DÉCISION
[1] Le 11 juin 2001, la travailleuse, madame Louise Cyr, dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 4 mai 2001 à la suite d'une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu'elle a initialement rendue le 22 mars 2001 et déclare que madame Cyr n’a pas subi de lésion professionnelle le 9 novembre 2000 et qu’elle n'a pas droit aux prestaions prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
[3] Madame Cyr est présente à l’audience et elle est représentée. L'employeur, Loblaws Québec ltée, est présent et il est également représenté. La CSST est partie intervenante et elle a avisé la Commission des lésions professionnelles de son absence à l’audience.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Madame Cyr demande de déclarer qu’elle a subi une lésion professionnelle le 9 novembre 2000, soit une maladie professionnelle, et qu'elle a en conséquence droit aux prestations prévues par la loi.
LES FAITS
[5] Madame Cyr est âgée de 43 ans et elle travaille comme caissière chez l’employeur lorsqu’elle présente à la CSST une réclamation visant la reconnaissance d’une maladie professionnelle s’étant manifestée le 9 novembre 2000. Elle relie alors les engourdissements qu’elle ressent à la main droite aux mouvements répétitifs qu’elle doit effectuer dans son travail de caissière.
[6] Sa réclamation est accompagnée d'un rapport médical complété par la docteure Danielle Voyer le 5 janvier 2001, à la suite d’une consultation médicale faite le 9 novembre 2000, dans lequel cette dernière diagnostique un syndrome du canal carpien droit avec atrophie musculaire. Elle est également accompagnée d’un compte-rendu d’examen électromyographique effectué le 8 décembre 2000 par la docteure Valérie Soland, neurologue. Les extraits pertinents de ce compte-rendu sont les suivants :
« Il s’agit d’une patiente de 43 ans, droitière, caissière. Elle n’a aucun antécédent médical ou chirurgical, sauf une histoire d’hypoglycémie qui est en investigation. Elle ne prend aucun médicament.
Depuis environ six mois, elle se plaint d’engourdissements au niveau des mains, tant à droite qu’à gauche, survenant surtout la nuit lorsque ses bras sont pliés au-dessus de sa tête. Ceci la réveille plusieurs fois. L’engourdissement semble atteindre le pouce ainsi que le 4e et 5e doigts des deux mains. Elle n’a pas noté de symptômes pendant la nuit ni faiblesse musculaire.
À l’examen physique, l’examen des réflexes ostéo-tendineux est symétrique aux membres supérieurs. Les forces musculaires sont normales, sauf pour l’APB droit qui est plus faible et qui est également atrophié. Il n’y a pas de déficit sensitif à la piqûre ni au tact au niveau des deux mains. Le signe de Tinel est négatif aux poignets, par contre la manœuvre de Phalen produit les engourdissements au niveau du pouce droit.
[…]
Les études électrophysiologiques démontrent la présence d’une neuropathie du nerf médian droit au niveau du poignet, compatible avec un syndrome du tunnel carpien d’intensité modérée. Il n’y a pas d’évidence d’entrappement [sic] du nerf médian gauche au niveau du poignet ni des deux nerfs cubitaux. Je crois que ces trouvailles expliquent une partie des engourdissements nocturnes de la patiente, par contre l’engourdissement au niveau du 4e et 5e doigts de façon bilatérale est probablement en relation avec une compression intermittente du nerf cubital au niveau des coudes, soit au niveau de la gouttière ou du tunnel carpien ou du tunnel cubital; je ne suggère aucun traitement pour cela actuellement. Je lui ai prescrit une orthèse au niveau du poignet droit à porter la nuit. Je crois qu’elle mérite une décompression chirurgicale du nerf médian droit au niveau du poignet. »
[7] À la suite de cet examen, la docteure Voyer réfère madame Cyr au docteur Paul Duranceau, chirurgien plasticien. Le 7 février 2001, ce dernier pose le diagnostic de syndrome du canal carpien droit et, le 19 février suivant, il procède à une chirurgie décompressive.
