Martel |
2010 QCCLP 3286 |
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DÉCISION
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[1] Le 18 janvier 2010, madame Michèle Martel (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 7 janvier 2010, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme une décision initialement rendue le 27 octobre 2009 et déclare que la travailleuse n’a pas droit au remboursement des frais pour le déneigement de son domicile et la tonte de gazon pour la période automne/hiver 2008-2009.
[3] L’audience s’est tenue le 21 avril 2010 à St-Jérôme en présence de la travailleuse et de sa représentante.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Madame Martel demande à la Commission des lésions professionnelles de conclure à son droit d’obtenir un remboursement pour les frais de déneigement et de tonte de gazon pour la période automne/hiver 2008-2009.
LES FAITS
[5] Madame Martel est victime d’un accident du travail le 3 juin 1976. Lors de cet incident, elle se blesse au dos en soulevant une boîte de métal. Cette lésion nécessite une première chirurgie de discectomie en date du 11 juillet 1977.
[6] Par la suite, de nombreuses récidives, rechutes ou aggravations surviennent au fil du temps. À cet égard, on note à la lecture du dossier une intervention chirurgicale en septembre 1978 en raison d’une récidive de hernie L5-S1, l’installation d’un stimulateur épidural permanent en 1990, une exérèse du cathéter veineux central (Port-O-Cath) en 1996, ainsi qu’une fusion postérieure avec instrumentation et greffe de L4 à S1 en avril 2002.
[7] Le docteur Gilles Roger Tremblay, chirurgien orthopédiste, produit un Rapport d’évaluation médicale le 12 juin 2000 sur lequel il retient que madame Martel ne peut qu’exercer des activités sédentaires strictes avec possibilité de se lever à volonté, sans effort de plus de cinq kilogrammes et sans mouvement répétitif du tronc. Il détermine également dans ce document un déficit anatomophysiologique.
[8] En janvier 2005, la CSST mandate l’ergothérapeute Julie Masse afin qu’elle évalue les besoins en aide personnelle de la travailleuse. En page 4 du rapport concerné on peut lire qu’en 1993 madame Martel loue une maison avec son mari et que c’est ce dernier qui s’occupe de l’entretien extérieur.
[9] Durant cette même année, la travailleuse produit une demande de remboursement pour des travaux d’entretien. Aux notes évolutives du 26 avril 2005, la conseillère en réadaptation saisie de la demande écrit que le conjoint de madame Martel s’occupe, avant son infarctus survenu en 1999, du ménage courant de la maison, soit du balayage, du lavage de plancher, de mettre la vaisselle sale dans le lave-vaisselle, de nettoyer la salle de bain et la cuisine. La travailleuse n’est en mesure que d’épousseter. C’est aussi le conjoint de la travailleuse qui s’occupe de faire la cuisine, les travaux de grand ménage, le déneigement du stationnement et du balcon, le nettoyage du terrain, la tonte du gazon, la taille de la haie et le ramassage des feuilles.
[10] Il est également précisé que madame Martel est propriétaire d’une maison depuis 1996 et que c’est le conjoint de la travailleuse qui voit à tous les travaux d’entretien depuis l’aménagement dans ladite maison. Toutefois, depuis la survenance des problèmes de santé de ce dernier, un contrat a été donné à un entrepreneur qui s’occupe du déneigement de l’entrée avec une souffleuse et du patio avec une pelle.
[11] Ainsi, puisque ce n’est pas la travailleuse qui effectuait elle-même l’ensemble des tâches pour lesquelles elle demande un remboursement, la requête pour travaux d’entretien est refusée.
[12] En ce qui concerne la récidive, rechute ou aggravation d’avril 2002, la CSST obtient une expertise du chirurgien orthopédiste Jacques Étienne Des Marchais en date du 4 mars 2005.
[13] Au terme de l’examen, cet expert conclut à des limitations fonctionnelles de classe 2 selon l’IRSST et à un déficit anatomophysiologique de 18 % ainsi qu’à un préjudice esthétique de 8,5 %.
