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[1] Le 5 juillet 2004, Les Entreprises Kiewit Ltée (l’employeur) dépose auprès de la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la C.S.S.T.) à la suite d'une révision administrative datée du 22 juin 2004.
[2] Par cette décision, la C.S.S.T. refuse d’accorder le partage de coûts demandés par l’employeur à la suite de la lésion professionnelle subie par monsieur Nelson Guérin le 6 juin 2000.
[3] Lors de l’audience tenue à Québec le 14 décembre 2004, l’employeur et son procureur étaient présents. Le dossier a été mis en délibéré le 14 décembre 2004.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4]
L’employeur demande à la Commission des lésions
professionnelles de reconnaître que monsieur Nelson Guérin était déjà handicapé
lors de sa lésion professionnelle subie le 6 juin 2000, ce qui justifie un
transfert de la totalité des coûts,
conformément à l’article
[5] Subsidiairement, le procureur de l’employeur invoque l’article 326 alinéa (2) pour obtenir un transfert des coûts.
LES FAITS
[6] Monsieur Guérin était âgé de 40 ans lors des événements en cause et travaillait comme contremaître menuisier. Le 6 juin 2000, monsieur Guérin s’accroche dans une armature d’acier, en effectuant ses tâches, et s’inflige une lacération au niveau du tibia droit. Deux jours plus tard, il constate que la plaie est infectée, ce qui l’amène à consulter un médecin.
[7] Le 8 juin 2000, le médecin diagnostique une cellulite à la jambe droite et prévoit une greffe.
[8] Le 30 juin 2000, le docteur Gagnon complète un rapport médical dans lequel il précise qu’il s’agit d’une cellulite à streptocoque du groupe A, communément appelée « bactérie mangeuse de chair ».
[9] Après trois greffes cutanées, la lésion est consolidée le 8 janvier 2001 et monsieur Guérin reprend son emploi.
[10] Le 19 novembre 2001, le travailleur présente une rechute, récidive ou aggravation de sa lésion nécessitant trois autres interventions chirurgicales. La lésion est finalement consolidée le 23 juillet 2003 avec une atteinte permanente de 10 % pour préjudices esthétiques.
[11]
Le 11 décembre 2001, l’employeur présente une demande de
partage de coûts en vertu de l’article
[12] Lors de l’audience, le docteur Alain Martel, microbiologiste et infectiologue, a été entendu comme témoin expert. Le docteur Martel a expliqué que le fait d’avoir développé une infection au streptocoque du groupe A ne résulte pas d’une déficience du système immunitaire du sujet mais constitue plutôt une dysfonction entraînant une réponse disproportionnée devant la présence de cette bactérie et de ses toxines. Cette maladie se développe par la combinaison des trois facteurs suivants : la présence de la bactérie dans le système, une réponse disproportionnée du système immunitaire et la présence d’une plaie déclenchant l’infection. Le docteur Martel souligne, quant au premier facteur, qu’environ 10 % de la population a une colonie de la bactérie en cause, soit le streptocoque du groupe A. Le fait de présenter une réponse disproportionnée du système immunitaire n’est pas encore expliquée, selon la littérature médicale, et plusieurs hypothèses circulent, telles la susceptibilité familiale et la présence de certaines maladies (varicelle, diabète ou hypertension).
[13] Le docteur Martel convient que cette réponse disproportionnée du système immunitaire peut se comparer aux cas de dystrophie sympathique réflexe impliquant une réponse disproportionnée de la régulation vasomotrice de l’individu.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[14]
La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si
le travailleur était déjà handicapé au moment de la survenance de sa lésion
professionnelle et, le cas échéant, si un tel handicap a eu une incidence sur
la survenance de cette lésion professionnelle ou sur ses conséquences, le tout
au sens de l’article
[15]
Comme la loi ne fournit pas de définition claire de la notion
de travailleur handicapé, il y a lieu de se référer aux critères élaborés dans
l’affaire Municipalité
Petite-Rivière-St-François et
C.S.S.T. Québec-Nord
[16] La première étape consiste donc à vérifier si le travailleur présente une déficience physique ou psychique. Sur ce point, il est utile de se référer à la Classification internationale des handicaps élaborée par l’Organisation mondiale de la santé (Paris, CTNERHI-Inserm, 1988) parce que ce manuel a l’avantage de représenter un consensus de la communauté médicale internationale sur ce que constitue un handicap. Selon cet ouvrage, une déficience constitue une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique et correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. Cette déficience peut être congénitale ou acquise. La déficience peut ou non se traduire par une limitation des capacités du travailleur de fonctionner normalement. La déficience peut aussi exister à l’état latent, sans qu’elle se soit manifestée avant la survenance de la lésion professionnelle.
[17] Dans le présent dossier, le tribunal retient des explications fournies par le docteur Martel que le travailleur était porteur de la bactérie du groupe A lors de son accident subi le 6 juin 2000 et qu’il a présenté une hyperréaction causant l’infection au site de sa plaie. Seulement 10 % de la population sont porteurs d’une colonie du streptocoque du groupe A. De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, la combinaison de ces deux facteurs peut correspondre à une altération d’une fonction au sens de la définition retenue et constitue donc une déficience qui se démarque de la norme biomédicale.
[18] La preuve est par ailleurs évidente sur le rôle essentiel joué par cette déficience sur le développement de la maladie. Il ressort en effet de la preuve que le travailleur n’aurait même pas cessé de travailler en raison de l’éraflure mineure subie le 6 juin 2000. Son arrêt de travail et les traitements subis par la suite découlent directement de la maladie causée par la bactérie mangeuse de chair.
[19]
La Commission des lésions professionnelles considère que la
preuve lui permet de conclure que le travailleur était déjà handicapé au sens
de l’article
[20] En ce qui concerne le pourcentage du partage de coûts, le tribunal retient des explications du docteur Martel que la plaie subie le 6 juin 2000 constitue l’un des facteurs ayant abouti au développement de la maladie. Dans les circonstances, un partage dans une proportion de 99 % à l’ensemble des employeurs et 1 % au dossier financier du présent employeur est justifié.
[21]
Finalement, en réponse à l’argument soulevé par le procureur
de l’employeur à l’effet que l’article
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de l’employeur;
INFIRME la décision rendue par la C.S.S.T. le 22 juin 2004 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que les coûts reliés à la lésion professionnelle subie par monsieur Nelson Guérin le 6 juin 2000 doivent être répartis comme suit : 99 % à l’ensemble des employeurs et 1 % au dossier financier de Entreprises Kiewit Ltée.
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Me Marie-Andrée Jobidon |
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Commissaire |
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Me Christian Tétreault |
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BOURQUE, TÉTREAULT, ASS. |
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Représentant de la partie requérante |
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