Rôtisserie St-Jérôme inc. |
2010 QCCLP 317 |
______________________________________________________________________
______________________________________________________________________
[1] Le 20 mars 2008, Rôtisserie St-Jérôme inc. (l’employeur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l'encontre d'une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 11 mars 2008, à la suite d'une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 18 octobre 2007 et déclare que la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle de madame Julie Thibault (la travailleuse) survenue le 11 décembre 2005 doit être imputée au dossier de l’employeur.
[3]
L’audience a été fixée pour le 20 août 2009 à Saint-Jérôme. Toutefois,
le procureur de l’employeur a avisé le tribunal de son absence à l’audience et
a fourni des commentaires écrits le 28 août 2009. Le tribunal a donc pris le
dossier en délibéré et rend une décision sur dossier comme le permet l’article
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il doit bénéficier d’un partage des coûts de la lésion professionnelle de l’ordre de 85 % aux employeurs de toutes les unités et 15 % à son dossier. L’employeur soutient que, avant l’événement du 11 décembre 2005, la travailleuse présentait un handicap ou une déficience qui correspond à une déviation par rapport à la norme biomédicale et qui a eu un impact sur la période de consolidation de la lésion, en la prolongeant, augmentant ainsi les frais de réparation.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[5]
Le tribunal doit décider si le coût ou une partie du coût des
prestations reliées à l’accident du travail du 11 décembre 2005 subi par la
travailleuse doit être imputé aux employeurs de toutes les unités et ce, en
vertu de l’article
[6]
L’article
329. Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.
L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.
__________
1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.
[7] La notion de handicap a été définie de la façon suivante dans l’affaire Petite rivière St-François et CSST[2]:
[23] La Commission des lésions professionnelles
considère qu’un travailleur déjà handicapé au sens de l’article
[24] La première étape consiste donc à vérifier si le travailleur présente une déficience physique ou psychique. Sur ce point, il est utile de se référer à la Classification internationale des handicaps élaborée par l’Organisation mondiale de la santé (Paris, CTNERHI-Inserm, 1988) parce que ce manuel a l’avantage de représenter un consensus de la communauté médicale internationale sur ce que constitue un handicap. Selon cet ouvrage, une déficience constitue une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique et correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. Cette déficience peut être congénitale ou acquise. Finalement, pour reprendre le courant de jurisprudence que la soussignée partage, la déficience peut ou non se traduire par une limitation des capacités du travailleur de fonctionner normalement. La déficience peut aussi exister à l’état latent, sans qu’elle se soit manifestée avant la survenance de la lésion professionnelle.
(…)
[26] En plus de démontrer la présence d’une déficience, l’employeur a aussi le fardeau de démontrer que cette déficience a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur les conséquences de cette lésion.
(Soulignements de la soussignée.)
[8] De même, dans l’affaire Hôpital général de Montréal [3], le tribunal a proposé la définition suivante:
[37] Pour revenir à la véritable question en litige, il y a lieu de se demander ce qu’on entend par « travailleur déjà handicapé ». Pour répondre à cette question, il n’est pas utile de se référer à d’autres lois. C’est plutôt l’objet et le contexte de la loi qui doivent servir de cadre à cette définition.
[38] Le travailleur déjà handicapé au sens de l’article
___________________________
3 Cette tentative de définition n’est pas tirée du néant mais prend son inspiration dans Classification internationale des handicaps : déficiences, incapacités et désavantages. INSERM, Paris, 1988, 203 p., pp. 23-24.
4 Donc, qui ne s’est pas encore manifestée avant la survenance de la lésion professionnelle.
[9] Ainsi, l’employeur qui veut obtenir un partage de coûts doit d’abord démontrer l’existence d’une déficience. Par la suite, il doit démontrer une relation entre cette déficience et la lésion professionnelle, soit établir que cette déficience a entraîné des effets sur l’apparition ou la production de la lésion professionnelle ou sur ses conséquences.
[10] Par ailleurs, pour établir la relation entre la déficience et la lésion, certains critères doivent être pris en considération, dont notamment la nature ou la gravité du fait accidentel à l’origine de la lésion professionnelle, le diagnostic de la lésion professionnelle, l’évolution des diagnostics et de la condition du travailleur, la durée de la période de consolidation de la lésion professionnelle, la nature des soins et des traitements prescrits, la compatibilité entre le plan de traitements prescrit et le diagnostic de la lésion professionnelle, l’existence ou non de séquelles découlant de la lésion professionnelle, l’âge du travailleur. En fait, dans le calcul du pourcentage devant être attribué au dossier de l’employeur, il faut considérer l’ensemble des conséquences de la lésion professionnelle. C’est ce que rappelait la Commission des lésions professionnelles dans Charles Morissette inc. [4]
[11] En l’instance, la travailleuse a subi une lésion professionnelle, une entorse lombaire, le 11 décembre 2005. Cette lésion sera consolidée le 23 août 2006, sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle.
