Décision

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Iadinardi et Bas de nylon Doris ltée

2011 QCCLP 844

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Drummondville

8 février 2011

 

Région :

Montréal

 

Dossiers :

318386-71-0705-R2           331474-71-0710-R2

 

Dossiers CSST :

130849599   126365022

 

Commissaire :

Lise Collin, juge administratif

 

Membres :

Claude Jutras, associations d’employeurs

 

Éloi Lévesque, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Antonio Iadinardi

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Bas de nylon Doris ltée

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 10 septembre 2009, monsieur Antonio Iadinardi (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision ou en révocation à l’encontre d’une décision relative à une requête en révision ou en révocation rendue par le tribunal le 4 août 2009.

[2]           Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision accueille la requête déposée par le manufacturier Bas de nylon Doris ltée, révise partiellement la décision rendue par le tribunal le 14 juillet 2008 et déclare que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 30 novembre 2006 dont le diagnostic est une tendinite de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche (Dossier 318454-71-0705).

[3]           De plus, par cette décision, la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision rejette la requête en révision déposée par le travailleur à l’encontre de la décision du tribunal qui déclarait que la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) était justifiée de refuser de reconsidérer sa décision initiale du 22 août 2005 portant sur sa capacité à exercer un emploi convenable (Dossier 331474-71-0710).

[4]           Enfin, la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision déclare que la base salariale devant servir au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur à compter du 30 novembre 2006 est le salaire calculé à partir des pièces cousues ou le salaire minimum (Dossier 318386-71-0705).

[5]           Le travailleur est présent et représenté à l’audience tenue devant la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision le 9 mars 2010. Le manufacturier Bas de nylon Doris ltée (l’employeur) est représenté.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[6]           Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision rendue le 4 août 2009 par la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision au motif qu’elle contient un vice de fond de nature à l’invalider. Il demande au tribunal de déclarer que la base de salaire à retenir aux fins du calcul de l’indemnité de remplacement du revenu à lui être versée à compter du 30 novembre 2006 est de 33 000 $.

L’AVIS DES MEMBRES

[7]           Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont d’avis de rejeter la requête en révision déposée par le travailleur.

[8]           De toute évidence, celui-ci est mécontent de la décision rendue au sujet de la base salariale à retenir, mais il n’a pas assumé son fardeau de démontrer au moyen d’une preuve prépondérante que le tribunal siégeant en révision a rendu une décision comportant un vice de fond de nature à l’invalider.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[9]           La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision doit décider s’il y a lieu de réviser la décision rendue par le tribunal le 4 août 2009.

[10]        Après avoir pris connaissance de la preuve, entendu les représentations faites de part et d’autre et reçu l’avis des membres issus des associations syndicales et d’employeurs, la Commission des lésions professionnelles conclut par la négative. Cette conclusion repose sur les éléments suivants.

[11]        Selon l’article 429.49 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), les décisions de la Commission des lésions professionnelles sont finales et sans appel.

[12]        Une décision peut toutefois être révisée ou révoquée sous certaines conditions prévues à l’article 429.56 de la loi.

429.56.  La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[13]        Il appartient à la partie qui demande la révision ou la révocation d’une décision de démontrer au moyen d’une preuve prépondérante l’un des motifs prévus par le législateur à l’article 429.56 de la loi, en l’occurrence un vice de fond de nature à l’invalider.

[14]        Depuis les décisions rendues dans les affaires Produits forestiers Donohue inc. et Franchellini[2], la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision interprète la notion de « vice de fond de nature à invalider la décision » comme faisant référence à une erreur manifeste en droit ou en fait qui a un effet déterminant sur le sort du litige. C’est donc dire que le pouvoir de révision ou de révocation est une procédure d’exception qui a une portée restreinte.

[15]        D’ailleurs, la Cour d’Appel dans les arrêts Fontaine et Touloumi[3] a donné son aval à cette interprétation en disant qu’une requête en révision interne ne peut être accueillie que lorsque la décision rendue est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés.

