Koua et Abb inc. (Division Gloucester) |
2012 QCCLP 7880 |
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[1] Le 19 juillet 2012, monsieur Nicolas Koua (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles, une requête par laquelle il conteste une décision rendue le 7 juin 2012 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Cette décision modifie une première décision de la CSST datée du 14 mars 2012 et déclare que le travailleur a droit au remboursement de ses frais pour traitements de physiothérapie pour les périodes du 4 octobre 2010 au 1er décembre 2010, du 8 décembre 2010 au 16 décembre 2011 et du 1er janvier 2011 au 11 mars 2011, à raison de 36,00 $ chacun.
[3] L’audience de la présente requête a lieu le 8 novembre 2012 en présence du travailleur. Monsieur Sylvain Hébert, coordonnateur du service de santé et sécurité du travail chez Abb inc. (l’employeur) est présent. Le délibéré a débuté à cette date.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d’infirmer la décision de la révision administrative et de déclarer qu’il a droit au remboursement des coûts réellement engagés pour ses traitements de physiothérapie pour les périodes mentionnées.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont du même avis. Le travailleur a droit au remboursement des coûts réellement engagés pour ses traitements de physiothérapie pour les périodes mentionnées, puisque ces traitements sont en relation avec la lésion professionnelle qu’il subissait et font partie de l’assistance médicale à laquelle il a droit.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le travailleur a droit au remboursement des coûts réellement engagés pour ses traitements de physiothérapie pour les périodes mentionnées au paragraphe [2] des présentes.
[7] Après avoir tenu une enquête et analysé la preuve à la lumière des dispositions législatives et réglementaires pertinentes, la Commission des lésions professionnelles estime devoir faire droit aux prétentions du travailleur. Il a droit au remboursement demandé. En voici les raisons.
[8] Les articles pertinents de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et du Règlement sur l’assistance médicale[2] (le règlement) se lisent comme suit :
1. La présente loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu'elles entraînent pour les bénéficiaires.
Le processus de réparation des lésions professionnelles comprend la fourniture des soins nécessaires à la consolidation d'une lésion, la réadaptation physique, sociale et professionnelle du travailleur victime d'une lésion, le paiement d'indemnités de remplacement du revenu, d'indemnités pour préjudice corporel et, le cas échéant, d'indemnités de décès.
La présente loi confère en outre, dans les limites prévues au chapitre VII, le droit au retour au travail du travailleur victime d'une lésion professionnelle.
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1985, c. 6, a. 1; 1999, c. 40, a. 4.
188. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à l'assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion.
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1985, c. 6, a. 188.
189. L'assistance médicale consiste en ce qui suit :
1° les services de professionnels de la santé;
2° les soins ou les traitements fournis par un établissement visé par la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2) ou la Loi sur les services de santé et les services sociaux pour les autochtones cris (chapitre S-5);
3° les médicaments et autres produits pharmaceutiques;
4° les prothèses et orthèses au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes et des tissus et la disposition des cadavres (chapitre L-0.2), prescrites par un professionnel de la santé et disponibles chez un fournisseur agréé par la Régie de l'assurance maladie du Québec ou, s'il s'agit d'un fournisseur qui n'est pas établi au Québec, reconnu par la Commission;
5° les soins, les traitements, les aides techniques et les frais non visés aux paragraphes 1° à 4° que la Commission détermine par règlement, lequel peut prévoir les cas, conditions et limites monétaires des paiements qui peuvent être effectués ainsi que les autorisations préalables auxquelles ces paiements peuvent être assujettis.
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1985, c. 6, a. 189; 1992, c. 11, a. 8; 1994, c. 23, a. 23; 1999, c. 89, a. 53; 2001, c. 60, a. 166; 2009, c. 30, a. 58.
194. Le coût de l'assistance médicale est à la charge de la Commission.
Aucun montant ne peut être réclamé au travailleur pour une prestation d'assistance médicale à laquelle il a droit en vertu de la présente loi et aucune action à ce sujet n'est reçue par une cour de justice.
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1985, c. 6, a. 194.
351. La Commission rend ses décisions suivant l'équité, d'après le mérite réel et la justice du cas.
Elle peut, par tous les moyens légaux qu'elle juge les meilleurs, s'enquérir des matières qui lui sont attribuées.
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1985, c. 6, a. 351; 1997, c. 27, a. 13.
Règlement sur l’assistance médicale, Section III, soins et traitements, ss 1. Règles générales, article 6 :
6. La Commission assume le coût des soins et des traitements déterminés à l’annexe I, jusqu’à concurrence des montants qui y sont prévus, lorsqu’ils sont fournis personnellement par un intervenant de la santé auquel a été référé le travailleur par le médecin qui a charge de ce dernier.
