Alexander et Centre jeunesse et famille Batshaw |
2012 QCCLP 4218 |
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[1] Le 8 juillet 2011, madame Annie Alexander (la travailleuse) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle elle conteste une décision rendue le 14 juin 2011 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision en révision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 10 février 2011 et déclare que la travailleuse a droit au remboursement du coût des traitements de physiothérapie prescrits par son médecin, en raison de sa lésion professionnelle, pour un montant de 360,00 $ selon la limite prévue au Règlement sur l'assistance médicale[1] (le règlement).
[3] À l’audience tenue à Montréal le 9 mai 2012, la travailleuse était présente et représentée. Centre Jeunesse et Famille Batshaw (’employeur), bien que dûment convoqué, était absent.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’elle a droit au remboursement des coûts réels engagés pour ses traitements de physiothérapie, tels que prescrits par son médecin traitant, en raison de sa lésion professionnelle du 30 septembre 2010.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que malgré la bonne foi de la travailleuse et le fait que les traitements aient été prescrits par son médecin traitant, elle a uniquement droit de recevoir le montant prévu au règlement, soit 36,00 $ par traitement de physiothérapie.
[6]
De son côté, la membre issue des associations syndicales est d’avis
qu’il y a lieu d’accueillir la requête de la travailleuse et de déclarer
qu’elle a droit au remboursement des coûts qu’elle a réellement engagés pour
ses traitements de physiothérapie, tels que prescrits par son médecin, pour sa
lésion professionnelle du 30 septembre 2010. Elle fonde son opinion sur l’article
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la travailleuse a droit au remboursement des frais qu’elle a réellement engagés pour ses traitements de physiothérapie entre le 3 novembre 2010 et le 13 décembre 2010.
[8] La travailleuse a été victime d’un accident du travail le 30 septembre 2010, alors qu’elle a fait une chute sur le plancher mouillé. Le diagnostic de la lésion est celui d’entorse au ligament latéral interne du genou droit. Lors de la visite du 27 octobre 2010, le médecin traitant prescrit des traitements de physiothérapie. Les traitements ont débuté le 3 novembre 2010. Le premier traitement était au coût de 85,00 $ et, par la suite, de 70,00 $.
[9] La CSST a accepté la réclamation de la travailleuse le 23 décembre 2010, donc après le début des traitements de physiothérapie dont les coûts ont été assumés par la travailleuse.
[10] La CSST, dans sa décision initiale ainsi que dans sa décision en révision du 14 juin 2010, refuse de rembourser la travailleuse pour le montant qu’elle a réellement déboursé pour ses traitements de physiothérapie. La CSST conclut que la travailleuse a uniquement droit au remboursement de 36,00 $ par séance de physiothérapie, tel que prescrit au règlement.
[11] Les traitements de physiothérapie, dont a bénéficié la travailleuse en raison de sa lésion professionnelle, sont visés par l’alinéa 5 de l’article 189 de la loi qui se lit comme suit :
189. L'assistance médicale consiste en ce qui suit :
1° les services de professionnels de la santé;
2° les soins ou les traitements fournis par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5);
3° les médicaments et autres produits pharmaceutiques;
4° les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes et des tissus et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2), prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l'assurance maladie du Québec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas établi au Québec, reconnu par la Commission;
5° les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visés aux paragraphes 1° à 4° que la Commission détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.
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1985, c. 6, a. 189; 1992, c. 11, a. 8; 1994, c. 23, a. 23; 1999, c. 89, a. 53; 2001, c. 60, a. 166; 2009, c. 30, a. 58.
[12] L’assistance médicale prévue à l’article 189 de la loi n’a pas, en temps normal, à être déboursée par une travailleuse, puisque les coûts sont assumés directement par la CSST.
[13]
En effet, les coûts sont facturés au tarif prévu au règlement et
remboursés par la CSST directement à l’intervenant, tel que le prévoit
l’article
6. La Commission assume le coût des soins et des traitements déterminés à l'annexe I, jusqu'à concurrence des montants qui y sont prévus, lorsqu'ils sont fournis personnellement par un intervenant de la santé auquel a été référé le travailleur par le médecin qui a charge de ce dernier.
