Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

Poulin et CRT — Hamel

2012 QCCLP 3078

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

7 mai 2012

 

Région :

Laurentides

 

Dossier :

418750-64-1009-R

 

Dossier CSST :

133448506

 

Commissaire :

Pauline Perron, juge administratif

 

Membres :

Jacynthe Fortin, associations d’employeurs

 

Robert Cloutier, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Mario Poulin

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

CRT - Hamel

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 28 octobre 2011, CRT - Hamel (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête à l’encontre d’une décision de la Commission des lésions professionnelles rendue le 13 septembre 2011 (le Tribunal).

[2]           Par cette décision, le Tribunal accueille le moyen préalable soulevé par monsieur Mario Poulin (le travailleur), annule le rapport d'évaluation médicale du docteur Maurice Duquette et déclare que le rapport d'évaluation médicale du docteur Charles Desautels, daté du 23 juin 2010, constitue l’évaluation du médecin qui a charge.

[3]           L’employeur et le travailleur sont représentés par procureurs à l’audience tenue sur la présente requête le 15 mars 2012. La cause est mise en délibéré à cette date.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]           L’employeur demande la révision de la décision rendue au motif qu’elle contient des erreurs de fond de nature à l’invalider.

L’ARGUMENTATION DES PARTIES

[5]           Plus particulièrement, l’employeur allègue que le Tribunal a retenu que le travailleur n’a pas été informé par son médecin qui a charge des conclusions de son rapport d'évaluation médicale alors qu’il n’y avait aucune preuve à cet effet au dossier et que le travailleur était absent à l’audience, n’offrant ainsi aucune preuve testimoniale à cet effet.

[6]           Il allègue aussi que le Tribunal confond l’obligation du médecin qui a charge d’informer le travailleur du contenu de son rapport avec la compréhension que le travailleur peut avoir de ce rapport. Par ailleurs, « il fait dire aux décisions des choses que les décisions ne disent pas ».

[7]           À son avis, le message que laisse la décision c’est que lorsqu’un travailleur n’est pas d’accord avec son médecin qui a charge il peut contester alors que la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la Loi) ne le permet pas.

[8]           Le procureur du travailleur soumet que la preuve sur laquelle le Tribunal s’est appuyé est au dossier et n’a pas été contredite, ce qui est différent du fait de rendre une décision sans preuve. Il s’agit d’une question d’appréciation de la preuve et la Commission des lésions professionnelles en révision n’a pas à intervenir.

L’AVIS DES MEMBRES

[9]           Madame Jacynthe Fortin, membre issue des associations d’employeurs, et monsieur Robert Cloutier, membre issu des associations syndicales, sont d’avis qu’aucune erreur manifeste et déterminante n’a été démontrée. Ils recommandent de rejeter la requête.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[10]        La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a lieu de réviser ou de révoquer la décision rendue par le Tribunal.

[11]        L’article 429.56 de la Loi permet à la Commission des lésions professionnelles de réviser ou révoquer une décision qu’elle a rendue.

[12]        Cette disposition définit les critères donnant ouverture à la révision ou la révocation d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles :

429.56.  La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[13]        Elle doit être lue en conjugaison avec le troisième alinéa de l’article 429.49 de la Loi qui édicte le caractère final et sans appel des décisions de la Commission des lésions professionnelles :

429.49.  […] 

 

La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[14]        Le législateur a voulu ainsi assurer la stabilité juridique des décisions rendues par le Tribunal. Il y a donc lieu d’interpréter ces deux dispositions de façon à respecter les objectifs législatifs.

[15]        Comme l’a rappelé la Cour supérieure, dans le cadre des anciens articles 405 et 406 de la Loi mais dont le principe s’applique intégralement aux articles 429.56 et 429.49, les décisions sont finales et sans appel et la Commission des lésions professionnelles ne peut agir comme un tribunal d’appel[2].

[16]        En ce qui concerne le « vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision », motif qui est soulevé en l’instance, la Commission des lésions professionnelles, s’inspirant des interprétations données par les tribunaux supérieurs et d’autres tribunaux chargés d’appliquer des dispositions similaires, s’est prononcée à plusieurs occasions sur la portée de ce terme peu de temps après son adoption[3].