La Commission assume également le coût des examens de laboratoire effectués dans un laboratoire de biologie médicale au sens de la Loi sur les laboratoires médicaux, la conservation des organes et des tissus et la disposition des cadavres (c. L-0.2) et des règlements pris en application de cette loi jusqu’è concurrence des montants prévus à l’annexe I.[3]
[9] Le travailleur subit une lésion professionnelle le 6 mai 2010 et reprend le travail le 13 juillet 2010. Le 1er septembre 2010, il réclame la reconnaissance d’une rechute, récidive ou aggravation. Sa réclamation est refusée par la CSST et la révision administrative mais, par décision datée du 8 décembre 2011, la Commission des lésions professionnelles entérine un accord intervenu entre les parties et déclare que le travailleur a subi une rechute, récidive ou aggravation le 1er septembre 2010 et qu’il a droit aux bénéfices de la loi.
[10] Le 14 décembre suivant, la CSST prend connaissance de la décision de la Commission des lésions professionnelles et s’entretient avec le travailleur. La CSST autorise le paiement des indemnités de remplacement du revenu rétroactivement depuis le 2 septembre 2010 et explique au travailleur ce qui adviendra des coûts qu’il a dû assumer pour ses soins et traitements depuis cette date.
[11] Il n’est pas remis en question, aux présentes, que les soins et traitements reçus et dont le remboursement est demandé par le travailleur, ont été prescrits par le médecin qui avait charge et prodigués par des intervenants de la santé.
[12] Le 15 décembre 2011, l’agent d’indemnisation procède à l’analyse des sommes réclamées par le travailleur. Il décide du remboursement de la façon suivante :
Détail du remboursement des traitements de physiothérapie de 2928.00 $.
2700.00$ = 75 traitements couvrant la période du 8 décembre 2010 au 16 décembre 2011, remboursés à 36.00 $ chacun (montant maximum payable par la CSST).
228.00 $ = période du 4 octobre 2010 au 1er décembre 2010 ainsi que du 1er janvier au 11 mars 2011 différence non remboursée par ses assurances.
[13] Le travailleur n’est pas satisfait de ce remboursement puisqu’il doit assumer une partie des coûts engagés. La révision administrative, le 7 juin 2012, modifie ce calcul et décide que le travailleur a droit à un remboursement de 36,00 $ par traitement, pour toutes les périodes mentionnées. C’est de cette décision dont il est question en l’instance.
[14] La question est donc celle-ci : Le travailleur a-t-il droit à un remboursement de 36,00 $ par traitement tel que prévu au règlement ou au montant réellement engagé[4] pour chacun des traitements? Pour la Commission des lésions professionnelles, dans les circonstances du présent dossier, le travailleur a droit au remboursement des montants réellement engagés pour chacun des traitements.
[15] La Commission des lésions professionnelles s’est déjà prononcée sur des cas similaires et, pour rendre la présente décision, la soussignée s’inspire largement de ce que décidé dans l’affaire Morin et L.A. Hébert ltée[5], dont l’interprétation était reprise dans les décisions Hovington et Alcoa ltée[6] et Alexander et Centre Jeunesse et Famille Batshaw[7].
[16] En vertu de l’article 6 du règlement[8], la CSST supporte le coût des soins et des traitements déterminés à l’annexe I, jusqu’à concurrence des montants qui y sont prévus, lorsqu’ils sont fournis personnellement par un intervenant de la santé vers lequel a été dirigé le travailleur par le médecin qui a charge. Normalement, un travailleur qui a droit à l’assistance médicale prévue à cet article et qui reçoit des services d’un intervenant de la santé en raison de sa lésion professionnelle n’a pas à payer pour ceux-ci, car les questions financières sont réglées entre la CSST et l’intervenant. Cela n’a pas été le cas en l’espèce, car au moment où les services ont été fournis, ils n’étaient pas considérés comme étant reliés à une lésion professionnelle. Cependant, la Commission des lésions professionnelles ayant reconnu, plus d’un an plus tard la lésion professionnelle du travailleur et son droit aux bénéfices de la loi, les soins et traitements prescrits par le médecin qui a charge et donnés par les intervenants de la santé, font partie de l’assistance médicale à laquelle le travailleur a droit en vertu de l’article 188 de la loi[9].
[17] Dans le cas présent, la CSST accepte de rembourser le travailleur, mais en fixe le montant à 36,00 $, soit le montant qu’elle aurait versé directement à l’intervenant de la santé. Or, puisque le travailleur a lui-même déboursé parfois 60,00 $, parfois 65,00 $ pour ses soins et traitements, il s’en trouve lésé.
