Décision

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C A N A D A

C A N A D A

Province de Québec

Greffe de Montréal

 

 

No:   500 - 09‑000317‑867

      500‑09‑000387‑860

 

 

     (500‑05‑011112‑859)

 

Cour d'appel

 

____________________________

 

 

Le 16 avril 1991

 

 

 

CORAM :   Juges LeBel, Chevalier (ad hoc) et Beauregard (diss.)

 

 

____________________________

 

 

ANN ANTENUCCI et autres, appelants intimés,

 

 

c.

 

 

CANADA STEAMSHIP LINES INC., intimée requérante, et LA COMMISSION DE LA

SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL et un autre, mis en cause

 

 

____________________________

 

 

 

   500-09-000317-867 (500-05-011112-859)

 

 La Cour, statuant sur le pourvoi contre un jugement rendu le 10 mars 1986 dans le district de Montréal par l'honorable Louis Paradis, juge de la Cour supérieure, accueillant une requête en évocation et déclarant nulle et illégale une décision de la Commission de la Santé et de la Sécurité du Travail et de son réviseur Pierre Théroux rendue le 4 novembre 1985;

 

 Après étude, audition et délibéré;

 

  Pour les motifs exposés dans les opinions de messieurs les juges LeBel et Chevalier, dont un exemplaire est déposé avec le présent jugement;

 

 ACCUEILLE l'appel avec dépens;

 

 CASSE le jugement entrepris;

 

  Et jugeant à nouveau, rejette la requête en évocation avec dépens.

 

 Pour les motifs exposés dans son opinion dont un exemplaire est également déposé avec le présent jugement, monsieur le juge Beauregard aurait rejeté l'appel avec dépens.

 

 

 

  (500-09-000387-860 CSST c. Canada Steamship Lines Inc.)

 

 La Cour, statuant sur le pourvoi contre un jugement rendu le 10 mars 1986 dans le district de Montréal par l'honorable Louis Paradis, juge de la Cour supérieure, accueillant une requête en évocation et déclarant nulle et illégale une décision de la Commission de la Santé et de la Sécurité du Travail et de son réviseur Pierre Théroux rendue le 4 novembre 1985;

 

 Après étude, audition et délibéré;

 

  Pour les motifs exposés dans les opinions de messieurs les juges LeBel et Chevalier, dont un exemplaire est déposé avec le présent jugement;

 

 ACCUEILLE l'appel sans frais;

 

 CASSE le jugement entrepris;

 

  Et jugeant à nouveau, rejette la requête en évocation sans frais.

 

 Pour les motifs exposés dans son opinion dont un exemplaire est également déposé avec le présent jugement, monsieur le juge Beauregard aurait rejeté l'appel avec dépens.

 

 OPINION DU JUGE CHEVALIER

 

 Durant la matinée du 9 novembre 1984, Angelo Antenucci, 45 ans, électricien a bord du M/V "Arctic", un navire de Canada Steamship Lines Inc. (C.S.L.), se plaint de vives douleurs abdominales.  A ce moment le navire se trouve dans l'Océan Arctique.

 

 L'officier en chef à qui il s'adresse contacte un bateau de la garde cotière canadienne a bord duquel il y a une infirmière. Sur le conseil de celle-ci, il communique par radio avec un centre de renseignements situé à New-York. Au médecin qui lui répond, il décrit les symptômes que présente le malade. L'homme de l'art diagnostique des coliques.

 

  A 11h15 du même jour, l'infirmière précitée se rend au navire par hélicoptère. Elle administre la médication prescrit par le médecin.

 

  Vers 13h25, Antenucci est transporté sur le navire de la garde cotière, le "Sir John A. McDonald". Sa condition  semble s'améliorer, mais le lendemain 10 novembre, alors qu'il est toujous à bord, son état empire et il décède le même jour.

 

 Une autopsie est pratiquée. Le rapport médical est rédigé en anglais aucune traduction ne nous en a été fournie. J'en cite donc les extraits pertinents dans la langue d'origine. Il révèle que le défunt était affecté des problèmes suivants:

 

  1. "Perforated chronic peptic duodenal ulcer, first portion, anterior wall."

 

 2. "Diffuse peritonitis - 2000 c.c. of murky fluid with fibrinous reaction."

 

  3. "Arteriosclerotic heart disease. 70% occlusion of anterior descending coronary artery."

 

  4. "Anomalous coronary arteries - large dominant right, rudimentary left circumflex."

 

 5. "Edema and congestion of lungs, moderate."

 

  6.  "Pancreatitis, diffuse, mild; healed pancreatic fat necrosis."

 

 7. "Pleural effusions, bilateral, 100 c.c."

 

 8. "Calcinosis of kidney, intra tubular and interstitial, moderate."  Au même rapport, la cause du décès est inscrite comme suit:

 

 Combination of perforated ulcer leading to shock, complicated by coronary insufficiency.

 

  Ann Antenucci, veuve du défunt, fait parvenir la Commission de la Santé et de la Sécurité au travail (CSST) un avis d'accident de travail et réclame, pour elle et ses enfants, Jean, Vincent et Gabriel, le versement des prestations prévues par la Loi.

 

 Le Coroner écrit à la CSST et lui fait part qu'il ne juge pas à propos de procéder à une enquête formelle. Il conclut ainsi:

 

 As you can see from the autopsy report, death was by natural causes, that is if ulcers can be considered natural.

 

 Saisi en premier lieu de la demande, l'agent d'indemnisation de la CSST la refuse au motif que, suivant le rapport d'autopsie, le décès est relié strictement à l'état personnel du travailleur et qu'il ne s'agit pas d'un accident de travail.

 

 En appel de cette décision, le Bureau de Révision de la CSST institue sa propre enquête. Son délégué, Pierre Théroux, entend la preuve, infirme les conclusions de l'agent et décide que les survivants du travailleur ont droit aux prestations en vertu de la Loi des accidents du travail, le choc coronarien qui a causé le décès du travailleur le 10 novembre 1984 étant le fait accidentel survenu à l'occasion du travail.

 

  En conformité de cette décision, la CSST fait parvenir à l'intimée un état de compte au montant de 357 866,49 $; qui représente l'indemnité accordée aux appelants et les frais d'administration auxquelle elle a droit.  Il est acquis que, dans l'état de la Loi au moment du litige, s'il y a en l'occurrence accident de travail, l'intimée est personnellement tenue d'assumer le paiement des sommes précitées.

 

 C.S.L. loge un appel de la décision du Bureau de Révision de la CSST, à la fois à la Commission des affaires sociales et, par voie d'évocation, à la Cour supérieure. Au moment de l'audition du présent appel, la Commission ne s'est pas prononcée. Quant à la Cour supérieure, elle accueille la demande de C.S.L. au motif que ... le réviseur, en assimilant un concours de circonstances provoquant un choc coronarien à l'élement imprévu et soudain", a manifestement dépassé les bornes de sa compétence. La preuve ne révèle ni événement imprévu et soudain, ni aucune relation de cause à effet entre le travail et le décès de la victime Antenucci.

 

 C'est contre cette décision que se pourvoient les appelants. Ils nous demandent de répondre à trois questions qu'ils énoncent comme suit:

 

  1. La requête en évocation pouvait-elle être accordée s'il existe un recours administratif qui n'est pas encore épuisé à l'encontre de la décision du Bureau de Révision ?

 

  2. La qualification d'un accident au sens de la Loi applicable est-elle une question préliminaire  à  l'exercice  de  la juridiction du Bureau de Révision ?

 

  3. Si cette qualification est intra-juridictionnelle, la décision du Bureau de Révision est-elle ou non manifestement déraisonnable et porte-t-elle atteinte à la juridiction au point qu'elle doive justifier l'intervention de la Cour supérieure ?

 

 1. LE DROIT A L'EVOCATION

 

  Les appelants soutiennent que l'existence d'un appel auprès de la Commission des affaires sociales  justifiait  la  Cour supérieure de rejeter la requête en évocation, celle-ci n'ayant en réalité pour objectif que de courtcircuiter l'appel en question.

 

  Je signale que le premier juge ne s'est pas prononcé sur cet aspect du litige.  Le dossier qui nous est soumis ne révèle d'ailleurs pas si la question a été débattue devant lui.

 

  Les appelants ne plaident pas que l'usage par une partie d'un des deux recours exclut automatiquement celui de l'autre. Citant les commentaires de monsieur le juge LeBel dans l'arrêt Caron c. Beaupré - J.E. 85-137 C.A. - ils nous invitent à déclarer  que,  sauf circonstances exceptionnelles, il est préférable que les juridictions administratives jouent leur rôle normal avant de faire intervenir les tribunaux supérieurs. De telles circonstances ne se présenteraient pas, selon eux, en l'instance.

 

 La procédure de l'évocation relève de l'article 846 du Code de procédure  civile.   On peut l'utiliser dans quatre cas différents. Le premier est celui où le tribunal de première instance s'est arrogé une juridiction qu'il n'avait pas ou a excédé celle qu'il avait. L'article 846 "in fine" édicte que l'évocation n'est pas un recours utile dans les cas prévus aux alinéas 2, 3 et 4 si les jugements du tribunal sont susceptibles d'appel.  Il faut ici appliquer la règle d'interprétation "Expressio  unius fit exclusio alterius" et entendre que, lorsqu'il s'agit  d'absence  ou  d'excès  de  juridiction, l'évocation est un moyen de contrer le jugement d'un tribunal inférieur, quels que soient par ailleurs les autres recours de nature administrative qui sont accessibles. C'est la position juridique qu'adopte l'initiateur du recours qui en détermine l'accessibilité.  S'il plaide précisément cette absence ou cet excès de juridiction, il acquiert incontestablement le droit de s'adresser  au  tribunal  de droit commun qu'est la Cour supérieure. Dans Commission des Accidents du Travail de Québec c. Valade et P.G. du Québec - (1981) C.A. 37 - madame le juge L'Heureux-Dubé, maintenant de la Cour suprême du Canada écrit à ce sujet (page 41):

 

  Nous sommes ici en présence d'un texte de loi, l'article 846 C.P. Cet article fait une distinction entre les cas prévus au paragraphe 1 et ceux qui font l'objet des autres paragraphes, en précisant que dans les cas autres que ceux visés au paragraphe 1, le recours est ouvert si les jugements du tribunal saisi ne sont pas susceptibles d'appel. A mon avis, s'il faut donner un sens à cette disposition, on doit nécessairement conclure qu'en matière de défaut ou d'excès de juridiction, la présence d'un niveau d'appel n'exclut pas le recours en certiorari dès que le recours va à la juridiction.