[14] Le 21 mars 2005, le docteur Gilles Maurais, médecin ayant charge de la travailleuse, se dit en accord avec l’évaluation du docteur Des Marchais par le biais du formulaire de Rapport complémentaire.
[15] En novembre 2006, monsieur Roger Gagnon, conseiller en réadaptation, se rend au domicile de la travailleuse afin d’évaluer les besoins en réadaptation physique et sociale de celle-ci. Aux notes évolutives concordantes, il est mentionné à la section Travaux d’entretien que les demandes préalables ont été refusées puisque la travailleuse n’a jamais eu à faire elle-même les travaux étant donné que son conjoint les faisait, et ce, jusqu’en 1999, date de son infarctus.
[16] Le 27 août 2008, la CSST considère qu’il est impossible de déterminer à la travailleuse une quelconque capacité de travail et informe cette dernière qu’elle recevra une indemnité de remplacement du revenu jusqu’à l’âge de 68 ans.
[17] En octobre 2009, monsieur Gérald Chabot, conseiller en réadaptation, analyse la nouvelle demande de remboursement de la travailleuse pour des travaux d’entretien. Il refuse celle-ci considérant que le dossier révèle qu’entre 1996 et 1999 c’est le conjoint de madame Martel qui s’occupe des travaux en cause.
[18] Lors de l’audience, madame Martel témoigne louer une maison en 1993 et l’acquérir à titre de propriétaire en 1996. Elle souligne qu’avant sa récidive, rechute ou aggravation de 1996, elle participe aux travaux d’entretien courant alors qu’elle passe le coupe-bordures (weed eater) et balaie un peu la neige sur les marches. Par ailleurs, à compter de l’aggravation de 1996, elle n’est plus en mesure de rien faire en raison des douleurs.
[19] Le conjoint de madame Martel témoigne à son tour et affirme qu’entre 1993 et 1996, celle-ci taille un peu le gazon, les plantes et les petits arbustes. Il lui arrive aussi de déneiger les escaliers. À compter de 1996, elle cesse toute activité. Il ajoute être victime de deux infarctus au cours de sa vie et devoir subir un quadruple pontage en 1999. Depuis ce jour, tout effort physique comme le déneigement lui est interdit. Il fait donc affaire avec des professionnels.
L’AVIS DES MEMBRES
[20] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis de rejeter la requête de madame Martel. Ils considèrent que celle-ci ne peut avoir droit au remboursement des frais encourus pour le déneigement et la tonte de gazon pour l’année 2008-2009 selon l’article 165 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) puisqu’il ressort de la preuve qu’elle n’effectuait pas et n’aurait pas effectué non plus elle-même lesdits travaux, et ce, sans égard à sa lésion professionnelle.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[21] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la travailleuse a droit au remboursement des frais encourus pour la tonte du gazon et le déneigement pour la période d’automne/hiver 2008-2009.
[22] La disposition pertinente en la matière est l’article 165 de la loi et se lit comme suit :
165. Le travailleur qui a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique en raison d'une lésion professionnelle et qui est incapable d'effectuer les travaux d'entretien courant de son domicile qu'il effectuerait normalement lui-même si ce n'était de sa lésion peut être remboursé des frais qu'il engage pour faire exécuter ces travaux, jusqu'à concurrence de 1 500 $ par année.
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1985, c. 6, a. 165.
[23] Ainsi, afin de permettre l’application de l’article 165, les conditions suivantes doivent être rencontrées :
1) une atteinte permanente grave doit subsister de la lésion professionnelle;
2) le travailleur doit être incapable d’effectuer les travaux d’entretien courant de son domicile;
3) il doit s’agir de travaux qu’il effectuerait lui-même si ce n’était de la lésion;
4) les frais doivent avoir été engagés.
[24] Des documents au dossier, il ressort incontestablement que madame Martel demeure avec une atteinte permanente importante à la suite de sa lésion professionnelle de 1976 et de ses récidives, rechutes ou aggravations subséquentes. Pour en arriver à une telle conclusion, le tribunal tient compte du taux d’atteinte octroyé, mais aussi des restrictions fonctionnelles en cause qui empêchent la travailleuse de retourner sur le marché du travail.
