Julien et Construction Nationar inc. (faillite) |
2007 QCCLP 3406 |
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[1] Le 28 avril 2006, M. Robert Julien, le travailleur, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 12 avril 2006 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 7 septembre 2005 et déclare que la différence entre le coût de l’achat d’une voiture de type standard et celui d’un véhicule de plus grande dimension n’est pas remboursable par la CSST en vertu des dispositions de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[3] Le travailleur est présent et représenté à l’audience tenue à Québec le 12 décembre 2006. L’employeur, Construction Nationar inc., n’est plus en opération.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] En raison des séquelles de lésion professionnelle dont il a été victime, le véhicule principal du travailleur doit présenter certaines caractéristiques spécifiques. Le coût d’achat de ce type de véhicule est plus élevé qu’un véhicule ordinaire. Le travailleur demande le remboursement d’un montant qui représente la différence entre le prix de ce véhicule et le coût d’achat moyen d’un véhicule standard.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations syndicales et le membre issu des associations d'employeurs recommandent d’accueillir la requête du travailleur. Ils estiment que le travailleur, en vertu de la loi, a droit à un véhicule qui est adapté à sa capacité résiduelle. En conséquence, le travailleur ne peut se procurer d’autre genre de véhicule que celui qui lui permet d’y avoir accès en fauteuil roulant ou en triporteur. Ce type de véhicule est le seul qui peut être adaptable à la capacité résiduelle du travailleur. En conséquence, ils estiment que la différence de prix entre ce type de véhicule et les véhicules standards doit être remboursée par la CSST.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[6] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la loi permet à la CSST de rembourser au travailleur la somme additionnelle qu’il doit débourser pour se procurer un véhicule de type « fourgonnette ».
[7] La demande du travailleur découle de l’exercice du droit à la réadaptation sociale qui comprend notamment ce qui suit :
151. La réadaptation sociale a pour but d'aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s'adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l'accomplissement de ses activités habituelles.
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1985, c. 6, a. 151.
152. Un programme de réadaptation sociale peut comprendre notamment :
1° des services professionnels d'intervention psychosociale;
2° la mise en oeuvre de moyens pour procurer au travailleur un domicile et un véhicule adaptés à sa capacité résiduelle;
3° le paiement de frais d'aide personnelle à domicile;
4° le remboursement de frais de garde d'enfants;
5° le remboursement du coût des travaux d'entretien courant du domicile.
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1985, c. 6, a. 152.
155. L'adaptation du véhicule principal du travailleur peut être faite si ce travailleur a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique et si cette adaptation est nécessaire, du fait de sa lésion professionnelle, pour le rendre capable de conduire lui-même ce véhicule ou pour lui permettre d'y avoir accès.
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1985, c. 6, a. 155.
157. Lorsque la Commission assume le coût des travaux d'adaptation du domicile ou du véhicule principal d'un travailleur, elle assume aussi le coût additionnel d'assurance et d'entretien du domicile ou du véhicule qu'entraîne cette adaptation.
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1985, c. 6, a. 157.
[8] En l’espèce, le travailleur a subi une atteinte permanente grave à son intégrité physique à la suite de la lésion professionnelle du 5 mai 1988. Alors contremaître sur un chantier de construction, il a reçu une pompe à béton sur la tête. L’accident a provoqué notamment une fracture et une luxation C5-C6 et depuis, le travailleur présente une tétraplégie, ce qui correspond à une paralysie des membres inférieurs, jusqu’aux aisselles, des mains et des doigts. Le pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique qui résulte de cette lésion est établi par la CSST à 429 %. Depuis cet accident, le travailleur se déplace en fauteuil roulant manuel ou avec un triporteur.
[9] L’évaluation des besoins du travailleur pour l’adaptation du véhicule principal est faite en 1989 par Mme Claudette Cyr du Centre de réadaptation de Québec. La liste de tous les équipements nécessaires à la conduite d’une automobile apparaît dans son rapport[2] du 28 février 1990, dont la Commission des lésions professionnelles a pris connaissance.
[10] Il appert également d’une lettre[3] de M. Eugène Trudel, président de Centre Auto de Duberger inc., compagnie spécialisée dans l’adaptation des véhicules pour personnes handicapées, que pour permettre au travailleur d’avoir accès à son véhicule en fauteuil roulant ou en triporteur, il doit se procurer un véhicule qui présente certaines caractéristiques de base. La première concerne la dimension de la porte centrale. Celle-ci doit être d’une largeur minimale de 87 centimètres, vu la largeur du fauteuil roulant et du triporteur qu’il peut utiliser. Deuxièmement, le véhicule doit avoir une structure rigide et une suspension robuste, soit un châssis et une suspension de type « camion » puisque la charge du triporteur est le double de celle d’une personne en fauteuil roulant.
