Peris et Casino du Lac-Leamy |
2009 QCCLP 3915 |
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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 18 mars 2008, Casino du Lac-Leamy (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision ou en révocation à l’encontre d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 20 février 2008.
[2] Par cette décision[1], la Commission des lésions professionnelles accueille la requête pour accès au lieu de travail afin de procéder à une étude ergonomique déposée par madame Marina Peris (la travailleuse).
[3] L’employeur est représenté à l’audience tenue à Gatineau le 19 janvier 2009. La travailleuse est présente et représentée.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de révoquer la décision de la Commission des lésions professionnelles rendue le 20 février 2008 qui autorise l’accès au lieu de travail afin de procéder à une étude ergonomique.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis d’accueillir la requête de l’employeur et de révoquer la décision rendue, puisque celle-ci comporte une erreur de droit ou de fait manifeste et déterminante quant à l’issue du litige. Cette erreur se situe dans le fait que la première commissaire n’aurait pas dû considérer le rapport d’évaluation médicale du docteur Bergeron comme un projet puisque ses conclusions étaient claires et indiscutables.
[6] Le membre issu des associations syndicales est d’avis contraire. Compte tenu de l’exigence du docteur Bergeron de faire procéder à une étude ergonomique, la première commissaire a disposé de la requête pour accès au lieu de travail présentée par la travailleuse dans le respect de la règle sur le droit pour une partie d’être entendue et de présenter toute preuve jugée pertinente.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] La Commission des lésions professionnelles doit décider s’il y a lieu de révoquer la décision rendue par le tribunal qui autorise l’accès au lieu de travail afin de procéder à une étude ergonomique.
[8]
Après avoir pris connaissance de la preuve et des arguments soumis de
part et d’autre et après avoir reçu l’avis des membres issus des associations
syndicales et
d’employeurs, la Commission des lésions professionnelles conclut au rejet de la
requête en révocation déposée par l’employeur. Cette conclusion repose sur les
éléments suivants.
[9] D’entrée de jeu, il importe de rappeler que la Commission des lésions professionnelles peut réviser ou révoquer une décision qu’elle a rendue pour l’un des motifs prévus à l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi).
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[10] Le pouvoir de révocation est un pouvoir distinct de celui de la révision. Tel qu’indiqué par le tribunal dans les affaires Dallaire et Jeno Newman et fils inc.[3] et Hôpital Ste-Justine et Gravel[4], le terme révocation fait référence aux situations où il faut annuler la décision, de façon à remettre les parties dans l’état où elles étaient avant cette décision.
[11] De même, puisque l’article 429.56 de la loi donne ouverture à la révision ou à la révocation d’une décision, d’un ordre ou d’une ordonnance du tribunal, il s’ensuit que cette requête peut viser une décision interlocutoire, comme c’est le cas en l’espèce.[5]
[12] La jurisprudence est constante à rappeler que le recours en révision ou en révocation ne peut constituer un appel déguisé étant donné le caractère final d’une décision de la Commission des lésions professionnelles, tel qu’indiqué au troisième alinéa de l’article 429.49 de la loi :
429.49.
[…]
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
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1997, c. 27, a. 24.
[13] Depuis les décisions rendues dans les affaires Produits Forestiers Donohue inc. et Franchellini[6], la Commission des lésions professionnelles interprète la notion de « vice de fond de nature à invalider la décision » comme faisant référence à une erreur manifeste en droit ou en fait qui a un effet déterminant sur le sort du litige. La jurisprudence considère qu’une erreur est manifeste lorsque la décision conclut dans un sens qui n’est pas supporté par la preuve, sur des hypothèses, sur une appréciation de la preuve manifestement erronée, lorsqu’elle méconnaît une règle de droit ou encore applique un faux principe.
[14] D’ailleurs, la Cour d’Appel dans les arrêts Fontaine et Touloumi[7] a donné son aval à cette interprétation en disant qu’une requête en révision interne ne peut être accueillie que lorsque la décision rendue est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés.
