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DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
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[1] Le 4 mai 2005, Services canadiens de rebuts CWS (Intersan inc.) (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision d’une décision rendue par cette instance le 4 avril 2005.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles accueille la requête de la succession de monsieur Serge Goulet et déclare que ce dernier est décédé des séquelles d’une bérylliose chronique contractée à la suite d’une exposition significative à des poussières contenant du béryllium.
[3] L’employeur, ainsi que la succession de monsieur Serge Goulet, sont représentés à l’audience tenue à Québec le 11 octobre 2005.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] L’employeur demande de réviser la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 4 avril 2005 puisque celle-ci comporte des erreurs manifestes et déterminantes en faits et en droit, ce qui constitue un vice de fond de nature à invalider cette décision.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations syndicales recommande de rejeter la requête de l’employeur. Il estime que, malgré le fait que la décision comporte certaines erreurs, celles-ci ne sont pas déterminantes quant à l’issue du litige. Le premier commissaire a apprécié la preuve soumise et a décidé en fonction de la règle de droit applicable. Il a conclu que les conditions donnant ouverture à la présomption énoncée à l’article 29 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) ont été établies par une preuve prépondérante et que l’employeur n’a pas réussi à renverser l’application de cette présomption.
[6] Le membre issu des associations syndicales recommande d’accueillir la requête en révision. À son point de vue, il n’y a aucune raison de renverser l’opinion des pneumologues, membres des Comités que la loi prévoit.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a lieu de réviser la décision qu’elle a rendue le 4 avril 2005.
[8] Le pouvoir de révision est prévu à l’article 429.56 de la loi qui énonce ce qui suit :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
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1997, c. 27, a. 24.
[9] Ce pouvoir de révision s’inscrit dans le contexte de l’article 429.49 de la loi qui énonce qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel. Le recours en révision est donc une procédure d’exception qui n’est accordé que pour les motifs prévus à l’article 429.56 de la loi.
[10] En l’espèce, la recours en révision se fonde sur le troisième paragraphe de l’article 429.56 de la loi. Il est bien établi par la jurisprudence que la notion de « vice de fond de nature à invalider une décision » correspond à une erreur manifeste de faits ou de droit qui est déterminante sur l’issue du litige. Il est également bien établi par la jurisprudence que le pouvoir de révision ne permet pas au commissaire saisi du recours de substituer son interprétation de la loi ou son appréciation de la preuve à celle qui a été faite par le premier commissaire à moins que cette décision ne comporte une erreur manifeste et déterminante.
[11] Récemment, la Cour d’appel a rendu une décision dans l’affaire C.S.S.T. et Fontaine[2] dans laquelle elle discute notamment de la portée de la notion de « vice de fond de nature à invalider une décision ». Comme l’indique la commissaire Nadeau dans l’affaire Louis-Seize et CSLC - CHSLD de la Petite-Nation et C.S.S.T.[3], la Cour d’appel invite à la prudence dans l’application de ce critère. Plus particulièrement, la Commission des lésions professionnelles indique :
« [21] La soussignée estime qu’effectivement le critère du vice de fond, défini dans les affaires Donohue et Franchellini comme signifiant une erreur manifeste et déterminante, n’est pas remis en question par les récents arrêts de la Cour d’appel. Lorsque la Cour d’appel écrit que la « gravité, l’évidence et le caractère déterminant d’une erreur sont des traits distinctifs susceptibles d’en faire « un vice de fond de nature à invalider une décision », elle décrit la notion en des termes à peu près identiques. L’ajout du qualificatif « grave » n’apporte rien de nouveau dans la mesure où la Commission des lésions professionnelles a toujours recherché cet élément aux fins d’établir le caractère déterminant ou non de l’erreur.
[22] Toutefois, l’invitation à ne pas utiliser la notion de vice de fond à la légère et surtout l’analyse et l’insistance des juges Fish et Morrissette sur la primauté à accorder à la première décision et sur la finalité de la justice administrative, invitent et incitent la Commission des lésions professionnelles à faire preuve d’une très grande retenue. La première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles fait autorité et ce n’est qu’exceptionnellement que cette décision pourra être révisée. Pour paraphraser le juge Fish dans l’affaire Godin7, que ce soit pour l’interprétation des faits ou du droit, c’est celle du premier décideur qui prévaut.
