Landry et CHSLD Bourget inc. |
2013 QCCLP 6190 |
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[1] Le 18 juillet 2012, Monique Landry (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles (le tribunal) une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 13 juillet 2012 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 11 juin 2012 et déclare qu’elle autorise uniquement le remboursement des traitements dentaires pour la confection de deux prothèses complètes équilibrées, pour un coût évalué à 3 000 $.
[3] L’audience s’est tenue le 17 juin 2013 à Joliette en présence de la travailleuse qui était représentée. CHSLD Bourget inc. (l’employeur) bien que dûment convoqué n’était pas représenté. La cause a été mise en délibéré le 30 août 2013 après la réception de documents manquants et de l’argumentation écrite.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] La travailleuse demande le remboursement du coût des traitements dentaires comme recommandé par le docteur Carmen Soulières dans son évaluation du 11 octobre 2011, soit 21 886 $.
LA PREUVE
[5] La travailleuse est préposée aux bénéficiaires depuis 1988 lorsque le 5 novembre 2003, elle reçoit un coup de genou de la part d’un bénéficiaire sur le côté droit de la mâchoire. À cette époque, elle est âgée de 55 ans et elle porte des prothèses dentaires depuis de nombreuses années. À l’audience, elle affirme qu’avant l’accident elle n’éprouvait aucun problème avec celles-ci. Cette information est confirmée dans une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles[1] à laquelle la soussignée référera à l’occasion.
[6] La CSST a accepté de reconnaître la survenance d’un accident du travail ayant causé une fracture de la mâchoire du côté droit. La travailleuse n’a pas subi de chirurgie pour celle-ci, le médecin traitant choisissant plutôt des traitements par ostéopathie et la prise d’anti-inflammatoires.
[7] Néanmoins, la travailleuse continue de se plaindre de douleurs crâniennes, faciales et à l’oreille droite. À l’audience, elle affirme qu’elle éprouve toujours ces douleurs. Elle ajoute avoir des difficultés d’élocution, des problèmes à mastiquer et un claquement de la mâchoire.
[8] Entretemps, le 7 mai 2004, les prothèses dentaires sont remplacées par des nouvelles, mais l’ajustement est difficile comme la travailleuse en a témoigné et comme cela est rapporté dans la décision antérieure rendue par la Commission des lésions professionnelles. En fait, l’ensemble des examinateurs au dossier note une instabilité de la prothèse inférieure.
[9] À cette époque, le denturologiste déclare ne plus être capable de mieux ajuster la prothèse et il suggère la pose d’implants. Peu après, le docteur M. Miller, spécialiste en chirurgie faciale, suggère à la travailleuse de consulter le docteur Carmen Soulières, spécialiste en dentisterie neuromusculaire.
[10] Il y a au dossier une note du docteur Soulières datée du 21 septembre 2004. Elle écrit que la travailleuse a de la difficulté à mastiquer et qu’elle éprouve de la douleur à l’ouverture et à l’articulation temporo mandibulaire droite. Un claquement audible occasionnel est noté.
[11] Le docteur Soulières propose des tests plus poussés afin de repositionner la mandibule en position neutre. Par la suite, elle suggère la pose d’implants pour le bas et une nouvelle prothèse pour le haut. Elle s’exprime ainsi sur la solution que la travailleuse porte deux prothèses dentaires équilibrées, soit ce qu’elle utilisait avant l’accident :
Une alternative possible est la confection de 2 prothèses balancées sans implants mais le manque de stabilité de la prothèse inférieure ne peut vous garantir le même succès à long terme pour le positionnement orthopédique de la mandibule. Le coût des prothèses équilibrées est de $ 3000.00.
[notre soulignement]
[12] Entretemps, le 13 juillet 2004, le dossier de la travailleuse est soumis à une procédure d’évaluation médicale par un membre du Bureau d’évaluation médicale (le BEM).
[13] C’est dans ce contexte que le docteur Réjean Bérubé, chirurgien plasticien, examine la travailleuse afin de décider notamment de l’existence d’une atteinte permanente à l'intégrité physique.
