DÉCISION
[1] Le 18 août 1999, Zoom Réseau Affichage Intérieur (l’employeur) dépose une requête en révision d’une décision rendue en révision le 11 août 1999, par la Commission des lésions professionnelles.
[2] Cette décision rendue par la Commission des lésions professionnelles en vertu des dispositions de l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q., chapitre A-3.001 (la loi) rejette la requête en révision soumise par l’employeur.
[3] Aucune audience n’a été tenue, les parties ayant convenu de soumettre leurs représentations par écrit.
[4] La Commission des lésions professionnelles a avisé les parties qu’elle soulevait d’office la recevabilité de cette troisième requête en révision, formulée en vertu de l’article 429.57 de la loi et a demandé aux parties de soumettre leurs représentations sur cette question préliminaire de droit.
[5] L’employeur n’a soumis aucune représentation sur la question préliminaire et a référé la Commission des lésions professionnelles au contenu de sa plaidoirie écrite soumise dans sa troisième requête en révision.
[6] La Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à titre de partie intéressée, a soumis, le 12 octobre 2000, les brefs commentaires suivants :
«Dans ce dossier, vous êtes saisie de la troisième demande en révision, L’étau ou l’entonnoir s’est resserré. Monsieur Côté ne peut plus remettre en cause la décision de la commissaire Giroux. Il doit démontrer que, dans le cadre très limité d’une révision pour cause, Maître Lacroix a commis une erreur manifeste de droit ayant eu un effet déterminant sur le litige.
Autrement dit, il faudrait que le commissaire Lacroix ait mal appliqué les principes en matière de révision pour cause, ce qui n’est aucunement démontré ici.»
L'OBJET DE LA REQUÊTE
[7] L’employeur demande la révocation de la décision rendue en révision le 11 août 1999 par le commissaire Neuville Lacroix, de la Commission des lésions professionnelles, et le rétablissement de la décision rendue par le commissaire Jean-Yves Desjardins, de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel), le 21 octobre 1997 et invoque les motifs suivants au soutien de sa requête:
«1- Le Commissaire siégeant en révision a commis une erreur de droit en ne disposant pas du litige;
2- Le Commissaire agissant en révision a erré en justifiant sa décision par sa propre appréciation de la preuve comme il le fait aux paragraphes 9, 10, 12, 13, 14 et 15 de sa décision;
3- Le Commissaire Lacroix excède sa compétence et fait preuve de partialité en justifiant sa décision par le rappel de jurisprudences favorables à la thèse de la partie intéressée.»
LES MOTIFS DE LA DÉCISION SUR LA QUESTION PRÉLIMINAIRE
[8] La Commission des lésions professionnelles a soulevé d’office auprès des parties la recevabilité de cette troisième requête en révision, la première ayant été formulée en vertu de l’ancien article 406 de la loi sur la révision pour cause, alors que les deux autres, dont la présente, l’ont été en vertu de l’actuel article 429.56 de cette loi. Ces articles stipulent que :
406. La Commission d'appel peut, pour cause, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu.
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1985, c. 6, a. 406.
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[9] Le résumé des différentes décisions antérieures est bien rapporté dans la plaidoirie soumise par le représentant de l’employeur, monsieur André Côté, et fait état de manière concise de la situation juridique dont est présentement saisie la Commission des lésions professionnelles :
«Attendu que la requérante a obtenu le 21 octobre 1997 une décision finale et sans appel relativement à sa classification aux fins de la cotisation de l’année 1996 devant la CALP, telle que rendue régulièrement par Me Jean-Yves Desjardins, commissaire.
Attendu que le 31 mars 1998, la CLP et madame la commissaire Thérèse Giroux, siégeant en révision à la requête de l’intéressée, la CSST-Montréal-4, casse et révise la décision du 21 octobre 1997 pour une erreur de droit aux motifs que :
Le premier commissaire s’est fondé exclusivement sur ces documents extrinsèques au règlement pour asseoir sa décision, et que n’eut été de cette référence, il n’aurait pas pu classer l’employeur dans l’unité… à partir de la preuve qui lui a été faite du type d’activités exercées par l’employeur…
Attendu que le 24 avril 1998, la requérante, ZOOM MEDIA INC., demande la révision pour cause de la décision rendue le 31 mars 1998 et le rétablissement de la décision de la CALP, telle que rendue régulièrement le 21 octobre 1997 pour les motifs suivants :
1- La commissaire a procédé d’un raisonnement erroné en fait et en droit, déterminant sur la recevabilité de la requête dont elle était saisie;
2- La commissaire agissant en révision a erré en droit en privant l’employeur d’être entendu alors qu’elle convient à une nouvelle appréciation de la preuve.