[8] Le 20 mars 2001, le médecin conseil de la CSST note au dossier que le syndrome du canal carpien droit dont souffre madame Cyr ne constitue pas selon lui une maladie professionnelle puisque le travail de caissière n’implique pas d’effectuer des mouvements répétés de flexion et d’extension du poignet droit. Il note également que la présence de l'atrophie musculaire rapportée par le médecin traitant témoigne d’un phénomène qui a débuté depuis longtemps.
[9] Le 22 mars 2001, la CSST rend une décision par laquelle elle refuse la réclamation de madame Cyr. Le 4 mai 2001, à la suite d’une révision administrative, elle maintient sa décision, d’où l’objet du présent litige.
[10] À l'audience, madame Cyr explique qu'elle travaille comme caissière chez l'employeur depuis le 23 août 1999, lequel exploite un marché d'alimentation de grande surface.
[11] Depuis cette date, elle est affectée à une caisse dite « courante » et, de manière occasionnelle, à la caisse dite « rapide », soit pour un total de trois à quatre heures par semaine.
[12] Par ailleurs, elle explique qu'à titre de caissière, elle doit enregistrer le prix de vente de divers produits alimentaires en utilisant le lecteur optique ou le clavier numérique. Par la suite, elle doit procéder aux transactions financières requises selon le mode de paiement choisi par le client (paiement en espèces, par cartes de crédit ou par cartes de débit).
[13] Des photographies de son poste de travail sont déposées en preuve. Il s'agit d'un poste conventionnel avec lecteur optique et plateau de pesée intégrés à même la surface d'un des modules du comptoir, se trouvant face à la caissière, et avec un clavier numérique situé au - dessus de ces deux composantes. À la droite de ce module, se trouve le tapis roulant sur lequel le client dépose les articles achetés et, un peu en retrait de celui-ci, le module dans lequel est intégré la caisse enregistreuse. À la gauche de ces modules, se trouve le convoyeur à l'aide duquel les articles sont dirigés à l'extrémité du comptoir pour emballage. Face à ce convoyeur, à proximité du module de lecture des prix de vente, se trouve un support sur lequel sont placés des sacs servant à emballer la marchandise.
[14] Madame Cyr précise qu'elle est droitière et qu'elle utilise cette main pour prendre les articles sur le tapis roulant, les placer devant le lecteur optique ou sur le plateau de pesée, faire les entrées de données au clavier numérique et ensuite, diriger ceux-ci vers le convoyeur. Selon qu'il s'agit d'un article léger ou un peu plus lourd, celui-ci est déplacé en le faisant glisser sur le comptoir ou en le soulevant. Les articles beaucoup plus lourds sont manipulés à l'aide des deux mains.
[15] Elle précise également que le marché d'alimentation exploité par l'employeur offre à la clientèle des formats « Club Pack », soit des emballages de plusieurs unités d'un même produit ou encore, un produit vendu en grand format. Selon les saisons, ce marché offre aussi à la clientèle divers produits lourds, tels des meubles de jardin, des magnétocassettes et des téléviseurs.
[16] Elle convient que le code de ces articles se trouve dans un cartable, qu'il doit être saisi au moyen du clavier numérique et que la caissière peut inviter le client à laisser ces articles dans son panier. Cependant, de façon générale, les clients déposent ces articles sur le tapis roulant et la caissière doit donc quand même les manipuler. De plus, il arrive fréquemment que le code inscrit au cartable ne soit pas le bon de sorte qu'elle doit alors utiliser le lecteur optique.
[17] Elle estime qu'une grosse commande est constituée de 50 à 70 articles, le tiers de ceux-ci étant des articles lourds. En outre, il n'est pas rare que la caissière doive de nouveau placer le même article devant le lecteur optique parce qu'une première tentative d'enregistrement du prix de vente s'est avérée infructueuse.
[18] En ce qui concerne l'emballage, madame Cyr explique qu'à l'époque où ses symptômes sont apparus, il y avait un seul emballeur pour trois caissières et, certains avant-midi, aucun emballeur. Elle devait donc procéder elle-même à l'emballage de la marchandise et ce, dans une proportion de 75 % du temps selon son estimé. Lorsqu'elle est affectée à la caisse dite « rapide », elle doit faire elle-même l'emballage de la marchandise.