[15] Ces considérations étant faites, la Commission des lésions professionnelles résume comme suit les faits pertinents au présent litige.
[16] La travailleuse est croupière pour le compte de l’employeur. Le 29 décembre 2005, elle produit une réclamation pour une maladie professionnelle au niveau du membre supérieur gauche, qu’elle attribue à des mouvements répétitifs qu’elle doit exécuter dans le cadre de ses fonctions et dont les premiers symptômes apparaissent à compter du 10 octobre 2005.
[17] Différents diagnostics sont posés. Tout d’abord, il est question d’une tendinite calcifiante de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche, puis d’une épicondylite calcifiante, d’une névrite cubitale, d’un syndrome du canal carpien gauche, d’un syndrome du canal de Guyon bilatéral, de fibromyalgie, d’une tendinose, d’un syndrome myofascial, d’une neuropathie cubitale, d’ostéoarthrose et enfin d’une cervicobrachialgie gauche.
[18] La réclamation de la travailleuse est refusée, tant dans la décision initiale que lors de la révision administrative faite par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST). La travailleuse conteste cette décision devant la Commission des lésions professionnelles.
[19] Entre temps, soit le 18 juillet 2006, la travailleuse dépose une réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation survenue le 13 mars 2006. Cette réclamation est également refusée et il s’agit là du second litige dont devait disposer la Commission des lésions professionnelles.
[20] Le 5 juin 2007, la travailleuse est examinée par le docteur Yves Bergeron, physiatre.
[21] Cette expertise médicale est produite au dossier du tribunal. Le docteur Bergeron précise que le but de cette expertise est de répondre à diverses questions, dont le diagnostic de la lésion, sa relation avec le travail de croupière, décider si l’arrêt de travail survenu le 13 mars 2006 doit être considéré comme une récidive, rechute ou aggravation de la lésion du 10 octobre 2005, décider dans l’éventualité où le diagnostic retenu n’est pas en relation avec le travail de croupière, s’il s’agit d’une condition personnelle aggravée par le fait ou à l’occasion du travail, si la lésion est consolidée et s’il existe une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles.
[22] À la question de savoir quel est le diagnostic à retenir pour la période du 10 octobre 2005, le docteur Bergeron répond que la travailleuse a présenté une tendinite aiguë au niveau de l’épaule gauche.
[23] Quant à la question de savoir si la tendinite aiguë au niveau de l’épaule gauche est en relation avec le travail de croupière de la travailleuse, le docteur Bergeron répond par la négative. Il écrit que « selon les notes disponibles au dossier, le 10 octobre 2005, la patiente a présenté des paresthésies au niveau de la main gauche. La douleur aiguë au niveau de l’épaule gauche est apparue quelques heures plus tard chez une patiente droitière et ce diagnostic ne semble pas être relié à un accident de travail ou à une maladie professionnelle. »
[24] Le 2 novembre 2007, le docteur Bergeron écrit à monsieur Cantin, un représentant du syndicat des croupiers, pour lui dire qu’une évaluation ergonomique est nécessaire pour la poursuite de son expertise.
[25] Le 27 décembre 2007, le docteur Bergeron écrit une autre lettre à monsieur Cantin dans laquelle il rappelle les faits, mentionne que c’est à titre de projet qu’il a préparé son rapport d’évaluation et réitère ne pas pouvoir se prononcer sans une évaluation ergonomique.
[26] Le 22 janvier 2008, monsieur Cantin dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête pour accès au lieu de travail afin de procéder à une expertise ergonomique. Il fait référence aux deux lettres que lui a adressées le docteur Bergeron les 2 novembre et 27 décembre 2007, pour qui une évaluation en ergonomie est nécessaire afin de déterminer si la tendinite de l’épaule gauche serait reliée ou non à une lésion professionnelle.