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7 Précitée, note 8.
[12] En l’espèce, le premier commissaire avait à déterminer si le travailleur est décédé des suites d’une maladie professionnelle, plus particulièrement d’une bérylliose reliée à une exposition au béryllium dans son milieu de travail.
[13] La Commission des lésions professionnelles a pris connaissance de l’enregistrement numérique de l’audience tenue devant le premier commissaire et de la preuve documentaire.
[14] Le premier commissaire a eu l’occasion d’entendre la conjointe du travailleur défunt ainsi que son fils et un confrère de travail qui avaient eu la possibilité d’accompagner le travailleur à son lieu de travail. Le tribunal a également entendu le témoignage du Dr Paul Bégin, pneumologue traitant du travailleur, qui l‘a suivi tout au long de sa maladie et qui, au surplus, était présent au moment de l’autopsie. L’employeur n’a pas présenté de témoin.
[15] De plus, sur le plan documentaire, la Commission des lésions professionnelles avait en main, notamment, les documents suivants :
- Une étude d’exposition à différentes substances réalisée en août 1999 par monsieur Bernard Larouche, technicien en hygiène de travail;
- Une évaluation du risque d’exposition au béryllium à l’usine Laterrière de l’Alcan préparée en août 2002 par monsieur Benoît Garneau, technicien en hygiène industrielle, et monsieur Yvon Potvin, chimiste et analyste principal en hygiène industrielle;
- Un rapport technique du 31 mars 2004 portant sur l’évaluation des expositions professionnelles au béryllium et aux poussières totales du préposé au reconditionnement et remplacement des cuves, dans l’exécution de certaines tâches.
- Une décision de la Commission des lésions professionnelles rendue le 21 février 2001 qui écarte le diagnostic de silicose, considérant que celui-ci n’a pas été établi et que la preuve ne permettait pas de conclure à une exposition significative à la poussière de silice;
- Les fiches signalétiques des produits auxquels aurait pu être exposé le travailleur à l’époque pertinente au litige, principalement entre 1989 à 1995, ainsi que les notes évolutives du dossier en 1999, incluant les commentaires du travailleur sur ses conditions de travail;
- Un document de l’Institut national de santé publique du Québec qui discute du test sanguin de prolifération lymphocytaire au béryllium (BeLPT).
[16] Afin de bien saisir le litige, la Commission des lésions professionnelles présente un bref résumé des faits.
[17] Le travailleur est camionneur. Il transporte différents types de rebuts provenant de la production industrielle. De 1989 à juin 1995, à l’usine Laterrière de l’Alcan, le travailleur transporte des bennes de bains électrolytiques de l’entrepôt des anodes scellées et mégots et transvide le bain dans une autre bâtisse qu’on appelle l’atelier de broyage du bain. Il s’agit d’un espace clos et le travailleur s’y rend tous les jours, matin et soir, à raison d’une vingtaine de minutes chaque fois. Au cours de cette période, le travailleur a transporté et transvidé d’autres types de rebuts, notamment de la brasque usée, de l’écume et du résidu de métal du broyeur, mais pour les fins du litige devant la Commission des lésions professionnelles, la source de contaminant provient surtout des bains électrolytiques.
[18] Lorsque la benne de bain électrolytique se vide, l’opérateur est exposé à la poussière qui se propage dans l’air ambiant. Selon l’étude d’exposition qui a été faite en août 1999, le niveau d’exposition à la poussière à cet endroit est estimé élevé.
[19] Le travailleur consulte pour la première fois un pneumologue le 26 février 1997. Il souffre alors, selon les notes du médecin, de dyspnée épisodique à l’effort, à l’exposition au froid et à la fumée de cigarette. Une médication appropriée est prescrite et le pneumologue suggère également au travailleur de perdre du poids.
