Industries Maibec inc. et Thibault |
2007 QCCLP 6957 |
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[2] Par cette décision, la CSST confirme celle rendue le 7 avril 2006, laquelle acceptait la réclamation du travailleur pour une maladie professionnelle pulmonaire au 26 juillet 2005. Cette décision fait suite à l’avis du Comité spécial des présidents rendu le 23 mars 2006.
[3] Le 12 novembre 2007, la Commission des lésions professionnelles tient une audience à Lévis en présence des parties.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le travailleur n’a pas été victime d’une lésion professionnelle le 26 juillet 2005 en regard d’une maladie professionnelle pulmonaire. Il soutient que ce dernier ne présente aucun asthme bronchique et encore moins un asthme en relation avec son exposition au cèdre blanc.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations des employeurs est d’avis que la preuve médicale disponible ne milite pas en faveur de l’existence d’une maladie professionnelle pulmonaire au 25 juillet 2005, l’avis des différents pneumologues reposant sur de fausses prémisses. En cela, il réfère principalement aux résultats mitigés des différents tests de provocation. La jurisprudence déposée pour infirmer la décision de la CSST est pertinente. La requête de l’employeur doit être accueillie.
[6] Le membre issu des associations syndicales est d’avis, quant à lui, qu’il y a prépondérance de preuve en faveur de la reconnaissance d’une maladie professionnelle pulmonaire. En cela, il réfère aux opinions des différents pneumologues, lesquels se sont prononcés après avoir pris connaissance de l’ensemble des données, données qui n’ont pas été contredites à l’audience. La requête de l’employeur doit être rejetée.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur est atteint d’une maladie professionnelle pulmonaire, le 25 juillet 2005. Il s’agit ici d’une réaction au cèdre blanc.
[8] La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) définit la maladie professionnelle en ces termes :
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:
« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.
[9] L’article 29 de la loi accorde, en association avec le paragraphe 8 de la section V de l’annexe I de la loi, une présomption de maladie professionnelle. Cet article se lit comme suit :
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
__________
1985, c. 6, a. 29.
[10] Quant au paragraphe 8 de la section V de l’annexe I, on y lit ce qui suit :
ANNEXE I
MALADIES PROFESSIONNELLES
(Article 29)
SECTION V
MALADIES PULMONAIRES CAUSÉES PAR DES POUSSIÈRES
ORGANIQUES ET INORGANIQUES
MALADIES |
GENRE DE TRAVAIL |
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[...] |
[...] |
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8. Asthme bronchique: |
un travail impliquant une exposition à un agent spécifique sensibilisant. |
[11] Pour disposer du présent litige, la Commission des lésions professionnelles a pris connaissance de l’ensemble des documents au dossier, de ceux déposés en audience et a entendu le témoignage de messieurs Serge Thibault, le travailleur, Martin Bélanger, surintendant de production, et André Blouin, médecin en médecine du travail.
[12] La Commission des lésions professionnelles rappelle, dans un premier temps, les faits tels que rapportés au dossier.
[13] Le travailleur est à l’emploi de la compagnie depuis le mois de janvier 2003 et, le 4 octobre 2005, il produit une réclamation pour une lésion professionnelle au 26 juillet 2004. Au formulaire de réclamation, il écrit ce qui suit :
En faisant mon travail à l’usine de bardeaux, j’ai des problèmes respiratoires depuis environ un an (en arrêt les 22 - 23 - 26 septembre 05, en ass. temp. les 27 - 28- 29 - 30 sept. arrêt à nouveau le 3-10-05).
[14] Les 26 juillet 2005, 15 septembre 2005, 21 septembre 2005 et 12 octobre 2005, le travailleur consulte le médecin pour une question de dyspnée. Il est fait état, entre autres, d’une dyspnée par période depuis un an, de tests d’allergie préembauche négatifs, d’oppression, de pincements occasionnels à la région du mamelon droit, de palpitations survenues à quelques reprises, d’éternuements ++, de prurit nasal depuis un an, de prurit oculaire, de larmoiement et d’absence de manifestation durant la fin de semaine. Toutes ces précisions sont inscrites en date du 26 juillet 2005.
[15] Lors du premier examen au 26 juillet 2005, le travailleur est en vacances depuis deux semaines avec augmentation de la toux depuis trois semaines. Le médecin précise que ce dernier présente une expectoration blanchâtre, une congestion nasale sans rhinorrhée verdâtre, une rhinorrhée post mal de gorge sans épisode fébrile. Le débit expiratoire de pointe (le DEP) est de 850 à trois reprises. En date du 15 septembre 2005, il est de 550, 400 et 530. Après la prise de Ventolin, il est devenu à 450, 600 et 560. On précise que la normale, pour une personne de cet âge, est de 600.
[16] Au cours de ce premier suivi médical, une référence en pneumologie est demandée et on prescrit au travailleur du Bricanyl (une inhalation 4 fois par jour au besoin), du Pulmicort 400 mg (2 fois par jour pour un mois, puis 1 fois par jour par la suite) et du Nasonex (2 vaporisations, 1 fois par jour, dans chaque narine, puis 1 vaporisation, 1 fois par jour, dans chaque narine par la suite). Cette prescription est faite le 26 juillet 2005 et le médecin complète le rapport médical CSST. Le 21 septembre 2005, la dose de Pulmicort est augmentée à 400 mg, 2 fois par jour, et un arrêt de travail est signifié.
[17] Le 26 septembre 2005, le docteur Clarence Pelletier, pneumologue à L’Hôpital de Montmagny, examine le travailleur à la demande du docteur Denis Baker. Lors de cet examen, ce dernier est en arrêt de travail depuis cinq jours et prend du Pulmicort, Serevent et Bricanyl depuis deux mois. Le docteur Pelletier note la présence de deux chats dans l’environnement du travailleur et précise que, sur le plan familial, il n’y a pas de diathèse de maladie respiratoire. Il indique que le test de provocation bronchique à la Méthacholine a montré une réactivité bronchique tout à fait normale avec des débits respiratoires normaux. Sa conclusion est la suivante :
Monsieur raconte une histoire qui est suggestive d’un asthme au cèdre avec allergie également des voies respiratoires supérieures. Cependant, le test de provocation bronchique est normal. Ce qui pourrait s’expliquer par la prise régulière de stéroïdes topiques depuis deux mois et enfin par le fait qu’il n’a pas été exposé au cèdre depuis cinq jours.
Je le reverrai donc à l’Hôtel-Dieu de Lévis où je procéderai à des tests d’allergie spécifiques pour le cèdre de même que pour les chats. Je vous tiendrai au courant de l’attitude à venir par la suite.