 

 Je suis d'opinion que ceci suffit à distinguer l'arrêt Harelkin prononcé dans un contexte juridique différent. J'ajoute que M. le juge Dickson, dans sa dissidence, rappelle que, même en common law, le professeur de Smith exprime l'opinion:

 

  A la p. 375, le professeur de Smith affirme que, normalement, celui qui demande l'émission d'un certiorari n'est pas obligé d'épuiser d'abord ses droits d'appel auprès de l'administration. Toujours à la même page, il parle des principes qui devraient régir l'exercice de la discrétion judiciaire lorsqu'il existe d'autres recours.  En voici un: (traduction) Si un requérant prétend être lésé par une décision outrepassant la compétence ou violant les règles de justice naturelle, le fait qu'il ne se soit pas prévalu d'un droit d'appel prévu par la loi doit normalement être considéré comme non pertinent.

 

 Dans l'affaire qui nous est soumise, les appelantes plaident que le Bureau de Révision ou bien s'est arrogé une juridiction qu'il n'avait pas en interprétant la définition d'un accident de travail qui apparaît à l'article 2 paragraphe 1a) de la LATMP ou bien, s'il possède cette juridiction, il l'a excédée  en l'interprétant d'une façon déraisonnable. L'un et l'autre cas sont de la catégorie prévue à l'article 846 , alinéa 1a) C.p.c. Le recours à l'évocation est donc accessible et approprié et ce moyen des appelantes doit être écarté.

 

 2. LA COMPETENCE DE LA CSST

 

 A l'époque du litige, la loi applicable était intitulée Loi sur les accidents du travail - L.R.Q. c. A-3 (LAT).

 

 A son article 63.1, on retrouve l'énoncé de la juridiction de la Commission de la Santé et de la Sécurité au Travail qui est chargée de l'application de la Loi (la Commission):

 

 Sous réserve de l'article 70 et de l'appel prévu à l'article 65,  la commission a juridiction exclusive pour examiner, entendre et décider toute affaire et question touchant la présente loi et disposer de toutes autres affaires ou choses au sujet desquelles un pouvoir, une autorité ou une discrétion lui sont conférés.

 

  Le pouvoir d'agir par délégation de la Commission et la validité des décisions que rend le délégué résultent des articles 63.4, 63.5 et 63.6:

 

  63.4 La commission peut déléguer généralement à ceux de ses fonctionnaires qu'elle désigne ses pouvoirs pour examiner, entendre et décider en première instance, toute affaire et question relative au droit à une indemnité, au quantum d'une indemnité et aux taux de diminution de capacité de travail.

 

  63.5 La commission peut déléguer à un bureau de révision, constitué en vertu de l'article 171 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre 5-2.1) ses pouvoirs pour examiner, entendre et décider, en seconde instance, toute affaire relative à l'une des matières énumérées au paragraphe 4.

 

 63.6 Les décisions que rendent ces personnes et ces bureaux sont régies par le paragraphe 8 et ont la même valeur que si la commission les eut rendues elle-même.

 

 La compétence de la Commission lui est également attribuée par l'article 176 de la Loi sur la santé et la sécurité au travail L.R.Q. C. s-2.l (LSST):

 

 La Commission a juridiction exclusive pour examiner, entendre et décider une affaire ou question au sujet de laquelle un pouvoir, une autorité ou une discrétion lui est conférée.

 

 Enfin la disposition privative qui s'applique est à l'article 63.1 , deuxième alinéa (LAT):

 

 Aucun des recours extraordinaires prévus aux articles 834 à 850 du Code de procédure civile ne peut être exercé ni aucune injonction accordée contre les procédures et les décisions de la commission, ni contre la Cour supérieure ou l'un de ses juges homologuant lesdites décisions.

 

  Dans son mémoire, l'intimée précise sa position à l'égard de ces textes, comme suit (m.i. page 13):

 

 Contrairement à la prétention des appelants, l'intimée soutient que "l'expertise" et "l'objet principal" de la CSST ne réside pas dans la détermination de ce qui constitue ou non un accident du travail au sens de la loi, question purement juridique, mais plutôt dans la réparation des lésions professionnelles et la réadaptation des travailleurs.

 

  C'est là le seul objet de la Loi. La Loi sur les Accidents du Travail et les Maladies Professionnelles et ses règlements, et ceci est encore plus vrai depuis l'entrée en vigueur de la nouvelle loi, est volumineuse et complexe.  Les agents chargés de l'appliquer sont entrainés et possèdent une vaste expérience en matière de réparation, d'assistance médicale, d'évaluation médicale et de réadaptation de travailleurs accidentés du travail.  Mais là s'arrête leur expertise et leur champ d'activité.

 

  Avec égards, j'estime que cet énoncé contient une erreur initiale.

 

 L'intimée y limite le rôle de la Commission d'une façon qui ne tient pas compte du texte lui-même qui précise sa juridiction. En effet, par l'opération de l'article 63.4 précité, son délégué est habilité à décider: a) du droit à l'indemnité; b) du quantum de l'indemnité; c) du taux de diminution de la capacité de travail.   S'il  a juridiction pour décider du droit à l'indemnité, il lui faut de toute évidence se demander si les faits et les circonstances qui lui sont soumis constituent un "accident" et si cet accident en est un "de travail".

 

 Ce n'est qu'après avoir fait ce premier exercice qu'il pourra passer à la seconde étape, celle qui a trait au quantum de l'indemnité qu'il y a lieu d'accorder.

 

 Dans cette première recherche et pour accomplir adéquatement sa tâche, il ne peut se soustraire à l'obligation et on ne peut lui refuser le droit de prendre connaissance de la définition que le législateur a donnée de l'expression "accident". S'il constate une conformité entre les faits et les circonstances et cette définition, il déclare qu'il y a accident de travail.

 

 Je ne vois donc vraiment pas qu'on puisse refuser à ce délégué et par le fait même à la Commission l'autorité d'interpréter le sens et la portée de l'article qui définit ce qu'est un accident pour les fins d'application de la loi. Cet exercice fait partie inhérente du travail qu'il est chargé d'accomplir et de mener à bonne fin, comme le lui commande l'article 63.8:

 

  La commission rend ses décisions suivant l'équité, d'après le mérite réel et la justice du cas, et elle n'est pas tenue de suivre les règles ordinaires de la preuve en matière civile; elle peut, par tous les moyens légaux qu'elle juge  les meilleurs, s'enquérir des matières qui lui sont attribuées. Ses décisions doivent être motivées.

 

 De part et d'autre on nous a cité un grand nombre de jugements de la Cour supérieure et d'arrêts, tant de notre Cour que de la Cour suprême du Canada qui portent sur la question de savoir ce qui, dans la tâche d'un organisme administratif, est attributif de juridiction, donc condition de son exercice et préalable à celui-ci, par opposition à ce qui constitue sa compétence proprement dite. Rappelons que dans le premier cas une simple erreur suffit à vicier la décision et la Cour supérieure doit intervenir; dans le second cas la clause privative ici l'article 63.1 , deuxième alinéa LAT oblige cette même Cour à s'abstenir de toute intervention à moins qu'on ne lui démontre que la décision de l'instance administrative est "déraisonnable" au sens que la jurisprudence a donné à cette qualification.

 

 Quel qu'ait été l'état de la jurisprudence antérieure, j'estime que l'arrêt de la Cour suprême rendu dans Syndicat canadien de la Fonction publique c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick (1979) 2 R.C.S. 227 a, une première fois, reconnu la compétence inhérente des tribunaux administratifs à  interpréter  les dispositions de la Loi sous l'autorité de laquelle ils sont appelés à étudier les faits qui leur sont soumis et, sauf interprétation déraisonnable, a soustrait leur décision sur cette question au contrôle judiciaire. Dans cet arrêt, le juge Dickson écrit (page 237):

 

  La Commission a-t-elle interprété erronément les dispositions législatives de façon à entreprendre une enquête ou à répondre à une question dont elle n'était pas saisie ? Autrement dit, l'interprétation de la Commission est-elle déraisonnable au point de ne pouvoir rationnellement s'appuyer sur la législation pertinente et d'exiger une intervention judiciaire ?

 

 Je ne vois vraiment pas comment on peut qualifier ainsi l'interprétation  de la Commission.  L'ambiguité de l'al. 102(3)(a) est reconnu et incontestable. Il n'y a pas une interprétation unique dont on puisse dire qu'elle soit "la bonne".

 

 Dans les années qui ont suivi cette décision, un certain flottement s'est manifesté quant à la distinction qu'il y avait lieu de faire entre question attributive de compétence et compétence proprement dite.  Un autre arrêt de la Cour suprême est cependant venu rappeler que l'interprétation des textes de loi était du ressort même des tribunaux spécialisés. Dans Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. C.C.R.T. (1984) 2 R.C.S. 412 - litige où il s'agissait de déterminer si l'arrêt de travail constituait une grève et si celle-ci était légale, le juge Beetz se prononce comme suit (page 419):

 

 Elles (les clauses privatives) n'habilitent pas la cour chargée de la révision à rendre la décision qu'un tribunal administratif comme le Conseil aurait dû rendre quoiqu'elles lui permettent d'indiquer en certains cas les actes qu'il aurait dû accomplir et de lui retourner l'affaire pour qu'il y soit donné suite. Elles n'habilitent même pas la cour à casser la décision d'un tribunal administratif à cause d'une simple erreur de droit. Si le  Conseil  commet  une telle erreur, sa décision reste intangible.

 

 La simple erreur de droit est l'erreur commise de bonne foi par un tribunal administratif dans l'interprétation ou l'application d'une disposition de sa loi constitutive, d'une autre loi, d'une convention ou d'un autre document qu'il est chargé d'interpréter et d'appliquer dans les cadres de sa compétence.

 

 La simple erreur de droit se distingue de celle qui résulte d'une  interprétation  manifestement  déraisonnable  d'une disposition qu'un tribunal administratif est chargé d'appliquer dans les cadres de sa compétence.

 

 (PAGE 423):

 

 J'ajouterai que tant la question de l'existence d'une grève que celle de sa légalité appartiennent à ce genre de questions qui relèvent de l'expertise particulière du Conseil et qu'il n'y a aucune raison théorique ou pratique bien au contraire de les scinder en les plaçant sur des plans différents. Pour répondre à ces  questions,  le Conseil doit s'enquérir des faits et interpréter la définition statutaire de la grève que l'on trouve au paragraphe 107(1) du Code.

 

 On se rappellera également que dans Blanchard c. Control Data Ltd.  (1984) 2 R.C.S. 477 - l'arbitre avait à décider si le congédiement avait été fait pour cause juste et suffisante. Cette  adjudication  nécessitait  une  interprétation  des qualificatifs "juste et suffisante" dont la mention apparaissait à l'article 128 du Code du travail. Sur le rôle de cet arbitre le juge Beetz écrit (page 495):

 

  Donc l'arbitre en l'espèce n'a excédé sa juridiction que si la sentence qu'il a rendue est déraisonnable compte tenu de l'article 128 et de la preuve ou des deux. Dans ce contexte, l'arbitre est susceptible d'avoir erré sur quatre questions différentes:

 

  1. il a interprété de façon déraisonnable les mots "congédié sans cause juste et suffisante";

 

 ... Or, il n'y a pas, devant cette Cour, d'argument sérieux à l'effet que l'arbitre a interprété de façon déraisonnable l'art. 128.