[20] Le travailleur fait d’abord une réclamation pour silicose. À la suite de la décision de la Commission des lésions professionnelles qui confirme l’avis du Comité des maladies pulmonaires professionnelles et du Comité spécial des présidents à l’effet que la preuve ne permet pas de conclure que le travailleur a été exposé à de la poussière contenant de la silice, une nouvelle réclamation est présentée en octobre 2001, puisque le pneumologue traitant du travailleur, le Dr Bégin, apprend que ce dernier a été exposé à des poussières contenant du béryllium.
[21] Le travailleur décède le 29 décembre 2001, à l’âge de 47 ans, sans que tous les examens diagnostiques aient pu être complétés. Une autopsie est pratiquée et le Dr André Cholette élabore la liste des diagnostics définitifs :
« 1. Pneumonite granulomateuse fibrosante étendue et sévère dont l’étiologie est à corréler avec la clinique mais dont la morphologie est bien compatible avec une exposition au béryllium avec :
a) Adénite granulomateuse médiastinale.
b) Granulomatose hépatique, splénique, péricardique et pleurale.
2. Hypertrophie cardiaque globale.
3. Splénomégalie congestive avec congestion viscérale diffuse modérée.
4. Encéphalopathie anoxique modérée à sévère avec oedème cérébral important.
5. Stéatose hépatique légère à modérée, à prédominance centro-lobulaire. »
[22] Le 18 octobre 2002, le Comité des maladies pulmonaires professionnelles est d’avis que, selon la prépondérance des probabilités, le patient est décédé d’une sarcoïdose pulmonaire puisqu’il n’y a aucun élément qui soutient l’hypothèse d’une bérylliose. Il conclut que le décès n’a aucun lien avec les antécédents professionnels du travailleur.
[23] Puis, le 14 novembre 2002, le Comité spécial des présidents détermine que le travailleur est vraisemblablement décédé d’une sarcoïdose pulmonaire qui n’est pas d’origine professionnelle.
[24] Le 16 décembre 2002, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) refuse la réclamation de maladie pulmonaire présentée par le travailleur. À la suite d’une révision administrative, cette décision est maintenue, d’où le litige dont était saisi le premier commissaire.
[25] Dans la décision dont on demande la révision, le premier commissaire tient compte des différents commentaires du Dr Réal Lagacé, pathologiste désigné par la CSST, dont les conclusions peuvent se résumer comme suit :
« Les lésions histologiques de la bérylliose sont superposables et ne peuvent être distinguées de la sarcoïdose. Par contre, et c’est là ma conclusion, contrairement à la sarcoïdose qui est une maladie systémique, la bérylliose est limitée à une atteinte pulmonaire et à une atteinte cutanée s’il y a des sites d’inoculation locale. Comme dans le présent cas l’autopsie a documenté une atteinte granulomateuse hépatique, splénique, péricardique et pleurale, en l’absence de toute démonstration de micro-organismes, un diagnostic de sarcoïdose est à mon avis le plus probable. À ma connaissance, les lésions granulomateuses non nécrosantes associées aux poussières d’aluminium sont aussi limitées aux poumons. On peut aussi avoir des atteintes cutanées mais sous forme de télangiectasies en particulier chez les ouvriers décapeurs de cuves.
Diagnostic : pneumopathie granulomateuse non nécrosante associée à une adénite granulomateuse médiastinale, à une granulomatose hépatique, splénique, péricardique et pleurale compatible avec une sarcoïdose. »
[26] Le premier commissaire tient également compte des avis du Comité des maladies pulmonaires professionnelles et du Comité spécial des présidents dont les conclusions sont essentiellement basées sur le fait que les résultats des études environnementales dont ils ont pris connaissance ne mettent pas en évidence de contact avec le béryllium.
[27] Il fait ensuite référence au test de prolifération lymphocytaire qui a été effectué par la clinique du Dr Newman, test que l’on appelle communément le BeLPT. Puis, il discute de l’étude d’évaluation du risque d’exposition au béryllium à l’usine de Laterrière à l’Alcan, dont il retient ce qui suit[4] :
« […]
[25] Il dépose une étude récente de la Société Alcan visant à évaluer les risques associés à la présence de béryllium dans les locaux de l’entreprise à Laterrière. Suivant la preuve, les méthodes de travail ont été modifiées après 1993. Lors de l’audience, la méthode de travail en vigueur entre 1989 et 1993 a été alléguée pour établir une relation entre le décès du travailleur et son emploi, au cours de ces années. Le document confirme que les résidus les plus significatifs de poussières de béryllium sont déposés sur les instruments qui servent au contrôle du culbuteur dans l’atelier de broyage.