[18] Le 10 janvier 2006, le travailleur est soumis à des tests cutanés d’allergie dont le résultat s’avère négatif. La pneumologue Julie Milot se prononce en faveur d’une hyperréactivité bronchique normale.
[19] Le 13 janvier 2006, le Comité des maladies pulmonaires professionnelles (CMPP), en les pneumologues Jean-Guy Parent, Serge Boucher et Marc Desmeules, émet l’avis suivant :
OPINION ET COMMENTAIRES : Ce réclamant présente une symptomatologie à caractère asthmatique qui est apparue alors qu’il travaillait dans une usine de bardeaux de cèdre depuis environ 6 mois. Il est en arrêt de travail depuis le mois de septembre 2005 et il est redevenu asymptomatique. Il ne prend aucune médication. La possibilité d’un asthme professionnel par sensibilisation au cèdre doit donc être évaluée. Avant de formuler un avis définitif, nous recommandons que le patient subisse une épreuve de provocation bronchique spécifique en laboratoire à la poussière de cèdre.
[20] La position du CMPP repose sur l’histoire occupationnelle du travailleur, sur ses explications, quant aux différents symptômes et suivi médical, et sur le fait que ce dernier n’a pas eu de mesure de débit expiratoire de pointe au travail et hors travail. Il n’a pas eu non plus de CP20 mesurés au moment où il était au travail. Le CMPP sait aussi que le travailleur fumait deux paquets de cigarettes par semaine, qu’il a complètement cessé depuis six mois et qu’il n’a jamais fait d’asthme auparavant. Il sait que les tests d’allergie se sont avérés négatifs et qu’il y a deux chats à la maison. Il connaît le résultat aux tests de fonction respiratoire. Quant à l’examen physique, tout est normal.
[21] Les 30 et 31 janvier 2006 ainsi que les 1er et 2 février 2006, le travailleur est soumis à des tests de provocation spécifiques en laboratoire. On y rapporte ce qui suit sous la signature du pneumologue Marc Desmeules :
PROVOCATION SPÉCIFIQUE EN LABORATOIRE :
Une épreuve de provocation bronchique aux poussières de cèdre en laboratoire a été faite pour investiguer une possibilité d’asthme professionnel. Le patient travaille dans une usine de bardeaux de cèdre blanc depuis 2003. Les symptômes sont apparus environ 6 mois après le début de son emploi. Les symptômes ont été marqués par des picotements au niveau de la face, du larmoiement et de l’oppression respiratoire. Il est en arrêt de travail depuis septembre 2005. Il ne prend cependant aucune médication.
JOUR 1 (30-01-2006) :
Le patient a été soumis à l’inhalation de poussières de lactose pour une durée cumulée de 30 minutes. Il a éprouvé des picotements au niveau des mains et de la face et a présenté de la toux au cours de la journée. Le VEMS de base était à 4.57 L soit 101 % de la prédite. Au cours de la journée, il n’y a pas eu de variation significative du VEMS. Un seul point s’est abaissé de 9 %. À la fin de la journée, la CP-20 était normale à 17 mg/ml. L’expectoration induite a permis de retirer 1,9 million de cellules, ce qui contenait 0,75 % d’éosinophiles.
JOUR 2 (31-01-2006) :
Le patient a inhalé de la poussière de cèdre blanc pendant 30 minutes selon le protocole réaliste de Pepys. Le VEMS de base au départ est à 4.6 L soit 102 % de la prédite. Le patient a éprouvé à nouveau les mêmes symptômes que la veille avec toux, engourdissement au niveau des mains et de la face. Il n’y a pas eu de variation significative du VEMS.
JOUR 3 (01-02-2006) :
L’exposition aux poussières de cèdre blanc a été portée à une durée cumulative de 60 minutes. À nouveau, le patient présente de la toux, des paresthésies au niveau de la face, des mains, de la rougeur aux yeux. Le VEMS de base est à 4.38 L soit 97 % de la prédite. Il n’y a eu aucune variation significative au cours de la journée.
JOUR 4 (02-02-2006) :
Le patient a été exposé à un mélange de poussière de cèdre blanc ainsi que de poussière de cèdre rouge finement pulvérisée. La durée totale d’exposition est de 60 minutes. Le VEMS au départ était à 4,49 L soit 99 % de la prédite. À nouveau, le patient a présenté une toux très importante. Il s’est plaint de sensation de piquement ou paresthésie au niveau de la face, des mains et autour des lèvres. Il présentait une légère bouffissure des yeux. Il sentait également des étourdissements et des engourdissements dans les jambes. On a observé une chute du VEMS qui a atteint 28 % par rapport à la valeur initiale normale du matin.
Un spécimen de sang capillaire a permis de mettre en évidence une alcalose respiratoire aiguë extrêmement marquée avec un pH à 7.67, une pCO2 à 16, des bicarbonates à 19.2 pO2 à 107 mmHg. Une vérification de la CRF en pléthysmographie a été faite. On obtient une valeur de 3.46 L soit 106 % de la prédite qui n’était pas significativement différente de la valeur de 3.31 qui avait été mesurée le 11 janvier 2006.
Il n’y avait donc pas de trapping au moment de ce bronchospasme. L’examen de la courbe, toutefois, nous montre que la chute a persisté avec un profil de réaction immédiate qui s’est rétabli sur une période d’environ 2 heures. L’épreuve à la Méthacholine faite en fin de journée a permis de démontrer que la CP-20 demeurait normale, supérieure à 64 mg/ml. Enfin, une 2e mesure de l’expectoration induite a permis de recueillir 3.1 millions de cellules. Le taux d’éosinophiles était à 0 % et les autres lignées cellulaires dans les limites de la normale.
Opinion : Épreuve de provocation au cèdre blanc dont la signification demeure ambiguë. L’exposition à de la poussière de cèdre blanc et de cèdre rouge a entraîné une chute du VEMS avec un profil de réaction immédiat suggérant une sensibilisation spécifique. Cependant, plusieurs éléments viennent par contre semer le doute. Le phénomène d’hyperventilation, la mise en évidence d’une alcalose respiratoire extrêmement sévère confirmant cette hyperventilation alvéolaire, l’absence de modification de la CRF au moment du bronchospasme, l’absence de modification de réactivité bronchique non spécifique et l’absence d’éosinophilie dans l’expectoration induite. Par contre, la bouffissure de la face qui a été observée ne pourrait pas s’expliquer uniquement par l’hyperventilation. Dans ces circonstances, nous pensons que le bénéfice du doute devrait être mis en faveur du réclamant.
