Décision

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Hôpital Rivières-des-Prairies et Charest

2008 QCCLP 674

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Laval

6 février 2008

 

Région :

Lanaudière

 

Dossiers :

280372-63-0601-R  292967-63-0606-R  293553-63-0607-R

294647-63-0607-R  294688-63-0607-R  298597-63-0609-R

299377-63-0609-R  302179-63-0611-R

 

Dossier CSST :

128579513

 

Commissaire :

Me Lucie Nadeau

 

Membres :

René F. Boily, associations d’employeurs

 

Gérald Dion, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

280372          293553          294688

298597

292967          294647          299377

302179

 

 

Hôpital Rivières-des-Prairies

Pascal Charest

Partie requérante

Partie requérante

 

 

et

et

 

 

Pascal Charest

Hôpital Rivières-des-Prairies

Partie intéressée

Partie intéressée

 

et

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 16 avril 2007[1], monsieur Pascal Charest (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision d’une décision rendue le 1er mars 2007 par la Commission des lésions professionnelles.

[2]                Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles dispose de huit contestations. Sans reprendre l’énumération du sort de chacune des décisions rendues par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) et faisant l’objet de ces contestations, les conclusions de cette décision peuvent se résumer ainsi :

            -le nouveau diagnostic d’entorse dorsale est en relation avec la lésion professionnelle du 7 octobre 2005;

-les nouveaux diagnostics de paralysie partielle du grand dentelé gauche et d’irritation secondaire des insertions des rhomboïdes gauches ne sont pas en relation avec la lésion professionnelle du 7 octobre 2005;

-le nouveau diagnostic de tendinopathie de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche n’est pas en relation avec la lésion professionnelle du 7 octobre 2005;

- le nouveau diagnostic de  dérangement intervertébral mineur cervical n’est pas en relation avec la lésion professionnelle du 7 octobre 2005;

-la lésion professionnelle du 7 octobre 2005 est consolidée le 9 novembre 2005 sans nécessité de traitements après cette date;

-le dossier est retourné à la CSST pour qu’elle se prononce sur l’existence ou non d’une atteinte permanente à l’intégrité physique et de limitations fonctionnelles;

-il n’y a pas lieu de suspendre le paiement de l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur à compter du 14 novembre 2005.

[3]                L’audience sur la présente requête s’est tenue à Joliette le 17 décembre 2007 en présence du travailleur, de sa représentante et du procureur de l’Hôpital Rivière-des-Prairies (l’employeur). La CSST, partie intervenante dans certains dossiers, n’est pas représentée à l’audience.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]                Le travailleur demande de réviser la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 1er mars 2007 en ce qui a trait à la reconnaissance du diagnostic de paralysie du grand dentelé gauche. Il demande que cette lésion soit reconnue comme étant en relation avec la lésion professionnelle du 7 octobre 2005.

[5]                Sa requête vise donc les conclusions de la première commissaire dans les dossiers 294647-63-0607, 294688-63-0607, 298597-63-0609 et 299377-63-0609.

L’AVIS DES MEMBRES

[6]                Les membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs sont d’avis de rejeter la requête en révision du travailleur. Sa prétention concernant la découverte d’un fait nouveau est soulevée en dehors du délai raisonnable de 45 jours et il ne s’agit pas d’un fait nouveau mais d’une nouvelle opinion médicale. Le travailleur n’a pas démontré, non plus, que la décision est entachée d’erreurs manifestes et déterminantes. Sa requête en révision vise à obtenir une nouvelle appréciation de la preuve, ce que le recours en révision ne permet pas. La décision de la première commissaire est motivée et repose sur une analyse de l’ensemble de la preuve factuelle et médicale.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[7]                La Commission des lésions professionnelles doit déterminer s’il y a lieu de réviser la décision rendue le 1er mars 2007.

[8]                Le pouvoir de révision est prévu à l’article 429.56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi) :

429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu:

 

1°   lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2°   lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3°   lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[9]                Dans sa requête initiale, le travailleur invoque que la décision est entachée de vices de fond de nature à invalider la décision au sens du 3e paragraphe de l’article 429.56 de la loi. Dans sa requête amendée, le travailleur invoque également la découverte d’un fait nouveau en vertu du 1er paragraphe de cette disposition.

[10]           Avant d’analyser les prétentions du travailleur, rappelons quelques faits ayant donné lieu au litige et permettant de comprendre ses prétentions. 

[11]           Le travailleur occupe un poste de conducteur de véhicule lourd pour le compte de l’employeur. Le 7 octobre 2005, en tirant sur le monte-charge de son camion, il ressent une douleur au dos. Le premier diagnostic posé est celui d’étirement musculaire dorsal. Puis le diagnostic se précise en celui d’étirement du rhomboïde.

[12]           La CSST accepte la réclamation du travailleur et reconnaît la lésion professionnelle du 7 octobre 2005 lui ayant causé un étirement du rhomboïde.

[13]           La Dre Nathalie Lanthier, médecin ayant charge du travailleur, pose également un diagnostic d’entorse dorsale, diagnostic également retenu par le Dr Desnoyers, médecin désigné de l’employeur. La CSST reconnaît initialement ce diagnostic mais infirme sa décision après une demande de révision de l’employeur.

[14]           Le 18 janvier 2006, la Dre Lanthier observe chez le travailleur un décollement de l’omoplate gauche. Le 1er février suivant, elle diagnostique une faiblesse du nerf du grand dentelé gauche et dirige le travailleur en physiatrie. Il est alors suivi par la Dre Brigitte Bazinet. Elle retient un diagnostic de décollement de l’omoplate gauche secondaire à une atteinte du nerf du grand dentelé gauche.

[15]           Le dossier avait entretemps été dirigé au Bureau d’évaluation médicale. Le Dr Jacques Duranceau, physiatre, dans son avis du 6 février 2006 retient des diagnostics de paralysie partielle du grand dentelé gauche, d’irritation secondaire des insertions des rhomboïdes gauches et de tendinopathie de la coiffe des rotateurs gauche. Il estime que la lésion n’est pas consolidée.

