Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

Abboud et Québec (Ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles)

2012 QCCLP 4986

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

1er août 2012

 

Région :

Outaouais

 

Dossiers :

432765-07-1103-R  445860-07-1107-R

 

Dossier CSST :

124516550

 

Commissaire :

Jean-François Martel, juge administratif

 

Membres :

Pierre Gamache, associations d’employeurs

 

Daniel Flynn, associations syndicales

______________________________________________________________________

 

 

 

Gihane Abboud

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 26 octobre 2011, madame Gihane Abboud (la travailleuse) dépose une requête en vertu de l'article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) à l'encontre d'une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles, le 13 septembre 2011.

[2]           Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles :

Dossier 432765

 

REJETTE la requête du 4 mars 2011 de madame Gihane Abboud, la travailleuse;

 

CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 21 février 2011 à la suite d’une révision administrative;

 

DÉCLARE que madame Gihane Abboud n’a pas subi de lésion professionnelle sous forme d’une récidive, rechute ou aggravation le 1er septembre 2010.

 

Dossier 445860

 

REJETTE la requête du 26 juillet 2011 de madame Gihane Abboud, la travailleuse;

 

CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 14 juillet 2011 à la suite d’une révision administrative;

 

DÉCLARE que madame Gihane Abboud n’a pas subi de lésion professionnelle sous forme d’une récidive, rechute ou aggravation le 5 décembre 2010.

 

 

[3]           L’audience sur la susdite requête a été tenue, le 7 juin 2012, à Gatineau ; la travailleuse y est présente en personne.

[4]           Par sa lettre du 14 mars 2012, la procureure du ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles (l’employeur) a avisé le tribunal qu’il ne serait ni présent ni représenté à l’audience.

[5]           À l’audience du 7 juin 2012, la travailleuse dépose, comme pièce TR-1, une liasse de documents qu’elle est venue porter au greffe de la Commission des lésions professionnelles, le 8 septembre 2011, soit : une lettre manuscrite qu’elle adressait à la première juge administrative, une note (manuscrite également) jointe, un billet de « visite médicale » en date du 14 décembre 2010 émis par la docteure Marie-Noëlle Nicole, une prescription de physiothérapie en date du 2 septembre 2011 et des notes de consultation de la docteure Nicole en date du 14 décembre 2010.

[6]           La travailleuse dépose également une seconde liasse de documents, comme pièce TR-2, soit : un certificat de rendez-vous avec le docteur Fraser le 8 mai 2012, un rapport du 16 novembre 2011 adressé aux docteurs Ouellette et Nicole par la Clinique d’évaluation pour arthroplastie de l’hôpital Montfort en référence à une évaluation faite le jour même, un rapport de radiographie pratiquée le 11 janvier 2012 et une prescription de bas de compression en date du 3 avril 2012.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[7]           La travailleuse demande la révision de la décision rendue le 13 septembre 2011.

[8]           Elle prie la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision de déclarer qu’elle a toujours droit aux avantages prévus à la loi (notamment, le remboursement tant des frais de traitements de physiothérapie et d’ergothérapie que du coût d’achat d’orthèses et de bas de support prescrits par son médecin) en raison des deux épisodes de récidive, rechute ou aggravation (RRA) qu’elle a subis, les 1er septembre et 5 décembre 2010, en lien avec sa lésion professionnelle initiale du 2 juillet 2003.

L’AVIS DES MEMBRES

[9]           Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous deux d’avis que la décision rendue le 13 septembre 2011 devrait être révoquée et que les parties devraient être convoquées à une nouvelle audience en vue de statuer sur les deux réclamations de la travailleuse pour RRA.

[10]        Les membres issus considèrent que la travailleuse est crédible et que sa version des faits est plausible.  Ils estiment de plus qu’elle est demeurée non contredite.

[11]        Les membres issus retiennent, au niveau des faits, la version qu’en donne la travailleuse.  Avant que ne débute formellement l’audience tenue le 1er septembre 2011, plus particulièrement avant que le système d’enregistrement de la séance ne soit démarré, la première juge administrative a aidé la travailleuse à classer ses documents et a fait pour elle des copies des pièces qu’elle entendait déposer en preuve.  C’est à ce moment-là que la travailleuse a informé la première juge administrative que certains documents étaient manquants.  La première juge administrative a alors rassuré la travailleuse en lui accordant un délai d’une semaine pour les lui faire parvenir.  L’audience a ensuite débuté et il ne fut plus jamais question de l’arrangement convenu auparavant.

[12]        Les membres issus estiment que la première juge administrative a, par inadvertance, ensuite oublié qu’elle avait autorisé la travailleuse à lui transmettre des documents additionnels.  C’est pourquoi, le procès-verbal d’audience qu’elle a complété mentionne et énumère les pièces déposées ce jour-là, mais ne fait aucune allusion aux « documents à produire ».  Cet oubli explique également pourquoi, la première juge administrative a, quelques jours plus tard, refusé d’accuser réception des susdits documents lorsqu’ils ont été déposés et pourquoi, enfin, elle a rendu la décision en cause sans en tenir compte.

[13]        Les membres issus ont écouté un extrait de l’enregistrement audionumérique de l’audience tenue le 1er septembre 2011, soit celui relatif à l’ouverture de la séance.  À leur avis, les propos alors tenus par la première juge administrative corroborent la version de la travailleuse en ce qu’ils confirment le fait que des échanges ont bel et bien eu lieu entre elles, avant le début de l’audience formelle.

[14]        Selon les membres issus, par la suite, la première juge administrative a tout bonnement oublié l’autorisation qu’elle avait donnée à la travailleuse de compléter sa preuve par le dépôt subséquent de certains documents additionnels.