[22] Le 3 mars 2006, le CMPP émet un rapport complémentaire. Le passage pertinent se lit comme suit :
Cette épreuve est de signification incertaine mais a démontré des chutes du VEMS qui, à notre avis, doivent être postées au crédit du patient. En revoyant l’ensemble du dossier, incluant les premières consultations avec le docteur Clarence Pelletier à Montmagny, il n’y a pas eu d’évidence jusqu’à maintenant d’altération de la CP 20 et d’obstruction bronchique au niveau du VEMS. Les manifestations cliniques lors de l’exposition aux poussières de cèdre semblent porter largement sur un effet d’irritation rhino-pharyngée et trachéobronchique. Mais le fait que le VEMS s’abaisse démontre une obstruction bronchique et l’ensemble, quoique non classique, pourrait être assimilé à un asthme induit par le cèdre. Nous recommandons donc de reconnaître monsieur Thibault porteur d’un asthme professionnel aux poussières de cèdre. Par ailleurs, l’investigation aux allergènes communs n’a montré aucune autre allergie chez ce réclamant.
[23] Le CMPP accorde un déficit anatomo-physiologique de 3 % pour une sensibilisation respiratoire (code 223500) et précise que le travailleur ne présente pas de limitations fonctionnelles, sauf le fait qu’il ne doit plus être exposé aux poussières de cèdre. Une réévaluation est prévue dans deux ans pour fixer à nouveau le DAP.
[24] Le 23 mars 2006, le Comité spécial des présidents, en les pneumologues Raymond Bégin, André Cartier et Gaston Ostiguy, réanalyse l’ensemble des données et confirme la position prise par le CMPP.
[25] Le 8 mai 2006, le docteur André Blouin, agissant pour l’employeur, s’adresse au docteur Paolo Renzi, pneumologue, afin d’obtenir une opinion. D’entrée de jeu, il lui précise que, selon lui, le travailleur ne présente pas un asthme professionnel au cèdre blanc et que c’est le seul bois auquel a été exposé ce dernier. Le mandat donné au docteur Renzi est le suivant :
Dans ce contexte, nous vous demandons d’évaluer M. Thibault afin d’obtenir votre opinion et de procéder à de nouveaux tests de provocation au cèdre blanc et, par la suite, de façon pure au cèdre rouge, afin de démontrer la différence entre les deux essences de bois.
[26] Le 16 mai 2005, le docteur Paolo Renzi émet son opinion après avoir pris connaissance de l’ensemble du dossier du travailleur. Sa conclusion se lit comme suit :
Monsieur Serge Thibault est un ex-fumeur qui a travaillé à la compagnie Maibec comme emballeur depuis février 2003 et qui a développé progressivement des symptômes respiratoires plus importants depuis l’été 2004. Il a développé des symptômes asthmatiques nécessitant la prise de Pulmicort, Nasonex et Bricanyl depuis juin 2005. Les symptômes respiratoires se sont aggravés au point qu’on l’a mis en arrêt de travail au mois de décembre 2005. Il s’agit d’un patient sans antécédent allergique ni asthmatique. L’évaluation de monsieur Thibault a consisté en des tests d’allergie qui sont tous négatifs incluant les bois. Les épreuves fonctionnelles respiratoires étaient normales avec une épreuve à la Méthacholine négative.
Monsieur Thibault a été exposé le 2 février 2006 non seulement au cèdre blanc mais aussi au cèdre rouge. Il ne semble pas que monsieur Thibault ait été exposé au cèdre rouge à son travail à la compagnie Maibec.
Monsieur Thibault a présenté beaucoup de symptômes respiratoires et non respiratoires. Il a été démontré qu’il souffre d’une hyperventilation. De plus, avec les éléments que nous avons au dossier et suite à la provocation bronchique spécifique faite à l’Hôpital Laval, je ne crois pas qu’on peut conclure que monsieur Thibault ait présenté une sensibilisation au cèdre et qu’il présente une maladie professionnelle pulmonaire.
La provocation bronchique spécifique au cèdre blanc a été négative et la provocation bronchique spécifique au cèdre blanc présente tellement de contrainte que je ne crois pas qu’on peut conclure à une sensibilisation au cèdre.
Le dossier ne nous permet pas de différencier entre une réaction par sensibilisation ou une réaction irritative non spécifique.
Je suis d’accord avec le docteur Blouin qu’on doit reprendre la provocation bronchique spécifique en séparant clairement l’exposition au cèdre blanc versus l’exposition au cèdre rouge.
Je dois préciser que les provocations bronchiques spécifiques sont de règles faites en milieu hospitalier et surtout à l’Hôpital Laval de Québec, à l’Hôpital du Sacré-Cœur de Montréal et à l’Hôpital de Sherbrooke.
Je suis alors d’accord qu’on conteste la validité du diagnostic d’asthme professionnel au cèdre et non seulement au bureau d’évaluation médicale mais aussi, si nécessaire, à la Commission des lésions professionnelles.
[27] A ce stade, la Commission des lésions professionnelles tient à faire remarquer que, même si le docteur André Blouin a demandé au docteur Paolo Renzi de procéder à de nouveaux tests en laboratoire, celui-ci ne l’a pas fait. Il a juste déclaré être d’accord pour d’autres tests et a appuyé la position du docteur Blouin quant à l’absence d’une maladie professionnelle pulmonaire.
[28] Il faut aussi savoir que le travailleur a produit une seconde réclamation, le 28 septembre 2006, alléguant une récidive, rechute ou aggravation au 14 août 2006 avec un arrêt de travail au 22 septembre 2006, alors qu’il n’était pas exposé au cèdre blanc à cette époque.
[29] La nouvelle réclamation du travailleur a donné lieu à une nouvelle rencontre du CMPP, le 19 janvier 2007. Cette fois, ce sont les pneumologues Louis-Philippe Boulet, Jean-Guy Parent et Serge Boucher qui ont émis un avis, et ce, après avoir relaté l’histoire professionnelle, l’absence d’antécédents personnels, l’examen physique et les tests bronchiques. Leurs opinion et commentaires se lisent comme suit :
OPINION et COMMENTAIRES : Monsieur Thibault fut reconnu porteur d’un asthme professionnel au cèdre sur la foi d’arguments de probabilité. Une investigation complète avait été faite lors de son investigation initiale à l’hiver 2006. Il avait cessé d’être exposé au cèdre durant plusieurs mois antérieurement.
Il a recommencé à travailler dans une autre section de l’usine où il n’y a aucune exposition au cèdre. Il s’agit de sapin et d’épinette. Il décrit une symptomatologie de rhinite et de conjonctivite. Éventuellement, il a vu apparaître également des symptômes au niveau broncho-pulmonaire. Son médecin a procédé à une mesure de débit de pointe qui serait altérée puisque, par la suite, il a demandé qu’on réévalue le dossier.
