[1.] Le 18 septembre 1998, madame Céline Lambert (la travailleuse) dépose une requête auprès de la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision rendue en révision administrative le 8 septembre 1998 à l’effet de refuser de reconnaître la relation entre la condition psychiatrique et la lésion professionnelle du 8 décembre 1989.
Dossier 105197-63-9809
[2.] Le 18 septembre 1998, la travailleuse dépose une requête auprès de la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision rendue en révision administrative le 8 septembre 1998 à l’effet de lui refuser des traitements d’acupuncture prescrits.
Dossier 105199-63-9809
[3.] Le 18 septembre 1998, la travailleuse dépose une requête auprès de la Commission des lésions professionnelles à l’encontre d’une décision rendue en révision administrative le 8 septembre 1998 à l’effet qu’aucune atteinte permanente supplémentaire ne lui était reconnue à la suite de sa rechute, récidive ou aggravation du 6 mai 1996.
[4.] Lors de l’audience tenue à Joliette le 30 juin 1999, seule la travailleuse et son représentant étaient présents.
objet de l’appel
[5.] La travailleuse demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître la relation entre le diagnostic de dépression posé par le docteur Nowakowski, psychiatre, et la lésion professionnelle du 8 décembre 1989. La travailleuse demande également de reconnaître qu’elle a droit aux traitements d’acupuncture prescrits par son médecin de famille le 25 février 1998. Finalement, la travailleuse demande que lui soit reconnue l’atteinte permanente établie par le docteur Marien dans son rapport d’évaluation médicale du 23 décembre 1997.
LES FAITS
[6.] Madame Lambert est âgée de 50 ans et travaillait comme caissière au Super C de Repentigny. Le 8 décembre 1989, elle a subi un accident de travail lorsqu’en s’accrochant les pieds entre deux tapis, elle s’est retenue à un panier d’épicerie pour éviter de trébucher. A la suite de cet événement, madame Lambert fut traitée pour cervicobrachialgie gauche, radiculopathie C6 et bursite calcifiée de l’épaule gauche. La travailleuse présentait des rechutes de ses lésions en date du 14 avril 1990, du 10 février 1992 et du 25 juin 1992. Le 22 avril 1994, elle subissait une discoïdectomie cervicale C5-C6, lui laissant une atteinte permanente de 12,7 %, le tout tel qu’évalué par le docteur Giroux le 25 août 1994. Dans son rapport d’évaluation médicale, le docteur Giroux établit le bilan des séquelles comme suit :
- discoïdectomie cervicale avec séquelles (code 203755) : 3%
- ankylose de la colonne cervicale avec perte de moins de 25% de la flexion antérieure (code 207 387) : 1%
- extension de la colonne cervicale de moins de 25% (code 207 412) : 1%
- flexion latérale droite (code 207449) : 1%
- flexion latérale gauche (code 207476) : 1%
- rotation droite (code 207 500) : 1%
- rotation gauche (code 207537) : 1%
- atteinte sensitive classe II de la racine C6 gauche (code 112 354) : 1.5%
- DPJV (code 225 616) : 2.2%
[7.] Le 6 mai 1996, madame Lambert subit une rechute, récidive ou aggravation de sa lésion professionnelle, ce qui est reconnu par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (C.S.S.T.), tel qu’il appert d’une décision rendue le 26 juin 1996. Cette décision fut portée en appel par l’employeur.
[8.] Dans le cadre de cette rechute, récidive ou aggravation, le docteur Jacques Duranceau, agissant au nom du Bureau d’évaluation médicale (BEM), retenait dans son rapport daté du 8 août 1996, le diagnostic d’entorse cervicale et de tendinite de l’épaule droite, lésions qu’il considérait non consolidées au jour de son examen. Par conséquent, il concluait qu’il était prématuré de se prononcer sur l’atteinte permanente et sur les limitations fonctionnelles. La C.S.S.T. entérinait l’avis du docteur Duranceau dans une décision rendue le 13 août 1996. Cette décision fut contestée par l’employeur.