[15]        Les membres issus sont d’avis que, bien qu’involontaire et commise de bonne foi, cette erreur a eu pour effet que la travailleuse n’a pas été entendue complètement.  Cela constitue une entorse à la règle de justice naturelle (audi alteram partem), laquelle impose au tribunal l’obligation de donner à une partie l’occasion de se faire entendre pleinement.

[16]        Selon les membres issus, il ne peut y avoir d’autre remède à la situation présente que de révoquer la décision rendue et de tenir une nouvelle audience au cours de laquelle la travailleuse aura, cette fois, l’opportunité de présenter sa preuve au complet.  En effet, s’agissant ici du non-respect d’une règle fondamentale de justice, il n’est même pas utile ou opportun de vérifier si les documents en cause étaient susceptibles ou non d’avoir un effet déterminant sur la décision rendue ; la contravention exige l’annulation de la décision qui s’en trouve viciée.

[17]        Vu la conclusion à laquelle les membres issus en sont venus précédemment, il n’y a pas lieu pour eux d’analyser les autres motifs invoqués par la travailleuse dans sa lettre du 24 octobre 2011.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[18]        Dans sa lettre manuscrite du 24 octobre 2011, la travailleuse énonce les motifs invoqués au soutien de sa requête en révision.

Le vice de fond en raison d’un manquement à une règle de justice naturelle, à savoir le droit d’être entendu

[19]        Il y a lieu de se pencher, en premier lieu, sur le motif que la travailleuse soulève à la fin de sa lettre, sous la rubrique intitulée Note, dont il convient de citer ici l’extrait suivant :

Mme la Commissaire (…)[2] m’avait accordé un délai pour lui procurer les certificats médicaux ou rapports manquants.  (…)  je suis allée le[3] porter le 8 septembre aux bureaux de la CLP.  À la réception, on me dit que Mme la Commissaire n’avait pas laissé de note à cet effet et que, par conséquent, on ne pouvait pas le lui faire suivre.  Je vous le soumets, ci-joint.

 

[Nos soulignements]

 

[20]        La travailleuse allègue donc le refus par le tribunal de recevoir en preuve certains documents qu’elle désirait soumettre au soutien de ses contestations.

[21]        Comme l’a rappelé la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Genfoot[4], pareille allégation peut être lourde de conséquences s’il s’avère qu’il y a effectivement eu violation de la règle de justice naturelle consacrant le droit fondamental d’une partie à être entendue (audi alteram partem) :

[68]      L’allégation d’un manquement aux règles de justice naturelle est sérieuse et elle entraîne, si elle est fondée, des conséquences importantes, soit la tenue d’une nouvelle audience21.

________________________

21             Casino de Hull et Gascon, [2000] C.L.P. 671 .

 

 

[22]        En effet, aux termes de la jurisprudence du tribunal sur le sujet[5], telle violation constitue un vice de fond de nature à invalider la décision rendue, au sens du troisième paragraphe du premier alinéa de l’article 429.56 de la loi :

429.56.  La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[23]        Reste donc à déterminer si, en l’espèce, le droit de la travailleuse à être entendue a été violé ou non.

[24]        À l’audience du 7 juin 2012, le soussigné a référé spécifiquement à l’extrait précité au paragraphe 19 de la « note » de la travailleuse et a attiré son attention sur les trois points suivants :

-        Les procès-verbaux d’audience complétés par la première juge administrative et qui sont consignés au dossier attestent que certains documents, auxquels les cotes T-1 à T-5 inclusivement ont été attribuées, ont été déposés à l’audience tenue le 1er septembre 2011.  Mais, dans lesdits procès-verbaux, il n’est fait nulle mention d’aucun autre document à venir dont le tribunal aurait autorisé le dépôt après l’audience.  De fait, il y est spécifié que le « délibéré » sur le « fond » est entrepris le jour même ;

-        L’écoute de l’enregistrement du début et de la fin de l’audience du 1er septembre 2011 - à laquelle le soussigné (identifié, dans les citations de transcription d’audience qui suivront, par le sigle « CLP2 ») avait procédé en préparation de l’audience en révision - lui avait permis de constater qu’il n’y a pas été question du tout de documents que la travailleuse devait faire parvenir à la première juge administrative (identifiée, dans les citations de transcription d’audience qui suivront, par le sigle « CLP1 ») dans la semaine suivant l’audience ;

-        Également consignée au dossier, se trouve une lettre adressée par la première juge administrative à la travailleuse[6] dont le texte se lit comme suit :

Dossiers CLP : 432765-07-1103 et 445860-07-1107

Travailleuse : Gihane Abboud

 

 

Objet : Retour de documents

 

 

Bonjour Madame Abboud,

 

Nous vous retournons les documents reçus le 8 septembre 2011 dans les dossiers mentionnés en titre, puisque dans ces dossiers, la décision a été rendue le 14 septembre 2011.

 

Recevez, madame, nos salutations les meilleures.

 

 

(Signé : CLP1)

Juge administratif

 

 

[25]        Invitée à commenter les contradictions entre ce qu’elle allègue dans sa note du 24 octobre 2011 précitée, d’une part, et les trois éléments de preuve mentionnés au paragraphe précédent, d’autre part, la travailleuse (identifiée dans les citations de transcription d’audience qui suivront par le sigle « T ») a alors fourni des explications dont il convient de citer ici les extraits suivants :

T :        C’est ça.  C’est parce que elle m’avait demandé de lui procurer des documents que je n’avais pu obtenir.  Puis, ensuite, quand je suis venue les déposer, on m’a dit que madame la juge n’avait pas laissé de note à cet effet.  Alors, et on me les a retournés et c’était écrit donc : « docteure Marie-Noëlle Nicole, physiothérapie, douleur droit et cheville gauche » … et euh madame, et mon médecin, docteure Marie-Noëlle Nicole, aussi avait écrit une note.