Le dossier de monsieur Thibault est apparu une fois de plus assez complexe. Actuellement, il est asymptomatique et une investigation s’est avérée tout à fait normale. D’ailleurs, dans le passé, les tests à la Méthacholine s’étaient avérés négatifs. Une mesure de débit de pointe a été faite par son médecin de famille. Face à l’ensemble du tableau, les membres du comité aimeraient qu’on nous fasse parvenir une copie complète du dossier de son médecin de famille alors que le patient a consulté durant l’année 2006. Les mesures de débit de pointe devraient être incluses.
Compte tenu du tableau clinique présenté et du fait qu’il n’est plus exposé au cèdre, nous recommandons qu’on procède à une épreuve de provocation bronchique spécifique en usine dans la section où il a travaillé à l’entretien ménager. Il raconte être exposé à ce moment au sapin et à l’épinette. Nous aimerions donc qu’une provocation spécifique soit faite dans cette section.
Dès que ces informations supplémentaires seront disponibles, nous aimerions que le dossier nous soit soumis à nouveau.
[30] Les 22, 26, 27 et 28 février 2007 ainsi que le 1er mars 2007, des tests de provocation bronchique eurent lieu en usine, lesquels ne supportent pas l’hypothèse d’un asthme professionnel réactivé. Le 16 mars 2007, le CMPP, le pneumologue Louis-Philippe Boulet étant remplacé par Marc Desmeules, expose ce qui suit :
Ce rapport finalise l’expertise du 19 janvier 2007.
Monsieur Thibault a été soumis à un test de provocation sur le site du travail dans la nouvelle usine où il avait travaillé pendant quelques semaines et où il alléguait présenter les mêmes symptômes qu’auparavant. Il s’agit d’une usine dans laquelle on manipule essentiellement du sapin et de l’épinette.
Cette épreuve est demeurée entièrement négative.
Comme il n’y avait pas de cèdre dans cette usine, le résultat négatif ne remet pas en question le diagnostic d’asthme au cèdre précédemment posé.
Cependant, ce test ne fait pas la démonstration objective que le patient présente à nouveau des troubles asthmatiques lorsqu’il est soumis à cet environnement.
[31] Le 26 avril 2007, le Comité spécial des présidents, en les pneumologues Raymond Bégin, Neil Colman et André Cartier, précise que le travailleur doit éviter l’exposition au cèdre mais qu’il est en mesure de poursuivre son travail dans la scierie actuelle, étant dans l’usine de sapins et d’épinettes. Aucune limitation fonctionnelle autre n'est signalée.
[32] À l’audience, le travailleur témoigne des circonstances entourant l’apparition de ses premiers symptômes en juillet 2004. Il croyait que c’était une grippe. Son nez coulait et ses yeux piquaient. Il éternuait et présentait des picotements à la figure. Il n’a pas consulté à cette époque puisqu’il ne présentait pas vraiment de problème à respirer. Il n’a pas cessé le travail non plus.
[33] Le travailleur témoigne ensuite du suivi médical à compter du mois de juillet 2005. Comme ce témoignage confirme, à toutes fins pratiques, ce qu’on retrouve au dossier, la Commission des lésions professionnelles ne croit pas opportun de répéter ce qui a déjà été précisé. Elle ajoute, cependant, ce qui suit :
.1) Le travailleur était très sportif, pratiquant le hockey, le vélo et le volleyball. Il n’a jamais ressenti de problèmes respiratoires lors de la pratique de ces sports jusqu’à son entrée à l’usine.
.2) Pour les tests de provocation bronchique en laboratoire, le travailleur a apporté de la poussière de cèdre blanc de l’usine. Elle était humide.
.3) Lors de son retour au travail dans le cadre de l’identification d’un autre emploi, le travailleur a travaillé dans une autre usine, soit celle pour le sciage du sapin et de l’épinette. Il faisait de l’entretien ménager.
.4) Le travailleur termine sa formation le 23 novembre 2007. Toutefois, la CSST a cessé de verser les indemnités de remplacement du revenu à compter du mois d’août 2007.
[34] Il faut ici noter que le travailleur a reçu une décision de la CSST le 27 janvier 2007, retenant l’emploi de monteur de ligne, au revenu annuel de 34 410 $, à titre d’emploi convenable. Des mesures de type formation académique et technique ont été prévues pour le rendre capable d’exercer cet emploi. C’est pour terminer cette formation que l’employeur n’a pas exigé le retour au travail suite à l’avis du Comité spécial des présidents, du 26 avril 2007, pour lequel une décision a été émise le 8 août 2007.
[35] Lors de l’audience, monsieur Martin Bélanger témoigne, quant à lui, être à la compagnie depuis 1987 et être surintendant de production depuis quelques années. Il précise qu’à l’usine où travaillait le travailleur jusqu’en 2006, il y avait du cèdre blanc de l’Est et nullement de cèdre rouge. Quant à la seconde usine, où a été affecté le travailleur à compter de 2006, il s’agit du bois de sapin et d’épinette. C’est une usine de sciage pour la fabrication de bois de charpente. À cette usine est rattaché un département de lambris où il y a, à l’occasion, du cèdre rouge. Ces deux usines sont cependant séparées par un mur. L’accès d’une partie à l’autre se fait par une porte tenue fermée lors de la production. Enfin, deux kilomètres séparent la première usine contenant du cèdre blanc de celle du sciage du bois de sapin et d’épinette.
[36] À ce stade de l’exposé des faits, la Commission des lésions professionnelles retient, comme prémisses, que le travailleur ne présentait aucune difficulté respiratoire avant son entrée en fonction chez l’employeur. En cela, elle réfère au fait qu’il pratiquait des sports relativement exigeants et qu’il n’existe aucune note médicale, tout au long du suivi médical, laissant croire à une maladie personnelle antérieure de nature pulmonaire. La Commission des lésions professionnelles retient également que le travailleur a été exposé uniquement à la poussière de cèdre blanc jusqu’au moment de la production de sa réclamation, en septembre 2005. En cela, le témoignage du surintendant de la production est explicite.
[37] Voyons maintenant le témoignage du docteur André Blouin, lequel donne son point de vue à partir des données contenues au dossier. Il n’a pas examiné le travailleur et il n’est pas pneumologue, quoiqu’il aborde ce genre de problème dans son travail et discute avec des pneumologues.