[25] Il apparaît aussi évident que madame Martel n’est pas en mesure de tondre une pelouse ou encore de procéder au déneigement de son domicile en raison des limitations fonctionnelles désignées qui touchent la colonne lombaire.
[26] La question du paiement préalable des frais n’est pas non plus remise en cause en l’espèce.
[27] Reste donc uniquement le troisième critère énoncé, à savoir que la travailleuse effectuerait normalement elle-même les travaux n’eût été de sa lésion.
[28] Dans l’affaire Bacon et General Motors du Canada ltée et CSST[2], déposée par la représentante de la travailleuse, le juge administratif Clément indique que le législateur a utilisé le verbe effectuer au conditionnel présent et non à l’imparfait. Dans ce contexte, il estime qu’il faut rechercher dans la preuve les éléments démontrant ce qui se serait passé si le travailleur ne s’était pas blessé et non systématiquement et uniquement examiner ce qu’il faisait auparavant.
[29] Or, si la soussignée peut se rallier à cette interprétation, elle estime cependant qu’une preuve prépondérante de volonté d’exécution des travaux, appuyée de certains faits, doit exister et non une simple affirmation en ce sens. Dans le présent dossier, il semble que les faits à l’étude ne permettent pas de conclure que madame Martel aurait tondu la pelouse ou déneigé son entrée si elle n’avait pas été victime d’une lésion professionnelle.
[30] En effet, il ressort de la preuve documentaire que la travailleuse s’en remet à son conjoint pour effectuer ce genre de tâches. De façon non équivoque, celle-ci admet à l’ergothérapeute Masse qu’à compter de 1993, date où elle loue pour la première fois une propriété et alors qu’elle détient toujours une certaine capacité, c’est son conjoint qui s’occupe des travaux d’entretien courant.
[31] Dans le même ordre d’idées, la travailleuse indique à une conseillère en réadaptation en 2005 que c’est son conjoint qui entretient l’ensemble de la maison tant à l’intérieur qu’à l’extérieur jusqu’en 1999, date où il doit accepter de déléguer en raison de problèmes au cœur.
[32] De plus, lorsque madame Martel et son conjoint témoignent concernant la période de 93 à 96, il appert que ceux-ci n’avancent pas que la travailleuse effectue véritablement lesdits travaux. Ils indiquent tout au plus qu’elle coupe les hautes herbes à l’aide d’un taille-bordures et déneige un peu les marches. De l’avis du tribunal, il ne s’agit pas là d’une preuve probante de la volonté de la travailleuse d’effectuer de façon complète la tonte de la pelouse ou le déneigement de l’entrée.
[33] Au surplus, il semble même improbable au tribunal que la travailleuse accomplisse ces quelques tâches entre 1993 et 1996 puisque cette mention apparaît pour la première fois à l’audience d’avril 2010.
[34] Le tribunal considère donc en bout de piste que ce n’est pas la lésion professionnelle de madame Martel qui entraîne le recours à des entrepreneurs professionnels pour la tonte du gazon ou le déneigement de l’entrée, mais bien la condition de santé du conjoint de la travailleuse qui l’empêche d’accomplir, à partir de 1999, les travaux d’entretien courant du domicile qu’il assumait seul auparavant. Conséquemment, il n’y a pas lieu de conclure que la travailleuse effectuerait lesdits travaux n’eût été de sa lésion ou de ses rechutes subséquentes.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de madame Michèle Martel, la travailleuse;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 7 janvier 2010, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la travailleuse n’a pas droit, en vertu de l’article 165 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, au remboursement des frais encourus pour la tonte du gazon et le déneigement durant la période automne/hiver 2008-2009.
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Isabelle Piché |
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Me Laurence Bernier |
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Mercure Avocats |
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Représentante de la partie requérante |
AVIS :
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