 

[…]

 

T :        Madame la juge, quand elle est venue prendre des photocopies, peut-être que ce n’était pas encore enregistré … elle me l’a dit, je vous le dis de bonne foi, et elle me l’a dit … j’ai dit : « euh, je n’ai pas réussi à obtenir » … et peut-être que ça n’a pas été enregistré.  Et bien sûr, je vous crois et je crois madame la juge que …il n’y a pas de …

 

CLP2 :  Il n’est pas fait mention de ça …

 

T :        Il n’est pas fait mention de ça …

 

CLP2 :  … durant l’audience.

 

[…]

 

T:         Mais, moi, monsieur, la preuve en est que je suis venue les déposer et en croyant fermement et vraiment comme je vous le dis, de toute bonne foi, que madame la juge les attendait et qu’elle m’avait dit qu’elle m’accordait un délai d’une semaine … elle était là, à côté de moi, et elle est venue m’aider parce que j’étais très nerveuse et mes papiers se séparaient et elle me l’a dit et peut-être que l’enregistrement n’était pas encore déclenché.

 

[…]

 

T :        Mais, madame la juge était ici … elle est venue m’aider … mes papiers s’éparpillent

 

[PAR UN MEMBRE DU BANC] : Au début ou à la fin ?

 

CLP2 :  C’est quand ?

 

[PAR UN MEMBRE DU BANC] : Au début ou à la fin, qu’elle a fait ça ?

 

T :        Au début complètement. Ici[7].  Elle est venue ici parce que j’éparpillais mes papiers.  Puis, elle a pris elle-même des photocopies qu’elle est allée faire faire … qu’elle jugeait pertinentes et elle m’a dit … j’ai dit : « je n’ai pas réussi à obtenir » … elle m’a dit : « je vous accorde [euh] une semaine pour me les apporter … »

 

CLP2 :  Et ça, c’est avant le début de l’audience  ?

 

T :        Avant le début de l’audience.

 

[Nos soulignements]

 

[26]        Bref, la travailleuse soutient que la première juge administrative lui aurait demandé de produire des documents qu’elle n’avait pas en sa possession ce jour-là et qu’un délai d’une semaine pour ce faire lui aurait été accordé.  La travailleuse précise que cette conversation aurait eu lieu, dans la salle d’audience, mais avant que celle-ci ne débute, de telle sorte que « peut-être que l’enregistrement n’était pas encore déclenché ».

[27]        Dans ces circonstances, le soussigné a jugé opportun de procéder à une nouvelle écoute de l’enregistrement de l’audience tenue le 1er septembre 2011, cette fois, dans son intégralité, pour y déceler des indices permettant de confirmer ou d’infirmer les allégations de la travailleuse.

[28]        L’enregistrement de l’audience du 1er septembre 2011 débute à 15 heures 22 minutes et 2 secondes pour se terminer à 16 heures 18 minutes et 16 secondes.

[29]        Aux fins des présentes, il y a lieu de citer les extraits qui suivent de ladite audience.

[30]        Procédant à l’ouverture de la séance, la première juge administrative s’adresse à la travailleuse dans les termes suivants, après s’être identifiée et avoir présenté les deux membres issus qui composent le banc avec elle :

CLP1 :  Je vous fais part de nos excuses pour le retard.  Il y a eu des petits inconvénients hors de notre contrôle …

 

T :        Il y a des impondérables …

 

CLP1 :  C’est ça.  Alors, l’important c’est de pouvoir commencer puis vous entendre.  Et puis, vous avez tout le temps qu’il faut pour … Vous ne serez pas pénalisée pour le délai.  Vous présenterez votre cause dans le temps qui vous … qui vous convient, là et vous ne serez pas préjudiciée du retard bien évidemment.

 

 

[31]        Le soussigné ne voit, dans l’échange précité, aucun indice de ce que la première juge administrative aurait eu un entretien avec la travailleuse avant le début de la séance.  Au contraire, le tribunal s’excuse d’avoir fait attendre la travailleuse[8].

[32]        En effet, il apparaît peu probable au soussigné que la première juge administrative se serait excusée à la travailleuse de l’avoir fait attendre, si elles venaient tout juste de compléter ensemble une rencontre de préparation à l’audience.

[33]        La première juge administrative fait ensuite référence à des documents que la travailleuse aurait « déposés » avant l’audience :

CLP1 :  Je prends note que vous avez déposé avant l’audience une série de documents que je vais coter immédiatement.

 

 

[34]        Quoique les termes utilisés donnent à entendre que la première juge administrative ait effectivement eu connaissance préalable du fait que la travailleuse désirait déposer certains documents en preuve, rien ne permet de conclure que telle connaissance aurait été acquise par elle dans le cadre d’un entretien ayant eu lieu, dans la salle d’audience, tout juste avant le début de la séance.

[35]        De fait, à l’examen du dossier, le soussigné constate que la travailleuse avait transmis avec sa lettre du 25 juillet 2011 « une copie des résultats de l’imagerie médicale (RIM) du 06/06/2011 ».  Aussi, le Rapport d’intervention thérapeutique (« épidurale cortisonée ») du 21 avril 2011 - qui sera reçu à l’audience comme pièce T-5 - avait bel et bien été expédié au tribunal par la travailleuse, le 8 août 2011, donc avant l’audience.

[36]        La première juge administrative pouvait donc avoir eu connaissance de l’intention de la travailleuse de déposer certains documents à l’enquête, par la préparation du dossier qu’elle avait faite avant l’audience.  D’ailleurs, l’identification précise et correcte des deux objets de contestation (admissibilité de deux réclamations présentées par la travailleuse pour des récidives, rechutes ou aggravations (RRA) alléguées survenues les 1er septembre et 5 décembre 2010) que la première juge administrative fait spontanément, dès le début de l’audience, confirme qu’elle s’était bien livrée au préalable à une préparation attentive du dossier.