 

  Je suis bien conscient, et de part et d'autre on nous l'a rappelé, que notre Cour a interprété, dans certains de ses arrêts, les jugements précités de la plus haute cour du pays d'une façon qui, au moins à priori, justifie la prise de position du premier juge et de l'intimée en cette cause. J'estime cependant que, la Cour suprême a clarifié l'ambiguité qui pouvait exister, dans l'arrêt U.E.S. Local 298 c. Bibeault (1988) 2 R.C.S. 1048 . Je laisse la parole au juge Beetz qui, selon son expression, décide de "cerner de nouveau la question":

 

 (page 1088):

 

  ... En restreignant la notion de la condition préalable et en introduisant la doctrine de l'interprétation  manifestement déraisonnable, cette Cour signale l'évolution d'une nouvelle façon de cerner les questions d'ordre juridictionnel.

 

 L'analyse formaliste de la doctrine de la condition préalable cède le pas à une analyse pragmatique et fonctionnelle, associée jusqu'ici à la notion d'erreur manifestement déraisonnable. A première vue, il peut paraître que l'analyse fonctionnelle appliquée jusqu'ici aux cas d'erreur manifestement déraisonnable ne convienne pas aux cas où l'on allègue une erreur au sujet d'une disposition législative qui circonscrit la compétence d'un tribunal. La différence entre ces deux espèces d'erreur est évidente: seule une erreur manifestement déraisonnable entraîne un excès de compétence quand la question en cause relève de la compétence du tribunal tandis que, quand il s'agit d'une disposition  législative  qui circonscrit la compétence du tribunal, une simple erreur entraîne une perte de compétence. Il n'en reste pas moins que la première étape de l'analyse nécessaire à la notion de l'erreur "manifestement déraisonnable" consiste à déterminer la compétence du tribunal administratif. A cette étape, la Cour examine non seulement le libellé de la disposition législative qui confère la compétence au tribunal administratif, mais également l'objet de la loi qui crée le tribunal, la raison d'être de ce  tribunal,  le  domaine d'expertise de ses membres, et la nature du problème soumis au tribunal. L'analyse pragmatique ou fonctionnelle, à  cette première étape, convient tout aussi bien pour le cas où l'on allègue une erreur dans l'interprétation d'une disposition qui circonscrit la compétence du tribunal administratif: dans le cas ou l'on allègue une erreur manifestement déraisonnable sur une question qui relève de la compétence du tribunal comme dans le cas où l'on allègue une simple erreur sur une disposition qui circonscrit cette compétence, la première étape consiste à déterminer la compétence du tribunal.

 

  Cette évolution me paraît comporter trois avantages.  En premier lieu, elle fait porter l'enquête de la Cour directement sur l'intention du législateur plutôt que sur l'interprétation d'une disposition législative isolée.  La détermination de l'intention du législateur est particulièrement souhaitable quand la Cour est appelée à intervenir dans les décisions des tribunaux administratifs tels que le commissaire du travail ou le Tribunal du travail.

 

 (Page 1089):

 

 Deuxièmement, l'analyse pragmatique ou fonctionnelle convient mieux au concept de compétence et aux conséquences qui découlent d'un octroi de pouvoir.

 

 (Pge 1090):

 

  La troisième et peut-être la plus importante des raisons pour lesquelles l'analyse pragmatique ou fonctionnelle me paraît avantageuse est qu'elle met de nouveau l'accent sur le rôle de contrôle et de surveillance joué par les cours supérieures.

 

 Par la suite, la Cour suprême s'est de nouveau prononcée sur le même sujet dans deux arrêts.

 

 Dans Bell Canada c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (1989) 1 R.C.S. 1722 - sous la plume du juge Gonthier, on peut lire le commentaire suivant (page 1746):

 

 ... dans le contexte d'un appel prévu par la loi d'une décision d'un tribunal administratif, il faut de plus tenir compte du principe de la spécialisation des fonctions.  Bien qu'un tribunal d'appel puisse être en désaccord avec le tribunal d'instance inférieure sur des questions qui relèvent du pouvoir d'appel prévu par la loi, les tribunaux devraient faire preuve de retenue envers l'opinion du tribunal d'instance inférieure sur des questions qui relèvent parfaitement de son champ d'expertise.

 

 Le juge Gonthier cite ensuite en l'approuvant ce passage de l'opinion  du  juge Urie dans Canadien Pacificue Ltée c. Commission canadienne des transports (1987) 79 N.R. 13, (page 16):

 

 Pour ce qui est du premier motif d'appel, je suis d'avis gue le C.T.C.F. a correctement interprété les deux articles du tarif, et puisque son opinion a été confirmée par le comité de révision, ce comité n'a pas commis une erreur d'interprétation. Cela ne servirait à aucune fin utile que je répète les motifs pour lesquels le C.T.C.F.  a interprété les articles comme il l'a fait, et en toute déférence, je les fais miens. Cette Cour ne  devrait  pas modifier l'interprétation donnée par des organismes ayant l'expertise du C.T.C.P. et du comité de révision dans un domaine ressortissant à leur compétence, à moins que cette interprétation soit déraisonnable ou clairement erronée, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

 

  Enfin, dans American Farm Bureau Federation c. Canadian Import Tribunal et al. - 8 novembre 1990, non encore rapporté - où le débat portait sur l'interprétation et l'application d'un article de la Loi sur les mesures spéciales d'importation; S.C. 1984 ch. 25 ("LMSI"), le juge Gonthier revient à la charge sur le sujet de la retenue judiciaire en semblable matière. Il situe d'abord le problème et réitère la règle 20):

 

  Comme nous l'avons vu, en Cour d'appel fédérale, l'affaire a été débattue et tranchée en fonction de la question de savoir si le Tribunal canadien des importations avait bien interprété la LMSI.

 

 Devant notre Cour, toutefois, les intervenantes ont soulevé une question tout à fait différente, à savoir si la décision du Tribunal est manifestement déraisonnable au point de justifier l'intervention de la Cour conformément à l'art. 28 de la Loi sur la Cour fédérale.

 

  Comme le démontrent plus loin les présents motifs, cette question me semble être celle qu'il convient d'examiner.  La jurisprudence établit clairement que la Cour ne doit pas toucher à  la  décision  d'un  tribunal  spécialisé  à moins que l'interprétation qu'il  a  donnée  ne  soit  manifestement déraisonnable. Nous sommes donc appelés à décider:

 

  1) s'il était manifestement déraisonnable pour le Tribunal de tenir compte des termes du GATT en interprétant l'art. 42 de la LMSI;

 

 ...

 

  Je conclus donc que, dans l'affaire en titre, la détermination de ce  qui  constitue  un  accident  et  par  conséquent l'interprétation qu'il y a lieu de faire quant au sens et à la portée de la définition du mot "accident" font partie intégrante de l'expertise de l'organisme administratif et relève de sa compétence et que, même si cette interprétation s'avère erronée, elle n'est pas sujette au contrôle judiciaire à moins qu'elle ne soit jugée déraisonnable.

 

 3. LA DECISION EST-ELLE DERAISONNABLE ?

 

  Avec égards pour l'opinion contraire du premier juge, j'estime que la décision de la Commission et, en particulier son interprétation  de l'article 2.1 L.A.T., sont loin d'être déraisonnables.

 

 Citons d'abord cet article:

 

 Accident: Un événement imprévu et soudain, attribuable à toute cause qui survient à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail, et qui entraîne pour elle une blessure, une maladie ou le décès.

 

 Pour rendre sa décision la Commission avait à répondre aux questions suivantes:

 

  1. Qu'est-ce qu'un événement imprévu et soudain et un tel événement s'est-il produit ?

 

 2. Cet événement est-il survenu à l'occasion du travail et quelle est la portée qu'il faut donner à cette expression ?

 

  3. Cet événement est attribuable à une cause survenue en cette occasion et que faut-il entendre par "cause" ?

 

 4. Cet événement a-t-il entraîné le décès d'Angelo Antenucci ?

 

 Avant d'aborder la discussion de chacune de ces questions, il n'est pas inutile de rappeler que la Loi des accidents du travail, qui forcément fait tandem avec la Loi sur la santé et la sécurité du travail, a été conçue pour prévoir et remédier à certaines situations où la personne victime d'un accident ne pouvait obtenir de compensation parce que, soumise au régime de l'article 1053 C.C., elle n'était pas en mesure de prouver la faute de son employeur ou de son commettant. Essentiellement elle constitue une législation qui assure ses bénéficiaires contre les risques professionnels auxquels ils sont exposés par le fait ou à l'occasion de leur travail. Comme le souligne Jean-Louis Baudouin dans son ouvrage La responsabilité civile délictuelle 3ième éd. page 457:

 

  Pour trouver une solution satisfaisante au problème, le législateur devait nécessairement sortir de l'impasse créée par l'application de la notion de faute civile. Il y substitua la notion de risque professionnel. Cette notion repose sur l'idée que l'ouvrier et son employeur exploitent tous deux, chacun à sa manière, une situation dans laquelle le risque est partie intégrante du mécanisme de production et donc qu'ils doivent en assumer ensemble le coût...

 

  Le  fondement  juridique  du  système  reste le risque professionnel... On retrouve, dans un sens large, les trois éléments propres à l'assurance, soit le risque, l'événement incertain et dommageable et la prime servant à le couvrir.

 

  Le caractère éminemment social de cette loi et le but remédiateur qu'elle vise rendent impératifs qu'on lui applique, dans ses plus généreuses dimensions le principe de l'article 41 de la Loi d'interprétation:

 

  Une telle loi reçoit une interprétation large, libérale, qui assure l'accomplissement de son objet et l'exécution de ses prescriptions suivant leurs véritables sens, esprit et fin.

 

  Je crois devoir ajouter qu'en semblable matière, il peut être contre-indiqué de se référer d'une façon trop servile aux dictionnaires d'usage courant, voire même à ceux qui se disent spécialisés, pour tenter de découvrir le sens de certains mots qui requièrent interprétation.  Au départ c'est l'intention du législateur qu'il faut rechercher lorsqu'il s'agit de  se demander pourquoi il a choisi tel mot plutôt que tel autre, quelle situation il a voulu couvrir et, partant, quelle portée il a entendu donner aux expressions dont il s'est servi. C'est dans le contexte spécifique d'une réalité factuelle qu'un texte de loi est présumé avoir été conçu et c'est dans le même esprit qu'il doit être appliqué.

 

 Première question: l'événement imprévu et soudain

 

 Dans son sens le plus large, un événement est un fait qui arrive,  une  situation,  précise  dans le temps, qui se matérialise, par comparaison avec une circonstance qui est une particularité accompagnant ce fait, cet événement ou cette situation.