[17]        Il ressort de ces décisions qu’une erreur de fait ou de droit peut constituer un « vice de fond ou de procédure de nature à invalider la décision » si le requérant démontre que cette erreur est manifeste et qu’elle a un effet déterminant sur la décision rendue. Une erreur manifeste est une erreur flagrante[4].

[18]        Le pouvoir de révision ne peut servir de prétexte à la demande d’une nouvelle appréciation de la preuve soumise au premier Tribunal ou à un appel déguisé[5]. Il ne peut également être l’occasion de compléter ou bonifier la preuve ou l’argumentation soumise au Tribunal[6].

[19]        Aussi, plus récemment, la Cour d’appel a été appelée à se prononcer sur l’interprétation de la notion de vice de fond.

[20]        En 2003, dans l’affaire Bourassa[7], elle rappelle la règle applicable en ces termes :

[21]    La notion [de vice de fond] est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d'une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.

 


[22]      Sous prétexte d'un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d'ajouter de nouveaux arguments(4).

__________

(4)             Yves Ouellette. Les tribunaux administratifs au Canada : procédure et preuve. Montréal : Éd. Thémis, 1997. P. 506-508 ; Jean-Pierre Villaggi. « La justice administrative », dans École du Barreau du Québec. Droit public et administratif. Volume. 7 (2002-2003). Cowansville : Y. Blais, 2002. P. 113, 127-129.

 

 

[21]        La Cour d’appel a de nouveau analysé cette notion dans l’affaire CSST c. Fontaine[8] alors qu’elle devait se prononcer sur la norme de contrôle judiciaire applicable à une décision en révision.

[22]        Le juge Morissette, après une analyse approfondie, rappelle les propos du juge Fish dans l’arrêt Godin[9] et réitère qu’une décision attaquée pour le motif d’un vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision.

[23]        La Cour d’appel réitère cette position quelques semaines plus tard dans l’affaire Touloumi[10].

[24]        Ainsi, les principes retenus dès 1998 ont été analysés par la Cour d’appel et ils demeurent. Elle invite la Commission des lésions professionnelles en révision à continuer de faire preuve d’une très grande retenue et de ne pas utiliser la notion de vice de fond à la légère. Elle insiste sur la primauté à accorder à la première décision et sur la finalité de la justice administrative. En d’autres termes, la première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles fait autorité et ce n'est qu'exceptionnellement que cette décision pourra être révisée.

[25]        Dans le cas qui nous occupe, le Tribunal expose bien le moyen préalable soulevé :

[9]        Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’invalider le rapport d’évaluation médicale émis par le docteur Maurice Duquette le 11 janvier 2010. En conséquence, il demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le rapport d’évaluation médicale émis par le docteur Charles Desautels le 23 juin 2010 est celui qui lie la CSST quant à l’évaluation de l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles.

 

[26]        Ensuite, il expose clairement les faits tirés à partir des notes évolutives de la CSST :

[14]      Le 3 décembre 2009, le docteur Duquette émet un rapport final. Il consolide la lésion à cette date et prévoit une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. Il précise qu’il produira le rapport d’évaluation médicale.

 

[15]      Le 10 décembre 2009, le travailleur rencontre une agente d’indemnisation et une conseillère en réadaptation de la CSST. Lors de cette rencontre, il discute du processus de réadaptation. Le travailleur relate le contenu de sa conversation avec le docteur Duquette. Le travailleur décrit les difficultés qui persistent au sujet de son genou.

 

[16]      Il relate en avoir parlé au docteur Duquette, lequel lui a dit que cela prendrait une orthèse. À cette occasion, le travailleur confirme que le docteur Duquette lui a remis un rapport médical final avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles. Il aurait également fait l’évaluation puisqu’il a pris des mesures. Cela fait supposer à l’agente d’indemnisation que ce dernier a effectivement fait l’évaluation, soit un rapport d’évaluation médicale.

 

[17]      Le travailleur déclare à l’agente qu’il lui fera parvenir le rapport médical final par courriel. Il ajoute que son médecin lui a mentionné que son genou « était fini à 80 % » et qu’il ne pouvait plus marcher en terrain accidenté. Il lui aurait aussi dit qu’il devait changer de carrière. L’agente d’indemnisation convient qu’elle vérifiera auprès du médecin si ce dernier va produire le rapport d’évaluation médicale.