[16]           Un électromyogramme est effectué et révèle la présence d’une parésie du nerf du grand dentelé, laquelle entraîne la paralysie partielle du muscle du grand dentelé. Le suivi (investigation et traitement) quant à cette condition se poursuit.

[17]           Le Tribunal n’entend pas reprendre ici toute la preuve médicale comme l’a fait la représentante du travailleur. D’une part, la première commissaire l’a fait de manière exhaustive. Elle fait état de tout le suivi médical, ne se limite pas aux diagnostics retenus mais rapporte les examens cliniques et radiologiques, les tests spécifiques et l’évolution de la condition du travailleur. D’autre part, le recours en révision ne permet pas de réapprécier la preuve.

[18]           Par ailleurs, il n’est pas nécessaire de faire état du suivi médical concernant la tendinopathie de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche ni du dérangement intervertébral cervical puisque les conclusions de la première commissaire, qui refuse de reconnaître ces diagnostics en relation avec la lésion professionnelle, ne sont pas visées par la présente requête. Précisons également que la conclusion de la première commissaire, rejetant le moyen de droit concernant la régularité du premier avis du Bureau d’évaluation médicale, n’est pas remise en question.

[19]           Le Tribunal analysera maintenant les deux volets de la requête du travailleur.

Ø      La présence de vices de fond de nature à invalider la décision

[20]           Dans le présent dossier, le travailleur allègue que la décision est entachée de vices de fond au sens du 3e paragraphe de l’article 429.56 de la loi. La notion de «vice de fond (...) de nature à invalider la décision» a été interprétée par la Commission des lésions professionnelles dans les affaires Donohue et Franchellini[3] comme signifiant une erreur manifeste, de droit ou de fait, ayant un effet déterminant sur l’issue de la contestation. Ces décisions ont été reprises de manière constante par la jurisprudence.

[21]           Il a été maintes fois réitéré que ce recours ne peut constituer un appel déguisé compte tenu du caractère final d’une décision de la Commission des lésions professionnelles énoncé au troisième alinéa de l’article 429.49 de la loi :

429.49.

(…)

La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[22]           La Cour d’appel a également été appelée à plusieurs reprises à se prononcer sur l’interprétation de la notion de vice de fond. En 2003, dans l’affaire Bourassa[4], elle rappelle la règle applicable en ces termes :

[21]      La notion [de vice de fond] est suffisamment large pour permettre la révocation de toute décision entachée d'une erreur manifeste de droit ou de fait qui a un effet déterminant sur le litige. Ainsi, une décision qui ne rencontre pas les conditions de fond requises par la loi peut constituer un vice de fond.

 

[22]      Sous prétexte d'un vice de fond, le recours en révision ne doit cependant pas être un appel sur la base des mêmes faits. Il ne saurait non plus être une invitation faite à un commissaire de substituer son opinion et son appréciation de la preuve à celle de la première formation ou encore une occasion pour une partie d'ajouter de nouveaux arguments(4).

_______________

(4)     Yves Ouellette. Les tribunaux administratifs au Canada : procédure et preuve. Montréal : Éd. Thémis, 1997. P. 506-508 ; Jean-Pierre Villaggi. « La justice administrative », dans École du Barreau du Québec. Droit public et administratif. Volume. 7 (2002-2003). Cowansville : Y.  Blais, 2002. P. 113, 127-129.

 

 

[23]           La Cour d’appel a de nouveau analysé cette notion dans l’affaire CSST c. Fontaine[5] alors qu’elle devait se prononcer sur la norme de contrôle judiciaire applicable à une décision en révision. Procédant à une analyse fouillée, le juge Morissette rappelle les propos du juge Fish dans l’arrêt Godin[6], et réitère qu’une décision attaquée pour motif de vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision. La Cour d’appel le répète quelques semaines plus tard dans l’affaire Touloumi[7].

[24]           De l’avis de la soussignée, la Cour d’appel nous invite à faire preuve d’une très grande retenue en indiquant qu’il ne faut pas utiliser la notion de vice de fond à la légère et en insistant sur la primauté à accorder à la première décision et sur la finalité de la justice administrative. La première décision rendue par la Commission des lésions professionnelles fait autorité et ce n'est qu'exceptionnellement que cette décision pourra être révisée.

[25]           Dans le présent dossier, le travailleur prétend que la première commissaire commet une erreur en refusant de reconnaître une relation causale entre la paralysie du grand dentelé gauche et l’accident d’octobre 2005.

[26]           Le Tribunal note d’abord que l’existence de la paralysie du grand dentelé n’est pas remise en question par la première commissaire. Au contraire, elle reconnaît d’emblée que la preuve démontre clairement cette atteinte. Tout le débat repose sur la relation entre cette lésion et la lésion professionnelle. Elle écrit en effet ceci :

[136]    Or, si l’on tient compte de la preuve médicale à partir du 18 janvier 2006, de toute évidence, il y a lieu de retenir que le travailleur présente un décollement de l’omoplate gauche. Et selon la preuve médicale prépondérante, ce décollement est causé par une paralysie partielle du grand dentelé gauche, laquelle s’explique par une atteinte du nerf du grand dentelé. Il n’y a donc pas lieu de remettre en cause l’opportunité d’un diagnostic de paralysie partielle du grand dentelé tel que retenu par le docteur Duranceau. Par contre, il en va autrement quant à la relation entre ce diagnostic et la lésion professionnelle du 7 octobre 2005. En effet, le tribunal est d’avis que la preuve n’est pas prépondérante pour conclure qu’il y a relation entre ce diagnostic de paralysie partielle du grand dentelé gauche et la lésion professionnelle du 7 octobre 2005.