[11] Ces recommandations ont été faites en 1990. Le travailleur s’est alors procuré un Safari GMC dont les caractéristiques de base correspondaient aux recommandations de M. Trudel. Le véhicule a été acheté au coût de 27 904 $.
[12] Le 20 mars 1990, la CSST accorde un travailleur une somme de 6 928 $ en remboursement des frais d’équipements nécessaires à l’adaptation du véhicule. Puis, le 24 avril 1990, elle informe le travailleur qu’une somme de 20 900,55 $ est accordée en remboursement des frais d’adaptation du véhicule.
[13] Par la suite, vers la fin des années 1990, la CSST a défrayé le coût du reconditionnement de ces adaptations afin de permettre au travailleur de continuer d’utiliser ce même véhicule.
[14] Par ailleurs, en juillet 1989, le travailleur s’est fait construire une maison adaptée à sa condition. Mme Nathalie Pelletier, ergothérapeute, présente à cette occasion à la CSST une estimation des espaces supplémentaires nécessaires dans l’aménagement de la maison du travailleur compte tenu qu’il ne peut se déplacer qu’en fauteuil roulant. Des mètres carrés supplémentaires ont été nécessaires pour rendre la maison accessible et parfaitement adaptée à la condition du travailleur. La lettre de l’ergothérapeute démontre qu’il en coûte plus cher à une personne en fauteuil roulant pour se loger convenablement et de façon sécuritaire.
[15] Cette demande est adressée à la CSST qui, le 6 décembre 1989, rend la décision suivante :
« Dans le cadre de votre programme de réadaptation sociale, nous désirons vous informer QUE NOUS VOUS ACCORDONS $11270 EN REMBOURSEMENT DES 161' CARRÉ D’ESPACES SUPPLÉMENTAIRES QUI ONT ÉTÉ NÉCESSAIRES DANS L’AMÉNAGEMENT DE VOTRE MAISON. »
[16] Le 30 mai 2005, le travailleur adresse la lettre suivante à la CSST :
« Monsieur,
Je suis propriétaire d’une fourgonnette GMC Safari 1990. La commission en 1991, a défrayé les coûts d’adaptation pour que je puisse le conduire. Après toutes ces années, mon véhicule indique aujourd’hui 250 000 kilomètres et il commence à démontrer des signes de fatigue. Je dois donc songer à le remplacer d’ici quelques années.
J’ai commencé à évaluer les possibilités qui s’offrent à moi. J’ai constaté que mon choix est très limité par la grandeur de l’ouverture que nécessite l’installation de la plate forme élévatrice qui sert à soulever mon fauteuil roulant. Elle exige une dimension de 87 cm de largeur par 1 mètre 12 cm de hauteur minimalement.
Alors, les seuls véhicules qui offrent ces dimensions d’ouverture sont : les GMC Safari ou Astro, le GMC Savana, le Ford Éconoline, le Dodge, Sprinter. Tous des véhicules dont le prix de base avant taxe, oscille entre 30 000 et 35 000 dollars. Je n’ai donc pas accès, comme tout le monde, aux véhicules dont la gamme de prix se situe dans les 15 000 à 17 000 dollars. Je me trouve donc fortement pénalisé et ce fait limite mes capacités d’acquérir un nouveau véhicule. De plus, il est évident que cette situation découle directement de mon handicap.
Je dois assumer bien malgré moi les frais d’entretien que nécessite ce type de véhicule. D’autant plus que sa consommation d’essence est d’environ le double comparativement à un véhicule "conventionnel".
J’estime donc, que la commission devrait au moins, combler l’écart du prix d’achat et me donner la possibilité de changer mon véhicule dans des conditions équitables. » (sic)
[17] Cette demande est refusée par la CSST le 7 septembre 2005 :
« En réponse à votre demande, nous vous informons que nous ne pouvons payer pour l’achat de tout véhicule devant être adapté. La politique concernant l’adaptation d’un véhicule stipule que la CSST couvre que les frais liés à l’adaptation du véhicule du travailleur accidenté à l’entretien des équipements d’adaptation et les frais liés au remplacement de ceux-ci. En effet, ces frais liés à l’acquisition d’un véhicule devant être adapté ne sont pas remboursables par la commission. »
[18] Cette décision est maintenue à la suite d’une révision administrative d’où le litige dont est maintenant saisie la Commission des lésions professionnelles.
[19] Le travailleur démontre qu’il en coûte en moyenne 10 000 $ de plus pour l’achat d’un véhicule qui présente les caractéristiques recommandées. Les véhicules que le travailleur pouvait se procurer en 2005 sont le Safari GMC, le Savana GMC, le Ford E150 et l’Astro Chevrolet. En 2005, le prix de ces véhicules varie entre 26 000 $ et 28 000 $ tandis que le coût moyen des véhicules standards les plus vendus est d’environ 16 000 $[4].