[16]        Ainsi, il y a une erreur manifeste et déterminante lorsqu’une conclusion n’est pas supportée par la preuve et repose plutôt sur des hypothèses, lorsqu’une décision repose sur de fausses prémisses, fait une appréciation manifestement erronée de la preuve ou adopte une méthode qui crée une injustice certaine[4].

[17]        En partant, et en conformité avec l’affaire Arcand et Commission scolaire des Laurentides[5] citée par la procureure du travailleur, la Commission des lésions professionnelles considère que le fait qu’une première décision soit rendue dans le cadre d’une révision ne fait pas obstacle au dépôt d’une seconde requête en révision, en autant bien sûr qu’il soit démontré un vice de fond de nature à invalider cette décision.

[18]        Cependant, et tel que dit dans l’affaire Zoom réseau affichage intérieur et CSST[6], « une requête en révision d’une décision en révision doit invoquer une circonstance qui soit inusitée en regard même des motifs donnant ouverture à la requête prévue à l’article 429.56, sans quoi son caractère n’aurait finalement rien d’inusité ».

[19]        Avant d’entrer dans le vif sujet, un bref rappel des faits s’impose. Le travailleur occupe depuis de nombreuses années un poste de tricoteur pour le compte de l’employeur lorsque le 5 juillet 1984, il tombe en bas d’un escabeau et s’inflige une entorse lombaire et au poignet gauche, de même qu’une fracture au niveau L3.

[20]        Après avoir reçu les soins requis par son état, la lésion professionnelle est consolidée avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles faisant en sorte que le travailleur ne peut plus reprendre son emploi.

[21]        Le 22 août 2005, la CSST rend une décision au sujet d’un emploi convenable d’opérateur de machines Paramount que le travailleur est en mesure d’exercer et qui lui procurera un revenu équivalent ou supérieur à ce qu’il gagnait au moment de la survenance de la lésion professionnelle.

[22]        Il est documenté au dossier que le travailleur gagnait 16 $ de l’heure alors que les autres personnes occupant un poste d’opérateur de machines Paramount sont payées à la pièce.

[23]        Le travailleur débute donc dans cette tâche d’opérateur de machines Paramount à compter du 25 août 2005. Cependant, il est démontré par la preuve au dossier qu’il n’a jamais atteint la production attendue à ce poste, qu’il a reçu des avertissements à plusieurs reprises lui demandant d’améliorer sa production et qu’il a aussi été avisé qu’à moins d’une production supérieure, il serait payé à la pièce après le 17 novembre 2006.

[24]        De fait, à compter du 20 novembre 2006, le travailleur est payé à la pièce.

[25]        Le 7 décembre 2006, le travailleur produit une réclamation à la CSST pour un événement survenu le 30 novembre 2006. Le 8 février 2007, la CSST accueille la réclamation du travailleur et conclut que celui-ci a subi le 30 novembre 2006 une maladie professionnelle dont le diagnostic est une tendinite à l’épaule gauche. À la suite d’une révision administrative, la CSST va plutôt conclure que la tendinite à l’épaule gauche est le résultat d’un accident du travail.

[26]        La Commission des lésions professionnelles, alors saisie de quatre requêtes (dossiers 318386-71-0705, 318454-71-0705, 331474-71-0710 et 332176-71-0711) déposées par le travailleur et l’employeur, rend une décision le 14 juillet 2008 dans laquelle elle conclut que :

1)    la base salariale aux fins du calcul de l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur à compter du 30 novembre 2006 est le salaire minimum ou le salaire calculé à partir des pièces cousues;

 

2)    le travailleur a subi le 30 novembre 2006 un accident du travail dont le diagnostic est celui retenu par un membre du Bureau d'évaluation médicale, à savoir une tendinite de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche greffée à une condition préexistante d’arthrose gléno-humérale gauche de modérée à sévère;

 

3)    la CSST était justifiée de refuser de reconsidérer sa décision initiale du 22 août 2005 selon laquelle le travailleur est capable d’occuper un emploi convenable à compter de cette date à la machine Paramount.