[38] Le docteur André Blouin témoigne à l’effet que le docteur Denis Baker a introduit une médication pour l’asthme dès le mois de juillet 2005, malgré que son examen ne soutenait pas une telle problématique. Il explique que l’asthme est une maladie de l’arbre respiratoire se manifestant par une difficulté à libérer l’air. Cette difficulté se rencontre lors d’un effort physique, de l’exposition au froid ou de situations allergisantes. C’est une maladie réversible et les causes sont multiples.
[39] Le docteur André Blouin précise que l’asthme professionnel revêt le même caractère sauf que c’est un élément dans le milieu de travail qui est la cause de cette difficulté à libérer l’air. L’identification du diagnostic se fait à l’aide de l’histoire rapportée et de l’examen effectué. Cet examen doit être composé d’un bon bilan respiratoire montrant le volume expiratoire maximal en une seconde (VEMS), ce qui donnera l’indice de gravité du problème obstructif. Cet indice sera mis en corrélation avec la valeur prédite, c’est-à-dire celle que l’on décrète comme étant normale pour un individu du même âge, du même sexe et de la même race que l’individu visé. On connaîtra ainsi la valeur pulmonaire de cet individu puisque sa capacité vitale sera diminuée en présence d’un problème obstructif. Le docteur Blouin explique, enfin, qu’une chute de 20 % du VEMS confirme la présence d’une hyperactivité bronchique. Quant à la CP 20, à laquelle réfèrent les pneumologues, il s’agit de la valeur retenue où l’on mesure la chute du VEMS à la valeur donnée à l’histamine ou à la Méthacholine.
[40] Le docteur André Blouin témoigne à l’effet que le débit expiratoire de pointe était de 850 lors du premier examen le 26 juillet 2005 alors que la normale, pour un individu de même caractéristiques que le travailleur, est de 600, ce qui démontre donc une très bonne capacité chez ce dernier. Cela n’aurait pas dû mettre le médecin sur la piste d’un asthme.
[41] Le docteur André Blouin indique que les asthmatiques ont souvent eu des problèmes dans leur enfance se résorbant à l’adolescence. La recherche d’une sensibilité familiale est donc importante. On peut penser ici, compte tenu du résultat des examens, que le travailleur a quand même un problème d’ordre allergique, de type rhinite allergique par exemple, sans qu’il soit question d’un asthme. À cela, il précise qu’une sensation de pression pulmonaire n’est pas spécifique à l’asthme. Quant aux données lors des tests de débit expiratoire de pointe, il s’agit de résultats pour un dépistage et non pour un diagnostic, d’autant plus que ces tests dépendent de la bonne volonté du travailleur. Il soutient que la différence, entre les résultats obtenus en juillet 2005 et ceux de septembre 2005, repose essentiellement sur l’obstruction des voies respiratoires supérieures, le travailleur étant plus congestionné.
[42] Le docteur André Blouin est d’avis que tous les tests administrés montrent des résultats normaux. Le travailleur n’a pas de sensibilité pour une quelconque allergie. Il nous enseigne qu’il y a trois moyens pour procéder à des tests de provocation spécifique. Le premier consiste à mesurer des débits expiratoires de pointe en remettant au travailleur un appareil de mesure pour la cueillette de données en usine et à l’extérieur de l’usine pendant quelques jours. Cela n’a pas été fait lors de la première réclamation.
[43] La seconde façon consiste à analyser les anticorps contenus dans le sang (le RAST). On mesure la présence de l’acide plicatique. Si c’est positif, on aura une indication d’allergie. Cela n’a pas été fait non plus chez le travailleur.
[44] La troisième façon consiste en des tests de provocation bronchique spécifique, comme au cèdre blanc. C’est ce qui a été fait chez le travailleur en janvier et février 2006.
[45] Le docteur André Blouin, d’entrée de jeu, explique que l’acide plicatique est présente dans une proportion de 40 % dans le cèdre rouge, soit dix fois plus que dans le cèdre blanc. Il ajoute que de la poussière de cèdre rouge a été introduite la dernière journée des tests de provocation bronchique sans qu’aucune explication n’ait été apportée à cet effet. Il passe en revue les résultats obtenus lors des tests de janvier et février 2006. Il parle de réaction anxieuse pour le premier jour, le second et le troisième. Il soutient que le travailleur n’a pas présenté de réaction asthmatique de type 1, soit une réaction immédiate. Quant au jour 4, on a fait respirer de la poussière de cèdre rouge. Le travailleur a simplement fait une réaction panique à ce qu’on lui a fait respirer. C’est la conclusion devant être tirée des valeurs devenues normales à la fin de la journée.
[46] Le docteur André Blouin est aussi d’avis qu’on ne peut pas parler non plus d’effet à retardement en regard de l’exposition au cèdre blanc en guise d’explication à ce qui s’est produit la quatrième journée. En cela, il réfère à l’absence d’effet cumulé en début de journée par rapport aux trois journées précédentes. Pour le docteur Blouin, c’est la concentration de poussière de cèdre rouge qui a provoqué une hyperventilation, puis une baisse du VEMS.
[47] Concernant la référence à la bouffissure de la face notée lors des tests de provocation bronchique et rapportée par le pneumologue Marc Desmeules, le docteur André Blouin est d’avis qu’il s’agit d’un élément trop faible pour conclure en faveur d’un asthme professionnel pulmonaire. Il estime que si le travailleur avait présenté un asthme en relation avec l’exposition au cèdre blanc, il aurait eu des réactions dès le jour 3 des tests de provocation. Il conclut que le travailleur n’est pas asthmatique, qu’il existe uniquement une suspicion et qu’objectivement, on n’a jamais démontré des symptômes d’asthme. S’il fallait conclure en faveur d’une réaction au cèdre blanc, elle serait très légère, puisque pas facile à démontrer.
[48] Au soutien de sa requête, l’employeur dépose les décisions suivantes :
ü Blais et Guitabec, C.A.L.P. 34309-05-9111, 22 février 1994, M. Denis;
ü Landry et Produits forestiers Alliance-Guérette inc., C.A.L.P. 93068-01-9801, 2 juillet 1999, J.G. Roy;
ü Tardif et Multi-Marques, C.A.L.P. 119771-01A-9907, 27 septembre 2001, G. Tardif;
ü Robichaud et Bardobec, C.L.P. 168934-03B-0109, 26 juillet 2005, P. Brazeau.
[49] La Commission des lésions professionnelles est d’avis, après analyse de l’ensemble de la preuve, de rejeter la requête de l’employeur, et ce, pour les raisons suivantes :
.1) Tel qu’indiqué précédemment, le travailleur ne présentait aucune symptomatologie en regard d’une quelconque condition d’obstruction pulmonaire avant qu’il ne soit exposé à de la poussière de cèdre blanc dans son milieu de travail. Il pratiquait des sports relativement exigeants, sans pour autant devoir requérir à quelques médicaments que ce soit pour rétablir sa capacité pulmonaire. Des médicaments sont introduits uniquement à compter de l’été 2005, alors que le travailleur se plaint d’une baisse occasionnelle de sa capacité respiratoire depuis 2004, soit environ six mois après son entrée en fonction pour la compagnie.