(notre soulignement)

 

 

[27]           Sur quoi se fonde-t-elle pour conclure en ce sens? Ses motifs à ce sujet se lisent ainsi :

[137]    À cette date, le travailleur ressent une douleur dorsale après avoir forcé pour abaisser une pièce de son camion. À la suite d’une première consultation médicale, il est question d’un étirement musculaire dorsal.  Par la suite, on parle d’entorse dorsale et d’étirement du rhomboïde gauche. De façon contemporaine à l’événement du 7 octobre 2005, il n’est pas fait mention d’un diagnostic d’atteinte ou de paralysie partielle du grand dentelé gauche.  Ce diagnostic arrive plus tard dans l’évolution du dossier.

 

[138]    Et ce qui permet aux différents médecins de conclure à un diagnostic d’atteinte du nerf du grand dentelé ou de paralysie partielle du grand dentelé gauche, c’est qu’à l’examen physique du travailleur, ils sont en mesure d’observer un décollement de l’omoplate gauche. Et considérant les propos des docteurs Lanthier, Bazinet, Durenceau et Desnoyers, ce décollement est sévère et s’observe facilement avec les manœuvres appropriées. Un tel constat se fait à partir du 18 janvier 2006, soit plus de trois mois après le 7 octobre 2005.

 

[139]    Entre le 7 octobre 2005 et le 18 janvier 2006, le travailleur est examiné par différents médecins.  Aucun de ces médecins ne mentionne toutefois la présence d’un décollement de l’omoplate gauche.  Le 11 octobre 2005, l’examen du docteur Turenne ne signale rien de particulier.  Il conclut d’ailleurs à un diagnostic d’étirement musculaire dorsal. Il prévoit même une consolidation de la lésion le 17 octobre 2005. L’examen de la docteure Lanthier du 18 octobre 2005 va dans le même sens que celui du docteur Turenne. Les examens des docteurs Turenne et Lanthier ne sont pas très détaillés, mais celui du docteur Desnoyers du 21 octobre 2005 l’est davantage. De toute évidence, en prenant connaissance des résultats de cet examen, le travailleur ne présente pas de décollement de l’omoplate gauche à ce moment. Tous les tests sont négatifs au niveau de l’épaule gauche. Il n’y a aucune dysfonction scapulo-thoracique ou gléno-humérale.

 

[140]    La docteure Lanthier revoit le travailleur les 24 octobre et 2 novembre 2005. À la suite de ses examens, la docteure Lanthier n’observe aucun décollement de l’omoplate gauche du travailleur.  Du moins, elle n’en fait aucune mention. Elle maintient plutôt les diagnostics d’entorse dorsale et d’étirement du rhomboïde gauche. Le 9 novembre 2005, le docteur Desnoyers réexamine le travailleur. Encore une fois, il décrit de façon très détaillée les différentes manœuvres et tests effectués au cours de l’examen. Il n’observe aucune dysfonction scapulo-thoracique ou gléno-humérale.

 

[141]    Tel que mentionné, la situation est tout autre à partir du 18 janvier 2006. À compter de cette date, la docteure Lanthier est en mesure d’observer un décollement de l’omoplate gauche. À la suite de la consultation du 1er février 2006, elle pose le diagnostic de faiblesse du nerf du grand dentelé gauche. Et si l’on tient compte des propos de la docteure Bazinet qui voit le travailleur le 2 février 2006, il s’agit d’un décollement sévère de l’omoplate gauche.

 

[142]    Il y a donc un délai de plus de trois mois entre l’événement du 7 octobre 2005 et le constat d’un décollement de l’omoplate gauche. Au cours de ce délai, plusieurs médecins examinent le travailleur à différentes occasions. Aucun de ces médecins, malgré des examens parfois très détaillés, n’est en mesure d’observer un décollement de l’omoplate gauche ou des signes laissant suspecter une atteinte du nerf du grand dentelé gauche. Un tel délai ne milite pas en faveur de la reconnaissance d’une relation entre l’événement du 7 octobre 2005 et le diagnostic de paralysie partielle du grand dentelé gauche, lequel s’infère du constat d’un décollement de l’omoplate gauche.

 

[143]    Du témoignage du docteur Desnoyers de même que de la littérature soumise, le tribunal comprend que le signe pour conclure à une atteinte du nerf du grand dentelé est évident (décollement de l’omoplate) mais que l’étiologie d’une telle atteinte est peu connue. Différentes hypothèses sont avancées (prolonged recumbency or intraoperative stretch during thoracic surgery, serratus anterior weakness following transaxillary first rib resection, backpacking, shovelling, crushing of the nerve between the clavicule and the second rib, tetanic scalenus medius muscle contraction, and nerve stretch with head flexion or rotation and lateral tilt with ipsilateral arm elevation or backward arm extension). Et si l’on avance la thèse d’un traumatisme pour expliquer l’atteinte du nerf du grand dentelé, il faut se rappeler que ce nerf est situé profondément dans la cage thoracique.  Comme le rappellent les auteurs DeLee et Drez dans leur ouvrage Orthpaedic Sports and medecine, «Since the nerve is deeply located, a direct blow seems unlikely to cause isolated palsy.».  Il n’en demeure pas moins que selon les auteurs cités, la cause la plus connue serait la neuropathie brachiale.  Or, ils précisent que la neuropathie brachiale demeure un syndrome dont l’étiologie est peu connue.

 

[144]    Dans l’éventualité où l’atteinte du nerf du grand dentelé est d’origine traumatique, il est possible qu’il existe un certain délai entre le traumatisme identifié et l’apparition de signes laissant suspecter une telle atteinte, par exemple le décollement de l’omoplate.  Par contre, dans le cas en l’espèce, on parle d’un délai de plus de trois mois entre le diagnostic et le traumatisme qui en serait à l’origine.  Et quant à ce traumatisme, le travailleur décrit avoir ressenti un contrecoup après avoir forcé après un monte-charge. De cette description, il est difficile de conclure qu’il y a pu y avoir atteinte du nerf du grand dentelé par compression ou traumatisme. Surtout que lors de la première consultation, l’examen du docteur Turenne est peu révélateur. Le traumatisme semble peu important puisque le docteur Turenne prévoit une consolidation dès le 17 octobre 2005.  Les examens des docteurs Lanthier et Desnoyers vont dans le même sens.