[37]        La suite de l’écoute de l’enregistrement révèle que la première juge administrative reçoit formellement en preuve les documents suivants et leur attribue les cotes mentionnées en regard de la description de chacun de ceux-ci[9] :

-        Comme pièce T-1, en liasse, diverses factures pour confection d’orthèses ;

-        Comme pièce T-2, en liasse, des états de comptes pour des traitements de physiothérapie ;

-        Comme pièce T-3, une prescription par la docteure Nicole pour des bas de compression ;

-        Comme pièce T-4, une prescription par la docteure Nicole pour des bas de compression ; et

-        Comme pièce T-5, le Rapport d’intervention thérapeutique du 21 avril 2011 mentionné précédemment.

[38]        Une fois le dépôt des documents T-1 à T-5 complété, la première juge administrative amorce l’échange suivant avec la travailleuse :

CLP1 :  Alors, ça fait le tour des documents que vous désirez nous envoyer.  Est-ce qu’il y a d’autres documents qui devraient s’ajouter ?

 

T :        Je ne savais pas.  Je ne savais pas.  Euh, ça ce sont des reçus que j’ai payés à docteur Éric Ouellette que je n’ai pas envoyés parce que le dernier, le … j’en avais envoyé un et ça avait été refusé

 

CLP1 :  D’accord.

 

T :        Alors, je ne les ai plus envoyés.

 

CLP1 :  D’accord.  Ça, pour le moment, nous on en n’a pas besoin comme tel parce que le tribunal doit entendre votre contestation au sujet de deux réclamations pour rechute, récidive, aggravation.

 

T :        D’accord.

 

[Nos soulignements]

 

 

[39]        La question pouvait difficilement être posée de manière plus claire et plus directe : y avait-il d’autres documents à déposer ?  Il est étonnant qu’en y répondant, la travailleuse n’ait alors pas songé à faire quelconque mention des documents dont le dépôt ultérieur venait tout juste auparavant d’être autorisé, selon elle.

[40]        Il est encore plus étonnant qu’une pareille question ait été posée, si tant il est vrai que, comme le prétend la travailleuse, c’est la première juge administrative qui lui « avait demandé de lui procurer des documents que je n’avais pu obtenir ».  En effet, si la première juge administrative avait elle-même réclamé le dépôt d’autres documents, pourquoi alors aurait-elle demandé à la travailleuse si d’autres documents que T1 à T-5 allaient suivre ?  Il lui suffisait soit de rappeler l’engagement pris par la travailleuse à les fournir soit de ne rien dire du tout.

[41]        La travailleuse est ensuite assermentée et rend témoignage, tout en argumentant.  Son mari (identifié, dans les citations de transcription d’audience qui suivront, par le sigle « M ») fait ensuite de même.

[42]        Puis, juste avant de clore l’audience, l’échange suivant a lieu :

CLP1 :  Bon, écoutez madame Abboud Mongrain, c’est sûr le tribunal avait pris connaissance du dossier comme tel, mais là on va réévaluer le dossier à la lumière de votre témoignage et on va regarder les documents … je vais regarder les documents que vous avez déposés plus attentivement et je vais, par la suite, prendre une décision à savoir si vous pouvez avoir gain de cause ou non.

 

T :        Bien sûr.

 

CLP1 :  Une fois la décision rendue, elle sera rendue par écrit et elle vous sera acheminée par le courrier ordinaire.

 

T :        D’accord, madame la commissaire …

 

CLP1 :  Alors, je vous remercie de …

 

T :        Une dernière question, madame ?

 

CLP1 : Oui, allez-y.

 

T :        Euh, je vous ai parlé tout à l’heure de mes tonnes de papiers comme ça ; qu’est-ce que j’en fais ?

 

CLP1 :  Ah bien, écoutez, c’est à vous à …

 

T :        C’est parce que c’est ... on écrit toujours « confidentiel », n’est-ce pas ?  Je ne sais plus quoi faire … je … parce que à chaque fois …

 

LE MARI DE LA TRAVAILLEUSE INTERVIENT :

 

M :       Est-ce qu’on peut venir les faire détruire à la CSST ou à la CLP ?

 

CLP1 :  Ah, vous voulez dire pour les détruire … Oui.  Bien écoutez, c’est sûr que …

 

M :       Parce que ils ont des déchiqueteuses …

 

CLP1 :  Oui, oui, ils ont des déchiqueteuses, mais …

 

M :       C’est ça que je me demandais là…

 

CLP1 :  Oui c’est ça.  Par contre, c’est votre dossier.  C’est peut-être préférable de le conserver parce que ça peut être utile, là.  Vous savez votre condition, elle peut changer … je … je suis pas là pour vous donner des conseils comme tel, mais il reste que …

 

T :        C’est un poids que je transporte …

 

CLP1 :  C’est sûr que, … mettez pas ça dans la poubelle ordinaire …

 

T :        Ah, non, non, non …

 

M :       Non, non, non …

 

T :        Jamais …

 

CLP1 :  Mais, peut-être que vous seriez mieux de conserver votre dossier.  On sait jamais, ça peut être utile …

 

T :        D’accord.  Et, ceux-là que j’ai payés donc et que je n’ai pas envoyés parce que ça été … un a été refusé, je les garde ?