[14] Ce médecin note que la gencive inférieure est atrophiée de manière importante rendant le port de la prothèse plus difficile. Il consolide la lésion professionnelle au 16 avril 2004 sans atteinte permanente à l'intégrité physique ni limitations fonctionnelles. La CSST a entériné cet avis par une décision qui a été contestée par la travailleuse qui se plaint toujours de douleurs faciales, de céphalées et de tensions musculaires au maxillaire inférieur. Le tribunal note que malgré ces plaintes elle a repris le travail au mois de février 2005.
[15] Le 2 septembre 2008[2], la Commission des lésions professionnelles est saisie entres autres de la question de l’existence d’une atteinte permanente à l'intégrité physique. Comme nous l’avons rapporté, le membre du BEM a conclu que la travailleuse n’en conservait aucune.
[16] Il convient de rapporter les passages suivants de cette décision puisqu’ils sont pertinents pour régler le présent litige :
[71] Dans le présent dossier, il n’y a pas de preuve que la fracture ou l’accident a causé une perte de substance au niveau de la mâchoire. Différents médecins décrivent que la travailleuse présente une atrophie de la gencive, mais cette condition n’est aucunement reliée à l’accident du travail.
[…]
[73] Les séquelles sont plutôt d’ordre mécanique. En effet, certains professionnels de la santé observent un bruit intermittent lors de l’ouverture de la mâchoire, d’autres décrivent une difficulté à l’occlusion à cause de la mobilité de la nouvelle prothèse inférieure.
[74] À cet égard, l’avis prépondérant est celui de la dentiste Soulières qui a procédé à un examen attentif du fonctionnement de la mâchoire de la travailleuse. Elle a remarqué une déflexion de l’articulation lors de l’ouverture et indique qu’il s’agit de la conséquence du coup reçu par la travailleuse.
[75] Le tribunal ne croit pas, comme l’indiquent les docteurs Vézina et Bérubé, que la travailleuse reste sans aucune séquelle objective et qu’elle a été complètement rétablie. Rappelons que la travailleuse a reçu un coup dont la force a causé le bris de sa prothèse dentaire. L’ajustement au nouvel appareil dentaire a été ardu. D’ailleurs, la travailleuse est restée avec une difficulté d’allocution qui n’existait pas auparavant. Pour corriger ce défaut, elle a suivi des traitements en orthophonie.
[76] Considérant que la travailleuse présente un bruit intermittent à l’ouverture et un léger problème à l’occlusion, il y a lieu de retenir par analogie qu’elle reste avec un déficit anatomophysiologique de 3 % pour mal occlusion légère (code 208894 du barème annoté publié par la CSST4).
À ce déficit anatomophysiologique, il faut ajouter un pourcentage pour tenir compte des douleurs et pertes de jouissance de la vie. Le chapitre XIX du barème indique que le montant à inclure à cet égard est de 0,3 %.
[…]
[79] En vertu de l’article 145 de la loi, la travailleuse pourra aussi bénéficier des services de réadaptation que requiert son état. Comme plusieurs années se sont écoulées depuis que la lésion professionnelle de la travailleuse a été consolidée, il se peut que les services offerts par la CSST à cet égard soient devenus obsolètes. Il appartiendra à la CSST de faire l’évaluation de la situation de la travailleuse et de mettre en application, le cas échéant, les mesures pertinentes. ]
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4 QUÉBEC, COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL, Règlement annoté sur le barème des dommages corporels, Montréal, CSST, 2000, 339 p.
[nos soulignements
[17] Aux notes évolutives de la CSST datées du 15 avril 2009, nous lisons que la travailleuse doit revoir le dentiste Soulières pour sa lésion à la mandibule. Le 13 mai suivant, l’agente de la CSST indique qu’elle n’a reçu aucun document médical depuis janvier 2009.
[18] À l’audience, le représentant de la travailleuse a déposé une estimation rédigée par le docteur Soulières de 21 886 $ datée du 13 mai 2009. Elle aurait été reçue par la CSST le 10 juin suivant et estampillée par celle-ci comme étant acceptée le 19 octobre 2009.
