Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec

24 janvier 2005

 

Région :

Québec

 

Dossier :

238516-32-0407

 

Dossier CSST :

119000719

 

Commissaire :

Me Marie-Andrée Jobidon

 

 

 

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Entreprises Kiewit Ltée

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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DÉCISION

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[1]                Le 5 juillet 2004, Les Entreprises Kiewit Ltée (l’employeur) dépose auprès de la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la C.S.S.T.) à la suite d'une révision administrative datée du 22 juin 2004.

[2]                Par cette décision, la C.S.S.T. refuse d’accorder le partage de coûts demandés par l’employeur à la suite de la lésion professionnelle subie par monsieur Nelson Guérin le 6 juin 2000.

[3]                Lors de l’audience tenue à Québec le 14 décembre 2004, l’employeur et son procureur étaient présents. Le dossier a été mis en délibéré le 14 décembre 2004.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]                L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître que monsieur Nelson Guérin était déjà handicapé lors de sa lésion professionnelle subie le 6 juin 2000, ce qui justifie un transfert  de la totalité des coûts, conformément à l’article 329 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q., c. A-3.001) (la loi).

[5]                Subsidiairement, le procureur de l’employeur invoque l’article 326 alinéa (2) pour obtenir un transfert des coûts.

LES FAITS

[6]                Monsieur Guérin était âgé de 40 ans lors des événements en cause et travaillait comme contremaître menuisier. Le 6 juin 2000, monsieur Guérin s’accroche dans une armature d’acier, en effectuant ses tâches, et s’inflige une lacération au niveau du tibia droit. Deux jours plus tard, il constate que la plaie est infectée, ce qui l’amène à consulter un médecin.

[7]                Le 8 juin 2000, le médecin diagnostique une cellulite à la jambe droite et prévoit une greffe.

[8]                Le 30 juin 2000, le docteur Gagnon complète un rapport médical dans lequel il précise qu’il s’agit d’une cellulite à streptocoque du groupe A, communément appelée « bactérie mangeuse de chair ».

[9]                Après trois greffes cutanées, la lésion est consolidée le 8 janvier 2001 et monsieur Guérin reprend son emploi.

[10]           Le 19 novembre 2001, le travailleur présente une rechute, récidive ou aggravation de sa lésion nécessitant trois autres interventions chirurgicales. La lésion est finalement consolidée le 23 juillet 2003 avec une atteinte permanente de 10 % pour préjudices esthétiques.

[11]           Le 11 décembre 2001, l’employeur présente une demande de partage de coûts en vertu de l’article 329 de la loi, en invoquant le fait que le travailleur était déjà porteur du streptocoque de type A lors de son éraflure subie le 6 juin 2000. Cet accident aurait alors activé un processus de la maladie jusqu’alors latente.

[12]           Lors de l’audience, le docteur Alain Martel, microbiologiste et infectiologue, a été entendu comme témoin expert. Le docteur Martel a expliqué que le fait d’avoir développé une infection au streptocoque du groupe A ne résulte pas d’une déficience du système immunitaire du sujet mais constitue plutôt une dysfonction entraînant une réponse disproportionnée devant la présence de cette bactérie et de ses toxines. Cette maladie se développe par la combinaison des trois facteurs suivants : la présence de la bactérie dans le système, une réponse disproportionnée du système immunitaire et la présence d’une plaie déclenchant l’infection. Le docteur Martel souligne, quant au premier facteur, qu’environ 10 % de la population a une colonie de la bactérie en cause, soit le streptocoque du groupe A. Le fait de présenter une réponse disproportionnée du système immunitaire n’est pas encore expliquée, selon la littérature médicale, et plusieurs hypothèses circulent, telles la susceptibilité familiale et la présence de certaines maladies (varicelle, diabète ou hypertension).

[13]           Le docteur Martel convient que cette réponse disproportionnée du système immunitaire peut se comparer aux cas de dystrophie sympathique réflexe impliquant une réponse disproportionnée de la régulation vasomotrice de l’individu.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[14]           La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si le travailleur était déjà handicapé au moment de la survenance de sa lésion professionnelle et, le cas échéant, si un tel handicap a eu une incidence sur la survenance de cette lésion professionnelle ou sur ses conséquences, le tout au sens de l’article 329 de la loi.