[27] Monsieur Cantin poursuit sa lettre en disant que l’accès au lieu a été refusé par l’employeur de sorte que, dans le but d’assurer à sa cliente une défense pleine et entière, il demande à la Commission des lésions professionnelles de se prononcer sur sa requête pour accès au lieu de travail.
[28] La Commission des lésions professionnelles a accueilli la requête. Elle ordonne à l’employeur de donner accès à la travailleuse, à la personne qui procèdera à l’étude ergonomique et au représentant de la travailleuse, à la salle de formation sise chez l’employeur et de mettre à la disposition de ces personnes un poste de travail équivalent à celui de la travailleuse afin qu’il puisse être procédé à l’étude ergonomique.
[29] Il s’agit là de la décision qui fait l’objet de la présente requête en révocation.
[30] Les motifs de la Commission des lésions professionnelles au sujet de la requête pour accès au lieu de travail sont exposés aux paragraphes 56 à 96 de la décision.
[31] La première commissaire rappelle d’abord que les commissaires de la Commission des lésions professionnelles sont investis des pouvoirs et de l’immunité des commissaires nommés en vertu de la Loi sur les commissions d’enquête[8]. Elle écrit que selon l’article 429.40 de la loi, un commissaire peut ordonner une expertise par une personne qualifiée qu’il désigne pour l’examen et l’appréciation des faits relatifs à l’affaire dont il est saisi.
[32] Au paragraphe 64 de la décision, la première commissaire estime que l’étude ergonomique que désire produire la travailleuse est pertinente étant donné que cette étude est au cœur du litige, puisque le docteur Bergeron explique, dans ses lettres des 2 novembre et 27 décembre 2007, qu’elle est nécessaire afin de statuer sur la relation entre l’état de santé de la travailleuse et son travail de croupière.
[33] Elle rappelle ensuite que le docteur Bergeron a pris connaissance des évaluations ergonomiques faites précédemment, soit le 26 avril 2007 et les 21 et 22 août 2007, mais que ces évaluations n’ont pas été effectuées afin de déterminer si la tendinite à l’épaule gauche qui affecte la travailleuse peut être considérée comme une maladie reliée au travail exercé par cette dernière.
[34] La première commissaire continue comme suit :
« [66] Au surplus, le docteur Bergeron estime que cette étude est indispensable à la poursuite de son rapport d’expertise, car à la lumière des informations disponibles au moment de la rédaction de son projet de rapport d’expertise médicale, il conclurait que l’état de santé de la travailleuse n’est pas en relation avec son travail de croupière, qu’elle n’a pas subi une récidive, une rechute ou une aggravation en mars 2006 et que sa condition personnelle n’a pas été aggravée par le travail.
[67] Donc, les recours de la travailleuse peuvent sembler voués à l’échec sans cette étude ergonomique et comme le disait la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles dans l’affaire Blais et Banque Laurentienne17 :
« Dans la présente affaire, la travailleuse, qui en appelle de la décision du bureau de révision, doit faire la preuve qu'elle a été victime d'une lésion professionnelle et plus particulièrement d'une maladie professionnelle.
Pour faire cette preuve, l'étude du poste de travail est non seulement pertinente mais elle est absolument essentielle : sans une telle preuve, l'appel de la travailleuse est voué à l'échec.
Il s'agit donc en définitive de décider si l'appel doit être entendu. C'est le droit d'être entendu, la règle Audi alteram partem, qui est en cause. »
[68] Par conséquent, la Commission des lésions professionnelles estime que l’étude ergonomique que désire produire la travailleuse est nécessaire et pertinente afin de permettre à son témoin-expert d’émettre une opinion éclairée sur la relation entre le travail de croupière qu’elle exerce et son état de santé et qu’il ne s’agit pas d’une requête dilatoire, tel que le prétend l’employeur qui dépose à l’appui de cette prétention la décision Girard et CSST18.