 

CLP1 :  Oui, vous les gardez.  Si je vous donne raison, bien, à ce moment-là, sans doute que la CSST voudra les obtenir.  Et, si je ne vous donne pas raison, bien à ce moment-là, c’est sûr que vous pourrez pas les acheminer.  Mais, oui, c’est préférable de les conserver …

 

T :        Oui, c’est ça et, tout à l’heure, … c’est ça « massothérapie, douleur membre inférieur » …

 

CLP1 :  Ça, on avait ça …

 

T :        Vous l’avez ?

 

CLP1 :  Oui, ça on l’a dans le dossier.

 

T :        O.K.  Merci, madame …

 

CLP1 :  Alors, c’est complet ? …

 

T :        Merci, messieurs.  Merci beaucoup.

 

CLP1 :  Bien.  Alors, je vous souhaite une bonne fin de journée.  Je vous remercie de vous être déplacée …

 

T :        Excusez-moi d’avoir été nerveuse …

 

CLP1 :  Ah, écoutez, ça madame, je comprends tout à fait ça.  Il y a aucun problème.  Il y a pas de gêne.

 

T :        Merci bien.

 

[Nos soulignements]

 

[43]        Encore une fois, tout au long de cet échange à trois, personne ne mentionne jamais le dépôt subséquent convenu de documents additionnels.  Au contraire, la première juge administrative confirme, en langage courant, que l’affaire est mise en délibéré, donc qu’elle n’attend aucun complément de preuve documentaire.

[44]        De plus, après explications demandées et fournies, la travailleuse et son mari se voient recommander de conserver tous leurs documents pour un éventuel usage futur, et non pas de les détruire ni, notamment, de transmettre au tribunal copie de certains d’entre eux.

[45]        Si la version des faits offerte par la travailleuse était exacte, on se serait attendu à ce qu’il soit fait allusion au dépôt à venir de documents additionnels, au moins une fois en cours d’audience, particulièrement au début ou encore à la fin de celle-ci.

[46]        La travailleuse ne précise pas si son mari et/ou les membres issus accompagnant la première juge administrative ont été témoins de l’entretien qu’elle dit avoir eu, juste avant que l’enregistrement de l’audience ne soit démarré.  Si tel a été le cas, elle ne dépose par leurs déclarations assermentées pour corroborer ses dires.  Si, au contraire, ils n’étaient pas présents, elle ne fournit aucune explication de leur absence à un moment où le début de l’audience était pour le moins imminent.

[47]        En outre, il apparaît invraisemblable au soussigné que, si la première juge administrative « avait demandé » réellement à la travailleuse « de lui procurer des documents »[10], comme cette dernière le prétend, il n’en soit aucunement fait mention dans la décision rendue ; ne serait-ce que pour souligner - au paragraphe 82 de celle-ci, par exemple - que la travailleuse ne s’est pas prévalue de l’opportunité qui lui avait été offerte de bonifier sa « preuve documentaire médicale », laquelle fut jugée insuffisante.

[48]        La preuve à départager est donc répartie comme suit :

-        D’un côté, l’affirmation par la travailleuse qu’elle s’est vue accorder un délai d’une semaine pour satisfaire à une demande de dépôt de documents additionnels formulée par la première juge administrative, le tout au cours d’un entretien ayant eu lieu, dans la salle d’audience, juste avant que celle-ci ne débute et alors que « peut-être que l’enregistrement n’était pas encore déclenché » ;

-        De l’autre,

o   deux procès-verbaux de l’audience tenue le 1er septembre 2011 qui ne font nulle mention d’une quelconque autorisation à déposer des documents après l’audience, mais qui spécifient expressément, au contraire, que les affaires sont mises en délibéré le jour même,

o   une décision rendue par le tribunal le 13 septembre 2011 qui mentionne expressément, à la fin du paragraphe 5, que « les dossiers sont mis en délibéré le jour de l’audience » et qui ne fait aucune allusion à un complément de preuve documentaire demandé ou même simplement attendu,

o   une lettre signée par la première juge administrative elle-même et expédiée à la travailleuse le 15 septembre 2011, l’avisant que « les documents reçus le 8 septembre 2011 » lui sont retournés « puisque dans ces dossiers, la décision a été rendue le 14 septembre 2011 » [sic], et

o   un enregistrement audionumérique de l’audience tenue le 1er septembre 2011 qui, non seulement ne soutient pas la thèse mise de l’avant par la travailleuse, mais la rend plutôt invraisemblable à plusieurs égards.

[49]        Les procès-verbaux signés par la première juge administrative ainsi que la décision qu’elle a rendue sont des actes authentiques, tel que le prévoit l’article 429.7 de la loi :

429.7.  Le procès-verbal d'une séance signé par le commissaire qui l'a présidée est authentique.

 

Les documents émanant de la Commission des lésions professionnelles sont authentiques lorsqu'ils sont signés ou, s'il s'agit de copies, lorsqu'elles sont certifiées conformes par le président, un vice-président, le secrétaire ou, le cas échéant, la personne désignée par le président pour exercer cette fonction.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[50]        Clairement, le législateur a voulu que ces documents jouissent d’une force probante élevée.  Certes, leur contenu peut être contredit ; mais, la preuve contraire doit alors avoir suffisamment de poids pour faire pencher la balance des probabilités en faveur de la thèse opposée.

[51]        Avec respect, la travailleuse n’a pas convaincu le soussigné que la première juge administrative a effectivement renié une autorisation qu’elle aurait accordée hors audience, à savoir de permettre un complément de preuve documentaire par dépôt subséquent de documents additionnels.

[52]        Au contraire, en tenant compte de la prépondérance de la preuve offerte, le soussigné en vient plutôt à la conclusion que la première juge administrative n’a ni demandé le dépôt de documents additionnels ni accordé de délai à la travailleuse pour y procéder.