[26] La preuve est à l’effet que les tâches du travailleur impliquaient le déversement dans l’atelier de broyage de grandes quantités de matériaux résiduels en provenance de bains électrolytiques. Le travailleur déversait ce genre de poussières plusieurs fois le matin et plusieurs fois en fin de journée et cela sept jours par semaine, pendant plusieurs années. Il est en preuve que chaque opération mettait en circulation une grande quantité de poussières et que le travailleur devait respirer cette poussière pour procéder au déversement de son camion de rebuts. (…) »
[28] De l’opinion du pneumologue traitant, le Dr Bégin, le premier commissaire retient ce qui suit[5] :
« [27] Le médecin du travailleur a longuement explicité son cheminement intellectuel dans cette affaire. Il reconnaît que la conclusion des spécialistes n’est pas déraisonnable, dans la mesure où, comme lui avant le 27 septembre 2001, ils avaient la perception que le travailleur n’avait pas été exposé à des poussières contenant du béryllium. Il rappelle, toutefois, que les tests du Dr Newman doivent être utilisés avec prudence. Il conteste fortement l’appréciation de la preuve médicale proposée par le Dr Lagacé. Il estime que médicalement les diagnostics de sarcoïdose et de bérylliose sont possibles et que la seule façon de conclure que le travailleur ne souffre pas de bérylliose chronique est d’avoir la preuve qu’il n’était pas exposé à ce produit.
[28] À cause de la progression fulgurante de la maladie, il avait pensé au diagnostic de bérylliose, mais ne l’avait pas retenu parce que les informations ne permettaient pas de conclure que le travailleur était exposé. Nous avons maintenant la preuve qu’il a été très exposé, pendant de longues périodes. De plus, les séquences de travail réparties dans la journée le privaient de périodes d’élimination. Il a été plus exposé qu’un travailleur qui quitte après sa journée de travail et bénéficie de longues fins de semaine pour éliminer les toxines accumulées, au cours de son emploi. (…) »
[29] Finalement, les motifs de la décision sont les suivants[6] :
« […]
[37] L’analyse des causes du décès de Monsieur Serge Goulet est compliquée du fait que son décès n’a pas permis d’effectuer tous les tests utiles pour confirmer le diagnostic. De plus, le chapitre des maladies pulmonaires est confié par la LATMP à des Comités spécialisés. Il en résulte que, même si la détermination des causes de la maladie n’appartient pas à ces Comités, la marge de manœuvre de la Commission des lésions professionnelles est très limitée.
[38] De plus, les médecins du travailleur ont mis du temps à cerner les causes des problèmes respiratoires de Monsieur Goulet. Dans un premier temps, le travailleur a été traité pour de l’asthme. Par la suite, vu la progression rapide de la symptomatologie, le médecin du travailleur a soupçonné la présence d’un agresseur dans le milieu de travail. Nous l’avons noté plus haut, l’hypothèse de silicose a été écartée par les Comités spécialisés et par la Commission des lésions professionnelles.
[39] Le diagnostic retenu par le Dr Bégin le 27 septembre 2001 implique une démarche de recherche très complexe. Les connaissances sur le sujet évoluent depuis plusieurs années, mais les moyens de détection ne sont pas encore très perfectionnés.
[40] Les symptômes de dyspnées et de toux sont présents dès 1994. Il y a présence de fibrose interstitielle qui résulte d’une réaction immunitaire spécifique au béryllium. Le Dr Bégin réitère que, sans preuve d’exposition à de la poussière contenant du béryllium, il aurait maintenu le diagnostic de sarcoïdose. L’appréciation des membres des Comités n’est pas valable parce qu’elle repose sur une fausse prémisse, soit l’absence d’exposition à des poussières de béryllium.
[41] Conscient de la complexité de la preuve, le législateur a voulu faciliter la tâche des plaideurs en prévoyant un certain nombre de présomptions. L’article 29 de la LATMP est à l’effet :
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
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1985, c. 6, a. 29.