 

 

[27]        Tant le travailleur que l’employeur déposent à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision ou en révocation à l’encontre de cette décision. Ils invoquent tous deux que la décision comporte des vices de fond de nature à l’invalider. Pour sa part, le travailleur soutient que la base salariale aux fins du calcul du revenu tiré de son emploi convenable aurait dû être établie sur le salaire gagné chez le même employeur dans l’année précédant son accident du travail et que la CSST aurait dû reconsidérer sa décision au sujet d’un emploi convenable. De son côté, l’employeur demandait de réviser la décision rendue par le tribunal au sujet de l’admissibilité de la lésion professionnelle du 30 novembre 2006.

[28]        Le 4 août 2009, la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision (dossiers 318386-71-0705, 318454-71-0705 et 331474-71-0710) se prononce comme suit : elle déclare que le travailleur a été victime d’un accident du travail le 30 novembre 2006 dont le diagnostic est une tendinite de la coiffe des rotateurs à l’épaule gauche. Elle rejette la requête en révision du travailleur au sujet de la reconsidération de la décision sur la détermination d’un emploi convenable et elle déclare que la base salariale aux fins du calcul de l’indemnité de remplacement du revenu est le salaire calculé à partir des pièces cousues ou le salaire minimum.

[29]        Seul le travailleur demande la révision de cette décision en révision du 4 août 2009. Sa requête ne porte que sur la décision relative à la base de salaire à retenir aux fins du calcul de l’indemnité de remplacement du revenu.

[30]        Au soutien de sa requête en révision, le travailleur invoque que la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision comporte une erreur fondamentale et déterminante sur l’issue du litige en ce qu’elle repose sur une interprétation de l’article 67 de la loi qui est totalement incompatible avec le libellé de cet article. Le juge administratif siégeant en révision n’a fait que discuter de l’article 67.1 in fine, a écarté l’ensemble du texte dudit article et ignoré et écarté sans motif l’application de l’article 75 de la loi.

[31]        À l’audience tenue devant la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision, la procureure du travailleur reprend ces arguments. Elle rappelle que la décision rendue par le premier juge administratif a été révisée parce qu’elle n’était pas motivée en ce qui concerne la détermination de la base salariale.

[32]        Le tribunal siégeant en révision a donc révisé la décision de la première juge administratif et rendu une nouvelle décision, mais ce faisant, il a lui aussi, selon la procureure, commis une erreur de droit qui a un effet déterminant sur le sort du litige.

[33]        L’erreur déterminante vient du fait que le juge administratif siégeant en révision a retenu une base salariale de 16 163 $ au lieu du 33 000 $ qui correspondait au salaire gagné par le travailleur avant la survenance de la lésion professionnelle.

[34]        Le juge administratif siégeant en révision a interprété une disposition qui est claire, l’article 67 de la loi. Or, une disposition claire n’a pas besoin d’être interprétée comme l’enseigne un arrêt de la Cour suprême du Canada cité dans le volume Interprétation des lois de Pierre-André Côté[7].

[35]        De façon subsidiaire, la procureure soumet que si l’article 67 est sujet à interprétation, le juge administratif siégeant en révision a commis une erreur dans l’application de la jurisprudence concernant l’article 67 de la loi. En effet, il s’est appuyé sur deux décisions rendues dans les affaires Capua et Noël[8] qui ne s’appliquent pas au cas du travailleur et ne disent pas ce qu'il leur fait dire.

[36]        Le procureur de l’employeur, pour sa part, fait valoir qu’il représente son client depuis le départ et est bien au courant du dossier. Il rappelle certains faits et souligne que le travailleur a débuté l’emploi convenable déterminé par la CSST le 25 août 2005, que cet emploi ne peut être remis en question puisque la contestation du travailleur au sujet du fait que la CSST aurait dû reconsidérer sa décision a été rejetée par le tribunal.