 

 Dans le cas en litige, j'estime que l'événement a été le choc coronarien, la circonstance, agissant ici comme cause, a été la condition de lieu et de temps dans laquelle il s'est produit et la  résultante  de  cet événement, ainsi accompagné d'une circonstance particulière et constituant une cause, a été le décès d'Angelo Antenucci.

 

  Si je comprends bien la théorie qu'énonce l'intimée dans son mémoire, le mot "événement" dans la Loi des accidents du travail devrait, selon elle, s'entendre uniquement d'un fait qui, pour se  produire, requiert une participation active, un geste physique ou une activité personnelle de la part de celui à qui il arrive.  Si tel est le cas, sa proposition est évidemment logique, lorsqu'il raisonne que, vu l'existence d'une maladie personnelle chez l'employé - un ulcère chronique qui s'est perforé - et l'insuffisance coronarienne qui l'accompagnait, le choc coronarien n'a pas constitué un événement mais n'a été que l'aboutissement normal d'un mauvais état de santé préexistant (m.i. page 71).

 

  D'abondant, l'intimée plaide que même si on considère que le choc coronarien a été "l'événement", et même s'il s'est produit subitement, on ne peut dire qu'il a été "imprévu" au sens qu'il faut donner à ce qualificatif, puisque justement il n'était que l'aboutissement naturel et normal d'une maladie qui n'avait rien à voir avec le travail qu'il accomplissait au service de l'intimée.

 

 Avec égards, je ne puis accepter ce raisonnement. A mon avis, il ne tient pas compte de la notion élargie qu'il faut attribuer au mot "événement" et il écarte indûment du tableau un nombre de situations qui sont susceptibles de se produire et qui ne présentent pas une relation directe avec un acte ou un geste de celui à qui il arrive.

 

  Dans sa décision, sous la plume du réviseur de la CSST, Pierre Théroux, on trouve le texte suivant dans lequel il explique pourquoi, selon lui, il y a eu "événement", et pourquoi cet événement peut être qualifié d'"imprévu" et de "soudain":

 

 CONSIDERANT que le choc aboutissant à la mort du travailleur et résultant du mécanisme de brusque réduction du retour du sang veineux au coeur et secondairement parmi d'autres lésions contributives de décès, du mécanisme de fonctionnement cardiaque défectueux, constitue un événement imprévu et soudain, ayant entraîné le décès et à cause duquel l'épouse au nom des sur vivants a présenté une demande de prestations;

 

 CONSIDERANT que le choc est un événement imprévu et soudain en ce que:

 

  - il n'est pas et ne résulte pas d'un acte volontaire et intentionnel du travailleur,

 

 - des symptômes ne sont pas apparus de façon progressive ou insidieuse et d'ailleurs, selon la preuve au dossier, aucun symptôme ni prédisposition du travailleur n'a été discerné ni appréhendé par le personnel médical, d'où la confirmation du caractère soudain du choc coronarien,

 

 Pour en arriver aux conclusions précitées, le réviseur Théroux avait à sa dispositif le rapport du docteur Yves G. Dumont qui, lui-même, avait tenu compte pour le préparer, de divers autres rapports médicaux se rapportant à l'état de santé de Antenucci, y compris et en particulier le protocole d'autopsie et le rapport d'examen post-mortem du Dr. D.P. Hill.

 

  Dans son rapport, le docteur Dumont explique: 1) que ce n'est pas l'état de santé général, précaire sans doute mais non terminal, d'Antenucci qui a engendré son décès; 2) que même la perforation d'un ulcère duodénal compliquée d'une péritonite non plus que l'état chronique d'insuffisance coronarienne ne peuvent constituer en eux-mêmes les causes de ce décès; 3) que la véritable cause est le choc coronarien, qui ne se produit pas en général dans ce genre d'état de santé ou d'incidence d'ulcère ou de péritonite à moins qu'un facteur extérieur à ces maladies - ici l'absence de soins en temps utile - ne viennent créer un état de choses irréversibles. Ci-après l'extrait pertinent de son rapport:

 

 ... Comme l'indique clairement le rapport d'autopsie du Dr Hill, Antenucci est décédé d'un état de choc consécutif à une péritonite chimique causée par la perforation d'un ulcère duodénal,  possiblement accompagné d'éléments d'insuffisance coronarienne.  Soulignons immédiatement que  l'insuffisance coronarienne  constitue  ici  l'observation d'une condition accessoire fréquemment constatée lors d'autopsies de personnes du sexe masculin de plus de 40 ans.  M.  Antenucci n'avait jamais manifesté de signes cliniques d'insuffisance coronarienne ou du moins n'en avait pas fait mention auprès des médecins l'ayant examiné depuis 1978.  Une très forte proportion de la population est porteuse d'athérosclérose, sans en éprouver la moindre manifestation et ceci, à compter du début de l'âge adulte.

 

  Ces symptômes, accompagnés d'une histoire d'ulcère peptique, suffisent habituellement à la formulation d'un diagnostic de probabilité  devant être confirmé par une radiographie de l'abdomen démontrant de l'air sous les coupoles diaphagmatiques. Occasionnellement, comme cela est le cas pour M. Antenucci, la perforation est la première manifestation d'un ulcère peptique.

 

 D'importance capitale, notons aussi la présence habituelle dans les heures qui suivent l'apparition des symptômes, d'un choc hypovolémique. Même si la pression sanguine peut être normale au début, il se produit habituellement une vasoconstruction périphérique avec accélération du pouls et diminution du débit urinaire.  Le péritoine pariétal et céreux exposé au contenu acide de l'estomac subit une brûlure thermique. Il s'ensuit une baisse du volume plasmatique, une hausse de l'hématocrite et si l'état de choc n'est pas corrigé rapidement, une baisse du débit cardiaque de même que du débit urinaire. Selon Schwartz (1), la seule façon sécuritaire de traiter une perforation d'ulcère duodénal est d'en assurer rapidement l'occlusion chirurgicale. Schwartz maintient que les patients sont rarement dans un état tel  qu'ils  sont  incapables  de supporter le traitement chirurgical et que dans ces derniers cas, l'agression n'est pas liée au traitement chirurgical, mais bien à la présence de liquide irritant dans la cavité péritonéale.  Comme soins préopératoires, et dans le but de contrer un choc hypovolémique, les mesures suivantes sont habituellement prescrites:

 

  - maintien d'un volume sanguin adéquat par l'administration d'une perfusion intraveineuse;

 

  - installation d'une succion naso-gastrique dans le  but d'éviter l'extra vasation de liquide gastrique dans l'abdomen;

 

  - installation d'une sonde vésicale, dans le but de contrôler le débit urinaire;

 

 - administration d'antibiotique.

 

 Suite à l'installation de ces mesures palliative, le traitement d'urgence consiste habituellement en la correction chirurgicale de la perforation.

 

  Le pronostic dépend de plusieurs facteurs. Notons entre autres l'importance quantitative et la durée du liquide gastrique dans la cavité abdominale, Schwartz souligne que le taux de mortalité augmente de façon significative après les premiers douze heures. L'âge du patient est également un facteur important de même que son état de santé général. Le taux de mortalité global suite à une perforation d'ulcère duodénal est d'environ 5 %.

 

  (1) SCHWARTZ, S.I. "Principles of Surgery". McGraw-Hill Book Company, 1969, p. 921.

 

 Quant au caractère subit et imprévu de l'événement - le choc coronarien - il suffit pour s'en convaincre de lire le rapport de l'infirmière Cylethia Lee qui a pris charge du défunt à compter de sa visite au navire où il se trouvait et en particulier de l'extrait suivant:

 

 10/11/84 0010 He opened his eyes when I entered the room, he said the light was disturbing him and he would like it out, before I switched off the light my relief came in and shook his hand and told him he would visit him tomorrow, the client thanked him, I then told him that I would not disturb him if he was sleeping.

 

  0115 I went to pantry and asked 2nd steward for a tin of gingerale for client when he wakes up. I went back to the sick bay and he was still asleep.  I returned to pantry to have coffee, QM passed me while I was sitting having a cup of coffee.

 

 0215 I returned to sick bay to see if he was awake I called his name and he opened his eyes. I asked him (how) he felt and he said "fine" I told him I wanted to take his V.S. and he said OK, T-37 orally, Pulse 76 regular R-20, B/P 120/70. As soon I was finished he doozed off.

 

  0245 I went to my cabin to have a shower and changed out of my uniform.

 

 0325 There was a knock on my cabin door. QM informed me that the client did not look very well, I went directly to sick bay and client was lying across the bed head on his pillows and there was some vomiting in the pillow and some on the bed, brown in colour approx 20cc. We turned him then ask QM to see if the master was up. I stayed with client I felt for his pulse. I felt just a feeble tick once, with the flash light I look at his pupil and there was no reaction to light. With the aid of the stethoscope I listened to his apical beat and there was none approx time 0330hrs. The client was in my opinion dead.

 

 De tout cela, je conclus que le réviseur Théroux a correctement interprété le sens et la portée de l'expression "événement subit et imprévu" qui constitue un élément de la définition de l'"accident" de l'article 2.1 L.A.T. et qu'il les a non moins correctement appliqués au cas en litige.

 

  Deuxième question:  la survenance de l'événement à l'occasion du travail

 

 Le choc coronarien s'est produit sur le navire de la garde cotière à bord duquel Antenucci avait été transporté après s'être senti malade sur le navire où il remplissait ses fonctions d'électricien.  Il est reconnu que le navire de la garde cotière est la propriété du gouvernement fédéral, qu'il ne constitue pas un lieu de travail pour un employé de C.S.L. et que la seule raison pour laquelle feu Antenucci y a séjourné découlait de la possibilité d'y recevoir  certains  soins d'urgence.

 

  La question qui se pose est de savoir si le choc coronarien s'est produit à l'occasion de son travail.

 

 Dans son rapport, le réviseur Théroux fait appel un document préparé et publié le 20 octobre 1982 par la CSST et intitulé "Manuel des politiques de la réparation, Section 2.2. Politiques relatives à l'admissibilité en réparation.  Notion d'"accident par le fait ou à l'occasion du travail"". Dans ce document on trouve l'énoncé suivant: (page 2):

 

 Un accident ne peut être qualifié d'accident de travail que s'il est survenu par le fait ou à l'occasion du travail et entraîne pour le travailleur une blessure, une maladie ou le décès. Cette relation de cause à effet est partie intégrante de la notion "d'accident de travail"...

 

 (page 7):

 

  La notion d'accident "à l'occasion du travail" est beaucoup plus large et complexe que celle "par le fait du travail".

 

 Le fait accidentel survenu "à l'occasion du travail" est celui qui, sans avoir pour cause directe le travail de la victime a été déterminé par un acte connexe au travail et plus ou moins utile à son accomplissement. Il faut se rappeler que l'activité de travail se définit comme étant toute activité qui a lieu dans l'intérêt de l'employeur ou dans le cadre de l'exploitation de l'entreprise...