 

[145]    Dans les circonstances, le tribunal conclut que la preuve n’est pas prépondérante pour conclure qu’il y a relation entre la paralysie partielle du grand dentelé gauche et l’événement du 7 octobre 2005.  Et il en va de même quant au diagnostic associé d’irritation des insertions des rhomboïdes gauches. Tenant compte des conclusions du docteur Duranceau, ce diagnostic va de pair avec celui de paralysie partielle du muscle grand dentelé gauche.  En effet, le docteur Duranceau indique qu’il s’agit d’une irritation secondaire au diagnostic de paralysie partielle.

 

 

[28]           La représentante du travailleur reproche à la commissaire d’avoir exigé une preuve ayant la rigueur d’une preuve scientifique au lieu de retenir la prépondérance de la preuve, le seul fardeau de preuve requis. Elle prétend que la commissaire confond la causalité scientifique et la causalité juridique.

[29]           Elle invoque l’arrêt rendu par la Cour d’appel dans CSST c. Chiasson[8] dans laquelle la Cour a conclu à une décision manifestement déraisonnable au motif que le Tribunal avait exigé une preuve ayant la rigueur d'une preuve scientifique. Il s’agissait d’une réclamation pour rechute, récidive ou aggravation  basée sur un diagnostic de fibromyalgie. Elle souligne les passages suivants :

[24]      Le fardeau de preuve qui repose sur les épaules de l'intimée est extrêmement lourd, eu égard encore une fois à l'étiologie et à la symptomatologie mal connues et si mal développées de ce syndrome.  C'est presque ce que l'on appelait dans l'ancien droit la «probatio diabolica», c'est-à-dire une preuve extrêmement difficile à établir.  Mais, rappelons-le cependant, la seule difficulté d'établir le lien causal n'a pas pour effet de changer le critère traditionnel de la simple prépondérance de preuve.

 

[…]

 

[29]      Le médecin de la CSST refuse donc de reconnaître une relation causale, non pas en se fondant sur la prépondérance de preuve, mais bien sur l'absence d'une preuve scientifique directe démontrant l'existence de la maladie et de son lien avec l'accident.

 

[30]      En retenant cette approche, la CSST exige donc une preuve ayant la rigueur d'une preuve scientifique, au lieu de retenir le degré de preuve traditionnellement accepté en cette matière qui est la simple prépondérance, exigence jugée manifestement déraisonnable dans l'arrêt Viger.  Dans cet arrêt, le juge en chef Pierre Michaud s'exprimait ainsi:

 

[18] À mon avis, la première juge a eu raison de reprocher au TAQ d'écarter cette preuve par un simple retour à la théorie médicale.  Bref, après avoir affirmé qu'il n'y a pas de politique systématique de refus en matière de fibromyalgie, le TAQ semble conclure qu'aucune réclamation ne sera acceptée tant que l'étiologie ne sera pas connue.

 

[19] Bien que le TAQ dispose d'une large discrétion pour apprécier la valeur probante de la preuve, il doit exercer cette discrétion en respectant la règle de la prépondérance de la preuve.

 

[20] Comme notre cour le rappelait dans Tremblay c. Commission d'appel en matière de lésions professionnelles ( [1999] R.J.Q. 926 (C.A.), 929):

 

De la même façon, il doit y avoir une rationalité entre la preuve proprement dite et ce qu'un tribunal fait dire à cette preuve.  Si celui-ci fonde sa décision sur des énoncés contraires à ce que la preuve révèle, il y a alors erreur révisable, à cause de l'absence de lien rationnel entre la preuve et les conclusions tirées.

 

[30]           Le Tribunal estime que la première commissaire n’a pas commis d’erreur dans la détermination et l’appréciation du fardeau de la preuve. Elle indique précisément aux paragraphes 136 et 145 que la preuve n’est pas prépondérante quant à la relation causale.

[31]           Mais il y a plus, dans son analyse, elle applique le fardeau de la balance des probabilités ou de la prépondérance de preuve. Sa conclusion ne repose pas essentiellement sur la théorie médicale ou le fait qu’il s’agit d’une lésion dont l’étiologie est peu connue. Certes elle signale que l’étiologie est peu connue, ce qui a été mis en preuve par le Dr Desnoyers. Mais les principaux motifs au soutien de sa conclusion reposent sur le délai d’apparition de ce diagnostic, sur le fait que pendant une période de trois mois il n’y a pas de signes cliniques dans les examens d’un décollement de l’omoplate ainsi que sur la nature et la gravité du traumatisme initial en considérant la localisation du nerf du grand dentelé.

[32]           Ajoutons à cela que la commissaire avait déjà retenu de la preuve, dans son analyse portant sur la régularité de l’avis du Bureau d’évaluation médicale, un changement soudain et important de la condition du travailleur à compter du 18 janvier 2006 (par. 126, 127 et 131), d’un nouveau diagnostic «qui change complètement la donne».

[33]           Il s’agit là d’une appréciation de l’ensemble de la preuve tant factuelle que médicale. La preuve de relation repose sur les opinions médicales mais elle s’établit également à la lumière de l’ensemble de la preuve factuelle.

[34]           C’est l’exercice auquel s’est prêtée la première commissaire. La lecture de sa décision ne démontre pas qu’elle cherche une preuve de nature scientifique ni qu’elle a exigé un fardeau de preuve plus lourd que la simple balance des probabilités.

[35]           Le travailleur peut être en désaccord avec sa conclusion mais il ne peut pas prétendre qu’elle ne s’appuie pas sur la preuve.

[36]           Le travailleur plaide que les Drs Lanthier, Bazinet, Duranceau, Morand, Daigle, Racine et Rosu ont tous affirmé qu’il y avait un lien de causalité. Devant le poids d’une telle preuve, qui n’est pas contredite, il soumet que la conclusion de la première commissaire sur l’absence de relation est contraire à la preuve. Il y a absence de lien rationnel entre la preuve et les conclusions tirées.