 

[…]     

 

[21]      Le 19 janvier 2010, l’agente d’indemnisation mentionne avoir reçu le rapport d’évaluation médicale du docteur Duquette, lequel est daté du 11 janvier 2010. Elle reprend alors le contenu du rapport d’évaluation médicale. […]

 

[…]

 

[27]      Le 2 février 2010, le travailleur discute par téléphone avec l’agente d’indemnisation. Le travailleur lui demande des explications à la suite de la réception de la décision concernant l’atteinte permanente. Elle lui mentionne que le 1 % vient du rapport de son médecin, le docteur Duquette. Elle lui explique la procédure suite au pourcentage donné par le médecin. Le travailleur souligne que son médecin lui avait dit que son genou « était fini à 80 % ». Le travailleur s’attendait donc à ce pourcentage. Elle lui explique que tout le corps équivaut à 100 %. Le travailleur ne pouvait donc pas avoir droit à 80 % pour un genou. Le travailleur lui demande ce qu’il peut faire. Elle l’informe qu’il peut vérifier le pourcentage avec son médecin. Elle ajoute qu’il peut aussi contester la décision de l’atteinte permanente s’il désire être dans les délais de contestation. Le travailleur indique qu’il fera parvenir sa contestation en attendant de parler au docteur Duquette, car celui-ci est en vacances pour deux semaines.

 

[28]      Le 4 février 2010, le travailleur transmet un courriel à la CSST. Il fait référence à sa discussion avec l’agente du 2 février 2010 concernant le rapport du docteur Duquette. Il ajoute avoir communiqué avec le bureau du médecin et que ce dernier sera de retour à la fin du mois de février.

 

[29]      Le 11 février 2010, l’agente d’indemnisation rencontre le travailleur. Ce dernier lui déclare avoir un rendez-vous avec le docteur Duquette le 25 février 2010, afin de discuter avec lui au sujet du 1 % indiqué au rapport d’évaluation médicale. Selon le travailleur, il s’agit d’une erreur. L’agente convient qu’elle attendra le résultat de cette démarche.

 

[…]

 

[32]      Le 25 février 2010, le docteur Duquette rédige un rapport médical. Dans ce rapport, il mentionne qu’il « cancelle » l’évaluation du 11 janvier 2010. Il recommande que soit effectuée une évaluation selon l’article 204 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[11] (la loi).

 

[…]

 

[36]      Le 21 juin 2010, le travailleur est examiné par le docteur C. Desautels, chirurgien orthopédiste, le tout en application de l’article 204 de la loi. Selon les notes au dossier, le travailleur a consenti à cette évaluation. Il n’existe donc au dossier aucune déclaration du travailleur voulant qu’il remette en cause le choix de ce médecin par la CSST.

 

[Nos soulignements]

 

 

[27]        Le Tribunal, à partir de cette preuve et en fonction du droit et de la jurisprudence, motive sa décision comme suit :

[45]      La Commission des lésions professionnelles doit se prononcer sur les moyens préalables soulevés par les parties quant à la régularité de la procédure d’évaluation médicale.

 

[46]      À l’audience, le procureur du travailleur invoque que le médecin qui a charge, le docteur Duquette, n’a pas transmis au travailleur son rapport d’évaluation médicale, le tout conformément à la loi. Il se réfère plus particulièrement au libellé du dernier alinéa de l’article 203 de la loi, lequel se lit comme suit :

 

203.  Dans le cas du paragraphe 1° du premier alinéa de l'article 199, si le travailleur a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, et dans le cas du paragraphe 2° du premier alinéa de cet article, le médecin qui a charge du travailleur expédie à la Commission, dès que la lésion professionnelle de celui-ci est consolidée, un rapport final, sur un formulaire qu'elle prescrit à cette fin.

 

Ce rapport indique notamment la date de consolidation de la lésion et, le cas échéant :

 

1° le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des indemnités pour préjudice corporel adopté par règlement;

 

2° la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;

 

3° l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion.

 

Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport.

__________

1985, c. 6, a. 203; 1999, c. 40, a. 4.

 

[47]      En vertu du dernier alinéa de cette disposition, le docteur Duquette devait informer le travailleur sans délai du contenu de son rapport. Or, selon le procureur du travailleur, cette obligation n’a pas été respectée, de telle sorte que la CSST était justifiée de déclarer qu’elle n’était pas liée par ses conclusions. Il considère que la CSST était alors liée par les conclusions du docteur Desautels.