La Commission assume également le coût des examens de laboratoire effectués dans un laboratoire de biologie médicale au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes et des tissus et la disposition des cadavres (L.R.Q., c. L-0.2) et des règlements pris en application de cette loi jusqu'à concurrence des montants prévus à l'annexe I.
D. 288-93, a. 6; D. 888-2007, a. 3.
[14] L’annexe 1 prévoit que le tarif pour des traitements de physiothérapie est de 36,00 $ par séance.
[15] Dans le présent dossier, la travailleuse a, selon les recommandations de son médecin, débuté ses traitements de physiothérapie en novembre 2011 avant que la CSST n’ait rendu sa décision déclarant qu’elle a été victime d’une lésion professionnelle le 30 septembre 2010. Ce qui est en cause en l’espèce, ce sont donc les traitements administrés à la travailleuse avant la décision du 23 décembre 2011 qui reconnaît qu’elle a subi une lésion professionnelle. En effet, une fois la décision d’admissibilité rendue, l’assistance médicale, donc les traitements de physiothérapie, est assumée par la CSST.
[16] Dans l’affaire Larrivée et Commission scolaire de la Rivière-du-Nord[3], la Commission des lésions professionnelles a conclu qu’un travailleur a droit uniquement au remboursement du montant prévu au règlement et que conclure autrement permettrait à un travailleur accidenté « de bénéficier d’une médecine plus onéreuse que celle couverte par la législation applicable aux accidents du travail, car il s’agirait là d’une injustice à l’ensemble des travailleurs accidentés qui seraient aux prises avec une situation similaire et qui n’auraient pas la capacité financière pour ce faire ».
[17] La Commission des lésions professionnelles constate qu’il existe une autre interprétation qui, elle, permet le remboursement des coûts réellement déboursés, interprétation à laquelle souscrit la soussignée. Dans l’affaire Morin et L.A. Hébert ltée[4], le tribunal conclut que la partie doit être placée dans l’état où elle se serait trouvée si les traitements avaient été autorisés dès le départ et, à ce sujet, s’exprime comme suit :
[28] La soussignée considère qu'en refusant de rembourser les coûts réellement engagés par monsieur Morin pour ses traitements de physiothérapie et d'ostéopathie, la CSST néglige, en quelque sorte, de replacer les parties dans l'état où elles se seraient trouvées si ces traitements avaient été autorisés dès le départ et omet, par le fait même, de reconnaître la portée rétroactive de la décision de la Commission des lésions professionnelles du 29 mai 2009.
[29] Or, l'article 1 stipule que la loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.
[30] L'article 351 de la loi précise, par ailleurs, que la CSST doit rendre ses décisions suivant l'équité, d'après le mérite réel et la justice du cas.
[31] Ces articles sont libellés comme suit :
1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.
Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d'indemnités de décès.
La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 1; 1999, c. 40, a. 4.
351. La Commission rend ses décisions suivant l'équité, d'après le mérite réel et la justice du cas.
Elle peut, par tous les moyens légaux qu'elle juge les meilleurs, s'enquérir des matières qui lui sont attribuées.
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1985, c. 6, a. 351; 1997, c. 27, a. 13.
[32] Dans l'affaire Camions Freightliner Québec inc. et CSST4, la Commission des lésions professionnelles écrit que « les termes "décisions suivant l’équité, d’après le mérite réel et la justice du cas" signifient que la décision n’a pas, contrairement aux tribunaux judiciaires, à être basée strictement sur la loi et les règlements » et que l'emploi du mot "équité" et "justice" signifie que le législateur a voulu imposer à l’administration, en l’occurrence la CSST, une certaine souplesse » 5[sic].
[33] Dans une autre décision6, la Commission des lésions professionnelles souligne qu’il « convient d'adopter une interprétation généreuse des dispositions de la loi pour trouver, à même la panoplie de mesures de réparation qui s'y trouvent, celle qui correspond adéquatement au mérite réel du cas, comme les articles 1 et 351 autorisent le tribunal à le faire dans des circonstances inhabituelles ».
[34] Le présent tribunal estime, à la lumière de ce qui précède, que la CSST devait se demander s'il était équitable, dans le cas de monsieur Morin, de refuser de lui rembourser les montants qu'il a engagés pour de l'assistance médicale reçue en raison de sa lésion professionnelle du 12 septembre 2006.