[19] Lorsque la transaction financière implique un temps d'attente en raison de l'utilisation d'une carte de crédit ou de débit, elle ne demeure pas inactive. Elle utilise ce temps d'attente pour classer des coupons, préparer l'accueil du prochain client, emballer de la marchandise et placer des sacs dans le panier du client.
[20] De même, lorsqu'un certain temps s'écoule avant l'arrivée d'un nouveau client, elle poursuit l'emballage, nettoie sa caisse, place une nouvelle quantité de sacs sur son support ou aide une autre caissière à emballer sa marchandise.
[21] En ce qui concerne sa symptomatologie, elle explique que celle-ci s'est manifestée de façon graduelle et ce, quatre à cinq mois avant sa première consultation médicale. Elle précise qu'à cette époque, elle n'était pas enceinte ni ménopausée. Elle ne souffrait pas non plus d'un hypothyroïdie mais seulement, d'une légère hypoglycémie.
[22] Avant son entrée en fonction chez l'employeur, elle a exercé le travail de caissière dans un établissement commercial autre qu'un marché d'alimentation et ce, durant trois ans. Au cours de l'exercice de cet emploi, elle n'a pas éprouvé d'engourdissements aux mains. Il s'agissait toutefois selon elle d'un travail exigeant des mouvements bien différents compte tenu de la nature de la marchandise vendue à ce commerce.
[23] Elle n'a pas cessé son travail avant la chirurgie décompressive effectuée le 19 février 2001 et, à la suite de celle-ci, elle a réintégré son poste de caissière le 12 mars 2001. Elle ne souffre plus d'engourdissements depuis la chirurgie.
[24] Enfin, elle dépose un extrait de littérature médicale portant sur le syndrome du canal carpien attribuable au travail répétitif.[2] À l'audience, la Commission des lésions professionnelles a précisé aux parties qu'elle ne se limiterait pas à ce seul extrait et qu'elle référerait plutôt au texte intégral déjà en sa possession.
[25] Selon cette littérature, le syndrome du canal carpien est associé à des pathologies qui modifient le cadre du canal ou en augmentent le volume ou encore, à des pathologies systémiques ou états de santé particuliers qui augmentent la pression à l'intérieur du canal.
[26] La compression du nerf médian dans le canal carpien est aussi associée à des sollicitations musculo-squelettiques, soit à des mouvements répétés du poignet ou de la main ou encore, au maintien prolongé de positions contraignantes.
[27] Les mouvements et postures qui sont le plus fréquemment associés à l'apparition de la maladie sont des mouvements répétés du poignet ou de la main (activités avec le poignet en extension ou en flexion, déviation radiale ou cubitale répétée ou continue, mouvements répétés avec un ou plusieurs doigts) de même que des mouvements de préhension et de manutention (préhension répétée d'objets avec pinces digitales, préhension d'objets avec tractions répétées ou rotation du poignet, préhension pleine main, gestes de cisaillement, application d'une pression avec la main). Pour leur part, le travail avec les membres supérieurs en flexion ou en abduction, l'utilisation d'outils vibrants ou à percussion, le port de gants et l'exposition au froid, constituent des cofacteurs de risque.
[28] Il est précisé que les symptômes apparaissent à la main dominante ou à la main la plus fortement sollicitée. Lorsqu'ils sont bilatéraux, ils sont rarement de même intensité. Il est aussi précisé que l'analyse des activités professionnelles sert à déterminer dans quelle mesure les emplois occupés comportent des sollicitations des poignets et des mains liées au mouvements répétitifs, à l'application de pression ou de force, à l'exposition au froid et à l'utilisation d'outils vibrants tout en considérant que la combinaison de deux de ces facteurs augmentent la probabilité d'un lien entre la maladie et le travail.
[29] À la demande de l'employeur, la Commission des lésions professionnelles a aussi entendu le témoignage de madame Nathalie Gibeault, gérante de service chez l'employeur depuis le mois de juillet 2001.