[9.] Le 13 janvier 1997, le docteur Jacques Nolin, agissant au nom du BEM, rendait son avis dans lequel il fixait la date de consolidation au 9 janvier 1997, sans nécessité de traitement supplémentaire. Le docteur Nolin concluait par ailleurs que la travailleuse ne gardait aucune atteinte permanente ni aucune limitations fonctionnelles en rapport avec sa rechute du 6 mai 1996. La C.S.S.T. entérinait l’avis du docteur Nolin dans une décision rendue le 17 janvier 1997. Cette décision fut contestée par la travailleuse.
[10.] Ces trois contestations portant sur l’admissibilité de la lésion du 6 mai 1996 et sur les questions médicales ayant été soumises à deux reprises au BEM ont fait l’objet d’une entente entre les parties, telle qu’il ressort d’une décision rendue par le Bureau de révision le 8 décembre 1997 entérinant cette entente. Les parties y conviennent de reconnaître que madame Lambert a subi, en date du 6 mai 1996, une rechute, récidive ou aggravation de sa lésion professionnelle du 8 décembre 1989, impliquant un diagnostic d’entorse cervicale et de tendinite de l’épaule gauche et de l’épaule droite ayant nécessité une acromioplastie gauche et une excision de la clavicule gauche le 27 mai 1997. Les parties reconnaissent finalement que la lésion n’est pas consolidée et qu’il est prématuré de statuer sur l’atteinte permanente et sur les limitations fonctionnelles.
[11.] La suite des événements révèle que le docteur Marien, chirurgien, ayant procédé à l’acromioplastie de l’épaule gauche, consolidait sa patiente en date du 2 décembre 1997, tel qu’il ressort du rapport final qu’il complétait. Le 23 décembre 1997, le docteur Marien produisait un rapport d’évaluation médicale dans lequel il établissait comme suit le bilan des séquelles actuelles :
- Discoïdectomie C5-C6 (code 203719) : 3%
- Résection de la clavicule externe (code 100134) : 3%
- Atteinte des tissus mous membre supérieur gauche (code 102383) : 2%
- Perte 10 degrés rotation interne (code 105059) : 1%
[12.] Le 21 janvier 1998, le docteur Jetté-Yamire, médecin de famille de la travailleuse, produisait un rapport médical sur lequel une référence en acupuncture était prescrite. Le 25 février 1998, le docteur Jetté-Yamire réitérait sa référence en acupuncture en spécifiant qu’il s’agissait de traitements pour soulager la douleur.
[13.] Finalement, sur le plan psychologique, il ressort du dossier que madame Lambert est traitée pour une dépression depuis le mois de novembre 1996, par le docteur Nowakowski, psychiatre. A l’audience, une expertise complétée par le docteur Nowakowski le 30 juin 1999 était déposée en preuve (pièce T-1). Dans son expertise, le docteur Nowakowski rapporte qu’il a suivi madame Lambert du 24 juillet 1992 au 19 septembre 1994 pour des symptômes dépressifs en relation avec les symptômes physiques dont elle souffrait depuis son accident de travail, ayant notamment entraîné des douleurs chroniques et des troubles de sommeil. Il consolidait sa patiente le 19 septembre 1994 sans atteinte permanente ni limitations fonctionnelles. En novembre 1996, madame Lambert le consultait à nouveau pour des symptômes dépressifs d’apparition récente, c’est-à-dire postérieurs au 6 mai 1996. Parmi ces symptômes, le docteur Nowakwoski constatait des troubles de sommeil, du découragement face à la condition physique, de l’irritabilité et de l’anhédonie. Un traitement pharmacologique à base d’antidépresseurs et de somnifères était entrepris, jusqu’en août 1998. Le docteur Nowakwoski indique dans son expertise que ce trouble d’adaptation avec affect dépressif est en relation avec l’événement du 6 mai 1996, d’abord parce que les symptômes sont apparus de façon contemporaine après cet événement et parce que le seul élément stresseur qu’il a pu identifier au cours de son suivi a été la détérioration physique consécutive au 6 mai 1996.