 

 (Page 10):

 

  Les circonstances de lieux, de personnes, de temps, de choses entourant le travail sont des composantes de celles-ci et l'autorité de l'employeur s'étend à toutes les circonstances. Ce sont autant de facteurs pouvant aider à déterminer s'il y a accident "à l'occasion du travail" ou non. C'est pour protéger le travailleur contre ces risques supplémentaires occasionnés par le travail que le législateur a ajouté l'expression "à l'occasion du travail" dans la définition "d'accident  du travail".

 

  Le contenu de ce "Manuel des politiques" de la CSST n'a évidemment pas force de loi. Il ne constitue qu'un énoncé des opinions de cet organisme. J'estime cependant que de telles opinions ne doivent pas être écartées du revers de la main sous ce seul prétexte. L'expertise dont est nantie cette Commission par la connaissance qu'elle a des nombreuses et diverses situations factuelles qui peuvent se présenter son examen, la mettent à même de suggérer, sinon de proposer à l'attention de ceux qui sont sujets à la LAT la façon dont cette loi devrait être comprise et appliquée.

 

 L'interprétation précitée me paraît d'ailleurs conforme à la doctrine et à la jurisprudence courante.

 

 Jean-Louis Baudouin écrit à ce sujet (op cit. no. 1001):

 

  La terminologie utilisée par le texte de loi actuel est beaucoup plus large que celle employée par l'article 1054 C.C. à propos de la relation préposé-commettant.  Ce  n'est  pas tellement, en effet, l'état de subordination directe à employeur qui semble être le facteur déterminant, mais plutôt le fait que les nécessités immédiates du travail ont exposé l'ouvrier au dommage qu'il a subi.  Les tribunaux accordent une importance relative à l'écoulement du temps fixé à  l'ouvrier  pour l'exécution de sa prestation de travail, de même qu'à sa présence physique au lieu d'exercice normal de celui-ci.  Ils s'attachent plus en revanche à la découverte d'un lien factuel entre l'activité exercée ou le  risque  professionnel  et l'accident.

 

  Dans le Guide du Gestionnaire des accidents du travail et des maladies professionnelles - sous la direction de P.L. Baribeau, on trouve l'énoncé suivant (page 5):

 

  ...la jurisprudence est à l'effet qu'un accident survenu à l'occasion du travail est un accident survenu lors d'une activité qui a lieu dans l'intérêt de l'employeur ou dans le cadre de l'exploitation de l'entreprise; il faut un lien direct ou  incident  et le contrôle de, ou la subordination à, l'employeur.

 

 Du côté de la jurisprudence, on ne nous a cité et je n'ai moi-même trouvé aucun arrêt qui ait traité du cas spécifique qui nous est ici soumis. Le sens et la portée de l'expression "à l'occasion du travail" ont cependnat donné lieu à un énoncé de principe dans Workman's Compensation Board c. C.P.R. and Noell - (1952) R.C.S. vol. 2, p. 357 - Je cite le juge Rand:

 

 (page 369):

 

  It is obvious that the basic purpose of the statute was to protect employees against the risks to which by reason of their employment, in the sense of their job, they were exposed; injury so resulting was recognized as part of the wear, tear and breakage of the work being done which the business, as part of its expense, ought to bear. The legislation was instigated by the impact of the casualty product of modern industry on the individual employee. The solution, then, must, basically, have regard to those risks.

 

 The employee has, of course, his own field of activity which at some point meets that of his employment; and it is now settled that the risks extend not only to those met while he is actually in the performance of the work of the employer, but also while he is entering upon that work and departing from it.

 

 (page 371):

 

  In other words, to bring the act within the statute, the employer must be where she is either in carrying out a duty or under the coercion of the contract or in an exercise of conduct that is intimately involved, as an incident, with action in those two spheres.

 

  Ces règles ont été reprises et appliqués par notre Cour dans Giguère c. Couture (1970) C.A. 212 . Dans cet arrêt, le juge Rivard fait en outre sien le commentaire du juge en chef Sir Horace Archambault dans Baie St. Paul Lumber Co. c. Tremblay (1916) 25 B.R. 1 - où il écrit (page 9):

 

 Cette obligation (de l'employeur) naît à l'endroit et au moment où commence l'autorité du patron et cesse là où cette autorité prend fin.

 

 Nous sommes ici devant la situation suivante:  feu Angelo Antenucci est appelé à remplir sa fonction d'électricien sur un navire qui vogue dans l'océan Arctique, donc dans une région vraisemblablement dépourvue des facilités médicales autres que celles accessibles pour soins d'extrême urgence, lesquelles sont forcément primaires. En cas de maladie, il incombe à l'employeur de lui procurer l'aide professionnelle requise par son état. Ce devoir est inscrit aux articles 9 et 10 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail:

 

 Art. 9: Le travailleur a droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et son intégrité physique.

 

 Art. 10: Le travailleur a notamment le droit conformément à la loi et aux règlements:

 

  2o de bénéficier des services de santé préventifs et curatifs en fonction des risques auxquels il peut être exposé...

 

 Je cite également à ce sujet les parties pertinentes de l'article 283 de la Loi concernant la marine marchande S.R.C. ch. 5-9:

 

 art. 283(1):

 

  Lorsque le capitaine d'un navire canadien ou un  marin appartenant à un navire canadien subit des contusions ou des blessures au service du navire, ou qu'il est atteint d'une maladie qui n'est pas attribuable à une action ou une omission volontaire de sa part, ni à sa mauvaise conduite, les dépenses faites pour lui procurer les soins chirurgicaux et médicaux et les médicaments nécessaires, de  même  que  les  dépenses d'entretien dudit capitaine ou marin jusqu'à sa guérison, son décès ou son renvoi à un port convenable de retour, et celles de son transport jusqu'à ce port et, en cas de décès, les frais funéraires,  s'il  en est, doivent être acquittés par le propriétaire du navire sans aucune retenue à cet égard sur ses gages.

 

 art. 283 (3):

 

  Le coût de tous les médicaments et de tous soins chirurgicaux et médicaux, donnés à un capitaine ou à un marin pendant qu'il est à bord de son navire, doit être acquitté de la même manière.

 

 En l'occurrence, l'aide médicale ne pouvait être fournie que si le malade était transporté à en endroit autre que celui où il travaillait.  On peut donc sans risque d'erreur dire que le navire de la garde cotière où Antenucci a été hospitalisé constituait une extension du navire M/V "Arctic", lieu de travail, et qu'il s'y trouvait au même titre qu'un employé d'usine qui, malade ou accidenté, va à la clinique d'urgence aménagée à l'intérieur de cette usine.

 

  Il est également vrai de dire que, durant son séjour sur le "Sir John A. McDonald", son lien d'emploi n'était pas rompu en ce sens qu'il continuait à être au service de son employeur, ce service n'étant interrompu que le temps requis pour recevoir les soins utiles à sa reprise et continuation du travail.

 

 Enfin, son séjour sur le second navire a fait suite à une décision administrative de son employeur de l'y transporter et les soins qu'il y a reçus lui ont été procurés par des personnes qui ont reçu mandat de cet employeur pour le faire.

 

 Je n'ai donc pas d'hésitation à conclure que l'accident est survenu "à l'occasion du travail" selon le sens et la portée qu'il faut donner à cette expression.

 

 Troisième question: la cause de l'événement

 

  La cause immédate du décès est la survenance du  choc coronarien. Ce n'est pas de cette "cause" qu'il s'agit ici.

 

  En matière d'accident au sens de la LAT, la cause de l'événement imprévu et soudain doit s'entendre du ou des faits qui ont été à l'origine de la matérialisation du risque relié à la tâche de l'employé.  Ce risque découle normalement des circonstances de temps et de lieu dans lesquels l'ouvrage est appelé à s'exécuter.  On ne peut donc dissocier "cause" de "risque" et c'est forcément l'existence de celui-ci qui donne ouverture à celle-là.

 

 C'est dans ce contexte et conformément à cette interprétation de l'élément "cause" qu'à juste titre, le réviseur Théroux écrit:

 

 CONSIDERANT que le choc est attribuable à "toute cause" au sens large et illimité prévu dans la Loi, mais que la prépondérance d'indications de nature médicale et d'autopsie au dossier, permet d'admettre comme valable la prétention que le choc coronarien a principalement été causé par un ensemble de conditions particulières à la nature du travail et au genre d'endroit de travail, soit le manque ou l'insuffisance de soins d'urgence, de diagnostic, de radiographie, de soins palliatifs et pré-opératoires, et d'opération chirurgicale dans un court laps de temps après la perforation de l'ulcère peptique dans la cavité abdominale du travailleur;

 

  La relation de cause à effet entre, d'une part, les conditions de travail particulières et les risques qu'elles comportent pour la santé de l'employé et, d'autre part, le choc coronarien qui est à l'origine de son décès est clairement établie dans le rapport du docteur Dumont.

 

 On se rappellera que, lorsgue l'infirmière a été contactée en premier lieu par l'officier en chef du M/V "Arctic", et qu'elle a communiqué avec Hew-York pour signaler les symptômes du malaises dont Ahtenucci se plaignait, on a diagnostiqué de banales coliques alors que, selon toute probabilité,  une péritonite s'était déjà produite.

 

 Je cite le rapport Dumont (page 13 de ce rapport):

 

  Il est probable gue si M. Antenucci avait pu bénéficier de soins médicaux dans les meilleurs délais suivant l'apparition de ses symptômes, un diagnostic de probabilité même élémentaire aurait indiqué la présence d'une péritonite, condition grave nécessitant des mesures d'urgence immédiates.

 

 Sans porter de jugement sur l'opportunité des soins reçus par M.  Antenucci durant les quelque 18 heures qui ont précédé son décès, c'est-à-dire entre 8h45 le 9 novembre 1984 alors qu'il déclarait ses malaises abdominaux, et 3h45 le 10 novembre 1984, alors que son décès était constaté, je suis d'avis que le décès de M. Antenucci aurait été probablement évité s'il avait pu bénéficier  de  soins  médicaux  normalement accessibles à l'ensemble   des   citoyens,   c'est-à-dire    d'une investigation-diagnostique  appropriée  et  d'un  transfert d'urgence vers un centre hospitalier. Ces soins n'ont pas été disponibles vraisemblablement à cause des circonstances de lieu (navire en haute mer), de personnes (absence de personnel médical) et de temps (intervention chirurgicale durant les premières 12 heures) entourant le travail de M. Antenucci.

 

 J'estime donc que cet élément essentiel de la définition de l'accident, a été ici établi.

 

 LE DECES, CONSEQUENCE DE L'"EVENEMENT"

 

 Il est acquis que le choc coronarien a été à l'origine du décès et qu'il s'agit d'une des éventualités prévues à l'article 2.1 a) LAT qui donne ouverture à la réclamation des appelants ayant cause du défunt.