[30] Elle dépose et commente un document intitulé « Rapport de performance » faisant état du profil de productivité de madame Cyr au cours de la période débutant le 25 juin 2000 et se terminant le 4 novembre 2000.
[31] Après étude de ce document, la Commission des lésions professionnelles retient les données factuelles qui suivent et ce, tenant compte d'une moyenne établie pour les 15 semaines visées par la période du 25 juin au 4 novembre 2000.
[32] Madame Cyr travaille 34,80 heures par semaine, la plupart du temps à raison de cinq jours par semaine . Elle bénéficie de deux jours de congé par semaine, pas toujours de manière consécutive, lesquels se situent exceptionnellement durant la fin de semaine. Selon son horaire de travail, madame Cyr travaille généralement pendant cinq jours consécutifs et, occasionnellement, pendant six jours consécutifs. À une reprise, elle a travaillé pendant sept jours consécutifs.
[33] Tenant compte des autres tâches auxquelles elle peut être affectée durant des périodes moins achalandées (entretien ménager, rangement dans les étalages situés à proximité des caisses, etc.), elle consacre 30 heures par semaine à servir les clients qui se présentent à sa caisse.
[34] De ce nombre, 15,90 heures constituent du temps de saisie (à l'aide du lecteur optique ou du clavier numérique), 8,75 heures du temps de paiement (durée de la transaction financière), 2,50 heures du temps « autre », soit le temps d'attente entre chaque client, et 2,87 heures du temps consacré aux pauses santé et repas. Une pause santé de 15 minutes est accordée pour une période de six heures de travail par jour. Lorsque la période de travail est de plus de sept heures, la caissière bénéficie de deux pauses santé et d'une pause repas de une heure.
[35] Madame Cyr sert 970 clients par semaine, soit 35,70 clients par heure. Chaque client achète en moyenne 17 articles. Le prix des articles achetés est enregistré à l'aide du lecteur optique ou du clavier numérique et ce, selon une fréquence de 17,15 articles à la minute. Le temps consacré à la transaction financière de chaque client est de 54 secondes tandis que celui qui est ensuite consacré à l'attente du prochain client est de 15 secondes. L'enregistrement du prix de vente des articles est, dans 80 % des cas, fait au moyen du lecteur optique.
[36] Par ailleurs, madame Gibeault explique qu'un emballeur est normalement assigné à chaque caissière. En contre-interrogatoire, elle convient qu'elle est affectée à l'établissement où travaille madame Cyr depuis le mois de juillet 2001 seulement et qu'elle ne peut confirmer si ce ratio était respecté avant son arrivée.
[37] Elle explique également que durant le temps consacré à la transaction financière, la caissière range des coupons et emballe de la marchandise. Elle explique aussi que la caissière doit inviter le client à laisser les articles très lourds dans son panier et que celle-ci doit enregistrer le prix de ces articles au clavier numérique en vérifiant les codes qui se trouvent dans un cartable mis à sa disposition. Si un de ces codes ne fonctionne pas, ce qui arrive parfois, la caissière doit l'en avertir pour qu'il puisse être activé.
L'AVIS DES MEMBRES
[38] Le membre issu des associations d'employeurs est d'avis que la requête de madame Cyr doit être rejetée.
[39] Il estime que les dispositions de l'article 30 de la loi ne peuvent trouver application dans la présente affaire puisque madame Cyr n'a soumis aucune preuve médicale établissant que le syndrome du canal carpien droit dont elle a souffert est une maladie reliée directement aux risques particuliers de son travail de caissière. De plus, il retient de la preuve offerte que ce travail ne s'exerce pas dans le contexte d'une cadence imposée et qu'il comporte des temps de repos de telle sorte que les mouvements de la main droite ne sont pas effectués de manière répétitive.
[40] Le membre issu des associations syndicales est d'avis que la requête de madame Cyr doit être accueillie.