Attendu que le 11 août 1999, Me Neuville Lacroix, commissaire, rejette cette dernière requête en révision de la requérante, pour les motifs tels qu’exposés au texte de la décision.»
[10] Aucune des parties n’a véritablement soumis de représentations sur cette question, mais la Commission des lésions professionnelles a entrepris de faire ses propres recherches sur le sujet de manière à rendre une décision éclairée.
[11] Il n’est pas nouveau qu’une instance décisionnelle finale s’interroge sur cette question de la recevabilité d’une nième requête en révision et la soulève même d’office.
[12] Dès 1988, la Commission des affaires sociales[1] émettait les commentaires suivants sur le sujet:
«Dans un premier temps, la Commission a interrogé les procureurs des deux parties sur la recevabilité de la présente requête. En effet, la Commission, après avoir rappelé que suivant l’article 23 de sa loi constitutive les décisions qu’elle rend sont «finales et sans appel», s’interrogeait sur son pouvoir de révision à la chaîne des décisions qu’elle rend. Il y a lieu à ce stade-ci de reproduire l’article 24 de la Loi sur la Commission des affaires sociales, qui concerne son pouvoir de révision. Depuis le 15 février 1987, cet article se lit comme suit :
24. La Commission peut réviser ou révoquer toute décision ou ordonnance qu’elle a rendue :
1) lorsqu’est découvert un fait nouveau qui, s’il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2) lorsqu’une partie intéressée au litige n’a pu pour des raisons jugées suffisantes se faire entendre;
3) lorsqu’un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Il est utile ici de préciser que la présente demande de révision a été faite le 25 mai 1987 et que la Commission se doit d’appliquer la législation en vigueur à cette date. Lors de la première demande de révision du 26 juin 1986, la Commission avait appliqué le texte de l’article 24 qui était alors en vigueur à cette date. L’amendement à cet article est venu préciser les raisons ou les motifs que l’on peut invoquer au soutien d’une demande de révision ou de révocation.
Le procureur du requérant a fait valoir à la Commission que, à la lecture de cet article, l’on constate que la Commission peut réviser ou révoquer toute décision qu’elle a rendue. Selon lui, la Commission n’a pas à se demander s’il s’agit d’une première décision ou d’une décision en révision : le texte étant clair, l’on ne peut alors l’interpréter autrement. Quant à lui, le procureur de la CSST a insisté sur la notion de la« stabilité juridique » des décisions de la Commission et s’est également interrogé sur la pertinence du présent recours, se demandant s’il n’y aurait pas lieu de procéder par voie d’évocation devant la Cour supérieure du Québec.
Devant l’absence du dépôt de doctrine ou de jurisprudence concernant cette question, la Commission, en cours de délibéré, a effectué certaines recherches pour connaître l’étendue de son pouvoir de révision et notamment sur les demandes de révision à la chaîne ou à l’infini. Malgré ses nombreuses recherches, la Commission n’a trouvé qu’une seule décision portant sur le présent sujet. Dans R. c. Ontario Labour Relations Board[2], la High Court of Justice a été appelée à se prononcer sur le présent sujet, à partir d’un pouvoir de révision conféré en ces termes à la Commission des relations de travail de l’Ontario, dans le Labour Relations Act dont le texte se lit comme suit :
(…)79.- (1) The Board has exclusive jurisdiction to exercise the powers conferred upon it by or under this Act and to determine all questions of fact or law that arise in any matter before it, and the action or decision of the Board thereon is final and conclusive for all purposes, but nevertheless the Board may at any time, if it considers it advisable to do so, reconsider any decision, order, direction, declaration or ruling made by it and vary or revoke any such decision, order, direction, declarationor ruling.[3]
Comme on peut le constater à la lecture de cet article, le pouvoir de révision qui était conféré à la Commission des relations de travail de l’Ontario était comparable à celui que possède la Commission des affaires sociales suivant l’article 24 de sa loi constitutive.