 

 Pour ces motifs, j'accueillerais les deux appels, avec dépens dans la cause no. 500-09-000317-867 mais sans frais dans la cause no.   500-09-000387-860; je casserais  le  jugement entrepris; et rendant le jugement qui aurait dû être prononcé, je rejetterais la requête en évocation avec dépens. J.C.A.

 

 OPINION DU JUGE LeBEL

 

 J'ai eu l'avantage de prendre connaissance de l'opinion de mon collègue, monsieur le juge Chevalier. D'accord avec son analyse de l'affaire, les motifs qu'il retient et les conclusions qu'il propose, je me contenterai d'ajouter quelques commentaires sur deux problèmes:  l'existence d'un appel à la Commission des affaires sociales à l'époque où ce litige est survenu et la jurisprudence antérieure de notre Cour sur la détermination de la compétence propre de la Commission de la santé et de la sécurité du travail et la qualification de l'erreur qui aurait été commise, s'il en était.

 

 Sur le premier point, à l'étape où en est rendu ce dossier, devant tout le temps écoulé, la solution du renvoi du dossier à la Commission des affaires sociales serait inappropriée.  Plus de six ans se sont écoulés. Il est temps qu'une solution soit apportée à cette affaire.

 

 Même si l'on demeure persuadé qu'il vaudrait mieux épuiser ce type de recours administratif avant de recourir à la procédure d'évocation, la  jurisprudence  citée  par  mon  collègue, spécialement l'arrêt La Commission des Accidents du travail c. Valade,  (1981)  C.A.  37 ,  (1982)  1  R.C.S.  1103 )  et l'interprétation qu'elle a donnée au paragraphe 846.1 C.P.C., laisse ouverture à ce recours dans le cas de défaut ou d'absence de compétence, même en présence de recours administratifs.

 

 Une question n'a pas été discutée cependant.  Le paragraphe 846.1 vise-t-il les cas d'excès de compétence découlant de la commission d'une erreur déraisonnable ?  Ce type d'erreur suppose qu'existait une compétence initiale et que par une interprétation ou une appréciation grossièrement erronée de la loi ou des faits de l'affaire, le tribunal inférieur ou l'organisme administratif a perdu compétence.  La situation ne correspond pas à l'erreur juridictionnelle au sens strict, suivant la signification que donnait monsieur le juge Beetz à ce concept, dans l'arrêt Union des employés de service, local 298 c.  Bibeault, (1988) 2 R.C.S. 1048 , p. 1086; voir aussi, Bell Canada c. Le syndicat des travailleurs et travailleuses en télécommunication et en électricité du Canada, J.E. 90-1767 , (C.A.), opinion de monsieur le juge Baudouin, pp. 12 à 14).

 

  Commise à l'origine à l'intérieur de la juridicion, cette compétence initiale existant  toujours,  cette  erreur  ne pourrait-elle pas trouver son remède d'abord à l'intérieur du système d'appel administratif ?

 

 Dans la discrétion que leur accorde l'exercice du contrôle judiciaire,  les tribunaux supérieurs ne devraient-ils pas s'abstenir d'intervenir lorsque l'on allègue semplable erreur ? Je n'ai pas à trancher la question; je préfère cependant la noter et la réserver pour examen dans l'avenir.

 

 Par ailleurs, plusieurs arrêts de notre Cour, sur lesquels s'est  d'ailleurs  appuyée  l'intimée,  ont conclu que la détermination de la question de l'existence d'un accident du travail constituait une condition préalable à l'exercice de la juridiction de la Commission.

 

 Toute erreur sur cette question aurait donné ouverture à la révision judiciaire (voir notamment: C.A.T. c. C.T.C.U.M., (1972) C.A. 185 ;

 

 C.A.T. c. Pâtes Domtar Ltd., J.E. 18-852; C.A.T. c. C.T.C.U.M., (1979) C.A. 1 ; Optat Chrome c. Ville de Montréal, (1981) C.A. 266 ).  Il appert de l'étude contenue dans l'opinion de mon collègue, que ces décisions s'harmonisaient mal  avec  la jurisprudence développée par la Cour suprême, particulièrement depuis l'arrêt Syndicat canadien de la fonction c. Société des alcools  du  Nouveau-Brunswick,  (1979)  2  R.C.S.   227 , jurisprudence dont des arrêts récents de  la  même  Cour confirmaient encore la portée (Lester W.W. 1978 c. United Association of Journeyment and Apprentices of the plumbing and pipefitting Industry, local 1740, C.S.C. 7 décembre 1990; National Corn Growers Association c. Canada (Canadian Import Tribunal), C.S.C. 8 novembre 1990).  L'on se faisait une conception trop étroite de la nature  de  la  compétence spécialisée de l'organisme administratif que forme la Commission de la Santé et de la Sécurité du Travail.

 

  La détermination de l'existence de l'accident de travail se situe au coeur même de la loi.  Statuant sur le droit à la réparation, la Commission de la Santé et de la Sécurité du Travail et ses organismes, tel que le Bureau de révision, ont vocation d'apprécier en quoi consiste un tel accident. Rendues à l'intérieur de leur compétence spécialisée, comme le conclut mon collègue, leurs évaluations ne seraient révisables que sur démonstration d'une erreur dite déraisonnable.

 

 Par ailleurs, s'il s'agissait d'une question juridictionnelle au sens strict du terme, voire d'une condition préalable à l'exercice de la juridiction, il faudrait encore, pour que le contrôle judiciaire trouve à s'exercer, que l'on ait démontré qu'une erreur de droit ait été commise dans l'interprétation de la notion d'accident du travail et dans les constatations faites par le Bureau de révision de la C.S.S.T. Comme il ressort de l'étude faite par monsieur le juge Chevalier sur la notion d'accident du travail, il ne paraît pas que cette démonstration ait été faite et que la décision de l'intimé Théroux ait été erronée, dans les circonstances de l'espèce.

 

 Pour ces motifs et ceux énoncés par monsieur le juge Chevalier, comme lui, j'accueillerais le pourvoi avec dépens dans la cause numéro 500-09-000317-867, et sans frais dans la cause numéro 500-09-000387-860. J.C.A.

 

 OPINION DU JUGE BEAUREGARD

 

 Le juge Chevalier a décrit les circonstances qui ont donné lieu à la demande d'indemnité et il a résumé le cheminement du dossier tant à la CSST qu'à la Cour supérieure.  Je n'ai rien d'utile à ajouter sauf que je veux souligner que les héritiers de la victime n'ont jamais prétendu que celle-ci est décédée par suite d'une maladie visée par la Loi sur les accidents du travail, L.R.Q., c. A-3 et que, si la CSST a accueilli la demande d'indemnité, c'est seulement sur la base du fait que la victime aurait subi un accident du travail aux termes de la même loi.

 

 Le juge Chevalier a posé les trois questions en litige.  La première question est la suivante:

 

  La requête en évocation pouvait-elle être accordée s'il existe un recours administratif qui n'est pas encore  épuisé  à l'encontre de la décision du Bureau de révision ?

 

  Dans l'exercice de leur pouvoir de révision les cours supérieures ont formulé la règle portant que,  lorsqu'une décision  d'un  organisme  soumis à leur surveillance est susceptible d'appel, le justiciable doit épuiser ses recours d'appel avant d'exercer le moyen extraordinaire en révision. Cette règle souffre exception dans le cas où l'organisme a agi sans juridiction ou a abusé de celle-ci.

 

  Au Québec cette règle a été codifiée par l'article 846 C.P.C. in fine.

 

 Mais, dans le contexte, que faut-il entendre par "défaut ou excès de juridiction" ?

 

  La pensée du juge Beetz sur la question a été résumée comme suit par l'arrêtiste dans Harelkin c. Université de Regina, (1979) 2 R.C.S. 561 :

 

  On peut résumer les moyens invoqués à l'encontre de l'arrêt de la Cour d'appel de la façon suivante: (1) le défaut du comité du conseil de respecter le principe audi alteram partem est assimilable au défaut de compétence et les brefs doivent être émis ex debito justitiae; (2) la décision du comité du conseil est frappée de nullité absolue et ne peut donc être portée en appel devant le comité du sénat; (3) même si appel peut être interjeté devant le comité du sénat, le droit d'appel de l'appelant ne constitue pas un recours approprié; (4) le principe audi alteram partem a été dans ce cas sanctionné par la loi et les cours doivent exercer leur discrétion de façon à appliquer la loi.

 

 Il n'y avait pas absence de compétence du comité du conseil pour  entendre  et trancher la demande ou la requête de l'appelant. En exerçant cette compétence, le comité a erré en n'observant pas les règles de justice naturelle. Bien que d'un certain point de vue on puisse dire que cette erreur est "assimilable"  à une erreur d'ordre juridictionnel, il ne s'ensuit pas que la décision est entachée de la même nullité que si le comité n'avait pas été compétent. La décision du comité est simplement annulable à la demande de la partie lésée et peut être portée en appel jusqu'à ce qu'elle soit annulée par une cour supérieure ou infirmée par le sénat.

 

  Décider autrement entraînerait des effets pratiques  peu désirables.

 

  Par exemple, l'étudiant lésé qui disposerait de moins de temps que l'appelant et qui se soucierait davantage des frais ne pourrait interjeter appel directement au sénat; il devrait s'adresser aux cours pour obtenir un redressement, revenir devant le comité du conseil et de là, devant le sénat, si besoin est.  Une conception purement abstraite de la nullité absolue qui aurait, dans ce genre de cause, des résultats aussi inopportuns et peu pratiques ne peut être bien fondée en théorie.

 

  Avec égard pour l'opinion contraire je suis d'avis que l'enseignement du juge Beetz trouve application au Québec malgré l'article 846 et je ne crois pas que l'arrêt c. Valade, (1982) 1 R.C.S. 1103 me défend d'exprimer cette opinion.  Dans cette affaire la CATQ avait clairement abusé de sa compétence en refusant de suivre la jurisprudence de la Commission des affaires sociales et, à la lecture de l'arrêt, on constate que l'affaire fut traitée comme un cas d'espèce.

 

 La situation est tout autre ici. Le bureau de révision avait juridiction  pour  examiner  la  décision  de  l'agent d'indemnisation. On ne lui fait aucun grief sur la façon dont la procédure de révision a été conduite. On prétend simplement que le bureau de révision a erré en  qualifiant  l'événement d'accident du travail. Et alors ?  Le législateur a justement prévu un appel devant la Commission des affaires sociales où tout le débat pourra être repris. La cour supérieure n'avait aucune raison d'empêcher la Commission des affaires sociales de jouer son rôle(1).  Avec égard pour l'opinion contraire il me semble que le présent dossier est le type même de la cause qui ne devrait pas faire l'objet d'une évocation avant l'épuisement des recours d'appel. Il ne faut pas oublier que la CSST n'est pas un tribunal indépendant qui statue sur un litige entre deux parties.