[19] Ce même jour, le docteur C. Morel, médecin-conseil à la CSST, écrit ce qui suit :
Titre : avis sur traitement dentaire
Aspect Médical :
Un traitement dentaire est recommandé pour le maxillaire inférieur car une prothèse dentaire ne serait plus fonctionnelle la travailleuse a subi une fracture du mandibule et une prothèse dentaire inférieure fut brisée. La travailleuse était porteuse de prothèses dentaires avant l’accident de travail. Il est certain que le besoin d’implant buccal arrive chez les personnes qui portent des prothèses de longue date cependant la fracture qui a laissé des séquelles a causé un préjudice à ce niveau.
Il existe une relation entre les traitements dentaires recommandés pour la pose de prothèses fixes seulement à la portion inférieure de la bouche soit au niveau de la mandibule. Des traitements pour la région maxillaire supérieure serait pour une condition purement personnelle. [sic]
[notre soulignement]
[20] Il s’agit de la dernière note évolutive au dossier avant celle du 17 août 2011 par laquelle l’agente de la CSST Provost indique qu’elle a appelé à la clinique dentaire pour avoir des informations supplémentaires concernant les implants et les coûts afférents.
[21] Le 26 août 2011, le représentant actuel de la travailleuse communique avec une agente de la CSST afin de connaître le cheminement du dossier concernant la demande pour les implants et les prothèses dentaires. Il suggère de fournir d’autres soumissions.
[22] Le 6 octobre 2011, le docteur Soulières soumet une estimation au même montant que celui produit en mai 2009.
[23] Le 25 octobre 2011, le docteur Morel indique que le traitement pour une prothèse dentaire inférieure implanto-portée demeure indiqué. Il attend le choix du dentiste parce que la travailleuse hésiterait à retenir les services du docteur Soulières.
[24] Le 11 novembre 2011, l’agente de la CSST indique qu’elle a en mains un plan de traitement s’élevant à plus de 20 000 $[3]. Elle informe le procureur de la travailleuse que son dossier est à l’étude entre « les deux médecins ».
[25] Au mois de janvier 2012, le docteur Morel indique aux notes évolutives qu’il a appelé le docteur J. Boileau, dentiste-conseil à la CSST. Il veut obtenir son avis sur le plan de traitement suggéré par le docteur Soulières en 2011.
[26] Au mois de février 2012, le docteur Morel est sans nouvelles du docteur Boileau. La lecture de ses notes montre qu’il existe une confusion concernant l’estimation et le choix du dentiste.
[27] Le 10 février 2012, le docteur Boileau informe le docteur Morel qu’il souhaite soumettre le dossier de la travailleuse à un expert, soit le docteur Gilles Gauthier, prosthodontiste.
[28] C’est dans ce contexte que le 27 février 2012, ce médecin examine la travailleuse. À son rapport, il indique avoir pris connaissance des documents fournis et il procède à un examen clinique. Il observe alors au muscle masséter droit une sensibilité ou une douleur à la palpation du muscle sous l’articulation temporo mandibulaire.
[29] À l’examen intra buccal, il note un nodule ou une excroissance muqueuse au lingual causé par une hypo extension déficiente du rebord périphérique de la prothèse inférieure actuelle. À l’examen des prothèses, il note une rétention faible et des extensions déficientes. Il ajoute que le plan occlusal est adéquat. Il conclut à un examen somme toute normal à part les observations mentionnées.
[30] Par la suite, le docteur Gauthier commente une série d’articles scientifiques supportant la restauration de l’édenté complet mandibulaire par une prothèse implanto-stabilisée. Il reconnaît que les études permettent de conclure qu’il s’agit d’une « alternative acceptable ». Toutefois, dans le cas de la travailleuse, il retient qu’elle avait déjà des prothèses complètes conventionnelles au moment de l’accident. Il ajoute :
[…]
2- que suite à l’examen clinique et radiologique d’expertise aucune séquelle ou DAP intra-buccal ne peut être attribué à l’accident.
3- que la condition buccale, à savoir les bases de support osseuses et muqueuses intra orale n’ont pas été affectées par l’accident.
Alors, même si scientifiquement il est évident que la pose de deux implants à la mandibule est un traitement de choix chez l’édenté complet, dans le cas présent, la relation ou le lien entre l’accident et la nécessité de ce traitement n’est pas établi et non fondé.