.2) La poussière de cèdre blanc contient cet élément, appelé l’acide plicatique, susceptible de contribuer à l’apparition d’un asthme bronchique. Le travailleur a donc été véritablement exposé à cette entité allergène.
.3) Quoiqu’en moyenne les individus ayant les mêmes caractéristiques que le travailleur ont un débit expiratoire de pointe de 600, alors que celui du travailleur est de 850 le 26 juillet 2005, au moment de sa première consultation, cela ne signifie pas qu’il ne souffre pas d’un asthme relatif aux poussières de cèdre blanc. D’abord, cela fait deux semaines qu’il est hors travail au moment de ce premier test et, ensuite, celui-ci témoigne d’une véritable amélioration lorsqu’il n’est plus exposé la fin de semaine. Tout ce que ce résultat de 850 permet de dire, c’est que le travailleur a un débit expiratoire de pointe supérieur à la moyenne.
.4) Il est faux de prétendre que la baisse du débit expiratoire de pointe à 550, 400 et 530, le 15 septembre 2005, n’est pas représentatif d’un phénomène obstructif pulmonaire au motif que ces résultats se situent près de la moyenne des individus qui ont les mêmes caractéristiques que le travailleur. La Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’il ne faille pas analyser la baisse du débit expiratoire de pointe du travailleur en la comparant à la moyenne des individus de mêmes caractéristiques. Cette baisse doit être évaluée en fonction de ce qu’est normalement le débit expiratoire de pointe chez le travailleur, en l’occurrence 850. C’est à l’impact sur sa propre perte qu’il faut référer pour justifier la présence d’une obstruction pulmonaire. Tout ce que permet la comparaison avec les autres individus, c’est de situer le travailleur à l’intérieur d’une courbe de référence. On ne peut que déduire qu’il se retrouvait à la partie supérieure de la courbe.
.5) Lorsque les nouvelles mesures de débit expiratoire de pointe sont prises le 15 septembre 2005, le travailleur n’est pas en arrêt de travail. Il consulte pour une augmentation de la dyspnée. Il est question, suivant les notes médicales manuscrites, d’une augmentation de l’essoufflement et de toux depuis deux à trois semaines. Or, ces nouvelles mesures sont à la baisse. Il y aura certes une légère amélioration après deux bouffées de Ventolin, mais elle est bien loin du débit expiratoire de pointe normal de 850 dont est capable le travailleur. La Commission des lésions professionnelles ne retient pas les prétentions du docteur André Blouin à l’effet que cette baisse est uniquement due à la présence d’une congestion nasale augmentée. Il n’a pas examiné le travailleur à cette époque. Même si les notes médicales font état d’une telle congestion nasale, le médecin ayant charge fait référence à cette situation en l’insérant à un ensemble de symptômes. Il connaît de toute façon mieux la condition du travailleur dans son ensemble.
.6) L’introduction de la médication dès le mois de juillet 2005, son maintien à travers les différentes consultations et son ajustement en raison de l’accroissement des symptômes militent en faveur d’une véritable condition pulmonaire obstructive au moment des différentes visites médicales. La Commission des lésions professionnelles ne retient pas la prétention du docteur André Blouin à l’effet que la médication n’était pas justifiée en raison de l’absence d’un asthme. Si, le 26 juillet 2006, le débit expiratoire de pointe était très bon, de véritables symptômes sont notés dès le 15 septembre 2005 en plus d’une baisse importante du débit expiratoire de pointe alors que le travailleur est en situation de travail, ce qui n’était pas le cas le 26 juillet 2006.
.7) Quoiqu’il soit établi que l’épreuve de provocation au cèdre blanc n’a pas permis d’établir une conclusion claire, le pneumologue Marc Desmeules faisant état d’une signification qui demeure ambiguë, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que cela n’a pas pour effet d’écarter l’existence probable d’un asthme professionnel. En effet, l’ensemble des pneumologues qui ont eu à se pencher sur cette problématique, exception faite du docteur Paolo Renzi qui a agi à la demande de l’employeur, sont d’avis que l’ambigüité du résultat des tests de provocation bronchique ne peut remettre en cause la probabilité de la relation causale entre la symptomatologie présentée par le travailleur et l’exposition au cèdre blanc dans son milieu de travail. Ils prennent tous position en connaissance de cause quant à l’évaluation de la symptomatologie, le résultat aux différents tests et à l’histoire occupationnelle. La Commission des lésions professionnelles estime que ces pneumologues du CMPP et du Comité spécial des présidents ont livré une opinion prépondérante.
.8) La Commission des lésions professionnelles ne retient pas la prétention du docteur André Blouin à l’effet que le travailleur a simplement fait une réaction panique la quatrième journée des tests de provocation bronchique au moment de l’introduction de la poussière de cèdre rouge. La Commission des lésions professionnelles est plutôt d’avis que c’est la présence d’une plus grande quantité d’acide plicatique contenue dans le cèdre rouge qui est responsable de la baisse de la fonction pulmonaire. En effet, tel que le précise le docteur Blouin, l’acide plicatique est très présente dans le cèdre rouge, en comparaison au cèdre blanc, et cela constitue un élément allergène. Quant à la crise panique invoquée par le docteur Blouin, il s’agit d’hypothèse qui n’est pas suffisamment démontrée pour être retenue comme valable.
.9) Certes, l’élément principal auquel se rattachent le CMPP et le Comité spécial des présidents, pour l’établissement du lien de causalité, est l’existence d’une bouffissure de la face. Or, la Commission des lésions professionnelles estime que si les différents pneumologues sont d’accord avec la relation causale en partant de cet élément de fait, c’est que celui-ci est suffisamment important pour confirmer la probabilité de relation causale. D’ailleurs, ils indiquent clairement que cette bouffissure ne peut pas s’expliquer uniquement par l’hyperventilation. Il ne faut pas oublier que nous sommes ici dans un contexte de probabilité de lien causal et non de certitude scientifique. En conséquence, la Commission des lésions professionnelles ne retient pas la prétention du docteur André Blouin voulant que cet élément de fait soit trop faible pour servir à la reconnaissance d’un asthme professionnel.