[37]           Le travailleur signale différents extraits de la preuve :

            -note de consultation de la Dre Bazinet du 2 février 2006 indiquant que lors de l’évènement du 7 octobre 2005, le travailleur a subi un «important contrecoup» et retenant un diagnostic de décollement de l’omoplate gauche secondaire à une atteinte du nerf du grand dentelé gauche;

-une note de consultation du 15 février 2006 de la Dre Lanthier indiquant que le travailleur a été évalué par la Dre Bazinet et mentionnant «donc trauma nerf grand dentelé»;

-l’avis du Dr Duranceau du Bureau d’évaluation médicale qui retient ce diagnostic de paralysie partielle du grand dentelé gauche et mentionne dans sa discussion que le travailleur a ressenti un contrecoup le 7 octobre 2005;

-le rapport de la Dre Liliana Rosu, neurologue, à la suite d’un électromyogramme rapportant que le travailleur a fait un mouvement brusque et assez intense le 7 octobre 2005 et qui émet l’opinion que le travailleur présente une parésie du nerf du long thoracique gauche;

-un rapport du 11 septembre 2006 du Dr Marcel Morand, physiatre, qui procède à un électromyogramme et qui indique : «Considérant que nous débordons uniquement l’atteinte du serratus antérieur, on peut au-delà du phénomène traumatique que le patient a subi, peut-être envisager un syndrome du Parsonag-Turner en supplémentaire?»[9].

[38]           La lecture de la preuve que fait la représentante du travailleur amène plusieurs commentaires. Premièrement le Tribunal constate que la première commissaire traite de tous les éléments de la preuve ici soulignés.

[39]           Deuxièmement il est vrai que le diagnostic de paralysie du grand dentelé gauche a été posé par tous ces médecins. Tel que déjà signalé, la première commissaire reconnaît ce diagnostic. Le débat ne se situe pas à ce niveau.

[40]           Troisièmement la première commissaire retient de la preuve que le travailleur a ressenti une douleur dorsale «après avoir forcé pour abaisser une pièce de son camion» (par. 136) et elle retient précisément la description du travailleur sur la nature du traumatisme en indiquant qu’il a ressenti un contrecoup (par. 144).

[41]           Force est de reconnaître que la commissaire a tenu compte de cette preuve.

[42]           Cependant la représentante du travailleur donne une plus large interprétation à cette preuve. Elle prétend qu’aucun de ces médecins ne contredit la relation causale. Cette déduction est possible mais on peut aussi constater qu’aucun de ces médecins n’élabore sur la question de la relation causale. Aucun d’eux ne se prête à une analyse motivée sur la question de la relation avec l’accident d’octobre 2005.

[43]           De plus, le travailleur n’a déposé aucune expertise portant sur cette question. Il n’a pas l’obligation de le faire mais c’est lui qui a le fardeau de preuve et qui doit établir par une preuve prépondérante cette relation.

[44]           En ce qui a trait à l’opinion du Dr Daigle, la première commissaire ne l’avait pas en mains. On ne peut pas lui faire de reproche à ce sujet. Celle-ci sera analysée sous le second volet de la requête du travailleur.

[45]           La seule opinion au dossier établissant explicitement la relation causale est celle de la Dre Danièle Racine, médecin de la CSST qui conclut en ce sens dans une courte note le 12 juin 2006. On notera que son opinion, fort succincte, sur la relation repose principalement sur le fait que l’électromyogramme a confirmé la parésie du nerf du grand dentelé.

[46]           Évidemment la Commission des lésions professionnelles n’est pas liée par une opinion médicale, ce que reconnaît la représentante du travailleur.

[47]           Elle ajoute que même l’expert de l’employeur, le Dr Desnoyers, n’a pas contredit la preuve de relation. Cela est inexact. Le Dr Desnoyers a examiné le travailleur à trois reprises, les deux premiers examens ont eu lieu peu de temps après l’accident soit le 21 octobre 2005 et le 9 novembre 2005. Lorsqu’il revoit le travailleur le 21 avril 2006, il indique que le travailleur présente maintenant de façon indéniable un phénomène additionnel de paralysie du nerf du grand dentelé gauche. Il retient ce diagnostic mais ne se prononce pas sur la relation puisqu’il indique spécifiquement «sous réserve d’une analyse de relation».

[48]           Le Dr Desnoyers a témoigné devant la première commissaire. Elle résume son témoignage aux paragraphes 90 à 104. Le Dr Desnoyers passe en revue l’évolution de la condition du travailleur, décrit ses deux premiers examens et signale le changement survenu :

[94]      Il revoit le travailleur le 21 avril 2006.  À ce moment, la condition du travailleur a changé drastiquement. Il revoit son dossier depuis le début.  Alors que tous semblaient parler d’une évolution favorable, le travailleur présente maintenant un décollement de l’omoplate gauche.

 

[49]           Le Dr Desnoyers explique que le décollement d’une omoplate est un problème majeur (par. 96). Il dépose de la littérature médicale sur l’anatomie du nerf du grand dentelé et l’étiologie des atteintes pouvant l’affecter. Sur la question du délai d’apparition et sur son opinion concernant la relation causale, la commissaire rapporte ceci :

 

[103]    Questionné par la représentante du travailleur, le docteur Desnoyers réitère qu’une atteinte du nerf du grand dentelé peut causer un décollement de l’omoplate. Il peut y avoir un certain délai entre l’atteinte et le décollement. Il peut s’agir d’un délai de quelques semaines.

 

[104]    Bien qu’il s’agisse d’une lésion peu fréquente, les signes pour l’identifier sont bien connus. Or, en l’espèce, l’évolution que l’on retrouve au départ n’est pas celle que l’on décrit dans la littérature.  Les différentes manœuvres sont négatives.  Les examens ne permettent pas de constater des signes de cette atteinte.  Tous considèrent que la condition du travailleur évolue favorablement. Puis à un certain moment, sa condition change radicalement.

 

 

 

[50]           Ces quelques extraits suffisent pour démontrer qu’on ne peut pas soutenir que le Dr Desnoyers «ne contredit pas le lien causal».