 

 Lorsqu'au premier stade l'agent d'indemnisation délégué de la CSST rend une décision sur une demande d'indemnité, c'est purement une décision administrative: par son agent délégué de la CSST reconnaît simplement que la demande d'indemnité qui lui est faite est ou n'est pas justifiée en application de la Loi sur les accidents du travail.

 

  De la même façon l'appel qui est fait au bureau de révision n'est pas un véritable appel mais un appel administratif. Le bureau de révision n'est pas un tribunal d'appel indépendant; c'est toujours la CSST, par son propre organisme de révision, qui rend une décision administrative quant à ses propres obligations ou devoirs en application de sa loi constitutive. Le véritable premier appel que le législateur a prévu contre la décision révisée de la CSST est celui qu'on peut faire devant la Commission des affaires sociales qui, elle, est un tribunal quasi-judiciaire. Il est bien normal

 

  qu'à l'occasion, en qualifiant un événement, la CSST rende une décision que l'employé ou l'employeur peut considérer erronée. Le législateur a compris cela et, pour éviter la prolifération de recours en évocation, il a prévu un droit d'appel devant la Commission des affaires sociales.  En conséquence déclarer recevable un recours en évocation contre une telle décision de la CSST, laquelle est purement administrative, alors que le législateur  a  prévu  un  appel  devant  un  tribunal quasi-judiciaire, me paraît une violation du voeu du législateur et un abus de la procédure extraordinaire qu'est l'évocation. Ce que je viens de dire demeure valide même si, en l'espèce, c'est  l'intimée  qui est appelée personnellement à payer l'indemnité. Cela ne fait pas que la CSST doit être considérée comme un tribunal quasi-judiciaire qui règle un litige entre les héritiers de la victime et l'intimée.

 

  L'avocat de l'intimée nous dit qu'il avait une raison spéciale de procéder par évocation plutôt que par un appel. La décision du bureau de révision est exécutoire nonobstant appel et il était à l'époque plus rapide d'obtenir un jugement de la Cour supérieure  qu'une décision de la Commission des affaires sociales. Cet argument n'a aucun fondement juridique.

 

 (1) Caron c. Beaupré, C.A. Québec, 200-09-000346-848, 9 janvier 1985, les juges Turgeon, Paré et LeBel, (recours administratif efficace devant un organisme accordant des garanties sérieuses d'impartialité et d'indépendance); Boutet c. CSST, (1985) R.D.J. 335 (C.A.); Brière c. Laberge, C.A. Québec, 200-09-000272-846, 30 août 1985, les juges Beauregard, Tyndale et Rothman; Gauthier c. Pagé, (1988) R.J.Q. 650 (C.A.), (absence totale de compétence initiale).

 

 La deuxième question posée par le juge Chevalier est:

 

 La qualification d'un accident au sens de la Loi applicable est-elle  une  question  préliminaire  à l'exercice de la juridiction du Bureau de révision ?

 

 Pour être logique avec la réponse que j'ai donnée à la première question, je devrais m'abstenir de prendre position sur la deuxième.

 

  Mais, étant donné que mes collègues sont d'opinion que le recours en évocation était recevable, je ne crois pas inutile de répondre à la deuxième question.

 

 Bien sûr qu'avant de faire une application de la Loi sur les accidents du travail la CSST doit d'abord statuer sur la question de savoir si cette loi est applicable et, à cette fin, déterminer si un événement est ou n'est pas un accident du travail.

 

 Dans les circonstances, suivant la suggestion du juge Beetz dans U.E.S., Local 298 c. Bibeault, (1988) 2 R.C.S. 1048 , la question à se poser est plutôt la suivante:

 

 Le législateur a-t-il voulu que la question de savoir si la Loi sur les accidents du travail trouve application relève de la compétence de la CSST et que la décision de cette dernière à cet égard soit déterminante.

 

 A la page 1090 le juge Beetz écrivait:

 

 L'importance d'un octroi de compétence se rattache non pas à la faculté ou à l'obligation du tribunal de traiter d'une question mais au caractère déterminant de sa décision.

 

 J'ouvre ici une parenthèse. Comme je l'ai souligné plus haut, la décision que l'intimée a voulu évoquer devant la Cour supérieure n'est pas une décision de la Commission des affaires sociales mais une simple décision tribunal quasi-judiciaire qu'est la Commission des affaires sociales, laquelle aurait statué d'une façon objective suivant ses constatations de faits et suivant la Loi sur les accidents du travail. Donc, devant la décision administrative de la CSST, nous ne sommes manifestement pas devant une décision à caractère déterminant d'un tribunal quasi-judiciaire.  La décision de la CSST ne peut avoir un caractère déterminant puisque la CSST est en même temps juge et partie et que cette décision est susceptible d'appel devant la Commission des affaires sociales qui doit statuer suivant la Loi sur les accidents du travail. En conséquence, si, comme le juge Chevalier le suggère, le recours en évocation était recevable devant la Cour supérieure, celle-ci n'avait pas à être déférente envers le bureau de révision de la CSST et la simple erreur de droit du bureau de révision devait être corrigée par la Cour supérieure. Il serait paradoxal que la Cour supérieure déclare recevable un recours en évocation contre une décision de la CSST pour  ensuite  refuser  d'intervenir à moins d'une erreur déraisonnable de celle-ci, alors que la Cour supérieure, comme je vais tenter de le démontrer, peut intervenir contre une décision de la Commission des affaires sociales si celle-ci commet une simple erreur de droit en décidant qu'un événement est ou n'est pas un accident du travail. A cette fin je vais tenter de démontrer qu'une telle décision de la part de la Commission des affaires sociales n'est pas déterminante.

 

 Dans Bibeault le juge Beetz explique pourquoi la décision du commissaire du travail sur la question de savoir si l'article 45 du Code du travail trouve application n'est pas déterminante. A mon humble avis, avec les adaptations nécessaires, plusieurs des arguments faits par le juge Beetz trouvent application dans le cas d'une décision de la Commission des affaires sociales sur la question de savoir si un événement est ou n'est pas un accident du travail.

 

 D'abord l'application de la Loi sur les accidents du travail ne résulte pas de la détermination de la Commission des affaires sociales qu'il y a eu un accident du travail. L'application de cette loi est automatique.  Si l'événement est un accident du travail l'article 1056a C.c.B.-C. enlève à la victime certains de ses recours en vertu du Code civil et cela indépendamment du fait que la Commission des affaires sociales ait eu l'occasion de statuer sur le caractère de l'accident. Saisies d'une action fondée sur l'article 1053 C.c.B.-C.  la Cour du Québec ou la Cour supérieure ne référeront pas le dossier à la Commission des affaires sociales pour savoir si l'événement dont elles sont saisies est ou n'est pas un accident du travail. Ces tribunaux étudieront eux-mêmes les circonstances de  l'événement  et statueront  sur  la question.  En conséquence le pouvoir décisionnel de la Commission des affaires sociales  n'est certainement pas déterminant.

 

  Dans Blanchard c. Control Data Canada Ltée, (1984) 2 R.C.S. 476 , le juge Lamer écrivait à la p. 492:

 

 Cette constatation (l'absence de conditions préliminaires) est renforcée par les termes mêmes de l'article 128: l'arbitre dispose des pouvoirs prévus à cet article s'il "juge que le salarié  a été congédié sans cause juste et suffisante". L'article 128 ne rend pas l'usage de ces pouvoirs conditionnels à l'existence objective de cette cause mais plutôt conditionnels à l'appréciation subjective de l'arbitre.

 

  Or la Loi sur les accidents du travail ne fait pas dépendre la qualification d'un événement de l'appréciation subjective de la Commission des affaires sociales.  C'est le cas dans d'autres provinces. On trouve d'ailleurs chez nous différentes lois où le  législateur semble avoir voulu revêtir d'un caractère déterminant la décision d'un tribunal quasi-judiciaire(2).

 

 (2) Voir, entre autres, l'article 228 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, L.R.Q., c. S-2.1

 

 Bref, parce que la décision de la CSST n'est pas une décision quasi-judiciaire mais une décision administrative rendue par la CSST quant à ses propres obligations ou devoirs, cette décision n'a évidemment pas un caractère déterminant; d'autre part, paraphrasant le juge Beetz dans Bibeault, il paraît également évident que la qualification de l'événement qui nous intéresse ne relève pas de la compétence stricto sensu de la Commission des affaires sociales.

 

  C'est d'ailleurs là la conclusion à laquelle de nombreux collègues qui ont eu l'occasion d'étudier cette question en sont arrivés(3) et, jusqu'à ce que la Cour suprême nous indique que ceux-ci étaient dans l'erreur, il n'y a aucune raison de subitement modifier cette jurisprudence.  Le fait que la Cour suprême ait signalé qu'il faut se garder de trop rapidement conclure  qu'une  question  débattue  devant  un  tribunal quasi-judiciaire est une condition préalable à l'exercice de la compétence de celui-ci ne signifie pas que la Cour supérieure, lorsqu'elle  décide  d'intervenir contre une décision d'un organisme  administratif  qui  n'est  pas  un  tribunal quasi-judiciaire, est liée par une décision erronée en droit de cet organisme administratif.  La Cour suprême n'a jamais dit qu'un  organisme administratif qui statue sur ses propres obligations ou devoirs est à l'abri de  la  surveillance judiciaire de la Cour supérieure. La mise en garde de la Cour suprême ne signifie pas non plus que la Cour supérieure ne doit pas intervenir contre une décision erronée en droit d'un tribunal quasi-judiciaire sur la question de savoir si une loi trouve ou ne trouve pas application(4). Encore moins si, comme en l'espèce, la loi ne prévoit pas que la décision du tribunal quasi-judiciaire est déterminante ni que cette décision est soustraite au pouvoir de surveillance de la Cour supérieure.

 

 (3) CAT c. CTCUM, (1972) C.A. 185 ; CAT c. Pâtes Domtar Ltd., JE no 78-852 (C.A.); CAT c. CTCUM, (1979) C.A. 1 ; Optat Chome c. Ville de Montréal, (1981) C.A. 266 ; Cunningham c. Brasserie O'Keefe Inc., (1983) C.A.S. 423 (C.A.); CSST c. Pâtes Domtar Ltée, JE no 83-361 (C.A.) et Labelle c. CAS (1989), 18 Q.A.C. 277

 

 (4) Voir évidemment Blanco c. Commission des loyers, (1980) 2 R.C.S.  827 et Procureur général du Québec c. Labrecque, (1980) 2 R.C.S. 1057 Les appelants nous ont cité l'affaire Farrell and Workmen's Compensation Board (1962) R.C.S. 48 et les autres arrêts qui y sont mentionnés. Mais, dans toutes ces affaires le législateur  avait  spécifiquement  confié  à  l'organisme administratif le soin de décider de la question en dernier ressort. Je concède que dans l'affaire Dominion Canners Ltd. v. Costanza, (1923) R.C.S. 46 certains  obiter  appuient  la prétention des appelants. Il reste qu'en droit constitutionnel et qu'en droit administratif beaucoup de choses ont été dites depuis 1923.