[41] L’alinéa 2 de la section V de l’annexe I porte sur les maladies pulmonaires présumément causées par diverses poussières de métaux durs. Ainsi, la LATMP établit que lorsqu’il y a preuve d’une exposition à de la poussière contenant du béryllium une broncho-pneumopathie sera présumée être une maladie professionnelle.
[43] Le témoignage du Dr Bégin est à l’effet que le seul moyen de distinguer les signes cliniques de sarcoïdose de ceux d’une bérylliose qui sont toutes deux des bronchopneumopathies est en obtenant la preuve que l’environnement de travail ne contient pas ce genre de polluant.
[44] Il constate qu’avant le 27 septembre 2001, c’était cette perception qu’il avait du milieu de travail de Monsieur Goulet. Après avoir reçu la confirmation que l’air ambiant de l’atelier de broyage recelait d’importantes quantités de béryllium, il a fait un lien avec l’assignation du travailleur à tous les jours de la semaine, plusieurs fois par jour pour alimenter le broyeur des résidus de bains électrolytiques. Il a été convaincu que Monsieur Goulet souffrait de cette condition.
[45] En prenant connaissance du rapport du Comité des maladies pulmonaires professionnelles, il a été surpris de la mention à l’effet qu’il n’y avait pas de preuve que le travailleur avait été en contact avec du béryllium. Lorsque le représentant du travailleur lui a confirmé que cet allergène était présent dans le milieu de travail de Monsieur Goulet pendant plusieurs années, il a été convaincu que son diagnostic de bérylliose chronique était le seul valable dans le cas du travailleur.
[46] Le document produit lors de l’audience est intitulé Évaluation du risque Béryllium Alcan-Usine Laterrière dans lequel on peut lire en page 6 «L’occupation 1010, -celle du travailleur- «Opérateur de cellules 001, Changeur d’anodes» est exposée en moyenne à 0,06μg/m³ de béryllium, les expositions varient de 0,04 à 0,08 μg/m³ (Tableau 1, Annexe1). Cette occupation est très exposée au béryllium. Ces travailleurs sont en contact le bain chaud.» (page 6). «Dans l’atelier de broyage du bain la concentration moyenne est de 0,08μg/m³, trois résultats sur cinq atteignent le seuil d’action (Tableau 2, Annexe 2). C’est dans ce secteur que les concentrations de béryllium sont les plus élevées.» (page 8). «Il n’y a quelques endroits où les concentrations de béryllium excèdent le seuil d’action qui est 0,1μg/m³. En effet, au broyage du bain, le seuil d’action est excédé à trois reprises.» (page 9). Le travailleur déversait le contenu des bennes dans un culbuteur donnant accès à ce secteur d’activité et les dépôts sont très importants sur la pompe placée sur la boite électrique à proximité du culbuteur. Les experts en déduisent que «Devant cet état de fait, il importe que les recommandations suivantes soient dûment interprétées, mises en contexte et appliquées pour toutes les occupations potentiellement à risque et pour tous les lieux de travail à concentration ambiantes élevées (>0,1μg/m³) en béryllium ». (page 11). Il devient donc évident pour la Commission des lésions professionnelles que Monsieur Serge Goulet fut exposé pendant plusieurs années à des poussières contenant un taux élevé de béryllium dans l’exercice de ses fonctions.
[47] La Commission des lésions professionnelles en déduit que les prémisses du Comité des maladies pulmonaires professionnelles et du Comité spécial des présidents sont fausses puisque le travailleur a été exposé à des poussières contenant des quantités de béryllium pour lesquelles la Société Alcan juge utile le port de protection et la diminution de la circulation dans l’atelier de broyage. Le travailleur n’a pas bénéficié de ces mesures et il a été, en conséquence, fortement exposé plusieurs fois par jour, à tous les jours de la semaine à une importante quantité de poussières nocives. Le déversement de bennes contenant des résidus de bain électrolytique produisait un nuage de poussière dans un local clos et le travailleur devait circuler pendant plusieurs minutes dans ce local, à chaque déversement. Nous avons noté que des pièces fixes de l’atelier de broyage étaient les plus contaminées de l’usine à l’intérieur de laquelle l’analyse a été faite.