 

[48]      Il ressort de la preuve au dossier que le travailleur a rencontré le docteur Duquette le 3 décembre 2009 et ne l’a pas revu pour la rédaction de son rapport d’évaluation médicale.

 

[49]      Lors de cette rencontre du 3 décembre 2009, le docteur Duquette a effectué certaines mesures. Il a informé le travailleur que son genou « était fini à 80 % » et qu’il ne pourrait plus marcher en terrain accidenté. Il lui aurait aussi dit qu’il devait changer de carrière. Il a alors consolidé la lésion professionnelle et émis un rapport médical final. Il prévoyait une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. C’est d’ailleurs le travailleur qui a transmis ce rapport final à la CSST. Il a également effectué des démarches afin d’obtenir le rapport d’évaluation médicale annoncé par le docteur Duquette.

 

[50]      Ce rapport a finalement été produit par le docteur Duquette à la CSST le 19 janvier 2010. Il ressort clairement des notes évolutives de l’agente d’indemnisation et de la conseillère en réadaptation de la CSST que le travailleur n’a pas reçu une copie de ce rapport d’évaluation médicale. La CSST a alors fait parvenir une copie de ce rapport au travailleur. Ce dernier a revu le docteur Duquette uniquement le 25 février 2010.

 

[51]      De plus, il ressort des déclarations faites par le travailleur à l’agente d’indemnisation que ce dernier avait l’impression qu’il résultait de sa lésion professionnelle une atteinte permanente importante puisque le médecin lui avait mentionné que son genou « était fini à 80 % ». C’est ce qui explique sa surprise lorsqu’il reçoit la décision rendue par la CSST le 21 janvier 2010. Le travailleur est alors informé que les propos tenus par son médecin ne correspondent pas nécessairement au pourcentage reconnu par la CSST. Ce n’est qu’après avoir obtenu les explications de l’agente d’indemnisation le 2 février 2010 que le travailleur est informé de l’origine de son pourcentage d’atteinte permanente.

 

[52]      Il ressort également des notes évolutives que les informations données au travailleur par le docteur Duquette, à l’égard de ses limitations fonctionnelles, ne correspondent pas à ce qui a été décrit au rapport d’évaluation médicale. Lorsque le docteur Duquette s’adresse au travailleur, il lui mentionne qu’il ne pourra plus travailler en terrain accidenté. Or, dans son rapport d’évaluation médicale, il détermine que le travailleur ne pourra plus effectuer de travail en position accroupie. Le médecin ajoute que la position debout sans période de repos est à éviter. Cela diffère de ce que le travailleur avait retenu de la conversation avec le docteur Duquette, tel qu’il appert de la note évolutive du 10 décembre 2009.

 

[53]      Or, le législateur a prévu à l’article 203, dernier alinéa de la loi, que le médecin qui a charge doit informer sans délai le travailleur du contenu de son rapport.

 

[54]      La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles a également confirmé à maintes reprises cette obligation du médecin qui a charge2.

 

[55]      La Cour d’appel dans l’affaire Lapointe3 a également reconnu qu’un travailleur devait être informé par son médecin du contenu de son rapport, tel que le prévoit l’article 203 de la loi. Lorsque ce dernier a manqué à cette obligation, la CSST doit conclure qu’elle n’est pas liée par le rapport de ce médecin.

 

[56]      À ce sujet, l’employeur soumet que le travailleur était adéquatement informé du contenu du rapport d’évaluation médicale du docteur Duquette. Il est d’avis que le travailleur tente de façon indirecte de contester les conclusions de son médecin, ce que la loi ne lui permet pas. Il s’appuie entre autres sur une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Plante et Commission scolaire des Samares4.

 

[57]      Les faits de cette affaire diffèrent de ceux du présent dossier. En premier lieu, dans cette affaire, le travailleur contestait le statut de médecin qui a charge afin de remettre en cause les conclusions du rapport d’évaluation médicale. Il invoquait également ne pas avoir obtenu une copie de ce rapport. Toutefois, lors de son témoignage, il admettait qu’il connaissait l’essentiel du contenu de ce rapport à la suite de sa rencontre avec le médecin. Il était alors déjà informé qu’il ne résultait de sa lésion professionnelle aucune limitation fonctionnelle et qu’il pourrait reprendre son travail régulier.