[37]        Le procureur de l'employeur rappelle que très rapidement, il s’est avéré que la production du travailleur était insuffisante. Une preuve à ce sujet a été faite devant la première juge administratif.

[38]        À compter du changement de rémunération soit le 20 novembre 2006, le contrat de travail prévoit que le travailleur est payé à la pièce ou au salaire minimum. Cela n’a donc pas à être remis en question et ne peut d’ailleurs pas l’être.

[39]        Le procureur de l’employeur ajoute que le juge administratif siégeant en révision a référé aux deux décisions qu’il cite puisque la procureure qui représentait le travailleur a reconnu que la portée du deuxième alinéa de l’article 67 était limitative et que le cas du travailleur n’était pas visé par cet alinéa de sorte qu’elle n’avait pas d’autre choix que de se rabattre sur la fin du texte de l’article 67.

[40]        Il soumet que la procureure du travailleur a pour stratégie de prétendre que le dernier bout de phrase de l’article 67 permet d’inclure n’importe quoi, y compris les anciennes conditions de travail. C’est donc dans ce contexte que le juge administratif siégeant en révision a répondu à cet argument de la procureure du travailleur au paragraphe [74] de sa décision.

[41]        Le procureur de l’employeur reconnaît qu’effectivement, on n’a pas à interpréter un texte clair. Or, dans le cas du travailleur, ce dernier est à l’emploi du même employeur depuis 30 ans. Le fait que l’on ait décidé comme on l’a fait n’a pas pour effet de mettre le travailleur face à une situation qui est inéquitable puisqu’elle correspond à la réalité du contrat de travail tel que prévu à l’article 67 de la loi.

[42]        Il soumet que les arguments soumis par le travailleur ne permettent pas de réviser la décision en révision rendue par le tribunal. Il ne s’agit pas d’un cas de mauvaise application de la jurisprudence et ce n’est pas parce que les faits dans les décisions citées sont différents qu’il y a une mauvaise application de la jurisprudence.

[43]        La Commission des lésions professionnelles ne voit pas dans les arguments invoqués par le travailleur matière à y trouver une erreur de fond de nature à invalider la décision en révision rendue.

[44]        En ce qui a trait à la base salariale à retenir, les motifs retenus par le juge administratif siégeant en révision sont exposés aux paragraphes [68] à [75] de sa décision qu’il convient de reprendre :

La base salariale

 

[68]      À compter du 30 novembre 2006, le travailleur s’est absenté du travail pour une tendinite de la coiffe des rotateurs à l’épaule gauche. La CSST a accepté la réclamation et l’a indemnisé sur la base du salaire que lui versait son employeur à ce moment-là. Le salaire du travailleur avait été très récemment modifié. 

 

[69]      La première juge administratif a considéré que la CSST était justifiée d’établir le montant de l’indemnité de remplacement du revenu sur la base du revenu prévu au contrat de travail qui prévalait au moment de la lésion.

 

[70]      Lors de l’audience devant la première juge, le travailleur avait tenté de démontrer que sa base salariale n’était pas encore modifiée au 30 novembre 2006, mais la première juge administratif a décidé, à partir de la preuve documentaire et testimoniale, que la base salariale avait été modifiée avant le 30 novembre 2006 et elle s’en explique aux paragraphes [48], [49], [84] et [85]. Aucune erreur justifiant la révision des conclusions de la première juge administratif à cet égard n'a été démontrée.

 

[71]      Ce que reproche le travailleur à la première juge administratif en l’espèce c’est de ne pas avoir décidé s’il pouvait être indemnisé sur la base du revenu brut gagné au cours des 12 mois qui ont précédé son incapacité alors qu’il avait soumis une preuve à cet égard et argumenté en ce sens.

 

[72]      La décision de la première juge administratif est muette sur cette question et le tribunal conclut que cette omission constitue un vice de fond de nature à invalider la décision. Le tribunal doit donc statuer sur cette question.

