fait la démonstration que la fasciite plantaire dont il a souffert résulte du port de bottes de caoutchouc conjugué à la marche exigée dans son travail d’opérateur d’appareils laitiers. 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de monsieur Patrick Abate, le travailleur;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 28 mars 2000 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur n’a pas droit aux bénéfices prévus par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

 

Nicole Blanchard

 

Commissaire

 

 

 

T.U.A.C. (LOCAL 1991-P)

M. Guy Rivard

3750, boulevard Crémazie est, #303

Montréal  (Québec)

H2A 1B6

 

Représentant de la partie requérante

 

 

FASKEN MARTINEAU DUMOULIN, AVOCATS

(Me Michel Héroux)

140, rue Grande-Allée est, #800

Québec  (Québec)

G1R 5M8

 

Représentant de la partie intéressée

 



[1]           L.R.Q. c. A-3.001

[2]           [1997] C.A.L.P. 1233

[3]           Vallière et Ministère des ressources naturelles, [1998] C.L.P. 285

[4]           53721-64-9309, 01-03-1995, G. Perreault

[5]           119687-32-9907, 17-12-1999, G. Marquis

[6]           27049-62B-9103, 23-11-1999, J-M Dubois, requête en révision rejetée, requête en révision judiciaire pendante, 750-05-001820-00976

[7]           82319-03-9609, 14-03-1997, J-M Dubois, requête en révision et requête en révision judiciaire rejetées

[8]           74274-03A-9509, 15-05-1998, D. Beaulieu, requête en révision judiciaire pendante, 200-05-009657-987

[9]           72002-03A-9508, 15-05-98, D. Beaulieu, requête en révision judiciaire pendante, 200-05-009658-985

[10]          75591-04-9601, 15-05-1998, D. Beaulieu, requête en révision judiciaire pendante, 200-05-009659-983

[11]          120730-62B-9907, 08-05-2000, J-M Dubois

[12]          53414-07-9308, 24-08-2000, D. Rivard

[13]          66327-64-9502, 29-03-1996, R. Jolicoeur

[14]          88086-05-9704, 12-11-1999, F.Ranger

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