[53]        C’est donc à bon droit que les documents transmis par la travailleuse, le 8 septembre 2011, et dont la première juge administrative a pris connaissance une fois sa décision rendue, lui ont été retournés, le 15 septembre 2011.

[54]        Compte tenu des circonstances prouvées, il n’y a pas eu en l’espèce manquement à la règle de justice naturelle.

[55]        La requête en révision ou en révocation de la travailleuse ne saurait être accueillie pour ce motif.

Les autres moyens proposés au soutien de la requête

[56]        Il n’y a lieu à la révision ou à la révocation d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles que dans trois circonstances, soit celles décrites dans les trois paragraphes du premier alinéa de l’article 429.56 de la loi précité.

[57]        La travailleuse n’invoque pas la découverte d’« un fait nouveau qui, s’il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente » (premier paragraphe).  Néanmoins, le 7 juin 2012, elle offre en preuve des documents (Pièce TR-2) qui n’ont pas été déposés devant la première juge administrative ; le soussigné dispose de la recevabilité de ceux-ci plus loin dans la présente décision.

[58]        La travailleuse n’allègue pas, non plus, qu’elle « n’a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre » (second paragraphe), puisque, présente à l’audience présidée par la première juge administrative, elle a bel et bien été entendue aux fins de cette disposition[11].

[59]        Ne reste donc à analyser la requête de la travailleuse que sous l’angle du troisième paragraphe du premier alinéa de l’article 429.56 de la loi, à savoir déterminer si « un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision » rendue le 13 septembre 2011.

[60]        La notion de « vice de fond » a fait l’objet d’interprétation dans les affaires Donohue et Franchellini[12].  La Commission des lésions professionnelles y a jugé qu’il s’agit d’une erreur manifeste, de droit ou de fait, ayant un effet déterminant sur l’issue de la contestation.  Ces décisions ont été suivies à maintes reprises dans la jurisprudence subséquente.

[61]        Siégeant en révision judiciaire de certaines décisions de la Commission des lésions professionnelles, les tribunaux supérieurs ont entériné, à plusieurs reprises, l’interprétation des textes législatifs pertinents que celle-ci retient.

[62]        Ainsi, en 2003, dans l’affaire Bourassa, la Cour d’appel a, en outre, rappelé qu’« il [le recours en révision] ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation »[13].

[63]        Dans l’arrêt Godin[14], l’honorable juge Fish précise qu’une décision ne peut être révisée pour le simple motif que la formation siégeant en révision ne partage pas l’opinion du premier juge administratif, que ce soit à l’égard de l’appréciation de la preuve, de l’interprétation de la règle de droit applicable ou même du résultat de l’analyse ; dans chaque cas, conclut-il, là où plus d’une issue raisonnable est possible, c’est celle retenue par le premier juge administratif qui doit prévaloir :

[51]    Accordingly, the Tribunal commits a reviewable error when it revokes or reviews one of its earlier decisions merely because it disagrees with its findings of fact, its interpretation of a statute or regulation, its reasoning or even its conclusions.  Where there is room on any of these matters for more than one reasonable opinion, it is the first not that last that prevails.

 

 

[64]        Dans son arrêt Amar c. CSST[15], la Cour d’appel réitère qu’une divergence d’opinions quant à l’interprétation du droit ne constitue pas un motif de révision.

[65]        Dans l’affaire CSST c. Fontaine[16], sous la plume de l’honorable juge Morissette, la Cour reprend avec approbation les propos du juge Fish et ajoute que le vice de fond de nature à invalider dont parle la loi réfère à une « faille » dans la première décision telle qu’elle dénote, de la part de son auteur, une « erreur manifeste, donc voisine d’une forme d’incompétence, ce dernier terme étant entendu ici dans son acception courante plutôt que dans son acception juridique ».

[66]        La même règle fut répétée dans l’arrêt Touloumi[17] :

[5]        Il ressort nettement de l’arrêt Fontaine qu’une décision attaquée pour motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision.

 

 

[67]        Cette approche a toujours cours à la Commission des lésions professionnelles[18].

[68]        Tout récemment encore, la Cour supérieure a rappelé que le « recours en révision est un recours exceptionnel limité aux vices de fond ou de procédure de nature à invalider la décision à l’étude » se définissant « comme une erreur grave, évidente et déterminante, un accroc sérieux et grave lors de l’audition ou de la disposition d’un litige et dont la conséquence est de déclarer la nullité de la décision qui en découle »[19].

[69]        Il ressort notamment de ce qui précède qu’une décision exhibant un « raisonnement parfaitement intelligible » n’est pas sujette à révision[20].

[70]        Ainsi, dans le présent cas, la décision du 13 septembre 2011 fait autorité.  Elle ne saurait être révisée pour le motif que le soussigné ne partage pas l’opinion de la première juge administrative quant à l’appréciation de la preuve ou l’interprétation du droit ou encore quant à l’issue du litige, à moins qu’à l’égard de l’un de ces sujets, la travailleuse ne démontre que cette décision est entachée d’une erreur grave, évidente (manifeste) et déterminante.

[71]        Le recours en révision n’est pas un appel.

[72]        Le troisième alinéa de l’article 429.49 de la loi consacre, en effet, le caractère final et sans appel des décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles :

429.49.

 

[…]

 

La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

[73]        Qu’en est-il en l’espèce ?

[74]        La lettre manuscrite du 24 octobre 2011 par laquelle la travailleuse exerce son recours en révision ou en révocation fait 12 pages.

[75]        Elle commence par l’énoncé suivant :

Suite à la décision rendue le 13 septembre 2011 (…), je me sers de mon dernier recours pour contester cette décision.