[35] Pour répondre à cette question, la CSST devait non seulement s'inspirer du règlement, mais aussi de l'article 194 qui prévoit spécifiquement que le coût de l'assistance médicale est à la charge de la CSST et qu'aucun montant ne peut être réclamé au travailleur pour une prestation d'assistance médicale à laquelle il a droit en vertu de la loi. Cet article est libellé comme suit :
194. Le coût de l'assistance médicale est à la charge de la Commission.
Aucun montant ne peut être réclamé au travailleur pour une prestation d'assistance médicale à laquelle il a droit en vertu de la présente loi et aucune action à ce sujet n'est reçue par une cour de justice.
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1985, c. 6, a. 194.
[36] Comme le législateur ne parle pas pour ne rien dire, le tribunal estime que cette disposition doit être appliquée dans un cas comme celui dont il est ici question puisque n'eut été de la contestation par l'employeur de la nécessité de ses traitements et de l'avis du membre du Bureau d'évaluation médicale déclarant qu’il y avait suffisance des traitements à la date de consolidation puis de la décision de la CSST entérinant cet avis, monsieur Morin aurait reçu ses traitements d'ostéopathie et de physiothérapie et n'aurait pas eu à débourser de frais à l'époque.
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4
5 Les soulignés sont de la soussignée.
6 Ladora et Hôpital Rivière-des-Prairies, C.L.P.
[18] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que cette interprétation s’applique intégralement à la présente affaire dont les faits sont similaires. La CSST devait, non seulement s’inspirer du règlement, mais référer à l’article 194 de la loi qui prévoit qu’aucun montant ne peut être réclamé au travailleur pour une prestation d’assistance médicale à laquelle il a droit en vertu de la loi.
[19] Dans l’affaire Desroches et Caisse Desjardins Quartier-chinois[5], le travailleur a déboursé les coûts reliés à ses traitements avant la reconnaissance de sa lésion professionnelle. S’appuyant sur l’article 194 de la loi, la Commission des lésions professionnelles a aussi conclu que le travailleur avait droit au remboursement des coûts réels pour les traitements d’acupuncture reçus avant la décision déclarant qu’il a subi une lésion professionnelle.
[20] Finalement, soulignons que, dans l’affaire Morin précitée[6], une requête en révision ou révocation a été déposée par la CSST à la Commission des lésions professionnelles. Par sa décision du 5 mai 2011[7], le tribunal a rejeté la requête de la CSST. Le tribunal, en révision, a conclu qu’il s’agissait d’une question d’interprétation d’une disposition législative plutôt qu’un cas d’omission d’appliquer une telle disposition, soit l’article 194 de la loi. Le tribunal a conclu qu’il n’y avait pas erreur manifeste de droit. La juge administrative ajoute :
[64] La procureure de la CSST invoque aussi un argument fondé sur l’équité et selon lequel un travailleur doit recevoir ce qui est prévu par la loi, ni plus ni moins. Mais la solution préconisée par la CSST soulève aussi une question d’équité, telle que l’a relatée le premier juge administratif. Dans cette situation, il a donné préséance à l’article 194 de la loi selon lequel aucun coût ne peut être réclamé au travailleur.
[65] Une autre interprétation aurait été possible dans une même situation, mais il n’y a pas ici d’erreur de droit manifeste.
[21] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que la travailleuse a droit, en vertu de l’article 194 de la loi, au remboursement des coûts réellement déboursés pour ses traitements de physiothérapie, tel que démontré par les reçus fournis à l’audience, entre la période du 3 novembre au 13 décembre 2010, inclusivement.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de madame Annie Alexander, la travailleuse;
INFIRME la décision rendue le 14 juin 2011 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse a droit au remboursement des coûts qu’elle a réellement engagés pour ses traitements de physiothérapie, tels que prescrits par son médecin, en raison de sa lésion professionnelle du 30 septembre 2010, pour la période du 3 novembre 2010 au 13 décembre 2010, inclusivement.
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Sylvie Arcand |
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Madame Karine Rainville |
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S.C.F.P. |
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Représentante de la partie requérante |
[1] R.R.Q., c. A-3.001, r. 1.
[2] L.R.Q. c. A-3.001.
[3] C.L.P.
[4] C.L.P.
[5] C.L.P.
[6] Précitée, note 4.
[7] Précitée, note 4.
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