Dans l’arrêt précité, l’honorable juge McRuer a alors tranché la question de la façon suivante :
«I do not think the provisions of s. 79 (1) contemplate an infinite number of applications for reconsideration of the decisions of the Board. I think the scheme of the Act is that when the Board makes a decision any of the parties may apply to have that decision reconsidered, but I gravely doubt that the Legislature intended that when the Board has once reconsidered a decision it might be asked to reconsider the decision not to reconsider its decision and that this could go on ad infinitum. I am not called upon to decide that in no case could the Board do so as there might be a very unusual case that might arise where new evidence came to light that none of the parties could possibly have known of on the hearing for reconsideration. I am clear, however, that once the Board has considered an application for reconsideration of a decision in an orderly way and refused the application it ought not to be asked to reconsider its decision not to reconsider the substantive decision except in the most unusual circumstances and I cannot see that those circumstances existed in this case.
The Ontario Labour Relations Board is created for the purpose of an orderly regulation of labour relations and not for the purpose of keeping labour relations in a perpetual state of turmoil by multitudinous applications for the reconsideration of its decisions from time to time.»
À la lecture de ces deux paragraphes, l’on constate que le principe premier est qu’il ne peut y avoir de révision pour cause «ad infinitum». Cependant le savant juge poursuit en restreignant quelque peu ce principe, puisqu’il estime alors que dans le cas de circonstances exceptionnelles (unusual circumstances), il y aurait lieu que l’on procède à une seconde révision.» (pages 336-337)
(notre soulignement)
[13] Si cette question préliminaire n’est pas soulevée d’office par l’instance décisionnelle, elle est parfois soulevée par l’une des parties à la requête, comme ce fut le cas dans Arcand et Commission scolaire des Laurentides et CSST[4] :
«Au soutien de sa requête, l’employeur soumet principalement que la Commission d’appel a épuisé sa compétence en rendant sa décision du 14 décembre 1992. Selon lui, tout recours postérieur, s’il y a lieu, doit être dirigé vers la Cour supérieure sinon les demandes de révision pourraient se multiplier jusqu’à épuisement des commissaires de la Commission d’appel, ce qui ne peut avoir été voulu par le législateur.
(…)
À plusieurs reprises la Commission d’appel a déclaré, en référant à l’article 405 et au principe reconnu de la stabilité juridique, que la requête en révision pour cause constitue une exception au caractère final de ses décisions.
(…)
Or, dans le présent cas, le travailleur demande à la Commission d’appel, par le biais d’une requête en révision, de revoir de nouveau sa décision pour les motifs énumérés dans sa requête en révision du 21 janvier 1993.
Une telle situation, peu fréquente, n’a pas été prévue expressément par le législateur. C’est à partir de la disposition prévue à l’article 406 que le travailleur appuie sa requête en révision d’une révision, au motif que le législateur en utilisant à l’article 406 le mot «décision» sans qualifier de quelle décision il s’agit, n’a pas voulu limiter le recours en révision.»
[14] Le commissaire passe ensuite en revue l’état de la doctrine et de la jurisprudence sur cette question et s’en remet à l’interprétation de l’honorable juge McRuer dans la cause précitée de la Haute Cour de Justice d’Ontario, tout en référant à plusieurs décisions de la Commission d’appel, dont celle rendue le 25 juillet 1993 par le commissaire Michel Duranceau dans la cause Gagnon et Jean-Marie Dupuis Limitée et CSST[5],qui invoque la notion de «circonstances inusitées» pour donner parfois ouverture à l’exercice exceptionnel d’une deuxième requête en révision pour cause.