AVIS DES MEMBRES
[14.] Les membres issus des associations syndicales et patronales sont d’avis que la preuve médicale prépondérante permet d’établir une relation entre la condition psychologique pour laquelle la travailleuse a été suivie de novembre 1996 à octobre 1998. Par ailleurs, en ce qui concerne les traitements d’acupuncture, ils doivent être considérés comme traitements de support bien que prescrits après la date de consolidation. La preuve médicale établit de façon prépondérante que ces traitements sont en relation avec les douleurs consécutives à la lésion professionnelle de la travailleuse et qu’ils sont justifiés. Finalement, en ce qui concerne l’atteinte permanente, l’analyse du dossier révèle que le 25 août 1994, le docteur Giroux avait évalué l’atteinte permanente mais uniquement en regard de la colonne cervicale et de la discoïdectomie subie par la travailleuse. Or le 23 décembre 1997, le docteur Marien évalue les séquelles actuelles de la travailleuse au niveau de ses épaules et notamment des chirurgies qu’elle a subies le 27 mai 1997. Par conséquent, il s’agit de deux sites anatomiques différents qui doivent s’additionner et non se soustraire comme l’a fait la C.S.S.T.
MOTIFS DE LA DÉCISION
[15.] La Commission des lésions professionnelles doit d’abord décider si la condition psychiatrique pour laquelle madame Lambert a été suivie entre le mois de novembre 1996 et le mois d’octobre 1998 est en relation avec sa lésion professionnelle du 8 décembre 1989.
[16.] Selon la seule preuve médicale au dossier, soit l’expertise réalisée par le docteur Nowakowski, psychiatre, les problèmes de dépression présentés par la travailleuse sont directement reliés à sa lésion professionnelle impliquant la région cervicale et les épaules. Le docteur Nowakwoski est convaincu de cette relation qu’il explique par quatre motifs, notamment par ses propres observations cliniques quant au contenu mental de la travailleuse et la source de ses préoccupations.
[17.] La Commission des lésions professionnelles considère que cette opinion, très bien motivée, devient prépondérante quant à la relation causale entre les symptômes dépressifs présentés par la travailleuse et sa lésion professionnelle primaire subie sur le plan musculo-squelettique, ayant notamment entraîné des douleurs chroniques et des troubles de sommeil. Il est en effet plausible que madame Lambert ait développé des problèmes de type dépressif à la suite de sa lésion professionnelle qui a nécessité deux interventions chirurgicales majeures et des limitations fonctionnelles importantes.
[18.] L’analyse des décisions refusant la condition psychiatrique de madame Lambert révèle que le motif d’abord invoqué était le fait que cette condition n’a jamais été reconnue depuis la lésion initiale du 8 décembre 1989. A cet égard, le dossier révèle que madame Lambert avait présenté des symptômes semblables pour lesquels elle avait été suivie entre le 24 juillet 1992, date de la première attestation médicale complétée par le docteur Nowakowski et le 19 septembre 1994, date à laquelle le docteur Nowakowski produisait son rapport final, le tout apparaissant au dossier. Sur le plan légal, aucune décision ne semble toutefois avoir été rendue sur le sujet pour cet épisode, ce qui ne constitue toutefois pas un motif pour refuser ce diagnostic par la suite. Tout comme le suivi entre 1996 et 1998, l’épisode de 1992 à 1994 correspond précisément aux dates de rechutes, récidives ou aggravations sur le plan orthopédique ayant nécessité les interventions chirurgicales.
[19.] Le second motif, invoqué cette fois en révision administrative pour refuser la condition psychiatrique de madame Lambert, est le fait que cette lésion faisait partie de l’entente conclue avec l’employeur le 8 décembre 1997 concernant la rechute, récidive ou aggravation du 6 mai 1996. De l’avis de la Commission d’appel, cette entente couvrait uniquement les trois décisions sur lesquelles le Bureau de révision avait juridiction, à savoir l’admissibilité de la rechute du 6 mai 1996 et les conditions médicales soumises à deux reprises au BEM. Or ces litiges, réglés en conciliation, concernaient strictement la condition orthopédique de la travailleuse, qui avait fait l’objet de sa réclamation soumise à la C.S.S.T. le 15 mai 1996. Par conséquent, il y a lieu de conclure que l’entente ne pouvait couvrir la condition psychiatrique de la travailleuse sur laquelle le Bureau de révision n’avait pas juridiction. Ce motif doit donc être écarté.