[69] Or, la demande faite alors à la Commission des lésions professionnelles diffère de la présente affaire puisque le travailleur demandait d’émettre une ordonnance afin d’effectuer une expertise ergonomique de son poste de travail et que la Commission des lésions professionnelles en assume les frais. Le tribunal considérait ne pas pourvoir se servir de l’article 429.40 de la loi pour faire la preuve d’une partie sans enfreindre les principes de justice naturelle et d’égalité devant le tribunal. »
17 [1996] C.A.L.P. 407 .
18 C.L.P. 188030-02-0207, 18 novembre 2002, R. Deraîche.
[35] La première commissaire dispose ensuite de l’argument de l’employeur selon lequel la demande d’accès au lieu de travail est tardive. La première commissaire conclut que la travailleuse a agi avec diligence et elle s’en explique.
[36] En réponse à l’argument de l’employeur qui soutient que la demande de la travailleuse est futile, eut égard aux règles de preuve, puisqu’un rapport d’expertise ergonomique n’est pas la meilleure preuve, laquelle meilleure preuve serait plutôt la visualisation des gestes posés par la travailleuse en salle d’audience grâce aux maquettes de tables de jeux déjà utilisées antérieurement devant les tribunaux et que le rapport d’expertise ergonomique n’aurait pas de force probante, puisque les symptômes de la travailleuse sont tels qu’elle ne peut participer de façon crédible à une étude ergonomique et qu’il s’agit donc d’une démarche inappropriée, la première commissaire écarte cet argument pour les motifs qu’elle expose aux paragraphes 76 et 77 :
« [76] Or, la Commission des lésions professionnelles considère qu’il appartient à la travailleuse de présenter la preuve qu’elle juge nécessaire et qu’il y va de son droit fondamental d’être entendue.
[77] Au surplus, la Commission des lésions professionnelles estime qu’il ne s’agit pas, à ce stade-ci, d’évaluer la force probante de la preuve qui pourrait être présentée par les parties. Il reviendra au tribunal saisi de l’affaire au fond de décider de la valeur probante des preuves qui lui seront offertes, dont les rapports d’expertise médicale et ergonomique. »
[37] Puis, la première commissaire appuie sa position sur des décisions rendues en semblables matières qu’elle commente aux paragraphes 78 à 83 de sa décision.
[38] La première commissaire écrit au paragraphe 84 de la décision que l’opinion du docteur Bergeron, voulant qu’une étude ergonomique soit nécessaire afin de se prononcer sur la relation entre l’état de santé de la travailleuse et son travail de croupière, constitue la preuve de la nécessité et de la pertinence de cette étude.
[39] La première commissaire dispose ensuite de l’argument de l’employeur selon lequel le docteur Bergeron a déjà agi à titre de témoin expert dans un autre dossier impliquant le travail de croupier en disant que la preuve ne lui permet pas de mettre en doute la nécessité et la pertinence de l’étude ergonomique demandée par le docteur Bergeron, que chaque cas est un cas d’espèce et que la travailleuse ne devrait pas être privée de son droit à une « défense pleine et entière » sous prétexte que son témoin expert a acquis une connaissance d’un poste de travail semblable au sien dans un autre dossier.
[40] La première commissaire dispose également de l’argument de l’employeur selon lequel la demande d’accès au lieu de travail est inappropriée, puisqu’une telle demande met en péril la vie privée des clients et des employés de l’employeur et l’intégrité et la sécurité de ses opérations.
[41] Sur cette question, la première commissaire prend note de la proposition faite par la travailleuse de procéder à l’étude ergonomique dans une salle de formation chez l’employeur, solution qui ne met pas en péril la vie privée des clients et des employés de l’employeur ni l’intégrité et la sécurité des opérations, de sorte qu’il n’est pas utile de disposer de ces arguments. Elle estime que l’étude ergonomique que veut produire la travailleuse, son coût et le délai que cela occasionne, sont proportionnels avec le but recherché, soit la reconnaissance d’une lésion professionnelle, alors que l’employeur ne subit peu ou pas de préjudice à permettre l’accès à une salle de formation.