 

[Notre soulignement]

 

[76]        Elle se termine comme suit :

Je le répète, Monsieur, Madame, en conclusion, que je crois fermement que mes chutes sont causées par l’innervation de ma cheville gauche suite à l’incident du 2 juillet 2003.  Mes maux vont de la hanche gauche aux orteils.  Le genou droit est endommagé (souris) et j’attends l’appel du chirurgien.  C’est pour tout cela que je conteste la décision du juge administratif (…).

 

[Notre soulignement]

 

 

[77]        Entre le début et la fin, la travailleuse expose sa situation « depuis ma chute du 2 juillet 2003 » en faisant la nomenclature de ses symptômes et de ses épisodes aigus ainsi que le récit de ses multiples consultations médicales, des nombreux traitements reçus, des effets secondaires de la médication prescrite, de ses démarches et des tracasseries qu’elle a subies sur le plan administratif, de ses tentatives de retour au travail, de l’anxiété qu’elle ressent, des fréquentes chutes dont elle est victime, des modalités de réadaptation qui lui ont été offertes et, enfin, du programme dispensé à la clinique de la douleur de l’hôpital Montfort auquel elle participe maintenant.

[78]        À l’audience sur sa requête en révision ou en révocation, la travailleuse n’a, en substance, rien ajouté à ce qu’elle a allégué dans sa lettre du 24 octobre 2011.

[79]        Force est de constater que la travailleuse n’allègue - et, encore moins, ne prouve - aucune erreur grave, manifeste et déterminante comme venant vicier la décision du 13 septembre 2011.

[80]        De fait, par l’usage du mot « contester » au début et à la fin de sa lettre, la travailleuse a recours au terme même que le législateur a retenu, à l’article 359 de la loi, pour instaurer le recours « en appel » de novo[21] devant la Commission des lésions professionnelles :

359.  Une personne qui se croit lésée par une décision rendue à la suite d'une demande faite en vertu de l'article 358 peut la contester devant la Commission des lésions professionnelles dans les 45 jours de sa notification.

__________

1985, c. 6, a. 359; 1992, c. 11, a. 32; 1997, c. 27, a. 16.

 

[Notre soulignement]

 

 

[81]        Toute la substance du corps central de la lettre de la travailleuse confirme également le fait que la travailleuse demande, en réalité, au tribunal de réapprécier le mérite des contestations dont la première juge administrative était saisie.  Une telle démarche constitue un véritable appel de la décision rendue le 13 septembre 2011.

[82]        Or, la requête en révision ou en révocation ne sert pas à ces fins-là.

[83]        La requête ne peut donc être accueillie pour ce motif, non plus.

Les documents déposés en liasse sous la cote TR-2

[84]        Reste enfin à rappeler les motifs pour lesquels les documents que la travailleuse a offert en preuve lors de l’audience du 7 juin 2012 (Pièce TR-2), ne peuvent être pris en considération dans le cadre d’une requête en révision ou révocation[22].

[85]        Tous les documents faisant partie de la pièce TR-2 portent des dates postérieures au 13 septembre 2011 ; aussi, ils font référence à des événements survenus après cette date.

[86]        En ce qui a trait à la découverte d’un « fait nouveau » inconnu « en temps utile » et pouvant justifier une décision différente, la Commission des lésions professionnelles a maintes fois eu l’occasion d’en rappeler les caractéristiques essentielles, comme le souligne la décision rendue dans l’affaire Résidences Le Monastère-SEC enr. et Lavoie[23] :

[32]      La jurisprudence12 a établi trois critères afin de conclure à l’existence d’un fait nouveau soit :

 

1-     la découverte postérieure à la décision d’un fait qui existait au moment de l’audience;

2-     la non-disponibilité de cet élément de preuve au moment où s’est tenue l’audience initiale;

3-     le caractère déterminant qu’aurait eu cet élément sur le sort du litige, s’il eut été connu en temps utile.

 

[33]      Cette même jurisprudence enseigne que le « fait nouveau » ne doit pas avoir été créé postérieurement à la décision du premier juge administratif. Il doit plutôt avoir existé avant cette décision, mais avoir été découvert postérieurement à celle-ci, alors qu’il était impossible de l’obtenir au moment de l’audience initiale. Il doit également avoir un effet déterminant sur le sort du litige13.

 

[34]      Dans le cas qui nous occupe, la visite médicale postérieure à la décision, à laquelle la travailleuse était en attente depuis plus d’un an et demi, et le traitement chirurgical proposé, ne peuvent manifestement pas être considérés comme étant deux faits nouveaux au sens de la Loi.

 

[35]      Il ne s’agit ni d’une « découverte » postérieure d’un élément non disponible, puisque la travailleuse savait qu’elle consulterait un chirurgien, ni un élément déterminant dans l’établissement du lien de causalité, question qu’avait à répondre le Tribunal. Il s’agit d’un simple traitement proposé postérieurement à une condition qui existait depuis longtemps et qui était déjà prouvée. La travailleuse aurait très bien pu demander de ne pas fixer la cause en audience tant que sa consultation médicale n’avait pas été faite, si cet élément pouvait être déterminant à ce que le Tribunal avait à trancher.

________________________

12       Bourdon c. Commission des lésions professionnelles, [1999] C.L.P. 1096 (C.S.); Pietrangelo et Construction NCL, 107558-73-9811, 17 mars 2000, Anne Vaillancourt; Nadeau et Framatome Connectors Canada inc., 110308-62C-9902, 8 janvier 2001, D. Rivard, 2000LP-165; Soucy et Groupe RCM inc., 143721-04-0007, 22 juin 2001, M. Allard, 2001LP-64; Provigo Dist. (Maxi Cie) et Briand, 201883-09-0303, 1er février 2005, M. Carignan; Lévesque et Vitrerie Ste-Julie, 200619-62-0302, 4 mars 2005, D. Lévesque; Roland Bouchard (succession) et Construction Norascon inc. et als, 210650-08-0306, 18 janvier 2008, L. Nadeau.