[48] La preuve médicale confirme que les symptômes ont évolué comme c’est normalement le cas pour une bérylliose chronique ou une sarcoïdose et qu’il y a peu de moyens médicaux pour distinguer la bérylliose de la sarcoïdose.
[49] Parallèlement, le pathologiste ne pouvait conclure que la bérylliose se différencie de la sarcoïdose par une atteinte pulmonaire et cutanée. La preuve produite à l’audience confirme que les deux maladies partagent les mêmes traits. Les passages suivants de la doctrine déposée, lors de l’audience, sont très explicites :
*«The most difficult differential is between chronic beryllium disease and sarcoidosis because these diseases share similar signs, symptoms, radiographic abnormalities, lung function findings, and histopathology»
Nancy L. Sprince
*«In this condition (chronic berylliosis) lesions are not confined to the lungs but may also occur in the skin, liver, kidney, spleen and lymph glands (Hardy, 1955a)
The pneumoconioses and other occupational lung diseases
*«For many years it has been well-recognized that differentiating between beryllium disease and sarcoidoses is difficult because of the similar clinical, roentgenologic, and histopathologic features.»
Current problem of differentiating
between beryllium disease and
sarcoidosis….page 654
[50] Il en résulte que la conclusion des Comités spécialisés qui est basée sur les affirmations du Dr Lagacé ne peut être retenue. Nous avons, par ailleurs, constaté que le Dr Lagacé est d’avis que les connaissances scientifiques retiennent que les granulomes sont généralement plus étendus dans la bérylliose que dans la sarcoïdose. Le rapport d’autopsie est à l’effet que les granulomes étaient étendus et sévères dans les poumons de Monsieur Serge Goulet. Sur cet aspect, l’expertise du Dr Lagacé n’est pas contredite.
[51] En somme, au plan médical, la preuve confirme que les signes cliniques de la sarcoïdose et la bérylliose se ressemblent beaucoup et qu’il est difficile de les différencier. Au plan scientifique, il est reconnu que la présence de béryllium doit être suffisamment importante pour causer la maladie et que les atteintes seront principalement au niveau pulmonaire. Il n’est pas exact de prétendre que seulement les poumons seront atteints. Les normes appliquées par les Comités spécialisés sont celles en vigueur, au plan scientifique, en Amérique du Nord, mais les Comités ne pouvaient conclure sur la base d’un seul test sanguin de prolifération lymphocytaire au béryllium (BeLPT) négatif et conclure que le travailleur ne souffrait pas de bérylliose.
[52] Le témoignage du Dr Bégin et les recommandations de l’Institut national de santé publique du Québec sont à l’effet qu’il faut deux BeLPT pour confirmer que le patient ne souffre pas de bérylliose chronique parce que ce genre de test est faussement négatif dans une très forte proportion.
[53] Par contre, dans la mesure où l’avis du Dr Lagacé ne résiste pas à l’analyse et qu’il y a évidence d’exposition à de la poussière de béryllium, il n’est pas raisonnable de conclure comme le propose le Comité des maladies pulmonaires professionnelles et le Comité spécial des Présidents. La Commission des lésions professionnelles estime que la sarcoïdose et la bérylliose sont deux maladies indissociables sur les plans cliniques, radiologique et histopathologique. La Commission des lésions professionnelles est d’avis que la preuve est à l’effet que monsieur Goulet a été exposé au béryllium dans le cadre de son emploi chez l’employeur, dans le département du broyage. La Commission des lésions professionnelles en déduit qu’il est plus que probable que monsieur Goulet ait affecté d’une bérylliose chronique d’origine professionnelle.
[54] Finalement, le travailleur bénéficie de la présomption édictée à l’article 29 de la LATMP. Le fardeau de preuve que le législateur impose à l’employeur lorsque la preuve est faite d’une exposition à des poussières de béryllium n’a pas été renversé par l’employeur. Il est vrai que le fardeau de preuve est lourd, mais le législateur a choisi de faciliter la preuve de maladie professionnelle lorsque des circonstances identiques à celles mises en preuve en la présente sont établies.