[12]
Le 4 janvier 2007, l’employeur demande un partage du coût des
prestations, respectant le délai prévu par l’article
[13] Selon la preuve au dossier, la travailleuse a mentionné au docteur C. Bah, médecin désigné par l’employeur, qu’elle a déjà présenté des douleurs au dos, suite à un accident du travail de 2003. Une radiographie faite le 4 avril 2003 a démontré la présence d’une rotoscoliose thoracique à convexité droite centrée sur D7 évaluée à 10 degrés et une compensation lombaire à convexité gauche centrée sur L1-L2 évaluée à 17 degrés. Dans son rapport du 2 juin 2006, le docteur Bah conclut que la travailleuse présente une condition personnelle, soit une scoliose thoraco-lombaire compensée. Il ajoute que cela n’entraîne pas de douleur en général, et que l’entorse lombaire subie en 2005 ne constitue pas non plus une aggravation de cette condition personnelle. Toutefois, le médecin précise que la scoliose thoraco-lombaire, même si elle est compensée, peut contribuer au retard dans la consolidation d’une entorse lombaire.
[14] Le 26 mars 2008, la docteure A. Thériault souligne qu’une résonance magnétique du rachis lombaire faite le 18 mai 2006 n’avait pas mis en évidence de hernie discale ou de compression significative du sac dural alors que, le 20 mai 2006, le médecin de la travailleuse prescrivait un arrêt de travail en mentionnant une dégradation de la condition de la travailleuse.
[15] Le tribunal estime utile de reproduire les raisons invoquées par la docteure Thériault :
« Par ailleurs, même si habituellement, une scoliose thoracolombaire de telle amplitude n’entraîne pas de symptômes, une fois les symptômes installés, cette scoliose peut empêcher la lésion de guérir.
En effet, la scoliose entraîne un débalancement au niveau de la musculature paraspinale. À cause de cette scoliose, les structures ligamentaires et musculaires entourant et soutenant la colonne sont davantage mises sous tension que chez une personne qui n’est pas porteuse de cette condition personnelle préexistante. Le temps de guérison est beaucoup plus long que ce qui est prévisible parce que la réparation des lésions musculaires et ligamentaires constituant l’entorse et la contusion se trouve prolongée, car la colonne est fragilisée par son handicap préexistant et ne peut compenser l’insuffisance des muscles durant leur réparation. Au contraire, cette colonne qui est instable à cause de la scoliose nécessite le travail efficace de ses muscles et ligaments qui assurent son support et comme ils ont été blessés et continuent à être mis à contribution, ils ne peuvent se réparer aussi rapidement. Le moindre effort dans ces conditions constitue une source de nouvelles blessures et de prolongation de guérison de ce segment de la colonne qui autrement ne se rencontre pas chez un patient dont la colonne lombaire est normale.
C’est d’ailleurs ce qui peut expliquer qu’à deux reprises, durant l’invalidité, il y a eu ré-exacerbation de la symptomatologie, soit le 24 décembre lorsqu’elle a été mise en arrêt de travail une deuxième fois et le 20 mai 2006 quand elle a été mise en arrêt de travail une troisième fois. »
[16] La docteure Thériault explique en détail les raisons qui font en sorte que la condition de scoliose présentée par la travailleuse peut empêcher ou retarder la guérison d’une lésion lombaire. Essentiellement, la réparation des lésions musculaires et ligamentaires se trouve prolongée du fait que la colonne, rendue instable par la scoliose thoraco-lombaire, s’en trouve fragilisée, et ne peut compenser l’insuffisance des muscles durant leur réparation. Cette scoliose a prolongé la période de consolidation de l’entorse lombaire qui a pris 36 semaines pour être consolidée au lieu des cinq semaines habituelles.
[17] Le 21 août 2009, le docteur R. Dancose, émet un avis complémentaire à celui de la docteure Thériault. Il se dit en accord avec celle-ci et ajoute que la rotoscoliose à convexité droite centrée sur D7 évaluée à 10 degrés constitue un handicap. Il s’agit d’une condition qui est en dehors de la norme biomédicale. Il est d’avis que cette rotoscoliose est le facteur prépondérant dans la justification des traitements qui se sont prolongés et dans la période de consolidation de 36 semaines, au lieu d’une période habituelle de cinq à six semaines pour une entorse lombaire simple.
[18] Le tribunal retient comme probants les avis des trois médecins, soit les docteurs Bah, Thériault et Dancose, lesquels sont suffisamment motivés et détaillés et soutiennent les conclusions recherchées par l’employeur.
[19] Le tribunal conclut que l’employeur a présenté une preuve prépondérante à l’effet que la travailleuse présentait une déficience à la colonne lombaire qui correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale et qui était présente avant l’événement de 2005. Cette déficience a prolongé la période de consolidation de la lésion professionnelle, qui a mis 36 semaines à être consolidée au lieu des cinq ou six semaines habituelles pour une entorse lombaire simple.
[20] Compte tenu de ce qui précède, le tribunal estime donc que le partage de l’imputation des coûts dans la proportion demandée par le procureur de l’employeur est justifié et doit être effectué par la CSST. Ainsi, seulement 15 % des coûts de la lésion professionnelle, doit être imputé au dossier d’expérience de l’employeur.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de l’employeur, Rôtisserie St-Jérôme inc.;
MODIFIE la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 11 mars 2008 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que l’employeur doit supporter 15 % du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie le 11 décembre 2005 par madame Julie Thibault, la travailleuse, et que 85 % des coûts reliés à cette lésion doit être imputé aux employeurs de toutes les unités.
|
|
|
Daphné Armand |
|
|
|
|
|
|
|
|
Me François Bouchard |
|
Langlois Kronström Desjardins |
|
Représentant de la partie requérante |