[51]           Le Tribunal constate que la première commissaire a apprécié l’ensemble de la preuve, que sa conclusion sur l’absence de relation repose sur cette preuve et qu’elle a motivé cette conclusion.

[52]           Il s’agit là d’une question d’interprétation et d’appréciation de la preuve à laquelle la soussignée ne peut substituer la sienne. Comme le signale le juge Morissette dans l’arrêt Fontaine[10], il ne saurait s’agir de substituer à une première opinion ou interprétation des faits ou du droit une seconde opinion ni plus ni moins défendable que la première.

[53]           Le travailleur n’a démontré aucune erreur pouvant constituer un vice de fond et sa requête est rejetée.

 

 

Ø      La découverte d’un fait nouveau

[54]           Le travailleur invoque également la découverte d’un fait nouveau. La jurisprudence[11] a établi trois critères pour conclure à l’existence d’un fait nouveau soit :

1-                la découverte postérieure à la décision d’un fait nouveau;

2-                la non-disponibilité de cet élément de preuve au moment où s’est tenue l’audience initiale;

3-                le caractère déterminant qu’aurait eu cet élément sur le sort du litige, s’il eut été connu en temps utile.

[55]           Comme fait nouveau, le travailleur invoque l’opinion du Dr Jean-Pierre Daigle, chirurgien plasticien, émise dans un rapport d’évaluation médicale signé le 17 décembre 2006 et reçu à la CSST le 27 décembre suivant. En conclusion de son rapport, le Dr Daigle émet les commentaires suivants concernant la relation avec l’accident d’octobre 2005 :

Monsieur Charest présente une paralysie pure du nerf du grand dentelé gauche. Ce nerf originant de toutes les racines du plexus brachial au niveau du cou, est tendu directement entre son origine au niveau des trous de conjugaisons des vertèbres cervicales, et son insertion au niveau de l’un des plus gros muscles du corps humain, le muscle grand dentelé ou serratus anterior, en passant entre les muscles scalènes puis entre la clavicule et la deuxième côte. Le nerf est grêle et ce trajet direct en corde d’arc le rendrait sensible à une élongation subite, nonobstant un traumatisme particulier. Le contrecoup évoqué par monsieur Charest est tout à fait susceptible de causer une telle lésion.

 

J’ai travaillé avec le Dr Julia Terzis, une sommité internationale dans les traumas du plexus brachial, pendant près d’un an, en 1989. J’ai évalué et participé au traitement de plusieurs patients porteur de cette lésion, de façon aiguë ou chronique, ainsi qu’à des reconstructions secondaires. Je connais la littérature sur le sujet mais l’ai encore revue. Bien que les moyens d’investigation ait évolué, je ne crois pas que la science ait fait de progrès dans le traitement de cette lésion, depuis 1990. J’ai également retenu pour vous le texte d’un site internet que je joins en annexe. L’information y est relativement complète, accessible, et soutenue par une abondante littérature.

 

[…]

 

2) Le mécanisme de l’accident semble particulièrement pertinent pour expliquer la lésion. Aucune autre cause n’a été identifiée.

 

[…]

[sic]

 

 

[56]           C’est dans sa requête amendée déposée le 7 décembre 2007 que le travailleur invoque la découverte de ce fait nouveau. L’employeur soulève que le travailleur est hors délai pour soulever ce moyen.

[57]           Le premier alinéa de l’article 429.57 de la loi prévoit qu’une requête en révision doit être déposée dans un délai raisonnable :

429.57. Le recours en révision ou en révocation est formé par requête déposée à la Commission des lésions professionnelles, dans un délai raisonnable à partir de la décision visée ou de la connaissance du fait nouveau susceptible de justifier une décision différente. La requête indique la décision visée et les motifs invoqués à son soutien. Elle contient tout autre renseignement exigé par les règles de preuve, de procédure et de pratique.

(…)

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[58]           La jurisprudence[12] a établi que ce délai raisonnable est assimilable au délai pour contester une décision devant la Commission des lésions professionnelles, soit un délai de 45 jours. Dans les cas où une procédure est basée sur la découverte d’un fait nouveau maintenant connu des parties mais non disponible en temps utile, le point de départ du délai est le jour de la connaissance[13], par la partie qui l’allègue, du fait nouveau ainsi découvert.

[59]           Qu’en est-il dans le présent dossier?

[60]           Rappelons que l’audience devant la première commissaire a lieu le 6 novembre 2006. Cependant, le 10 novembre, la représentante du travailleur demande une réouverture d’enquête pour soumettre un complément d’argumentation concernant le délai d’une des demandes de révision en litige. L’employeur produira également un complément d’argumentation par la suite. C’est finalement le 20 février 2007 que le dossier est mis en délibéré (paragraphe 19 de la décision) et la décision est rendue le 1er mars suivant.

[61]           Concernant l’intervention du Dr Daigle au dossier, on retiendra que c’est la Dre Bazinet qui dirige le travailleur à celui-ci en août 2006. Au paragraphe 80 de la décision, la commissaire rapporte que le travailleur revoit le Dr Daigle le 23 octobre 2006 et que ce dernier demande alors un autre électromyogramme.

[62]           Dans sa requête amendée, le travailleur invoque et dépose les documents suivants :

            -le rapport d’évaluation médicale de la Dre Bazinet signé le 8 novembre 2006 dans lequel elle indique ne pas avoir encore reçu le rapport de consultation demandé au Dr Daigle;

-le rapport de l’électromyogramme (EMG) du 22 novembre 2006;

-le rapport médical du Dr Daigle du 6 décembre 2006 sur lequel il inscrit «EMG confirme dénervation complète du nerf du grand dentelé».

[63]           C’est le 15 décembre que le Dr Daigle examine le travailleur pour la préparation de son rapport d’évaluation médicale, rapport signé le 17 décembre et reçu à la CSST le 27 décembre suivant.