[nos soulignements]
[31] Par la suite, le docteur Gauthier commente divers articles de littérature traitant de l’utilisation d’outils diagnostiques ou traitements comme l’électromyographie, l’électrosonographie, etc. pour conclure que ces techniques sont non fondées dans le traitement des désordres de l’articulation temporo mandibulaire.
[32] Ainsi, le docteur Gauthier est d’avis que la travailleuse n’a conservé aucune séquelle intra buccale limitant le port de nouvelles prothèses conventionnelles. Dans ce contexte, le choix de poser des implants appartient à la travailleuse, mais il ne revient pas à la CSST de payer un tel traitement. Il conclut que le traitement d’implants proposé par le docteur Soulières n’est ni indiqué, ni recommandé et sans lien avec la lésion professionnelle.
[33] Le docteur Gauthier réitère que le traitement approprié est la fabrication de prothèses complètes conventionnelles sans implants, prothèses qui doivent être adéquates et conçues selon les règles de l’art.
[34] Le 11 juin 2012, la CSST a rendu une décision en référant à l’expertise du docteur Gauthier et par laquelle elle accepte de payer pour la fabrication de deux prothèses complètes équilibrées à un coût de 3 000 $. La travailleuse a contesté cette décision qui a toutefois été maintenue en révision administrative, d’où le litige dont le tribunal est saisi.
[35] À cette décision, la réviseure indique que la travailleuse a droit à l’assistance médicale si les soins requis sont en lien avec la lésion professionnelle. En l’espèce, elle est d’avis que les implants proposés par la dentiste de la travailleuse ne sont pas en relation avec la lésion professionnelle. Elle autorise toutefois le remboursement des prothèses conventionnelles au coût de 3 000 $.
[36] Le représentant de la travailleuse a produit une argumentation écrite dans laquelle il réitère sa demande pour l’obtention de traitement par implants au coût estimé par le docteur Soulières. Il produit de la jurisprudence[4].
[37] Il a également produit la réponse du docteur Soulières à une série de questions touchant la pertinence du traitement par implants qu’elle propose. Le docteur Soulières a aussi commenté les propos du docteur Gauthier dans son expertise du 27 février 2012.
[38] Ainsi, le docteur Soulières explique que l’occlusion dentaire concerne les deux mâchoires. La façon dont les arcades dentaires entrent en contact définit la position de la mâchoire inférieure. Si celle-ci a été atteinte par un traumatisme, il est nécessaire de recréer l’occlusion après avoir établi « une position neutre asymptomatique. » Elle indique que le plan de traitement qu’elle propose est pour la mâchoire inférieure seulement alors que la travailleuse peut porter une prothèse conventionnelle au niveau supérieur.
[39] Concernant la décision de la CSST de payer pour des prothèses conventionnelles balancées, le docteur Soulières souligne que ce traitement n’a pas remédié aux problèmes de la travailleuse. Elle ajoute que le pronostic du port de telles prothèses n’est pas bon parce qu’il est difficile de stabiliser une occlusion quand les prothèses sont instables. Or, les prothèses sont supportées et stabilisées par la gencive et la succion. Le docteur Soulières affirme qu’en l’espèce le port de prothèses conventionnelles n’est pas le traitement approprié.
[40] À propos de l’avis du docteur Boileau, elle se réfère à de la littérature médicale selon laquelle l’occlusion dentaire peut être reliée aux dysfonctions de l’articulation temporo mandibulaire. Dans tous les cas, elle réitère que pour repositionner la mâchoire de la travailleuse et corriger son problème à l’articulation droite de façon orthopédique, il faut procéder par implants.
[41] Le docteur Soulières ajoute que les prothèses fabriquées en 2004 ne pouvaient améliorer la condition de la travailleuse. Quoi qu'il en soit, même si le docteur Gauthier obtient un examen somme toute normal, elle affirme qu’elle a examiné la travailleuse il y a maintenant huit années et qu’à cette époque, elle entendait un claquement fort à l’articulation temporo mandibulaire droite en ouverture maximale.
[42] Le docteur Soulières conclut ainsi :
Dans le cas qui nous intéresse ici, la rétention et la stabilité de la prothèse sont des conditions sine qua none du repositionnement efficace de la mâchoire inférieure de façon orthopédique à l’aide de la technique de repositionnement mandibulaire contrôlée sur un variateur 3-D (articulateur spécial) qui nous permet de modifier séance tenante et de tester plusieurs positions mandibulaires.