.10) Lorsque le docteur André Blouin s’adresse au docteur Paolo Renzi, celui-ci expose, d’entrée de jeu, ne pas être d’accord avec la reconnaissance d’un asthme professionnel. Il lui demande de prendre position et de procéder à de nouveaux tests de provocation spécifiques au cèdre blanc, puis au cèdre rouge, et d’établir la différence de résultat. Or, malgré cette demande spécifique, le docteur Paolo Renzi ne procédera pas aux tests. Il fait part de son opinion en tenant uniquement compte des données apparaissant au dossier, même s’il est d’avis que de nouveaux tests devraient être administrés. Il dit partager l’opinion du docteur Blouin et suggère de contester la réclamation. La Commission des lésions professionnelles est d’avis que cette prise de positon du docteur Renzi, en l’absence de tout autre élément que ceux analysés par les différents pneumologues des différents comités, ne peut écarter l’opinion de relation émise par ces derniers.
[50] Concernant la jurisprudence déposée par l’employeur, la première affaire démontre que le travailleur souffre d’hyperventilation et non d’un asthme professionnel. Sur ce point, tant les pneumologues du CMPP que ceux du Comité spécial des présidents partagent cette position. Or, dans le cas qui nous occupe, les différents pneumologues partagent tous le même point de vue, à savoir la présence d’un asthme professionnel pulmonaire, et ce, même s’ils sont au fait d’un phénomène d’hyperventilation en cours de tests de provocation bronchique.
[51] Dans la seconde affaire, le travailleur était exposé à des poussières de bois de sapin et d’épinette. Les tests de provocation bronchique se sont avérés négatifs. Il est fait mention d’études qui ont montré un agent spécifique sensibilisant dans le cèdre rouge et le cèdre blanc mais pas dans le bois de sapin ni d’épinette. Devant un tel constat d’absence d’agent sensibilisant et en présence de tests de provocation bronchique négatifs, la relation causale n’a pas été établie. Or, dans le cas sous étude, il y a un agent sensibilisant puisqu’il est question du cèdre blanc. De plus, les tests de provocation bronchique, quoique ambigus en regard des résultats, ont été jugés, par les différents experts pneumologues, suffisamment explicites pour justifier la relation de cause à effet.
[52] Dans la troisième affaire, on nous met en garde sur l’importance relative de l’histoire clinique de la maladie, laquelle sert davantage à exclure l’asthme professionnel qu’à le confirmer. C’est l’évaluation objective qui doit être prise en compte. La commissaire dans cette affaire expose ce qui suit :
[21] Suivant la littérature qui fait autorité en la matière(11), pour poser un diagnostic d’asthme professionnel, il faut que les éléments suivants soient réunis :
a) un diagnostic d’asthme;
b) l’apparition de l’asthme après l’entrée en fonction dans le métier pouvant être en cause;
c) une association entre les symptômes de l’asthme et le travail;
d) une exposition au travail à un agent reconnu pour sa capacité à engendrer de l’asthme professionnel; et
e) un ou plusieurs des autres éléments suivants :
- une association entre le travail et un changement dans le volume expiratoire maximal par seconde (VEMS) ou le débit expiratoire de pointe (DEP); ou
- une association entre le travail et un changement dans l’hyperréactivité bronchique; ou
- une réponse positive à un test de provocation spécifique; ou
- une association claire entre une exposition à un agent irritant présent dans le milieu de travail et l’apparition de l’asthme.
[22] Les tests de provocation spécifique, en laboratoire ou en milieu de travail, ont pour but de confirmer le développement d’une obstruction bronchique, mesurée par le VEMS, par suite de l’exposition à l’agent sensibilisant(12). Il s’agit de l’épreuve la plus déterminante pour évaluer le caractère professionnel de l’asthme(13). Autant que possible, on y ajoute une mesure de l’hyperréactivité bronchique (la CP20) pré et post exposition.
[23] Suivant la littérature, le test de provocation spécifique est positif lorsque le VEMS s’abaisse de 20 % par comparaison au VEMS mesuré au début de la journée, avant toute exposition, et que cette chute est plus importante que la chute survenue lors de la journée témoin(14). Pour réaliser le test de provocation spécifique, en laboratoire ou en milieu de travail, il faut d’abord mesurer le VEMS de base lors d’une journée contrôle. Au cours de cette journée, le VEMS ne doit pas varier de plus de 10 %. Une plus grande variabilité signifie que l’asthme est instable. Le test de provocation spécifique devrait être reporté, puisque les résultats pourraient en ce cas être faussement positifs. Si l’asthme est stable, le test de provocation spécifique peut avoir lieu.
[24] Il s’agit, en laboratoire, d’exposer progressivement le patient, en concentration et en durée, à l’agent sensibilisant incriminé, jusqu’à une période consécutive de deux heures à une concentration maximale, sans toutefois excéder les niveaux au-delà desquels l’agent devient irritant. Le VEMS est mesuré immédiatement après chaque période d’exposition et dix minutes plus tard. En l’absence de variation significative du VEMS, malgré la répétition du test pendant trois jours, on réévalue l’hyperréactivité bronchique à la fin de la troisième journée. Si la CP20 n’est pas significativement plus basse, le test de provocation spécifique est considéré négatif, alors que si elle est significativement plus basse, l’exposition doit être répétée le jour suivant pendant une période pouvant atteindre quatre heures(15).
[25] La CP20 est considérée comme significativement plus basse lorsqu’il faut réduire d’au moins du double la dose d’histamine ou de métacholine requise pour provoquer une chute du VEMS de 20 %(16).
[26] L’exposition à un agent irritant n’entraîne pas de changement marqué et prolongé de l’hyperréactivité bronchique, alors que l’exposition à un allergène peut être associée à des changements importants et prolongés de l’hyperréactivité(17), qui augmente habituellement après une période d’exposition à un allergène et diminue une fois l’exposition cessée(18). Le retrait de l’exposition pendant une période de quelques jours à quelques semaines ou mois peut provoquer un retour à la normale de la réactivité bronchique. La reprise du travail ou même l’administration d’un test de provocation spécifique augmentera à nouveau la réactivité bronchique dans les limites des réactions asthmatiques(19).
[27] La mesure des DEP complète l’investigation dans certains cas. Une chute apparaissant à la suite d’une exposition au travail ou en laboratoire ajoute de la valeur à l’hypothèse voulant que l’asthme soit d’origine professionnelle.