[18] L’affaire Morin[10] s’appuie notamment sur les articles 1 et 351 de la loi pour donner raison au travailleur et obliger la CSST à lui remboursement le coût réel des soins et traitements. Elle rappelle que l’article 1 de la loi a pour objet la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les bénéficiaires et que la CSST doit rendre ses décisions suivant l’équité, d’après le mérite réel et la justice du cas. Se référant à Camions Freightliner Québec inc. et CSST[11], elle retient que ces termes signifient que la décision n’a pas, contrairement aux tribunaux judiciaires, à être basée strictement sur la loi et les règlements, l’utilisation des mots « équité » et « justice » signifiant que le législateur a voulu imposer une certaine souplesse à la CSST.
[19] Puis elle ajoute, toujours selon la jurisprudence du tribunal[12], qu’il convient d’adopter une interprétation généreuse des dispositions de la loi pour trouver, à même la panoplie des mesures de réparation qui s’y trouvent, celle qui correspond adéquatement au mérite réel du cas, comme les articles 1 et 351 qui autorisent le tribunal à le faire dans des circonstances inhabituelles.
[20] À partir de ce constat, la décision Morin[13] conclut que la CSST, dans un cas comme celui en l’espèce, doit se demander s’il serait équitable de refuser de rembourser au travailleur les montants qu’il a engagés. Afin de répondre à cette question, la CSST devait s’inspirer non seulement du règlement, mais aussi de l’article 194 de la loi, lequel prévoit que le coût de l’assistance médicale est à sa charge et qu’aucun montant ne peut être réclamé au travailleur pour une prestation d’assistance médicale à laquelle il a droit en vertu de la loi.
[21] La décision Morin[14] en conclut que l’article 194 de la loi protège le travailleur de toute réclamation pour une prestation d’assistance médicale qui est déclarée à la charge de la CSST et que dans un cas comme celui qui nous concerne, la CSST aurait dû accepter de rembourser au travailleur les frais qu’il a réellement engagés et lui verser le montant qu’il réclame.
[22] En somme, l’affaire Morin[15] conclut que la partie doit être placée dans l’état où elle se serait trouvée si les traitements avaient été autorisés dès le départ[16]. La soussignée adopte cette approche pour disposer du présent dossier.
[23] Le travailleur en l’instance a donc droit au remboursement des sommes qu’il a réellement dépensées pour recevoir les soins et traitements de physiothérapie au cours des périodes mentionnées au paragraphe [2] des présentes.
[24] À l’audience, le travailleur a déposé une série de reçus émis par les intervenants de la santé qui lui ont prodigué des soins. Ces reçus couvrent la période du 8 décembre 2010 au 16 décembre 2011 inclusivement. Cependant, il appert que les reçus pour les périodes allant du 4 octobre au 1er décembre 2010 et du 1er janvier au 11 mars 2011 sont absents. Puisque ces reçus semblent avoir été remis à la CSST, mais ne font pas partie du présent dossier, la soussignée ne procédera pas au calcul des sommes dues au travailleur.
[25] Le présent dossier est donc retourné à la CSST pour qu’elle rembourse le travailleur pour toutes les sommes qu’il a engagées pour recevoir des soins et traitements d’intervenants de la santé pendant les périodes couvertes et mentionnées au paragraphe [2] des présentes.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête du travailleur, monsieur Nicolas Koua;
INFIRME la décision rendue le 7 juin 2012 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que monsieur Nicolas Koua a droit au remboursement des sommes qu’il a réellement engagées pour des traitements de physiothérapie pendant les périodes du 4 octobre 2010 au 1er décembre 2010, du 8 décembre 2010 au 16 décembre 2011 et du 1er janvier 2011 au 11 mars 2011.
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Louise Boucher |
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[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] C. A-3.001, r. 1.
[3] Le montant prévu à l’annexe I pour un traitement individuel de physiothérapie est de 36,00 $.
[4] Certains traitements sont à 60,00 $, d’autres à 65,00 $.
[5] 2010 QCCLP 2761 , requête en révision rejetée 2011 QCCLP 3200 .
[6] 2012 QCCLP 2162 .
[7] 2012 QCCLP 4218 .
[8] Pour la rédaction de la présente, la soussignée reprend de larges extraits du résumé de l’affaire Morin.
[9] Précitée, note 5.
[10] Précitée, note 5.
[11] [2004] C.L.P. 306 .
[12] Ladora et Hôpital Rivière-des-Prairies, 2007 QCCLP 1609 .
[13] Précitée, note 5.
[14] Précitée, note 5.
[15] Précitée, note 5.
[16] Précitée, note 7.
AVIS :
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