[20] Personne ne conteste ici que le travailleur a droit à la réadaptation sociale. Le contenu d’un programme de réadaptation sociale est prévu à l’article 152 de la loi et comprend certaines mesures concernant l’adaptation du véhicule principal du travailleur qui doivent avoir comme objectif de lui procurer un véhicule adapté à sa capacité résiduelle.
[21] La preuve démontre en l’espèce que pour avoir un véhicule adapté à sa capacité résiduelle, le travailleur n’a pas accès à toutes les catégories de voiture. Il doit se procurer un véhicule qui, de base, présente certaines caractéristiques sans lesquelles la conduite du véhicule ne serait pas accessible au travailleur. En effet, la capacité résiduelle du travailleur ne lui permet pas de prendre place au siège du conducteur en se transférant de son fauteuil roulant à un siège standard. Il doit être en mesure d’avoir accès, en fauteuil roulant ou en triporteur, à l’intérieur du véhicule. Seulement un certain type de véhicule comporte une porte principale assez large et une suspension assez robuste pour permettre au travailleur d’y avoir accès. Seulement si cet accès est possible, les autres adaptations requises seront utiles. Ces recommandations ont été considérées dans l’acquisition du véhicule en 1989 qui doit maintenant être remplacé.
[22] Le cas soumis en l’espèce se distingue de l’affaire Charrette et Centco[5]. Dans cette affaire, la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) conclut que le travailleur n’a pas droit au remboursement de la différence entre le montant obtenu de la vente du véhicule qu’il utilisait avant de se blesser et un nouveau véhicule, après avoir énoncé les principes applicables :
« […]
De la lecture des dispositions applicables, la Commission d’appel constate que la loi est spécifique sur la nature des coûts soumis par la Commission. Il ne s’agit que des coûts d’adaptation du véhicule, par opposition aux coûts d’achat dudit véhicule, pour quelque motif que ce soit.
Cette conclusion s’infère du texte clair des dispositions citées.
De plus, on peut constater, dans le cas du véhicule principal, que l’article 157 prévoit spécifiquement que la Commission défraiera un coût supérieur au coût d’adaptation uniquement lorsque les frais d’assurances ou d’entretien supplémentaire sont entraînés par l’adaptation du véhicule. Il s’agit d’une disposition limitative qui montre bien que la Commission ne défraie pas d’autres coûts que ceux d’adaptation du véhicule ou ceux décrits et spécifiquement reliés à l’adaptation du véhicule.
On peut aussi constater, par comparaison, à la lecture des articles 153 et 154 qui s’appliquent à l’adaptation du domicile, que l’hypothèse d’un déménagement est prévue par le législateur et que même dans ce cas, uniquement certains frais de déménagement, par opposition au coût d’achat, sont remboursés.
Le remboursement du coût d’achat par opposition au coût d’adaptation n’est donc pas autorisé par la loi dans le cadre de la réadaptation sociale d’un travailleur.
[…] »
[23] En l’espèce, la demande est tout autre. Il n’est pas question de rembourser au travailleur le coût d’achat de son véhicule. La demande concerne les adaptations requises pour le véhicule principal du travailleur. La preuve révèle que les véhicules « standards » ne sont pas adaptables à la capacité résiduelle du travailleur à moins d’en modifier considérablement la structure, ce qui n’est pas recommandé par les entreprises spécialisées dans ce domaine comme l’explique M. Trudel dans sa lettre du 20 juillet 2006. Il ne s’agit donc pas d’une solution appropriée.
[24] Dans ces circonstances, la Commission des lésions professionnelles estime que les caractéristiques spécifiques relatives à la dimension de la porte centrale et à la rigidité de la suspension doivent en l’espèce être considérées comme des adaptations nécessaires au véhicule du travailleur, tout comme l’a été « l’espace additionnelle » dans l’adaptation de la résidence principale du travailleur.
[25] Chaque cas est particulier. La nature des adaptations qui peuvent être mises en œuvre dans le cadre du programme de réadaptation sociale s’évalue en fonction des conséquences de la lésion professionnelle et de la perte de capacité qu’elle a entraînée. L’objectif du programme qui vise à redonner à un travailleur une autonomie dans les activités habituelles rend juste l’interprétation que la Commission des lésions professionnelles donne en l’espèce aux termes « adaptation du véhicule ».
[26] Le travailleur a estimé que ces adaptations représentent un coût additionnel d’environ 10 000 $ par rapport au coût moyen d’un autre véhicule. La méthode de calcul est équitable et réaliste.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de M. Robert Julien;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 12 avril 2006 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que M. Robert Julien a droit au remboursement d’une somme qui correspond à la différence entre le coût d’achat d’un véhicule du type de celui qui présente les caractéristiques de base décrites par M. Trudel dans la lettre du 20 juillet 2006 et le coût moyen d’un véhicule standard.
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MARIE BEAUDOIN |
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Commissaire |
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Me Annie Noël |
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F.A.T.A. - QUÉBEC |
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Représentante de la partie requérante |
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