[55] Il en résulte que la Commission des lésions professionnelles doit présumer que Monsieur Serge Goulet a été victime des suites de l’évolution fulgurante d’un bérylliose chronique et que c’est cette condition qui a imposé son retrait de l’emploi à un aussi jeune âge. (…) » (sic)
[30] La lecture de la décision permet d’en dégager les fondements. Le premier commissaire avait d’abord à se questionner sur l’application de la présomption qu’énonce l’article 29 de la loi précitée. La section V de l’annexe 1 à laquelle renvoie cette disposition prévoit ce qui suit :
ANNEXE I
MALADIES PROFESSIONNELLES
(Article 29)
SECTION V
MALADIES PULMONAIRES CAUSÉES PAR DES POUSSIÈRES
ORGANIQUES ET INORGANIQUES
MALADIES |
GENRES DE TRAVAIL |
|
|
1. (…) |
(…); |
2. Bronchopneumopathie causée par la poussière de métaux durs: |
un travail impliquant une exposition à la poussière de métaux durs; |
3. (…) |
(…) |
__________
1985, c. 6, annexe I.
[31] Ainsi, dans la mesure où la preuve établit l’exposition à de la poussière de métaux durs et dans la mesure où l’on peut déterminer que le travailleur souffre d’une bronchopneumopathie, on présume donc qu’il s’agit d’une maladie professionnelle.
[32] Le premier commissaire conclut que le genre de travail exercé par le travailleur implique une exposition à la poussière de métaux durs. L’employeur reproche au premier commissaire d’avoir retenu cette conclusion en appliquant sans nuance les conclusions de l’étude faite en 2002 aux conditions de travail qui prévalaient à l’époque où le travailleur se rendait à l’usine. Il ajoute que le commissaire a fait fi de la mise en garde qu’il a exprimée à l’audience quant à l’objet et à l’étendue de cette évaluation.
[33] La Commission des lésions professionnelles constate premièrement que l’employeur n’a pas présenté en temps utile, d’objection formelle au dépôt de ce rapport d’évaluation. Il s’est contenté de formuler quelques remarques visant à placer cette évaluation dans son contexte. Ces remarques étant faites, l’étude sur l’évaluation du risque d’exposition au béryllium faite en 2002 fait partie de la preuve que le premier commissaire avait à apprécier. Il en a tenu compte et a considéré que les données essentielles relatives au risque d’exposition au béryllium faisaient écho aux témoignages du fils du travailleur et de son collègue de travail qui ont décrit le milieu de travail et à certaines données du rapport de M. Larouche rédigé en 1999.
[34] Par ailleurs, l’employeur soumet que dans son appréciation de ce rapport, le premier commissaire aurait dû tenir compte de la conclusion générale selon laquelle le travail impliquait une exposition faible à la poussière contenant du béryllium. En effet, un seul résultat était supérieur au seuil d’action que l’employeur avait adopté et c’est celui que l’on retrouvait à l’atelier de broyage du bain, là où le travailleur transvidait les bains électrolytiques.
[35] Même s’il avait référé à cette conclusion, celle-ci ne pouvait amener le premier commissaire à conclure que le travail n’impliquait pas une exposition à la poussière de métaux durs. En effet, dans le cadre de l’application de la présomption de l’article 29, la loi ne prévoit pas qu’il faille quantifier l’exposition pour déterminer si elle est peu ou pas significative. C’est l’employeur qui doit, par sa preuve, renverser la présomption en démontrant qu’en dépit d’une exposition au béryllium, la maladie du travailleur ne pouvait découler de celle-ci. Or, il n’a pas fait la preuve qu’aux niveaux retrouvés dans le rapport, il était impossible de développer la maladie.
[36] Par ailleurs, l’employeur signale une erreur qu’il estime manifeste et déterminante au paragraphe 46 de la décision dont il demande la révision.