[42] En début d’audience sur la présente requête en révocation, le procureur de l'employeur soutient d’abord que deux faits nouveaux militent en faveur de sa requête, à savoir, le dépôt par la travailleuse d’une étude ergonomique réalisée en juillet 2006 et d’un rapport d’évaluation médicale complété par le docteur Jules Poitras, chirurgien orthopédiste, dans le cadre d’un arbitrage médical.
[43] Selon le procureur, ces rapports établissent que la travailleuse n’a pas la capacité d’exercer le travail de croupier de sorte que sa demande pour une étude ergonomique devient caduque, voire même que sa participation à cette étude va à l’encontre de l’article 51 de la Loi sur la santé et la sécurité au travail[9] (la LSST) qui prévoit qu’un employeur doit prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique de ses travailleurs.
[44] La travailleuse a témoigné au sujet de la production de ces rapports qui l’ont été à son initiative personnelle. Elle indique au tribunal avoir eu copie de l’évaluation ergonomique de juillet 2006 le 1er septembre 2007. Elle a été informée de son existence par un représentant syndical, a demandé à en recevoir une copie, laquelle lui a été expédiée le 5 septembre 2007. Elle n’a pu montrer ce rapport au docteur Bergeron puisqu’elle ne l’a pas en sa possession au moment où elle le rencontre en juin 2007.
[45] En ce qui a trait au rapport d’évaluation médicale du docteur Poitras, elle dit comprendre plus ou moins ses conclusions, car si le docteur Poitras est d’avis qu’elle est incapable de refaire le travail de croupier, d’autres médecins disent le contraire, dont le docteur Yvan Comeau. Elle dit être capable d’effectuer les gestes à poser pour le travail de croupier lors de l'étude.
[46] D’autre part, le procureur de l’employeur soulève plusieurs éléments équivalents selon lui à des vices de fond de nature à invalider la décision de la première commissaire.
[47] Il reproche à la première commissaire d’avoir agi en fonction de dogmes ou d’automatismes. Ainsi, il soutient que la loi ne contient aucune disposition expresse permettant la visite des lieux pour procéder à des études ergonomiques.
[48] Pour étayer ses prétentions, il passe en revue la décision rendue par la première commissaire à compter du paragraphe 62 de sa décision.
[49] Dans ce paragraphe, la commissaire écrit que « le droit d’être entendu implique le droit de présenter toute preuve que la travailleuse juge pertinente ». Or, plaide le procureur, ce n’est pas à la travailleuse de juger de la pertinence d’une preuve mais au tribunal qu’il revient de le faire, ce qui équivaut à abdiquer sa compétence.
[50] La Commission des lésions professionnelles ne retient pas cet argument. La lecture de la décision indique que la première commissaire a soupesé les arguments des parties en tenant compte du droit d’être entendu (règle audi alteram partem).
[51] Elle se réfère ensuite à une décision de la Commission des lésions professionnelles (paragraphe 63) dans laquelle il est indiqué que le droit d’être entendu implique le droit de présenter toute preuve qu’un travailleur juge pertinente au soutien de sa contestation.
[52] Puis aux paragraphes 64 à 68, elle expose les motifs qui lui font conclure au paragraphe 68 que « la Commission des lésions professionnelles estime que l’étude ergonomique que désire produire la travailleuse est nécessaire et pertinente afin de permettre à son témoin-expert d’émettre une opinion éclairée sur la relation entre le travail de croupière qu’elle exerce et son état de santé » de sorte qu’il est faux de prétendre comme le fait le procureur de l'employeur que celle-ci a abdiqué sa compétence.