 

[73]      L’article 67 de la loi prévoit ceci :

 

67. Le revenu brut d'un travailleur est déterminé sur la base du revenu brut prévu par son contrat de travail et, lorsque le travailleur est visé à l'un des articles 42.11 et 1019.4 de la Loi sur les impôts (chapitre I 3), sur la base de l'ensemble des pourboires que le travailleur aurait déclarés à son employeur en vertu de cet article 1019.4 ou que son employeur lui aurait attribués en vertu de cet article 42.11, sauf si le travailleur démontre à la Commission qu'il a tiré un revenu brut plus élevé de l'emploi pour l'employeur au service duquel il se trouvait lorsque s'est manifestée sa lésion professionnelle ou du même genre d'emploi pour des employeurs différents pendant les 12 mois précédant le début de son incapacité.

 

Pour établir un revenu brut plus élevé, le travailleur peut inclure les bonis, les primes, les pourboires, les commissions, les majorations pour heures supplémentaires, les vacances si leur valeur en espèces n'est pas incluse dans le salaire, les rémunérations participatoires, la valeur en espèces de l'utilisation à des fins personnelles d'une automobile ou d'un logement fournis par l'employeur lorsqu'il en a perdu la jouissance en raison de sa lésion professionnelle et les prestations en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi (Lois du Canada, 1996, chapitre 23).

__________

1985, c. 6, a. 67; 1997, c. 85, a. 4.

 

 

[74]      La jurisprudence nous enseigne que la possibilité de référer aux douze (12) mois précédant l’incapacité, tel que prévu à la fin de la dernière phrase de l’article 67 alinéa 1, ne vise que les revenus provenant du même genre d’emploi pour des employeurs différents.13

 

[75]      Le soussigné partage cette interprétation. Comme le travailleur n’a eu qu’un seul employeur au cours des douze mois précédant son accident du travail, il en ressort que ses revenus des douze derniers mois ne peuvent être pris en considération aux fins d’établir un revenu brut plus élevé de sorte que la CSST était justifiée de retenir celui qui était prévu au contrat de travail au moment de la lésion professionnelle et, en ce sens, la décision d’indemniser le travailleur sur la base du salaire qui était le sien le 30 novembre 2006 est bien fondée.

 

—————

13  Capua et Hydroreptec inc., C.L.P. 149582-64-0011, 28 août 2001, M. Montplaisir; Noël et Papiers NSC Inc.,         C.L.P. 358601-04-0809, 31 mars 2009, D. Therrien

 

 

[45]        L'argument tiré du principe qu’une disposition législative claire n'a pas à être interprétée ne tient pas la route en l’espèce.

[46]        Dans l’affaire R.Multiform Manufacturing Co., la question se posait de savoir si un mandat de perquisition pouvait être délivré en vertu de l'article 443 du Code criminel lorsque la loi sur la faillite s’applique.

[47]        Cet article 443 avait été modifié pour y ajouter, après une référence à une infraction en vertu du Code criminel, « ou à toute autre loi du Parlement. »

[48]        Le juge en chef Lamer a conclu que la modification de l'article 443 du Code criminel rend cette disposition applicable à toutes les actions visant la violation de lois fédérales. Il écrit que « la tâche des tribunaux à qui l’on demande d’interpréter une loi consiste à rechercher l'intention du législateur. Lorsque le texte de la loi est clair et sans ambiguïté, aucune autre démarche n'est nécessaire pour établir l'intention du législateur. ». Citant le professeur Côté, le juge Lamer ajoute « lorsque la loi est claire, dira-t-on, point n’est besoin de l'interpréter : il suffit alors de la lire ».

[49]        Or, en l’espèce, c’est exactement ce que le juge administratif a fait. Il a cité l’article 67 de la loi et parmi les possibilités qu’il offre, il a choisi de retenir celle qui s’appliquait au cas du travailleur en tenant compte de ce que la preuve avait révélé de façon prépondérante. 