[64]           Lors de l’audience sur la présente requête, le travailleur témoigne qu’il a pris connaissance du rapport d’évaluation médicale du Dr Daigle à la mi-mars. Dans le cadre d’une demande de révision administrative portant sur le refus de la CSST de reconnaître un diagnostic de dépression, l’agente de la CSST l’a informé qu’elle avait reçu copie du rapport en question. Il n’a pas demandé copie du rapport et ne s’est pas informé du contenu car il avait mandaté sa représentante pour s’occuper de son dossier à la CSST.

[65]           Il précise que c’est la Dre Lanthier qui est son médecin traitant. C’est elle qui lui a remis le rapport d’évaluation médicale de la Dre Bazinet de même que celui du Dr Daigle. Il ne peut pas préciser la date à laquelle il a reçu copie du rapport d’évaluation médicale du Dr Daigle, il indique que c’est à la fin de février ou au début de mars 2007.

[66]           La représentante du travailleur insiste sur le fait qu’elle avait transmis un mandat à la CSST, que c’est elle qui a déposé une demande de révision le 26 novembre 2006 (concernant le refus du diagnostic de dépression) et qu’elle aurait dû, en conséquence, recevoir copie du rapport d’évaluation médicale du Dr Daigle.

[67]           Au-delà du suivi administratif du dossier et du mandat de la représentante, le Tribunal s’étonne que cette dernière n’ait fait aucune démarche pour obtenir l’opinion du Dr Daigle. Il s’agissait ici d’un spécialiste consulté à la demande du médecin traitant du travailleur. Il l’avait rencontré en octobre 2006 et il l’a revu le 15 décembre 2006. La représentante du travailleur a elle-même déposé en preuve (pièce T-11) le rapport du Dr Daigle du 23 octobre 2006 qui demande un EMG supplémentaire. Il est difficile de comprendre que ni le travailleur ni sa représentante ne se sont préoccupés de connaître son opinion.

[68]           La représentante aurait pu demander un délai à la première commissaire pour obtenir ce rapport d’évaluation médicale, demande qui est fréquemment faite à la Commission des lésions professionnelles. Elle a même demandé une réouverture d’enquête sur un autre volet en litige, l’occasion aurait été bonne de demander au même moment d’attendre ce rapport d’évaluation médicale du Dr Daigle.

[69]           Mais même en retenant les prétentions du travailleur et en considérant qu’il n’a eu connaissance de ce rapport qu’à la fin de février ou au début de mars 2007, ce n’est que dans sa requête amendée du 7 décembre 2007 qu’il invoque ce fait nouveau, soit neuf mois après en avoir pris connaissance.

[70]           Cela dépasse de beaucoup le délai raisonnable de 45 jours et la représentante du travailleur ne soumet aucun motif permettant de relever le travailleur de ce défaut.

[71]           Elle fait valoir que sa requête a été déposée le 16 avril 2007, dans le délai de 45 jours, et qu’elle y indiquait qu’une requête amendée serait soumise.

[72]           Or dans sa requête en révision du 16 avril 2007, la représentante du travailleur ne fait aucune mention ou allégation concernant un fait nouveau. Elle invoque uniquement la présence d’un vice de fond au sens du 3e paragraphe et ne soulève aucun fait nouveau.

[73]           Il est vrai que la jurisprudence reconnaît qu’une partie peut amender sa requête en révision et la préciser. Dans Chabot et Toitures Qualitoit inc.[14], la Commission des lésions professionnelles a rejeté un moyen d’irrecevabilité à l’encontre d’un amendement à une requête en révision en soulignant qu’une partie qui a introduit une requête en révision est en droit d’obtenir une décision portant sur l’ensemble des éléments qu’il entend soulever à l’encontre de la décision attaquée et que procéder autrement serait sanctionner une approche procédurale limitative qui n’est pas souhaitée par le législateur. La soussignée souscrit à cette approche.

[74]           D’ailleurs la jurisprudence majoritaire[15] de la Commission des lésions professionnelles refuse de déclarer irrecevable une requête en révision qui n’expose pas de manière détaillée les erreurs reprochées. Dans Vêtements Peerless inc. et Doan[16], la Commission des lésions professionnelles souligne qu’un formalisme procédural se concilie mal avec les objectifs de déjudiciarisation et d’accessibilité qu’elle poursuit.

[75]           Cependant il y a lieu de faire une distinction ici. La requête amendée du 7 décembre ne vient pas préciser les différentes erreurs alléguées comme vice de fond. Elle soulève carrément un nouveau moyen, soit la découverte d’un fait nouveau. Ce moyen pour être recevable doit être présenté, comme les autres, dans un délai raisonnable tel que prévu par l’article 429.57 de la loi. Cela n’est pas le cas en l’espèce.

[76]           La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision a déjà conclu en ce sens dans Brunet et Salaison Lévesque inc.[17] dans laquelle elle écrit ceci :

[44]      Pour ce qui est de la requête en révision amendée déposée le 8 janvier 2002, la soussignée estime qu’elle est recevable seulement en regard du motif soulevant le premier paragraphe de l’article 429.56 soit l’existence d’un fait nouveau.  Le motif soulevant le vice de fond est présenté tardivement et le travailleur n’a pas démontré de motif raisonnable lui permettant d’être relevé des conséquences de son défaut.

 

 

[77]           Le Tribunal tient toutefois à ajouter que, de toute façon, il estime que ce rapport du Dr Daigle ne constitue pas un fait nouveau au sens du premier paragraphe de l’article 429.56 de la loi.

[78]           La représentante allègue que «le Dr Daigle a découvert un fait qui existait au moment de l’audition», ce fait étant «la relation causale entre le diagnostic de la paralysie du grand dentelé gauche et le contrecoup subi par le requérant».

[79]           Or il ne faut pas confondre une opinion et un fait. Le commentaire du Dr Daigle constitue une opinion sur la relation et cela ne constitue pas un fait.

[80]           De plus, l’opinion du Dr Daigle ne fait référence et ne repose sur aucun fait nouveau. Le nouvel électromyogramme n’apporte pas d’élément nouveau. Il y avait déjà au dossier deux électromyogrammes démontrant une atteinte du serratus antérieur (le muscle du grand dentelé). L’opinion du Dr Daigle ne met en évidence aucune information nouvelle. La paralysie du nerf du grand dentelé était déjà documentée au dossier, et répétons-le, la première commissaire ne remet pas en cause ce diagnostic de paralysie (par. 136). C’est la question de la relation causale qui constitue le cœur du litige.