[20.] La Commission d’appel doit également statuer sur la question de l’atteinte permanente résultant de la rechute, récidive ou aggravation survenue le 6 mai 1996. La C.S.S.T., tant en première instance qu’au niveau de la révision administrative a conclu que madame Lambert n’avait droit à aucune atteinte permanente supplémentaire en prenant pour acquis le fait que ses séquelles actuelles, évaluées par le docteur Marien le 23 décembre 1997 et totalisant 9% devaient être déduites des séquelles antérieures accordées par le docteur Giroux le 25 août 1994 et totalisant 10,5%.
[21.]
La Commission des lésions professionnelles considère que cette
opération qui consiste à soustraire les séquelles actuelles des séquelles
antérieures, conformément à l’article
[22.] Par conséquent, en relation avec la lésion professionnelle impliquant l’épaule gauche, le docteur Marien était justifié d’accorder les pourcentages suivants :
- résection de la clavicule externe (code 10034) : 3%
- atteinte des tissus mous membre supérieur gauche (code 102383) : 2%
- perte de 10 degrés en rotation interne (code 105059) : 1%
[23.] Par conséquent, les pourcentages d’atteinte permanente reliés à l’épaule gauche totalisent 6%, auquel il y a lieu d’ajouter un pourcentage de 0,9% pour les douleurs et perte de jouissance de la vie (DPJV) calculé selon le code 225063 du Règlement sur les dommages corporels.
[24.]
La Commission des lésions professionnelles doit finalement
décider si madame Lambert a droit aux traitements d’acupuncture prescrits par
le docteur Jetté-Yamire le 21 janvier 1998 puis le 25 février 1998. De l’avis
de la Commission des lésions professionnelles, bien que le docteur Marien,
chirurgien orthopédiste, ait consolidé la travailleuse au 2 décembre 1997, la
preuve médicale révèle que madame Lambert continuait à présenter de la douleur,
notamment aux épaules, compte tenu des chirurgies subies en mai 1997. Ceci est
d’ailleurs noté dans le rapport d’évaluation médicale du docteur Marien effectué
le 23 décembre 1997. Dès lors, il n’est pas surprenant que le médecin de
famille de la travailleuse ait jugé bon de lui prescrire des traitements
d’acupuncture en raison de la douleur qui continuait à se manifester, bien que
le plateau de récupération ait pu être atteint. Comme la travailleuse conserve
une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles à la suite de sa
rechute, récidive ou aggravation survenue le 6 mai 1996, il y a lieu de
reconnaître qu’elle a droit d’être remboursée pour des traitements
d’acupuncture que son médecin traitant a jugé bon de lui prescrire en relation
avec sa lésion professionnelle, le tout au sens de l’article
[25.] PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE l’appel de la travailleuse;
INFIRME les trois décisions rendues en révision administrative le 8 septembre 1998;
DÉCLARE que la condition psychiatrique de madame Lambert est en relation avec sa lésion professionnelle du 6 mai 1996;
DÉCLARE que madame Lambert a droit d’être remboursée pour les traitements d’acupuncture prescrits le 25 février 1998;
DÉCLARE que madame Lambert a droit à une atteinte permanente de 6.9% à la suite de sa rechute, récidive ou aggravation subie le 6 mai 1996 et retourne le dossier à la Commission de la santé et de la sécurité du travail pour déterminer l’indemnité pour dommages corporels qui en découle.
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Commissaire |
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Roger Goyette 1405, Henri-Bourassa Ouest, bureau 100 Montréal (Québec) H3M 3B2 |
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Représentant de la partie requérante |
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Paul Duchesne 1000, de la Gauchetière Ouest, bureau 3300 Montréal (Québec) H3B 4W5 |
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Représentant de la partie intéressée |
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panneton, lessard Me Carole Bergeron 432, rue de Lanaudière Joliette (Québec) J6E 7N2 |
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Représentante de la partie intervenante |
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.