[53] Le procureur de l'employeur soutient que la première commissaire a commis une erreur en qualifiant le rapport d’évaluation médicale complété par le docteur Bergeron de projet. Il insiste sur le fait que dans son rapport, le docteur Bergeron n’a jamais mentionné qu’il s’agissait d’un projet et qu’il est catégorique dans ses conclusions. Il soutient que le docteur Bergeron semble s’être ravisé par la suite puisque c’est uniquement dans sa lettre du 27 décembre 2007 qu’il parle de « projet » mais ses lettres n’expliquent pas pourquoi il s’est ravisé.
[54] La soussignée comprend l’agacement du procureur de l’employeur face au docteur Bergeron qui semble s’être ravisé. Cependant, au stade de l’examen de la requête pour accès aux lieux, la première commissaire n’avait pas à supputer sur les intentions du docteur Bergeron mais devait plutôt se prononcer sur le droit de la travailleuse à une défense pleine et entière.
[55]
La première commissaire a fait état du contenu de l’expertise du docteur
Bergeron et celui des deux lettres qu’il adressait au représentant du syndicat
pour conclure comme elle l’a fait à savoir, que l’étude ergonomique que
désirait faire faire la
travailleuse était nécessaire et pertinente à sa preuve. Ce faisant, la
première commissaire a exercé sa compétence et il n’y a pas lieu d’intervenir
en révision sur la base de cet argument. La Commission des lésions
professionnelles estime que le procureur de l'employeur lui demande de
réexaminer la preuve et de substituer son opinion à celle de la première
commissaire, ce que le pouvoir de révision ou de révocation ne permet pas de
faire.
[56] Le procureur de l'employeur soumet également que la simulation de tâches faites par la travailleuse ne sera pas réaliste, cela d’autant plus que dans le cadre d’un arbitrage, le docteur Poitras a conclu que celle-ci n’était pas capable d’exercer le travail de croupier, considérant les contraintes biomécaniques qui affectent la travailleuse.
[57] La Commission des lésions professionnelles ne retient pas cet argument. D‘ailleurs, le procureur a avancé, devant la première commissaire, l’argument selon lequel la simulation de ses tâches par la travailleuse n’aurait pas de valeur probante, comme elle l’a mentionné aux paragraphes 76 à 85 de sa décision. Le raisonnement tenu consiste en ce qu’il appartient à la travailleuse de présenter la preuve qu’elle juge nécessaire, qu’il y va de son droit fondamental d’être entendu, qu’il ne s’agit pas au stade de la requête d’évaluer la valeur probante de la preuve qui ressortira de l’évaluation ergonomique, que c’est le témoin expert de la travailleuse qui considère que l’évaluation ergonomique est pertinente et nécessaire. Encore une fois, la Commission des lésions professionnelles estime que le procureur de l’employeur tente de faire un appel déguisé par le biais de sa requête en révocation.
[58] La Commission des lésions professionnelles ne voit dans l’exposé des motifs de la première commissaire aucune erreur manifeste et déterminante quant à l’issue du litige.
[59] Quant à l’argument avancé par le procureur de l'employeur au sujet de la découverte de deux faits nouveaux, la Commission des lésions professionnelles ne le retient pas non plus.
[60] Le premier alinéa de l’article 429.56 fait référence à un fait nouveau, qui, s’il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
[…]
__________
1997, c. 27, a. 24.
[61] Sur la question de savoir ce qu’est un fait nouveau, la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Bourdon et Genfoot Inc.[10] a déterminé que les trois éléments essentiels permettant l’application du paragraphe 1 de l’article 429.56 sont 1°, la découverte postérieure d’un fait nouveau, 2°, la non disponibilité de cet élément au moment où s’est tenue l’audience initiale et 3°, le caractère déterminant qu’aurait eu cet élément sur le sort du litige.
[62] Or, la Commission des lésions professionnelles ne voit pas comment l’étude ergonomique faite en 2006 à l’intention du Casino de Montréal, selon ce qui apparaît sur la page titre du document, et l’expertise du docteur Poitras pourraient être considérées comme des faits nouveaux inconnus de l'employeur.