[37] Le premier commissaire indique que le travailleur occupe un emploi de changeur d’anodes et ajoute qu’il s’agit d’un emploi très exposé au béryllium. Or, le travailleur n’a jamais occupé cet emploi. L’erreur est donc manifeste. Par contre, la Commission des lésions professionnelles ne croit pas qu’elle soit déterminante sur l’issue du litige. L’employeur a beaucoup insisté sur le paragraphe 46 de la décision précisant qu’il était au cœur du raisonnement du premier commissaire.
[38] La Commission des lésions professionnelles estime que la décision du premier commissaire ne se limite pas à ce paragraphe et celui-ci ne peut certainement pas être considéré isolément. Il ressort de l’ensemble de la décision, plus précisément des paragraphes 26 et 27, que le premier commissaire ne s’est finalement pas mépris sur les tâches réellement exercées par le travailleur. D’ailleurs, à l’intérieur même du paragraphe 46, il décrit l’essentiel des tâches du travailleur à l’atelier de broyage du bain rapportant fidèlement les conclusions d’évaluation de l’exposition du béryllium à cet endroit et les recommandations de l’employeur relatives à l’équipement de protection.
[39] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que la conclusion du premier commissaire concernant le genre de travail exercé aux fins de l’application de la présomption de l’article 29 de la loi repose sur une appréciation de l’ensemble de la preuve exempte d’erreur manifeste et déterminante.
[40] Il reste donc à identifier si le travailleur présentait la maladie qui est énumérée à l’annexe I. Personne ne conteste que la bérylliose comme la sarcoïdose est une forme de bronchopneumopathie. La véritable question était de déterminer si la prépondérance de la preuve permettait de conclure, qu’en l’espèce, elle pouvait être secondaire à une exposition à la poussière de béryllium.
[41] En se basant principalement sur l’opinion du Dr Paul Bégin, pneumologue traitant, sur certaines constatations du rapport d’autopsie et sur les recommandations de l’Institut National de la santé relative à la fiabilité des résultats d’un seul rapport du test de prolifération lymphocitaire au béryllium (BeLPT), le premier commissaire retient que la bronchopneumopathie est en l’espèce une bérylliose secondaire à une exposition au béryllium.
[42] L’employeur soumet essentiellement que le premier commissaire ne pouvait arriver à cette conclusion parce que le test de BeLPT était négatif. Sur cette question, le premier commissaire a eu l’occasion d’entendre les commentaires du Dr P. Bégin, sur la fiabilité du résultat de ce test. Il ressort de la décision que ces commentaires, tenant compte de l’ensemble de la preuve, ont été les plus convaincants. Il faut bien admettre que le premier commissaire a dû également tenir compte du fait que le deuxième test n’a pu être réalisé en raison du décès du travailleur. Puisqu’il avait déjà conclu à une exposition au béryllium dans son milieu de travail, ce que le Comité des maladies professionnelles pulmonaires n’avait pas retenu, le premier commissaire a considéré qu’un seul test négatif ne pouvait être suffisant pour exclure définitivement le diagnostic de bérylliose.
[43] Ainsi, la Commission des lésions professionnelles considère que la conclusion du premier commissaire donnant suite à l’application de l’article 29 tout comme celle qui déclare qu’elle n’a pas été renversée, découle de son appréciation des faits et du droit.
[44] L’employeur a fait des choix de stratégie à l’audience initiale. Il a choisi de ne pas faire entendre de témoin et n’a pas été en mesure de convaincre autrement le premier commissaire du bien-fondé de ses prétentions. Il tente maintenant de remédier à cette situation en remettant en cause l’appréciation que le premier commissaire a fait de la preuve. Or, il n’appartient pas à la soussignée de substituer son appréciation de la preuve à celle qui a été faite par le premier commissaire.
[45] Ainsi, en ayant à l’esprit l’enseignement de la Cour d’appel, la Commission des lésions professionnelles conclut que la décision qu’elle a rendue le 4 avril 2005 ne comporte pas d’erreurs manifestes et déterminantes quant à l’issue du litige. Il n’y a pas de motifs qui donnent ouverture à la révision de cette décision.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en révision.
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MARIE BEAUDOIN |
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Commissaire |
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Me Jacques Degré |
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T.U.A.C. (LOCAL 509) |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Jean-Claude Turcotte |
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LORANGER, MARCOUX |
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Représentant de la partie intéressée |
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