 

[58]      Certes, dans cette affaire le tribunal souligne que l’obligation du médecin ne va pas jusqu’à exiger de ce dernier qu’il soumette une description détaillée des déficits retenus et des codes correspondant en vertu du Règlement sur barème des dommages corporels5. Toutefois, les informations données par un médecin ne doivent pas induire en erreur un travailleur.

 

[59]      Dans le présent dossier, le travailleur a discuté avec son médecin, le docteur Duquette, uniquement le 3 décembre 2009. Il ne l’a pas revu au moment de la rédaction du rapport d’évaluation médicale. Selon le contenu des notes évolutives, le docteur Duquette n’a pas donné d’information au travailleur quant à l’atteinte permanente et n’a pas décrit les limitations fonctionnelles. En comparant l’information que le travailleur a obtenue de son médecin, telle que rapportée à l’agente d’indemnisation, avec les conclusions émises finalement par le docteur Duquette, cela confirme une nette différence.

 

[60]      Jusqu’au moment où le travailleur est notifié de la décision du 21 janvier 2010, dans laquelle la CSST détermine le pourcentage d’atteinte permanente et l’indemnité pour dommages corporels, il a l’impression qu’il résulte de sa lésion professionnelle une atteinte permanente importante. À cette période, il n’a pas encore connaissance des limitations fonctionnelles qui ont finalement été retenues par son médecin.

 

[61]      D’ailleurs, le dossier révèle que le docteur Duquette a rédigé son rapport d’évaluation médicale plusieurs semaines après avoir rencontré le travailleur, soit le 11 janvier 2010. Lors de sa rédaction, il n’a pas repris pas le contenu de sa conversation avec le travailleur, puisqu’entre autres, il a émis des limitations fonctionnelles différentes de celles discutées avec lui. Ainsi, le travailleur n’a pas été notifié du rapport d’évaluation médicale. Ce dernier a été transmis directement à la CSST.

 

[62]      D’ailleurs, dans une note datée du 21 janvier 2010 une agente d’indemnisation relate sa conversation avec le travailleur au sujet de la réadaptation. Elle a alors entre les mains le rapport d’évaluation médicale. Il n’est pas décrit dans cette note les conclusions du docteur Duquette.

 

[63]      Le 2 février 2010, cette agente d’indemnisation répond aux interrogations du travailleur quant à l’origine du pourcentage d’atteinte permanente. À cette date, il est informé que le pourcentage de 1 % provient de l’évaluation de son médecin, le docteur Duquette. Lors de cette communication, il ne comprend pas cette conclusion puisque son médecin avait déclaré que son genou « était fini à 80 % ».

 

[64]      Après avoir obtenu ces informations, soit le 4 février 2010, le travailleur a manifesté son désaccord avec la décision rendue le 21 janvier 2010.

 

[65]      La preuve démontre donc que le travailleur ne disposait pas des informations adéquates lui permettant de bien saisir la portée de l’évaluation de son médecin.

 

[66]      Cette situation diffère de celle décrite dans l’affaire Plante6, puisqu’il n’est pas question de l’absence de description détaillée des déficits retenus par le docteur Duquette, mais plutôt d’un manque réel d’information quant à l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles.

 

[67]      Tous ces éléments amènent le tribunal à conclure que le docteur Duquette n’a pas révélé au travailleur le 3 décembre 2009 le contenu de son rapport d’évaluation médicale rédigée en janvier 2010.

 

[68]      Il ressort de ces faits que le docteur Duquette ne s’est pas conformé à l’exigence prévue au dernier alinéa de l’article 203 de la loi. Il n’a pas informé le travailleur du contenu de son évaluation.

 

[69]      Dans l’affaire Latulippe et CSST7, le tribunal rappelle cette obligation du médecin et souligne ce qui suit :

 

[53]         Dans l’affaire Lapointe et Sécuribus inc.7, la Cour d’appel, par l’opinion du juge Dalphond, mentionne ceci quant à l’obligation du médecin qui a charge d’informer le travailleur :

 

[32]         La deuxième possibilité était de considérer que le médecin qui avait charge de l’appelante en juin 1998 était désormais le Dr Roy. Il demeure que l’appelante a allégué dès la décision de la CSST connue, qu’elle ignorait le contenu de ce rapport. En somme, elle a allégué violation de l’obligation faite à l’art. 203 in fine au médecin qui avait charge de l’informer. La CSST devait alors vérifier la véracité de l’allégation et, si bien fondée, conclure que le rapport final reçu du Dr Roy ne pouvait lier l’appelante en vertu de la Loi, car violant l’art. 203 de la Loi et la finalité sous-jacente, soit celle du droit du travailleur de choisir le médecin de son choix (art. 192) et d’être informé du contenu du rapport final de ce dernier.