[15] Dans cette cause, le commissaire Duranceau tire les conclusions suivantes de sa lecture de la décision du juge McRuer :
«La Commission d’appel fait siennes ces conclusions de la Cour d’Ontario. Une demande de révision d’une décision rendue en révision ne doit vraiment servir que pour corriger des erreurs cléricales par exemple, «in the most unusual circumstances». À la lecture de l’article 405 de la loi, il semble évident que le législateur a voulu donner toutes les chances de contestation aux parties avant de parvenir à une décision finale et sans appel.
L’article 406 de la loi est un recours exceptionnel qui sort déjà de la norme établie par l’article 405 de la loi. La Commission d’appel détient le pouvoir de rendre la décision finale et sans appel et dispose de l’obligation de voir à ce que l’intention du législateur soit respectée. C’est ce qui rend exceptionnel le recours en révision et devrait du même coup rendre irrecevable sauf en de très rares exceptions une demande en révision d’une révision.
En effet, un commissaire qui révise un autre commissaire doit nécessairement substituer son opinion à celle de l’autre. Si on veut reprocher à un commissaire d’avoir ainsi révisé la décision d’un autre, par la seconde demande en révision, on en vient à demander au commissaire d’avoir substitué son opinion à celle d’un autre. Par la suite, on lui demande de faire la même chose et de substituer son opinion à celle du commissaire précédent.
Dans une deuxième demande de révision, on demande donc à un commissaire de poser les mêmes gestes que ceux que l’on reproche au premier commissaire qui a révisé. Une telle situation paraît absurde. C’est ce que fait le travailleur dans sa requête sous étude.»
(notre soulignement)
[16] Dans une autre cause CSST et Cité de santé de Laval[6], la commissaire Sylvie Moreau tenait des propos semblables:
«La lecture de cette décision rendue en révision pour cause apparaît à la soussignée conforme à la loi. Les reproches formulées par la Commission à l’encontre de la décision rendue le 22 décembre 1993 sont essentiellement de nature à rouvrir le débat dans le but de rechercher une interprétation qui lui est favorable.
Comme il l’a été maintes fois précisé, il ne peut y avoir de révision pour cause « ad infinitum » et qu’une deuxième révision, bien que possible, doit l’être dans des circonstances très particulières.»
[17] C’est toujours le même principe qui est rappelé par le commissaire Neuville Lacroix dans une décision plus récente rendue le 26 mai 1999[7] :
«[20] La Commission des lésions professionnelles tient à souligner qu’une requête en révision ne constitue pas un processus de contestation en plusieurs tomes ni que l’on peut multiplier les requêtes autant de fois qu’on le juge à propos en invoquant à chaque fois un nouvel argument ou un argument présenté sous une autre forme.
[21] Il ne faut pas oublier qu’une décision de la Commission d’appel est finale et sans appel et que ce n’est que dans des circonstances bien précises, prévues à la loi, que l’on peut demander la révision ou la révocation d’une décision.
[22] Lorsqu’une décision fait l’objet d’un recours en révision, il faut être en mesure de démontrer clairement l’erreur que comportait la première décision en révision avant de s’aventurer sur le terrain d’une autre requête.
[23] Autrement on peut multiplier à l’infini le nombre de requêtes espérant peut-être qu’à l’usure on finira par avoir raison.
[24] La Commission des lésions professionnelles estime que c’est vicier le processus de finalité des décisions et celui de la révision que de multiplier indûment le nombre de requêtes en révision.
[25] Survient un moment où on doit réfréner les ardeurs et inviter les parties concernées à s’adresser à une autre instance, si malgré les décisions défavorables, elles estiment toujours que la décision initiale comporte une erreur que personne d’autre n’a pu constater.»