[50]        Dans l’affaire qui nous concerne, le juge administratif siégeant en révision s’est référé à l’affaire Capua dans laquelle le tribunal s’est penché sur l’interprétation à donner à l’article 67.

[51]        Dans l'affaire Capua, il s’agissait d’un travailleur qui travaillait pour son employeur depuis le 14 mars 1998 et qui subit une lésion professionnelle le 29 juin 1998, donc trois mois et demi après son embauche. Il a été mis en preuve qu’il avait régulièrement effectué du temps supplémentaire. Le tribunal a estimé qu’il était équitable d’établir son revenu brut en tenant compte du taux horaire convenu lors de son embauche et en y ajoutant 11 heures payées en temps supplémentaire puisque la preuve avait révélé que depuis le début de son embauche, le travailleur avait fait 11 heures de temps supplémentaire par semaine.

[52]        La Commission des lésions professionnelles, après avoir cité le texte de l’article 67, s’exprimait comme suit :

[32]      La Commission des lésions professionnelles retient de cette disposition législative que la règle générale prévoit que le revenu brut d’un travailleur est déterminé sur la base du revenu brut prévu par son contrat de travail.  Le législateur prévoit toutefois une exception à ce principe général lorsque le travailleur démontre qu’il a tiré un revenu brut plus élevé, soit de l’emploi pour l’employeur au service duquel il se trouvait lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle, soit du même genre d’emploi pour des employeurs différents pendant les 12 mois précédant le début de son incapacité.

 

[33]      De l'avis de la soussignée, les 12 mois précédant le début de l’incapacité du travailleur font référence « au même genre d’emploi pour des employeurs différents » et non, tel que le soumet la CSST en révision administrative, à l’emploi pour l’employeur au service duquel se trouvait le travailleur au moment de la manifestation de sa lésion professionnelle.

 

[34]      Ainsi, le travailleur qui subit une lésion professionnelle alors qu’il est à l’emploi du même employeur pendant moins de 12 mois peut bénéficier de l’exception prévue par l’article 67 et démontrer qu’il a tiré un revenu brut plus élevé de son emploi en y incluant notamment les majorations pour heures supplémentaires.

 

[35]      Interpréter différemment cette disposition aurait pour effet de causer un préjudice aux travailleurs qui effectuent des heures supplémentaires de façon régulière et qui sont à l'emploi du même employeur depuis moins d'un an.

 

[36]      La Commission des lésions professionnelles est d'avis que cette interprétation restrictive de la CSST ne répond pas à l'intention du législateur puisqu'il ressort de la jurisprudence de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) et de la Commission des lésions professionnelles que cette disposition a pour but de permettre de compenser les travailleurs pour la perte de capacité de gain subie en raison d'une lésion professionnelle.  Or, si un travailleur est en mesure d'établir un revenu brut réel plus élevé en raison des majorations pour heures supplémentaires effectuées de façon régulière avant la manifestation de sa lésion professionnelle, il doit pouvoir bénéficier des dispositions du deuxième alinéa de l'article 67 de la loi.

 

 

[53]        Il est vrai que les faits de cette affaire diffèrent de ceux de la nôtre. Il est vrai également que dans l'affaire Noël, le litige portait d’abord sur la question de savoir si le travailleur pouvait être relevé de son défaut d’avoir contesté dans les délais prévus un avis de paiement émis par la CSST et que c'est en obiter que le juge administratif a écrit que la jurisprudence nous enseigne que la possibilité de référer aux douze mois précédant le début de l’incapacité, tel que prévu à la fin de la dernière phrase de l’article 67,al.1, ne vise que le revenu provenant du même genre d’emploi pour des employeurs différents, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[54]        Mais de l’avis de la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision, cela n’empêchait nullement le juge administratif siégeant en révision de se référer aux principes exposés dans ces affaires.

[55]        D’autre part, les questions d’interprétation d’un texte législatif ne sont pas des motifs de révision. Comme le disait la Cour d’appel dans l'arrêt Fontaine précité, l'Interprétation d’un texte législatif ne conduit pas nécessairement au dégagement d’une solution unique, mais puisqu’il appartient aux premiers décideurs de les interpréter c’est leur interprétation qui doit prévaloir.