13         Bourdon c. C.L.P., Id.

 

[Nos soulignements]

 

[87]        Ainsi, entre autres, un fait survenu postérieurement à l’audience initiale ne saurait être considéré à titre de « fait nouveau » au sens de l’article 429.56 de la loi, car cela équivaudrait à permettre l’ajout d’une « preuve future » à une enquête initiale déclarée close sur la base de laquelle une décision finale et sans appel a été rendue[24] :

[44]      Accepter l’ajout d’une «preuve future» permettrait de réviser de façon perpétuelle les décisions de la Commission des lésions professionnelles qui sont finales et sans appel.

 

[Nos soulignements]

 

[88]        L’approche décrite précédemment a toujours cours[25] à la Commission des lésions professionnelles :

Affaire Hiloua :

 

[25]      Par ailleurs, le rapport daté du 19 août 2010 déposé à la Commission des lésions professionnelles à l’appui de sa requête ne peut constituer un fait nouveau au sens du premier alinéa de l’article 429.56 de la loi, puisqu’il a été obtenu postérieurement à la décision de la première juge administrative. Or, la jurisprudence2 précise que le « fait nouveau » ne doit pas avoir été créé postérieurement à cette décision.

Affaire Martin :

 

[16]      La jurisprudence5 a établi des critères pour établir ce qui peut être considéré un fait nouveau au sens du premier alinéa de l’article 429.56 de la loi. Elle enseigne que le « fait nouveau » ne doit pas avoir été créé postérieurement à la décision du premier commissaire. Il doit plutôt avoir existé avant cette décision, mais avoir été découvert postérieurement à celle-ci, alors qu’il était impossible de l’obtenir au moment de l’audience initiale. Il doit également avoir un effet déterminant sur le sort du litige.

 

[Nos soulignements] [Références en bas de page omises]

 

 

[89]        La pièce TR-2 ne peut donc être reçue en preuve au soutien de la requête en révision ou en révocation de la travailleuse.

[90]        La requête de la travailleuse n’est pas fondée, ni en fait ni en droit.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de madame Gihane Abboud, la travailleuse.

 

 

__________________________________

 

Jean-François Martel

 



[1]          L.R.Q. c. A-3.001.

[2]           Nous omettons le nom de la première juge administrative, car son identité n’est pas utile à l’issue de la requête en révision.

[3]           Il s’agit d’un « rapport » émanant de la docteure Nicole.

[4]           Genfoot inc. et Gosselin, C.L.P. 245725-63-0602, 23 janvier 2008, L. Nadeau.

[5]           Château Taillefer Lafon et Vnuk, C.L.P. 349938-71-0805, 27 janvier 2010, S. Di Pasquale et la jurisprudence y recensée à la note 3.

[6]           Selon le plumitif électronique du tribunal - dont le soussigné a connaissance d’office -, cette lettre a été expédiée à la travailleuse le 15 septembre 2011.

[7]           La travailleuse indique l’endroit où elle est assise dans la salle d’audience, c’est-à-dire l’endroit qu’il est convenu de désigner comme étant « la boîte des témoins ».

[8]           L’audience devait débuter à 14 h 30.

[9]           L’annexe aux procès-verbaux d’audience dressés par la première juge administrative corrobore cette information.

[10]         Voir l’extrait d’enregistrement cité au paragraphe 25 de la présente décision.

[11]         Il s’agit là d’une règle législative distincte du droit fondamental d’être entendu dont le respect a déjà fait l’objet d’analyse précédemment.

[12]         Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733  ; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 .

[13]         Bourassa c. Commission des lésions professionnelles, [2003] C.L.P. 601 (C.A.).

[14]         Tribunal administratif du Québec c. Godin, [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.).  Voir au même effet : I.M.P. Group ltd. (Innotech-Execaire Aviation Group) c. CLP, C.S. Montréal, 500-17-041658-082, 2 décembre 2008, j. Lebel, (08LP-172), requête pour autorisation d'appeler accueillie, C.A. Montréal, 500-09-019249-085.

[15]         [2003] C.L.P. 606 (C.A.).

[16]         [2005] C.L.P. 626 (C.A.).

[17]         CSST c. Touloumi, [2005] C.L.P. 921 (C.A).

[18]         Donohue : Victoria et 3131751 Canada inc., C.L.P. 166678-72-0108, 1er décembre 2005, B. Roy ; Louis-Seize et CLSC-CHSLD de la Petite-Nation, C.L.P. 214190-07-0308, 20 décembre 2005, L. Nadeau ; Ricard et Liquidation Choc, C.L.P. 217112-62C-0310, 10 février 2006, C.-A. Ducharme, (05LP-299) ; Coopérative forestière Hautes-Laurentides et Aubry, [2008] C.L.P. 763 .

[19]         Plomp c. Turcotte et al. et Centre Hospitalier de St-Mary, 2012 QCCS 2542 .

[20]         Commission scolaire des Phares c. CLP, C.S. Rimouski, 100-000616-062, 23 avril 2007, j. Blanchet, (07LP-14).

[21]         Voir le deuxième alinéa de l’article 377 de la loi.

[22]         La travailleuse en a été avisée verbalement à l’audience.

[23]         2010 QCCLP 8259 .

[24]         Bouchard (Succession) et Construction Norascon inc. et al., C.L.P. 210650-08-0306, 18 janvier 2008, L. Nadeau.

[25]         Hiloua et Presse Café, 2011 QCCLP 427  ; Martin et Industries de la Rive sud ltée (Les), 2011 QCCLP 3603 .

AVIS :
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