[63] En ce qui concerne l’évaluation du docteur Poitras, la Commission des lésions professionnelles estime que l’employeur ne pouvait pas ne pas connaître l’évaluation faite dans le cadre d’un arbitrage prévu à la convention collective. Il ne s’agit donc pas d’un fait nouveau découvert a posteriori.
[64] Quant à l’étude ergonomique à l’intention du Casino de Montréal, faite en présence d’un représentant de l’employeur, la Commission des lésions professionnelles ne dispose d’aucune preuve à l’effet que cette étude n’était pas connue par l’employeur au dossier, le procureur se contentant d’invoquer qu’il s’agit d’un fait nouveau. La Commission des lésions professionnelles ne dispose non plus d’aucune preuve sur la question de savoir si le Casino du Lac-Leamy est une entité juridique distincte de celle du Casino de Montréal.
[65] La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que l’employeur n’a pas démontré la découverte de faits nouveaux.
[66] Enfin, le procureur de l'employeur soumet que la décision de la première commissaire met en péril le droit de propriété de l’employeur et la protection de la vie privée. Il soutient que le droit de la travailleuse à une défense pleine et entière s’oppose au droit de propriété de son client et que la Commission des lésions professionnelles doit se prononcer sur la priorité à accorder à l’un ou l’autre de ces droits.
[67] La Commission des lésions professionnelles n’entend pas emprunter l’avenue que lui suggère le procureur de l’employeur. Elle rappelle au procureur que sa compétence en révision lui vient de l’article 429.56 de la loi précité et que l’exercice de sa compétence ne va pas jusqu’à l’autoriser à rendre des jugements déclaratoires sur la primauté de tel droit par rapport à tel autre.
[68] Ce qu’il est important de considérer, c’est que la loi permet à un commissaire de rendre des ordonnances afin de se rendre sur les lieux du travail et que l’accommodement retenu par la première commissaire tient à la fois compte du pouvoir de la Commission des lésions professionnelles de rendre des ordonnances pour visite des lieux tout en respectant le droit de propriété et le droit à la vie privée de l'employeur.
[69] L’employeur n’ayant pas démontré un vice de fond de nature à invalider la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles, il s’ensuit que sa requête en révocation doit être rejetée.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossiers 290163-07-0605 et 309379-07-0702
REJETTE la requête produite par Casino du Lac-Leamy, l’employeur.
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Lise Collin |
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M. Sylvain Calouette |
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Syndicat des croupiers du Casino de Montréal |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Jean-François Gilbert |
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Gilbert, avocats |
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Représentant de la partie intéressée |
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Me Julie Perrier |
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Panneton Lessard |
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Représentante de la partie intervenante |
Jurisprudence déposée par la partie requérante
Jurisprudence déposée par la partie intéressée
[1] Dans cette décision, la Commission des lésions professionnelles a aussi rejeté une requête en recours abusif ou dilatoire produite par l’employeur, mais ce volet de la décision n’est pas remis en question.
[2] L.R.Q., c. A-3.001.
[3] C.L.P. 936883-64-9801, 7 juin 2002, A. Vaillancourt.
[4] [1999] C.L.P. 954 .
[5] Desrochers et Marché Bel-Air inc., 90831-63-9708, 13 décembre 1999, P. Brazeau; Mazzaferro et Confection de vêtements Nadia inc., C.L.P. 150945-72-0011, 18 décembre 2003, L. Boucher.
[6] Produits Forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchenelli et Sousa, [1998] C.L.P. 783 .
[7] CSST et Fontaine, [2005] C.L.P.; CSST et Toulimi, [2005] C.L.P. 921 (C.A.).
[8] Chapitre C-37.
[9] L.R.Q. c. S-2.1.
[10] C.A.L.P. 89786-62-9706, 15 juin 1999, P. Perron (1999] L.P.-68; [1999] C.L.P. 1096 (C.S.) 1106 à 1108.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.