 

[54]         Dans l'affaire Bergeron et Fondations André Lemaire8, la Commission des lésions professionnelles mentionne ceci quant à l’obligation d’information du médecin qui a charge dans le cadre de l’article 212.1 de la loi9 :

 

[51]         Le second motif qui amène le tribunal à ne pas accorder un caractère liant à l’information médicale complémentaire écrite du docteur Dextradeur réside dans le fait que la procédure de l’article 212.1 de la LATMP n’a pas été respectée notamment en ce qui concerne l’obligation du médecin qui a charge d’informer sans délai le travailleur du contenu de son rapport. Cette exigence n’est pas une simple formalité, mais bien une exigence de fond compte tenu des conséquences qu’a l’opinion du médecin qui a charge sur les droits du travailleur. Cette étape est le seul moment où le travailleur a l’occasion de faire valoir son point de vue et d’exercer le droit qui lui est dévolu à l’article 192 de la LATMP d’avoir recours au médecin de son choix si jamais il est en désaccord avec le contenu de ce rapport.

 

[55]         Le tribunal considère que le Rapport complémentaire du docteur Maurais n’est pas suffisamment motivé et n’a pas le caractère liant nécessaire pour éviter une procédure d’évaluation médicale. De plus, le tribunal retient que le docteur Maurais avait l’obligation d’aviser sans délai le travailleur du contenu de son rapport et il n’a pas respecté ce qui est prévu par la loi quant à cet aspect.

 

[56]         Le tribunal est donc d’avis d’annuler le Rapport complémentaire du docteur Maurais et de retourner le dossier à la CSST afin de recommencer la procédure d’évaluation médicale. En conséquence, les décisions rendues par la CSST les 16 décembre, 18 décembre et 21 décembre 2009 sont annulées.

____________

7 C.A. Montréal : 500-09-013413-034, 2004-03-19, jj. Forget, Dalphond, Rayle.

8 C.L.P. 334647-71-0712, 9 avril 2009, J.-C. Danis.

9 Cette disposition de la loi est similaire à ce que prévoit l’article 205.1 de la loi mais dans le cas d’un rapport provenant du médecin désigné par l’employeur.

 

[70]      Cette exigence du législateur ne constitue pas une simple formalité, mais bien une exigence de fond, et ce, en raison des conséquences que cela peut avoir sur les droits d’un travailleur.

 

[71]      Or, la procédure d’évaluation ne doit pas prendre par surprise un travailleur comme cela est survenu dans le présent dossier. Le contexte entourant le dépôt par le docteur Duquette à la CSST le 19 janvier 2010 d’un rapport d’évaluation médicale, sans que le travailleur en reçoive une copie et qu’il ait eu l’occasion d’en discuter de nouveau avec ce dernier, ne rencontre pas les exigences du législateur.

 

[72]      Devant une telle situation, le tribunal n’a d’autre choix que de conclure, tout comme l’a reconnu implicitement le docteur Duquette le 25 février 2010, que son rapport ne liait pas la CSST. Ce médecin a d’ailleurs demandé que l’évaluation des séquelles permanentes soit effectuée par un médecin désigné par la CSST.

 

[…]

__________

2              Brière et Vinyle Kaytec inc., C.L.P. 215828-62A-0309, 18 juin 2004, J. Landry; Brochu et Groupe Optivert inc., C.L.P. 184035-05-0205, 7 février 2007, F. Ranger; Scierie Parent et Duguay, [2007] C.L.P. 872 , révision rejetée, C.L.P. 271310-04-0509, 24 octobre 2008, J.M. Dubois (08LP-156); Gaudreault et Technologies Directes P.G. inc., [2008] C.L.P. 513 ; Desrosiers et Cégep de l’Abitibi-Témiscamingue, C.L.P. 375761-08-0904, 13 mai 2010, P. Champagne.