 

  Enfin dans l'interprétation d'une loi il faut présumer que le législateur n'a pas violé la constitution. Or, comme le signale l'intimée, le législateur québécois pourrait-il, sans violer le paragraphe 96 de la Loi constitutionnelle de 1867, empêcher la Cour supérieure de vérifier une décision de la CSST ou de la Commission des affaires sociales qui empêcherait un justiciable soit de tirer profit de la Loi sur les accidents du travail soit d'exercer les recours que lui offre le Code civil ? V. Crevier c. P.C. (Québec) et autres, (1981) 2 R.C.S. 220 . A la p. 238 le juge en chef Laskin écrivait:

 

  Il ne peut être accordé à un tribunal créé par une loi provinciale, à cause de l'art. 96, de définir les limites de sa propre compétence sans appel ni révision.

 

 Je ne peux imaginer que, dans un cas donné où la Commission des affaires sociales aurait erronément décidé en droit, sans cependant que sa décision soit déraisonnable, qu'un accident n'était pas un accident du travail, la Cour suprême du Canada refuserait à la victime les avantages que lui confère la Loi sur les accidents du travail au simple motif que, n'étant pas déraisonnable,  la décision de la Commission des affaires sociales sur la question de savoir si cette loi  trouve application ne peut être révisée. Je n'imagine pas que la Cour suprême dirait à la victime: "Vous avez raison dans l'absolu de prétendre vouloir bénéficier de la Loi sur les accidents du travail, mais nous ne pouvons rien faire puisque le tribunal quasi-judiciaire chargé en dernier ressort des litiges relatifs à cette loi est d'opinion que celle-ci ne trouve pas application dans votre cas. Nous ne pouvons corriger cette erreur de droit parce qu'il ne s'agit pas d'une erreur déraisonnable". Je suis certain que la Cour suprême du Canada serait déférente envers la Commission des affaires sociales quant aux constatations de cette dernière sur les faits mais qu'elle ne tolérerait pas une erreur de droit sur "l'applicabilité" de la Loi sur les accidents du travail. Je n'interprète pas National Corn Growers c. T.C.I., (1990) 2 R.C.S. 1324 comme un arrêt qui appuie la proposition des appelants suivant  laquelle  un  organisme administratif peut errer quant à "l'applicabilité" de sa loi constitutive sauf si son erreur est déraisonnable. D'autre part l'arrêt Alliance de la Fonction publique du Canada c. La Reine, C.S.C., 21 mars 1991, cite avec approbation l'arrêt Bibeault et rappelle que la simple erreur de  droit  d'un  organisme administratif est susceptible de contrôle judiciaire si l'erreur porte sur "une disposition limitative de compétence".

 

 La troisième question posée par le juge Chevalier se lit:

 

  Si cette qualification est intra-juridictionnelle, la décision du Bureau  de  révision  est-elle  ou  non  manifestement déraisonnable et porte-t-elle atteinte à la juridiction au point qu'elle doive justifier l'intervention de la Cour supérieure ?

 

  Ici encore, pour être logique avec ma réponse à la première question, je devrais m'abstenir de prendre position.  Mais, vu les circonstances, je m'exprime.

 

  Je partage l'opinion du juge Chevalier suivant laquelle la Loi sur les accidents du travail doit être interprétée d'une façon libérala de façon à assurer l'accomplissement de son objet. Cependant il ne faut pas oublier que, si dans certains cas la loi favorise la victime, dans d'autres, elle l'empêche d'obtenir l'indemnité complète à laquelle elle aurait droit si la Loi sur les accidents du travail ne trouvait pas application.  Or l'interprétation doit être la même selon que la victime est ou n'est pas favorisee. Je dirais que si la Loi sur les accidents du travail trouve application, elle doit alors être interprétée d'une façon libérale et, comme la loi le dit expressément, avec équité.  Mais la question de savoir si la Loi sur les accidents du travail trouve application doit être résolue d'une façon objective sans qu'on fasse référence à l'équité ou l'iniquité de la situation.

 

 Nous devons interpréter le mot "accident":

 

  Un événement imprévu et soudain, attribuable à toute cause qui survient à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail, et qui entraîne pour elle une blessure, une maladie ou le décès.

 

 La première sous-question que pose le juge Chevalier est la suivante:

 

  Qu'est-ce qu'un événement imprévu et soudain (qui entraîne une blessure, une maladie ou le décès) ?

 

 Le juge Chevalier conclut qu'en l'espèce cet événement a été le choc entre la maladie et le décès.  Je n'arrive pas à me persuader de cela.

 

  Le choc est la cause médicale immédiate du décès mais ce n'est pas ce qui importe.

 

 A chaque fois qu'un ouvrier décède sur un chantier on peut trouver la cause médicale immédiate du décès (arrêt cardiaque, asphyxie, etc.) et cette cause n'a rien à voir avec l'événement qui a lui-même provoqué cette cause médicale immédiate du décès. Dans un cas il pourra y avoir absence d'un événement (une simple crise cardiaque); dans un autre, il y aura un événement (chute d'un objet sur la personne de la victime ou chute de la victime elle-même).

 

  L'événement n'est donc pas la cause médicale du décès mais quelque chose d'autre.

 

 Suivant la définition citée plus-haut il faut que l'événement "survienne" à la victime.  Il est admis que cet événement ne peut être une maladie dont souffre la victime, même si cette maladie entraîne le décès au moment où la victime est au travail.  Il est bien évident qu'en l'espèce, si la victime était décédée dans son lit, avant même de pouvoir se plaindre au capitaine, on ne parlerait pas d'un accident du travail.

 

  L'événement n'est donc pas le choc subi par la victime encore moins la péritonite dont elle souffrait.

 

 Quel est donc alors l'événement, quelle qu'en soit la cause, qui est survenu à la victime à l'occasion de son travail et qui a entraîné son décès ?

 

 Cet événement n'existe pas.  Il n'y a pas d'événement qui a entraîné une blessure ou une maladie chez la victime ou son décès. En réalité ce serait parce que rien ne s'est produit entre la péritonite et le décès que celui-ci est survenu; le décès aurait été causé une absence de soins.  Il est difficile de dire que l'absence d'un événement constitue un événement.

 

  Si, à la rigueur, on pouvait dire que l'absence de soins a constitué un événement, ce ne serait pas un événement imprévu comme l'exige la définition citée plus haut.  La chute d'un ouvrier sur un chantier est un événement prévisible mais non prévu.  L'absence de soins sur le navire était quelque chose de prévisible et qui était également prévu.

 

 Si, à la rigueur, on pouvait dire que l'absence de soins a constitué un événement et que cet événement était imprévu, ce ne serait pas un événement soudain comme l'exige la définition citée plus haut.  A quel moment précis l'absence de soins s'est-elle produite ? De fait la différence entre la pathologie qui résulte d'une maladie et celle qui résulte d'un accident ressort du caractère soudain de ce qui a causé la pathologie. Un ulcère perforé de l'estomac résultant de plusieurs années d'une alimentation incorrecte et de stress excessif ne survient pas par accident puisqu'il est impossible d'identifier un événement précis et soudain qui a causé l'ulcère. En revanche la rupture de la rate causée par un choc soudain ne résulte pas d'une maladie.

 

 L'employeur a peut-être manqué à ses obligations légales ou conventionnelles et il est peut-être à blâmer moralement - ce sur quoi évidemment le débat ne porte pas - mais, quelles qu'aient été les obligations de l'employeur, quels que soient les recours des ayants droit de la victime en droit civil et quelle que soit la sympathie qu'on puisse avoir pour la victime et ses ayants droit, il reste qu'il est logiquement impossible de dire que l'absence de soins en temps utile est un événement qui est survenu d'une façon imprévue et soudaine à la victime à l'occasion de son travail.

 

  Encore une fois un événement qui entraîne une blessure, une maladie ou un décès est quelque chose d'extérieur à la blessure, à la maladie et au décès(5). Dans le cas d'un décès, ce ne peut être la maladie mortelle. C'est au contraire ce qui provoque d'abord la maladie mortelle.

 

  (5) General Motors du Canada Ltée c. CAS, (1984) CAS 587 (C.S.);

 

 Accidents du travail - 75, (1983) C.A.S. 638 (CAS) et Accidents du travail - 12, (1984) C.A.S. 41 (CAS)

 

  Juridiquement le choc subi par la victime n'est pas un événement qui entraîna  le  décès  mais  il  fut  plutôt l'aboutissement de la maladie de la victime.

 

  Pour conclure je répète que la Cour supérieure n'aurait pas dû intervenir mais qu'elle aurait dû laisser le dossier suivre son cours devant la Commission des affaires sociales dont c'était la tâche de réviser en appel les décisions du bureau de révision. En tout état de cause la décision du bureau de révision est erronée et, comme le bureau de révision n'est pas un tribunal indépendant mais est la CSST elle-même, la Cour supérieure n'était pas liée par la décision et n'avait pas à être déférente envers le bureau de révision. En tout état de cause encore la décision du bureau de révision constitue une interprétation déraisonnable de la Loi sur les accidents du travail: peut-on dire que la victime d'une crise cardiaque dont le lieu de travail est à deux minutes de l'hôpital et qui, à cause de cela, est sauvée, n'a pas subi d'accident, alors que la victime de cette crise cardiaque dont le lieu de travail est à une demi-heure du plus proche hôpital et qui, à cause de cela, ne peut être sauvée, a subi, elle, un accident ? Bien humblement, je dis non. Quid si une troisième victime, dont le lieu de travail est à quinze minutes du plus proche hôpital, ne meurt pas des suites de sa crise cardiaque mais qui, à cause du fait qu'elle n'a pas pu recevoir des soins avant quinze minutes, montre des séquelles importantes ? Est-ce que ces séquelles importantes devront être considérées comme résultant  d'un accident du travail ? A quelle distance doit-être le lieu de travail de l'hôpital pour qu'une absence de soins ou un retard à donner ces soins constitue un accident du travail ?

 

 Etant donné la réponse que j'ai donnée à la première question j'aurais, si les juges LeBel et Chevalier avaient été d'accord avec moi, accueilli les pourvois, celui des héritiers avec dépens, celui de la CSST sans frais, cassé le jugement de première instance avec dépens en faveur des héritiers de la victime et sans frais en faveur de la CSST et laissé l'intimée plaider son appel devant la Commission des affaires sociales.

 

 Cependant, comme mes collègues sont d'avis que le recours en évocation était recevable et qu'ils ont tranché sur le fond de la question et comme, pour ma part, je partage l'opinion de l'agent d'indemnisation et de la Cour supérieure sur le fond de la question, je rejetterais tout simplement les pourvois avec dépens. J.C.A.

 

 

INSTANCE-ANTÉRIEURE

 

 

(C.S. Montréal 500-05-011112-859)

 

AVIS :
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