[15]           Comme la loi ne fournit pas de définition claire de la notion de travailleur handicapé, il y a lieu de se référer aux critères élaborés dans l’affaire Municipalité Petite-Rivière-St-François et C.S.S.T. Québec-Nord (1999) C.L.P. 779 qui retient ce qui suit : un travailleur déjà handicapé au sens de l’article 329 de la loi est celui qui présente une déficience physique ou psychique qui a entraîné des effets sur la production de la lésion professionnelle ou sur les conséquences de cette lésion.

[16]           La première étape consiste donc à vérifier si le travailleur présente une déficience physique ou psychique. Sur ce point, il est utile de se référer à la Classification internationale des handicaps élaborée par l’Organisation mondiale de la santé (Paris, CTNERHI-Inserm, 1988) parce que ce manuel a l’avantage de représenter un consensus de la communauté médicale internationale sur ce que constitue un handicap. Selon cet ouvrage, une déficience constitue une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique et correspond à une déviation par rapport à une norme biomédicale. Cette déficience peut être congénitale ou acquise. La déficience peut ou non se traduire par une limitation des capacités du travailleur de fonctionner normalement. La déficience peut aussi exister à l’état latent, sans qu’elle se soit manifestée avant la survenance de la lésion professionnelle.

[17]           Dans le présent dossier, le tribunal retient des explications fournies par le docteur Martel que le travailleur était porteur de la bactérie du groupe A lors de son accident subi le 6 juin 2000 et qu’il a présenté une hyperréaction causant l’infection au site de sa plaie. Seulement 10 % de la population sont porteurs d’une colonie du streptocoque du groupe A. De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, la combinaison de ces deux facteurs peut correspondre à une altération d’une fonction au sens de la définition retenue et constitue donc une déficience qui se démarque de la norme biomédicale.

[18]           La preuve est par ailleurs évidente sur le rôle essentiel joué par cette déficience sur le développement de la maladie. Il ressort en effet de la preuve que le travailleur n’aurait même pas cessé de travailler en raison de l’éraflure mineure subie le 6 juin 2000. Son arrêt de travail et les traitements subis par la suite découlent directement de la maladie causée par la bactérie mangeuse de chair.

[19]           La Commission des lésions professionnelles considère que la preuve lui permet de conclure que le travailleur était déjà handicapé au sens de l’article 329 de la loi, comme ceci avait d’ailleurs déjà été reconnu dans un cas similaire[1].

[20]           En ce qui concerne le pourcentage du partage de coûts, le tribunal retient des explications du docteur Martel que la plaie subie le 6 juin 2000 constitue l’un des facteurs ayant abouti au développement de la maladie. Dans les circonstances, un partage dans une proportion de 99 % à l’ensemble des employeurs et 1 % au dossier financier du présent employeur est justifié.

[21]           Finalement, en réponse à l’argument soulevé par le procureur de l’employeur à l’effet que l’article 326 alinéa (2) de la loi devrait s’appliquer, le tribunal considère qu’il n’a pas compétence pour se prononcer sur la question. En effet, l’employeur n’a jamais produit de demande de transfert de coûts en vertu de cet article, selon la procédure et les délais prévus au troisième alinéa de l’article 326 de la loi, ce qui fait en sorte que la C.S.S.T. n’a jamais rendu de décision sur le sujet. La Commission des lésions professionnelles n’a donc pas compétence sur ce sujet.

 

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de l’employeur;

INFIRME la décision rendue par la C.S.S.T. le 22 juin 2004 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que les coûts reliés à la lésion professionnelle subie par monsieur Nelson Guérin le 6 juin 2000 doivent être répartis comme suit : 99 % à l’ensemble des employeurs et 1 % au dossier financier de Entreprises Kiewit Ltée.

 

 

 

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Me Marie-Andrée Jobidon

 

Commissaire

 

 

 

 

Me Christian Tétreault

BOURQUE, TÉTREAULT, ASS.

Représentant de la partie requérante

 

 

 



[1] Restaurant BCL Inc. (St-Hubert) C.L.P. 191929-04B-0210, 17-03-2003, André Gauthier.

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