[43] Elle ajoute qu’elle n’utilise plus certains appareils proposés dans sa première évaluation faite en 2004. Elle affirme que les implants permettront une occlusion guidant la mandibule en position asymptomatique de manière à ce que les douleurs rapportées par la travailleuse soient soulagées. Ce plan de traitement est évalué à 21 886 $ et accompagne la note du docteur Soulières.
L’AVIS DES MEMBRES
[44] Le membre issu des associations d'employeurs et le membre issu des associations syndicales ont le même avis, soit d’accueillir la requête de la travailleuse.
[45] Ils retiennent qu’elle conserve de sa lésion professionnelle une atteinte permanente à l'intégrité physique comme cela a été reconnu par une décision finale de la Commission des lésions professionnelles. De plus, antérieurement à l’accident du travail survenu le 5 novembre 2003 elle n’avait aucun symptôme lié au port de ses prothèses conventionnelles. En regard de ces faits et de la preuve médicale présentée, elle a droit au remboursement des traitements dentaires comme recommandé par le docteur C. Soulières au coût de 21 886$. En effet, ce traitement est le seul qui convient à la condition de la travailleuse.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[46] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la travailleuse a droit au remboursement d’un traitement pour des implants dentaires représentant une somme de 21 886 $.
[47] L’article 188 de la loi est pertinent pour régler le présent litige. Il se lit ainsi :
188. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à l'assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion.
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1985, c. 6, a. 188.
[48] L’assistance médicale comprend notamment les frais dentaires et les prothèses tel que le prévoit l’article 189 de la loi :
189. L'assistance médicale consiste en ce qui suit :
1° les services de professionnels de la santé;
[…]
4° les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes et des tissus et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2), prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l'assurance maladie du Québec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas établi au Québec, reconnu par la Commission;
5° les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visés aux paragraphes 1° à 4° que la Commission détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.
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1985, c. 6, a. 189; 1992, c. 11, a. 8; 1994, c. 23, a. 23; 1999, c. 89, a. 53; 2001, c. 60, a. 166; 2009, c. 30, a. 58.
[49] La jurisprudence[5] du tribunal a reconnu que la pose d’implants peut être comprise dans le premier alinéa de l’article 189. D’ailleurs, en l’espèce la CSST ne remet pas en cause un tel constat. Elle évalue plutôt que ce traitement n’est pas en lien avec la lésion professionnelle en se fondant sur l’opinion du docteur Boileau qui sera entérinée par le docteur Morel.
[50] La soussignée est d’avis qu’une telle décision doit être infirmée. Voici pourquoi.
[51] D’une part, il n’est pas remis en cause qu’avant l’accident du travail, madame Landry n’avait aucun problème de mastication ou d’élocution ni même de douleurs. Il est vrai qu’elle portait des prothèses conventionnelles depuis fort longtemps, mais nulle part il n’est prouvé que celles-ci lui causaient un quelconque problème. Cet aspect du litige a été évacué dans les opinions finales des docteurs Gauthier et Morel Or, de l’avis de la soussignée, il revêt un caractère essentiel puisque c’est seulement à la suite de l’accident du 5 novembre 2003 que les problèmes ont commencé. Difficile dans un tel contexte d’exclure tout lien avec la lésion professionnelle.
[52] D’autre part, le tribunal s’explique mal comment le 19 octobre 2009, le docteur Morel s’est prononcé favorablement pour la pose d’implant dentaire au bas de la mâchoire en reconnaissant la relation avec l’accident pour décider ensuite de soumettre le tout à un expert, soit le docteur Gauthier. Sa note au dossier ne laissait pourtant aucun doute à l’époque sur l’à-propos d’un tel traitement. Le tribunal ne peut écarter l’idée que seul le coût a amené la CSST à changer ainsi d’idée même si le traitement par implants demeurait celui indiqué en l'espèce.
[53] De plus, le tribunal ne retient pas l’avis du docteur Gauthier parce que manifestement ce médecin n’a pas tenu compte d’une donnée fondamentale au dossier, soit que la travailleuse conserve de sa lésion professionnelle un déficit anatomophysiologique.