[18] «The most unusual circumstances» auxquelles fait allusion l’honorable juge McRuer dans la cause ontarienne précitée ont cependant reçu une interprétation plus libérale dans une cause[8] à laquelle se rallie un certain courant jurisprudentiel de la Commission d’appel et de la Commission des lésions professionnelles :
«(...) Limiter les parties à une requête en révision serait appliquer de façon arbitraire, et ce sans fondement juridique, l'article 406 qui laisse au tribunal beaucoup de latitude. Le législateur n'a certes pas voulu que le tribunal ne puisse se réviser qu'une seule et unique fois si, par ailleurs, il existe une nouvelle cause de révision en rapport avec cette deuxième décision. Il est très certains que la Commission d'appel doit toujours garder à l'esprit que ses décisions sont, en principe, finales et sans appel comme le prévoit l'article 405. Pour reprendre l'expression du juge McRuer, lorsque le tribunal a disposé de façon régulière («orderly way») d'une requête en révision en la rejetant, il ne saurait être question d'entendre une nouvelle requête en révision à l'encontre de la décision de ne pas reconsidérer la question qui avait déjà été réglée par la décision initiale. Comment, au nom du principe fondamental de la stabilité des décisions, ne pas juger irrecevable une deuxième requête en révision qui soulèverait encore une fois le même motif ou un motif qui aurait pu être soulevé dans la première requête à l'encontre de la décision initiale. Par contre, la situation serait différente si on alléguait, par exemple, une erreur manifeste de fait ou de droit ou une atteinte aux règles de justice naturelle dans la première décision en révision. Il faudrait, dans ces cas, conclure, le cas échéant, que le tribunal n'a pas disposé de la première requête de façon régulière («orderly way») pour reprendre l'expression du juge McRuer.»
(notre soulignement)
[19] En regard de cette décision de la Commission d’appel, il faut d’abord noter qu’elle concerne une interprétation de l’ancien article 406 de la loi qui ne précisait pas les motifs de la révision «pour cause», alors que l’actuel article 429.56 les précise. Et les exemples de «circonstances inusitées» auxquels réfère la Commission d’appel dans cette décision reproduisent à peu de choses près le texte de l’article 429.56.
[20] Deux remarques s’imposent donc ici.
[21] D’abord, il faut revenir à l’expression utilisée par le juge McRuer, qui prend la précaution d’utiliser le superlatif, -«the most unusual circumstances»-, lorsqu’il veut qualifier le type de circonstances pouvant donner ouverture à une «requête multiple en révision d’une décision de révision». À cet égard, la traduction de cette expression par celle de «circonstances exceptionnelles» pourrait mal rendre le sens donné par le savant juge, l’expression française de «circonstances inusitées» (utilisée par le commissaire dans la cause précitée de Gagnon, (voir note 4) reflétant mieux la réalité que semble avoir voulu couvrir le juge McRuer.
[22] Il faut en conséquence se demander si la «requête multiple en révision d’une décision de révision» invoque une circonstance qui soit inusitée en regard même des motifs donnant ouverture à la requête prévue à l’article 429.56 de la loi, sans quoi son caractère n’aurait finalement rien de vraiment inusité.
[23] Cette approche plus restrictive à la «requête multiple en révision» prend également appui dans les rares textes de doctrine sur le sujet. Comme l’ont en effet souligné les membres de la Commission des affaires sociales (voir paragraphe [12] de la présente décision), les textes de doctrine sur le sujet étaient à toutes fins utiles inexistants, avant la publication du plus récent volume du professeur Yves Ouellette[9] qui y consacre un chapitre entier, sous le titre de Réexamen de la décision.
[24] L’auteur montre comment le problème du conflit entre la «commodité quasi judiciaire et le principe de la légalité» sous-tend les diverses approches que l’on peut avoir sur le sujet du réexamen ou de la révision d’une décision par l’organisme qui a rendu une première telle décision de révision. Tout en rappelant que «l’équité et la flexibilité doivent primer sur le formalisme», il n’en aborde pas moins la question du «recours multiple en révision» dans les termes suivants:
«Même lorsque la loi permet expressément le réexamen et ce, sans limite de temps, elle n’a certes pas envisagé la possibilité de présenter un nombre illimité de demandes de réexamen, mais a voulu que ce mécanisme soit exercé raisonnablement.» (page 516)
(notre soulignement)
[25] Référant lui aussi au jugement de l’honorable juge McRuer, il en retient ce qui suit:
«L’énoncé du juge en chef McRuer, déclarant qu’une fois une première demande de réexamen régulièrement présentée a été rejetée, aucune demande supplémentaire ne devrait être acceptée, sauf dans des circonstances exceptionnelles, pourrait être la règle d’or.»