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(1) loc. cit., note 4, page 1085
(2) loc. cit., note 4, page 1102
(3) loc. cit., note 7, page 90; Susan M. TARLO et als, mds, Directives de la société canadienne de thoracologie pour l’asthme professionnel, Can Respir J, vol. 5, no 5, septembre-octobre 1998
(4) loc. cit., note 5, page 4
(5) loc. cit., note 5, page 4; loc. cit., note 4, page 1084
(6) loc. cit. note 4 , page 1101; Donald W. COCKROFT, md, Allergen-induced increase in nonallergic airway responsiveness : A citation classic revisited, Modern Classics (number 2), Can respir J, Vol. 7, no. 2, mars-avril 2000
(7) loc. cit., note 5, page 3
(8) loc. cit., note 4, page 1099
(9) loc. cit., note 7, page 88
[53] Dans cette affaire, le pneumologue Paolo Renzi a témoigné en long et en large sur la condition d’asthme. De la doctrine médicale a été déposée en plus de certaines données environnementales concernant le milieu de travail du travailleur. Préalablement, le CMPP s’était prononcé à l’effet que le travailleur n’était pas atteint d’un asthme professionnel, quoique porteur d’un asthme. Des épreuves de provocation bronchique se sont avérées négatives, selon l’appréciation du CMPP et du Comité spécial des présidents. Ce dernier comité a jugé que l’investigation, extrêmement poussée, n’avait jamais permis de faire la démonstration claire d’une sensibilisation de l’arbre respiratoire à la farine. La commissaire conclut que la preuve démontre de façon nettement prépondérante que l’asthme ne résulte pas d’une allergie à la farine.
[54] Il est clair que cette affaire a donné lieu à une analyse extrêmement rigoureuse à la recherche d’un quelconque lien avec l’exposition à la farine, et ce, dans un contexte où le travailleur est véritablement porteur d’un asthme, ce qui n’est pas contesté. Cette analyse a été critiquée par des médecins au moment de l’audience, dont le pneumologue Paolo Renzi. Tous les intervenants ont donc agi à la recherche d’un élément sensibilisant et aucune suspicion n’a été mise de l’avant par l’un ou l’autre des experts, ce qui n’est pas le cas pour le dossier sous étude. Nous avons ici un élément allergène suffisamment important pour conduire à une véritable suspicion.
[55] Dans la dernière affaire, soit celle du commissaire Pierre Brazeau du 26 juillet 2005, la Commission des lésions professionnelles trouve particulièrement intéressant l’appréciation qui est faite relative aux experts pneumologues. Le commissaire Brazeau s’exprime comme suit :
[32] Incidemment, la Commission des lésions professionnelles doit aussi prendre en compte la compétence reconnue des médecins pneumologues impliqués dans les constatations et conclusions d'ordre médical ayant conduit aux décisions en cause de la CSST.
[33] À cet égard, la Commission des lésions professionnelles prend pour acquis la compétence de la docteure Johanne Côté, pneumologue, à titre de médecin spécialisé dans l'administration de tests de provocation bronchique, compétence qui n'est d'ailleurs pas niée par le docteur Pierre L. Auger, médecin du travail, appelé à témoigner par le travailleur à l'audience du 8 juillet 2005, et celle généralement reconnue de tous et chacun des pneumologues membres du « Comité des maladies professionnelles pulmonaires de Québec » et du Comité Spécial des présidents, certains de ces membres étant d'ailleurs eux-mêmes les auteurs des articles de doctrine médicale et scientifique déposés en preuve par le docteur Pierre L. Auger, médecin du travail consulté par le travailleur, au soutien des allégations faites dans le cadre de son témoignage à l'audience.
[34] Sur ce point, la Commission des lésions professionnelles doit aussi prendre en compte le fait que le législateur lui-même attribue aux membres des deux comités précités agissant consécutivement, une compétence déterminante notamment en rendant liants pour la CSST le diagnostic et les autres constatations établis par le Comité Spécial des présidents en vertu du 3e alinéa de l'article 231 de la loi, le tout en application de l'article 233 de cette loi.
[35] Sur ce dernier point, la Commission des lésions professionnelles considère que, même si elle a la compétence juridictionnelle requise pour décider à l'encontre des conclusions des membres de ces comités et de la CSST dans le cadre d'une contestation valablement logée en application de l'article 359 de la loi, elle ne peut ignorer que le mode de nomination et la compétence juridictionnelle accordée aux médecins pneumologues en cause contribuent à établir la valeur probante particulièrement élevée de leurs constats et conclusions.
[36] En second lieu, la Commission des lésions professionnelles considère comme étant déterminant en l'instance, le fait que, même si l'historique du cas allégué par le travailleur ainsi que les résultats quelque peu ambigus de certains tests de provocation bronchique ont pu donné à penser et faire suspecter sérieusement que le travailleur était porteur d'une condition d'asthme professionnel, tous les éléments de nature à avoir pu compromettre la fiabilité des résultats pertinents, ont manifestement été pris en compte, dans tous les cas, par la docteure Johanne Côté, pneumologue spécialisée dans l'administration de tels tests de provocation bronchique ayant elle-même agi à titre de pneumologue ayant charge du travailleur, ainsi que par les membres du « Comité des maladies professionnelles pulmonaires de Québec » et du Comité Spécial des présidents, lesquels ont tous recommandé la tenue de tests destinés à vérifier et à préciser les résultats ambigus avant de conclure unanimement, dans tous les cas, que le travailleur n'est pas porteur d'une condition d'asthme professionnel et qu'aucun déficit anatomo-physiologique ou atteinte permanente à l'intégrité physique ne peut lui être accordé en relation avec une telle condition.
[56] La Commission des lésions professionnelles partage le point de vue du commissaire Pierre Brazeau quant à la valeur probante particulièrement élevée des constats et conclusions des pneumologues appelés à agir au sein du CMPP et du Comité spécial des présidents. Dans le cas sous étude, au risque de le répéter, ces pneumologues ont pris position en faveur d’un asthme professionnel tout en sachant que le résultat aux tests de provocation bronchique était ambigu. Leur jugement en toute connaissance de cause de la situation ne peut, en l’espèce, être remis en question par le témoignage du docteur André Blouin, lequel n’a pas examiné le travailleur et n’est pas pneumologue. Quant à l’opinion du docteur Paolo Renzi, elle ne peut servir de témoignage. De plus, elle a été émise alors qu’il croyait nécessaire de procéder à de nouveaux tests, tests qu’on lui avait demandé de faire et qu’il n’a pas faits.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête déposée par Les industries Maibec inc. (l’employeur) le 8 juin 2006;
CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), le 31 mai 2006, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que monsieur Serge Thibault (le travailleur) est atteint d’une maladie professionnelle pulmonaire, le 26 juillet 2005, et qu’il a droit aux indemnités prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001).
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Marielle Cusson |
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Commissaire |
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Me Louis Ste-Marie |
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OGILVY RENAULT |
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Représentant de la partie requérante |
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AVIS :
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