[54] En effet, dans une décision finale rendue par la Commission des lésions professionnelles[6], il a été décidé que la travailleuse conservait un problème d’occlusion à la suite de sa lésion professionnelle. L’examen et les conclusions du docteur Soulières à ce titre ont été retenus. Ainsi, quand le docteur Gauthier affirme neuf années après la survenance de la lésion professionnelle que la travailleuse ne conserve aucune séquelle cela est tout simplement inexact. Le plan occlusal n’est pas adéquat puisqu’encore une fois, une atteinte a été reconnue à ce chapitre et la travailleuse n’a reçu depuis aucun traitement efficace pour améliorer sa condition.
[55] Bref, l’avis du docteur Gauthier qui sera suivi par le docteur Morel s’accorde mal avec la preuve au dossier et ne peut ainsi être retenu.
[56] Le tribunal retient plutôt celui du docteur Soulières qui est le médecin qui a assuré une bonne partie du suivi. Notamment, la suggestion de refaire des prothèses conventionnelles est rejetée puisque le docteur Soulières explique bien que ce traitement a été essayé sans succès dès le départ. Il n’y a aucune preuve que l’écoulement du temps peut changer quoi que ce soit à ce chapitre et que le port de nouvelles prothèses conventionnelles suffirait à soulager la travailleuse. D’ailleurs, elle a témoigné, sans être contredite, que les symptômes ont perduré au fil des années après que le prothésiste ait déclaré qu’il ne pouvait rien faire de plus pour ajuster la prothèse au bas de la mâchoire. Ajoutons que le docteur Morel avait reconnu dès le mois d’octobre 2009 qu’à l’âge de la travailleuse, le besoin d’implant buccal était plausible.
[57] En fait, la lecture de l’opinion du docteur Gauthier permet de constater que ce médecin n’est pas contre l’option des implants qualifiant celle-ci d’alternative acceptable. Il conclut à son refus principalement parce que la travailleuse n’en portait pas avant l’accident et qu’aucune séquelle ne résulte de celui-ci. Or, comme il a été dit, de telles affirmations ne reflètent pas la preuve au dossier, notamment le fait qu’il y avait absence de symptômes avant l’accident du travail et que la travailleuse conserve un déficit anatomophysiologique.
[58] Les propos du docteur Gauthier concernant l’utilisation de certains tests ou appareils pour traiter les désordres de l’articulation temporo mandibulaires ne sont pas pertinents. En effet, le docteur Soulières a expliqué qu’avec le temps, elle a modifié certains éléments de son plan de traitement et dans tous les cas, il n’y a pas lieu de discuter de ses aptitudes à soigner la travailleuse dans le cadre du présent litige.
[59] Pour l’ensemble de ces motifs, la soussignée accueille la requête de la travailleuse et reconnaît qu’elle a droit au remboursement d’un traitement d’implants dentaires tel qu’évalué par le docteur Soulières.
[60] Le tribunal souhaite que la travailleuse soit soignée rapidement compte tenu du délai écoulé depuis ses premières demandes pour recevoir les traitements appropriés. La lecture des faits au dossier n’a pas permis de comprendre ce qui le justifiait.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de Monique Landry, la travailleuse;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 13 juillet 2012, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse a droit au remboursement du coût des traitements dentaires pour la pose d’implants évalué à 21 886 $.
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Luce Morissette |
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Me Steve Marsan |
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P.M. CONSULTANTS INC. |
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Représentant de la partie requérante |
[1] Landry et CHSLD Bourget inc., C.L.P. 244154-63-0409, M. Juteau, 2 septembre 2008.
[2] Précitée note 1.
[3] Le tribunal conclut qu’il s’agit toujours de la même estimation à 21 886.00 $. soit le montant auquel le docteur Soulières s’est engagé à fournir le traitement dans une note déposée après l’audience.
[4] Thibault et Domtar Inc. Division E.B. Eddy, C.L.P. 214936-07-0309, 10 mars 2004, M. Langlois; Mercier et Charles-Auguste Fortier inc., 2011 QCCLP 4404.
[5] Voir notamment Thibault et Domtar Inc. E.B. Eddy, précitée note 4.
[6] Précitée note 1.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.