[26] Et il poursuit en soulignant la nécessité pour l’organisme administratif de conserver un certain contrôle sur des requêtes multiples :
«Dans les autres cas, il faut rappeler qu’un organisme administratif qui agit après audience dispose, en vertu du droit commun ou de la loi, de la compétence nécessaire pour contrôler et prévenir les abus de procédures, ce qui lui permet au besoin de refuser le réexamen. Par exemple, lorsque les demandes sont clairement dépourvues de mérite et qu’elles sont présentées avec un retard abusif ou à de multiples reprises, alors qu’il n’y a pas de nouvelles preuves à présenter de nature à justifier une modification de la décision, l’organisme peut exercer cette compétence.» (page 517)
(notre soulignement)
[27] C’est exactement la situation du présent dossier : non seulement la partie requérante n’a aucune preuve à présenter de nature à justifier une modification de la décision, mais tout ce qu’elle veut en définitive, c’est revenir à la case départ, soit remettre en force la décision finale et sans appel rendue le 21 octobre 1997 par la Commission d’appel et qui lui donnait raison, avant que ne soient rendues les deux autres décisions en révision du 31 mars 1998 et du 11 août 1999.
[28] Les propos du professeur Ouellette ne laissent par ailleurs planer aucun doute sur la suite judiciaire qui devrait être donnée à une seconde décision rendue en révision par un organisme :
«En revanche, lorsqu’après réexamen, un organisme confirme la décision initiale, alors qu’il y avait juste cause de révocation ou de modification de la décision, sa seconde décision sera judiciairement contrôlable.» (page 512)
(notre soulignement)
[29] C’est le même principe qui est rappelé par la Cour fédérale dans l’affaire Zelzle[10] dans laquelle il est souligné que «la seconde formation n’était pas compétente pour remettre en cause une décision régulièrement rendue en conformité avec la Loi. La façon de contester de telles décisions consiste à présenter une demande de contrôle judiciaire.»
[30] La révision d’une décision dans un contexte de droit administratif doit certes s’inspirer des règles propres à ce droit, soit celles de la flexibilité et de l’équité; cependant l’exercice de ce recours n’est certainement pas indéfiniment extensible et ne peut être répété ad infinitum.
[31] En résumé, pour que, dans le présent dossier, la Commission des lésions professionnelles ait pu se saisir du mérite de cette troisième requête en révision, il aurait fallu que l’employeur démontre l’existence de circonstances à ce point inusitées, que leur seule démonstration aurait permis de constater que le fait de refuser la requête en révision aurait entraîné un réel déni de justice. Force est de constater que ces circonstances n’ont jamais été mises en preuve dans le présent cas.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
DÉCLARE IRRECEVABLE la requête en révision déposée le 18 août 1999 par l’employeur, Zoom Réseau Affichage Intérieur.
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Suzanne Mathieu |
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Commissaire |
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Monsieur André Côté |
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C.I.S.S. 9651-B, Louis-Hippolyte Lafontaine Anjou (Québec) H1J 2A3
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Représentant de la partie requérante |
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Maître Robert Senet PANNETON LESSARD 1, Complexe Desjardins, 31e étage Montréal (Québec) H5B 1H1 |
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Représentant de la partie intéressée |
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[1] [1988] C.A.S. 332 .
[2] [1964] 1 O.R. 173 (H.C.J.).
[3] R.S.O., 1960, c.202, modifié par An Act to amend The Labour Relations Act, (S.O. 1961-62, c. 68) art. 13 (1)
[4] CALP 13436-64-8906, décision du commissaire Camille Demers, rendue le 15 novembre 1993.
[5] CALP 21953-05-9009, décision rendue le 27 juillet 1993.
[6] CALP 28420-61-9104, décision rendue le 24 janvier 1995.
[7] CLP 75963-62-9512.
[8] Tremblay et Service de réadaptation Sud-Ouest et CSST, 1993 CALP 13775.
[9] Les tribunaux administratifs au Canada, Procédure et preuve, Les Éditions Thémis 1997 pages 473 à 539.
[10] Zelzle c. Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1996] F.C. vol. 3, p. 20 (extrait du résumé du jugement).
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.