[81]           Comme l’a déjà signalé la Commission des lésions professionnelles dans Montpetit et Purolator[18], une expertise médicale ne peut être acceptée dans le cadre d’une requête en révision[19] :

[14.]     Le dépôt d'une nouvelle expertise médicale ne constituant pas en soi un fait nouveau.  Cette expertise aurait pu être préparée et déposée lors de l'audition devant la Commission d'appel, ce qui n'a pas été fait, et l'on ne peut de cette façon tenter de rouvrir un débat qui est déjà clos.  La Commission d'appel a énoncé à de multiples reprises, ainsi que la Commission des lésions professionnelles, que cet article 406 ne permet pas de rouvrir le débat et de substituer une nouvelle appréciation de la preuve.  Il n'autorise pas une partie à venir compléter les lacunes de la preuve qu'elle a eu l'occasion de faire valoir en premier lieu.

 

 

[82]           Il est bien établi que le recours en révision ne peut pas permettre de compléter ou bonifier une preuve. Il aurait été possible pour le travailleur d’obtenir une opinion sur la relation de la part du Dr Daigle, ou d’un autre expert, pour l’audience tenue par la première commissaire. Il en va de même pour la littérature médicale[20] jointe au rapport du Dr Daigle, elle aurait pu être déposée à ce moment-là.

[83]           Une partie ne peut pas tenter de venir combler les lacunes de la preuve qu'elle a eu l'occasion de faire valoir en premier lieu par le recours en révision. Permettre cela aurait pour effet de compromettre sérieusement la stabilité des décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles qui sont finales et sans appel suivant le troisième alinéa de l’article 429.49 de la loi.

[84]           La prétention du travailleur concernant la découverte d’un fait nouveau n’a pas été soumise dans un délai raisonnable. Au surplus, l’opinion du Dr Daigle ne constitue pas un fait nouveau. La requête du travailleur est donc rejetée.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête en révision de monsieur Pascal Charest.

 

 

 

__________________________________

 

Lucie Nadeau

 

Commissaire

 

 

 

 

Madame Lyne Gingras

Représentante du travailleur

 

 

Me Jean-François Gilbert

GILBERT, AVOCATS

Représentant de l’employeur

 

 

PANNETON LESSARD

Représentant de la Commission de la santé et de la sécurité du travail

 



[1]           Le 7 décembre 2007, la représentante du travailleur dépose une requête amendée.

[2]           L.R.Q., c. A-3.001

[3]           Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ;  Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783

[4]           Bourassa c. Commission des lésions professionnelles, [2003] C.L.P. 601 (C.A.)

[5]           [2005] C.L.P. 626 (C.A.)

[6]           Tribunal administratif du Québec c. Godin, [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.)

[7]           CSST c. Touloumi, [2005] C.L.P. 921 (C.A)

[8]           [2001] C.L.P. 875 (C.A.)

[9]           Signalons que la commissaire écarte cette hypothèse diagnostique soulevée par le Dr Morand au paragraphe 146 de sa décision et que le travailleur ne conteste pas cette conclusion.

[10]         Précité, note 5

[11]         Bourdon c. Commission des lésions professionnelles, [1999] C.L.P. 1096 (C.S.); Pietrangelo et Construction NCL, C.L.P. 107558-73-9811, 17 mars 2000, Anne Vaillancourt; Nadeau et Framatome Connectors Canada inc., C.L.P. 110308-62C-9902, 8 janvier 2001, D. Rivard, 2000LP-165; Soucy  et Groupe RCM inc., C.L.P. 143721-04-0007, 22 juin 2001, M. Allard, 2001LP-64; Provigo Dist. (Maxi Cie) et Briand, C.L.P. 201883-09-0303, 1er février 2005, M. Carignan; Lévesque et Vitrerie Ste-Julie, C.L.P. 200619-62-0302, 4 mars 2005, D. Lévesque

[12]         Moschin et Communauté urbaine de Montréal, [1998] C.L.P. 860 ; Récupération Grand-Portage inc. et Lavoie, C.L.P. 86045-01A-9702, 5 février 1999, J.-L. Rivard; Godbout et Les Spécialités MB 1987 inc., C.L.P. 90735-62B-9708, 19 mars 1999, C. Lessard

[13]         Arbour et Banque nationale du Canada, C.L.P. 104372-63-9808, 27 septembre 1999, C. Bérubé; Desmarais et Les aliments Carrières inc., C.L.P. 144661-62B-0008, 21 août 2002, L. Boucher

[14]         C.L.P. 137462-32-0005, 22 avril 2002, P. Simard

[15]         Arsenault et Canadian Tire, C.L.P. 94044-08-9802, 31 octobre 2001, H. Thériault; Fontaine et Berklyne inc., C.L.P. 130757-07-0001, 27 mars 2002, G. Robichaud; Récupération Florence inc. et Gauvin-Barrette, C.L.P. 138001-64-0005, 18 juin 2002, Anne Vaillancourt; Greco et CAE électronique ltée, C.L.P. 172859-61-0111, 29 janvier 2003, L. Landriault; Fournitures de Bureau Denis inc. et Forgues, C.L.P. 212953-63-0307, 11 octobre 2006, B. Lemay; Ménard et Arontec inc., C.L.P. 218512-64-0310, 1er mai 2007, S. Di Pasquale

[16]         [2001] C.L.P. 360

[17]         C.L.P. 145187-63-0008, 29 août 2002, M. Carignan

[18]         C.L.P. 82386-64-9608, 22 mars 1999, N. Lacroix

[19]         L’ancien article 406 auquel il est fait référence a été remplacé par l’article 429.56.

[20]         «The winging scapula», extrait provenant du site «http:freespace.virgin.net» dans lequel on indique «Updated to include latest research on decompression from Baylor College 2003».

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