3              Lapointe c. C.L.P., C.A. Montréal, 50009-013413-034, 19 mars 2004, jj. Forget, Dalphond, Rayle, (03LP-313).

4              2011 QCCLP 909 .

5              [1987] 119 G.O. II, 5576.

6              Précitée note 4.

7              2010 QCCLP 7325 .

 

[Nos soulignements]

 

[28]        La Commission des lésions professionnelles ne constate aucune erreur, par surcroît manifeste et déterminante, dans la décision rendue. Il s’agit d’une décision claire et basée sur la preuve présentée quoiqu’en dise le procureur de l’employeur. Si les notes évolutives contenaient des inexactitudes, il appartenait à l’employeur d’en faire la preuve. Il est vrai que le travailleur ne s’est pas présenté à l’audience, mais le procureur de l’employeur a accepté de procéder sans pouvoir bénéficier d’un contre-interrogatoire. C’était devant le Tribunal qu’il devait manifester son désir et non après que la décision ait été rendue.

[29]        Le Tribunal a interprété la preuve et conclu que les informations données par le médecin qui a charge ont induit le travailleur en erreur puisqu’on perçoit une nette différence entre ce que le travailleur avait rapporté à la CSST comme lui ayant été dit par le docteur Duquette, et ce que finalement ce médecin a inscrit sur son rapport d'évaluation médicale. Comme il est mentionné dans les principes énoncés, la Commission des lésions professionnelles, en révision, n’a pas à interpréter de nouveau la preuve. Le Tribunal tire sa conclusion, à partir des faits prouvés. Il est faux de prétendre qu’il l’a fait sans preuve. Il a plutôt interprété la preuve pour arriver à sa conclusion, ce qui est l’exercice même de son devoir. La Commission des lésions professionnelles en révision n’a pas à s’immiscer dans cette interprétation.

[30]        Quant à l’argument voulant que la jurisprudence ait été mal interprétée, il ne suffit pas de l’alléguer, mais de démontrer que l’interprétation donnée est une erreur manifeste et déterminante. Cette démonstration n’a pas été faite et, par surcroît, l’interprétation du Tribunal est identique à celle que fait la soussignée.

[31]        Enfin, soulignons que la Commission des lésions professionnelles en révision constate que le procureur de l’employeur a fait valoir les mêmes arguments que ceux présentés devant le Tribunal, notamment ce qui est rapporté au paragraphe 56 de la décision rendue. Rappelons que le fait que le Tribunal n’ait pas retenu son point de vue n’invalide pas la décision.

[32]        La Commission des lésions professionnelles estime que la décision rendue est conforme à la preuve présentée et au droit. Il y a lieu de rejeter la requête.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de CRT - Hamel, l’employeur.

 

 

 

__________________________________

 

Pauline Perron

 

 

 

 

 

Me Sylvain Gingras

Gingras avocats

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Jean-François Bélisle

A.C.R.G.T.Q.

Représentant de la partie intéressée

 

 

Me Sabrina Khan

Vigneault Thibodeau Bergeron

Représentante de la partie intervenante

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Pétrin c. C.L.P. et Roy et Foyer d’accueil de Gracefield, C.S. Montréal 550-05-008239-991, 15 novembre 1999, j. Dagenais.

[3]           Produits forestiers Donahue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 .

[4]           Lamarre et Day & Ross inc., [1991] C.A.L.P. 729 .

[5]           Franchellini et Sousa, précitée, note 3.

[6]           Moschin et Communauté Urbaine de Montréal, [1998] C.L.P. 860 ; Lamarre et Day & Ross précitée, note 4; Sivaco et C.A.L.P., [1998] C.L.P.180; Charrette et Jeno Neuman & fils inc., C.L.P. 87190-71-9703, 26 mars 1999, N. Lacroix; Pétrin c. C.L.P. et Roy et Foyer d’accueil de Gracefield, précitée, note 2.

[7]           Bourassa c. Commission des lésions professionnelles, [2003] C.L.P. 601 (C.A.).

[8]           [2005] C.L.P. 626 (C.A.).

[9]           Tribunal administratif du Québec c. Godin, [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.).

[10]         CSST c. Touloumi, [2005] C.L.P. 921 (C.A) .

[11]         L.R.Q., c. A-3.001.

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