[56]        De même, les conflits jurisprudentiels ne sont pas non plus un motif de révision. Qu’il suffise de citer la décision rendue dans l’affaire Desjardins et Réno-dépôt[9], dans laquelle il est indiqué qu’« Il a été maintes fois reconnu par nos tribunaux que des conflits jurisprudentiels existant au sein d'un même organisme, relatifs notamment à l'interprétation d'un texte de loi, ne constituent pas un motif permettant la révision d'une décision ».

[57]        Enfin, la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision remarque que, bien que la procureure du travailleur ait invoqué dans sa requête et mentionné ce fait en précisant l’objet de celle-ci, que la décision rendue en révision avait omis de se prononcer sur l’article 75 de la loi, elle n’a soumis aucun argument à cet effet.

[58]        De toute manière, la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision estime qu’il ne s'agit pas là d’une erreur manifeste et déterminante. L’article 75 de la loi se lit comme suit :

75.  Le revenu brut d'un travailleur peut être déterminé d'une manière autre que celle que prévoient les articles 67 à 74, si cela peut être plus équitable en raison de la nature particulière du travail de ce travailleur.

 

Cependant, le revenu brut ainsi déterminé ne peut servir de base au calcul de l'indemnité de remplacement du revenu s'il est inférieur à celui qui résulte de l'application de ces articles.

__________

1985, c. 6, a. 75.

 

 

[59]        La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision remarque que le travailleur n’a jamais invoqué cette disposition de la loi, que ce soit devant la première juge administratif ou celui siégeant en révision. Or, le recours en révision n’est pas l’outil approprié pour bonifier une argumentation.

[60]        De plus, tel qu’indiqué à l’article 75 de la loi, le revenu brut peut être déterminé d’une autre manière que celles prévues aux articles 67 à 74 si cela est plus équitable en raison de la nature particulière du travail.

[61]        Puisqu’en l’espèce le revenu brut du travailleur pouvait être déterminé selon l’article 67 de la loi, il n’y avait pas lieu d’élaborer sur l’application de l’article 75 de la loi, d’autant plus que le tribunal ne disposait d’aucune preuve du caractère inéquitable du calcul retenu compte tenu de la nature particulière du travail.

[62]        Aucun vice de fond de nature à invalider la décision rendue en révision ou aucune circonstance inusitée n’ayant été démontrée, il y a lieu de conclure au rejet de la requête en révision.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossiers 318386-71-0705 et 331474-71-0710

 

REJETTE la requête en révision produite par monsieur Antonio Iadinardi le 10 septembre 2009.

 

 

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LISE COLLIN

 

 

 

Me Jennifer Lavoie

TURBIDE, LEFEBVRE & ASS.

Représentante de la partie requérante

 

 

Me Jean-François Gilbert

GILBERT, AVOCATS

Représentant de la partie intéressée

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]          Produits Forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchenelli et Sousa, [1998] C.L.P. 783 .

[3]          CSST et Fontaine, [2005] C.L.P. 626 ; CSST et Touloumi, [2005] C.L.P. 921 (C.A.).

[4]           Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 .

[5]          [1994] C.A.L.P. pp.57-61.

[6]          [2000] C.L.P. 774 .

[7]           Pierre-André CÔTÉ, Stéphane BEAULAC et Mathieu DEVINAT, Interprétation des lois, 4e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2009, 865 p. L’arrêt de la Cour suprême dont il est question est R.c.Multiform Manufacturing Co. Ltd., [1990] 2 R.C.S. 624 .

[8]           Capua et Hydroreptec inc., C.L.P. 149582-64-0011, 1er octobre 2001, M. Montplaisir; Noël et Papiers NSC inc. (Les), C.L.P. 358601-04-0809, 31 mars 2009, D. Therrien.

[9]           [1999] C.L.P. 898 .

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