[41] Il estime que le syndrome du canal carpien droit dont a souffert madame Cyr constitue une maladie reliée directement aux risques particuliers de son travail de caissière puisque la preuve démontre, de manière prépondérante, que cette maladie résulte des gestes répétés de flexion, d'extension et de préhension de la main ou du poignet. Il retient également de la preuve offerte que madame Cyr est sans antécédent pertinent et que la chirurgie décompressive a permis la résolution de la pathologie.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[42] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le syndrome du canal carpien droit diagnostiqué chez madame Cyr constitue une lésion professionnelle, soit une maladie professionnelle s'étant manifestée le 9 novembre 2000.
[43] Les notions de « lésion professionnelle » et de « maladie professionnelle » sont définies comme suit à l'article 2 de la loi :
« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;
« maladie professionnelle » :une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail ;
[44] Par ailleurs, les articles 29 et 30 de la loi viennent ainsi compléter ces définitions :
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
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1985, c. 6, a. 29.
30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.
________
1985, c. 6, a. 30.
[45] En l'espèce, madame Cyr ne prétend pas pouvoir bénéficier de la présomption de maladie professionnelle, celle-ci reconnaissant que le diagnostic de syndrome du canal carpien n'est pas une maladie énumérée à l'annexe I de la loi.
[46] Elle ne prétend pas non plus que ce syndrome dont elle a souffert constitue une maladie caractéristique du travail de caissière dans un marché d'alimentation et elle ne présente aucune preuve à cet effet.
[47] Elle prétend cependant que cette maladie est reliée directement aux risques particuliers de ce travail puisque celui-ci comporte certains des risques généralement reconnus comme étant contributifs au développement du syndrome du canal carpien.
[48] Après considération de la preuve et de l'argumentation soumises, la Commission des lésions professionnelles en vient à la conclusion que madame Cyr a démontré, par preuve prépondérante, que le syndrome du canal carpien droit dont elle a souffert constitue une maladie reliée directement aux risques particuliers de son travail de caissière.
[49] Au soutien de cette conclusion, la Commission des lésions professionnelles retient en premier lieu que le travail de caissière qu'exerce madame Cyr chez l'employeur depuis le 23 août 1999 comporte, non pas des mouvements répétitifs du poignet, mais des mouvements répétitifs de préhension de la main mettant sous tension les fléchisseurs, soit des mouvements de préhension avec pinces digitales et de préhension pleine main.
[50] En effet, la preuve établit que de tels mouvements sont requis pour manipuler la marchandise achetée par la clientèle et ce, à l'étape où ils sont déplacés vers le lecteur optique, le plateau de pesée et le convoyeur. Ils sont aussi requis lorsque madame Cyr procède elle-même à l'emballage de la marchandise.
[51] Ces mouvements sont principalement effectués avec la main droite, soit la main qui est en l'espèce affectée par la maladie, et, lorsque le format et le poids des produits l'imposent, ils requièrent une préhension prononcée ou l'application d'une certaine force, imposant ainsi aux fléchisseurs une tension accrue.
[52] En outre, de l'avis de la Commission des lésions professionnelles, la fréquence à laquelle ces mouvements sont effectués justifie, dans la présente affaire, qu'ils soient qualifiés de répétitifs.
[53] Le rapport de performance dressant le profil de productivité de madame Cyr établit que cette dernière travaille 35 heures par semaine et qu'elle consacre la presque totalité de son temps à ses strictes tâches de caissière, soit 30 heures par semaine.
[54] Par ailleurs, durant cette période où madame Cyr est à la caisse, elle accueille 35,70 clients à l'heure et elle manipule les articles achetés par ceux-ci selon une fréquence de 17,15 articles à la minute et ce, à la seule étape de l'enregistrement du prix au moyen du lecteur optique ou du clavier numérique puisqu'ils sont aussi de nouveau manipulés à l'étape de l'emballage.
[55] La Commission des lésions professionnelles ne retient pas la prétention de l'employeur selon laquelle il ne s'agit pas de mouvements répétitifs parce que le temps consacré à la transaction financière du client et à l'attente du prochain client constitue une temps de repos compensatoire et parce qu'il n'y a pas de cadence imposée.
[56] D'une part, le temps consacré à la transaction financière et à l'attente du prochain client est relativement court puisque ces deux périodes contiguës totalisent à peine une minute. De plus, durant cette période, madame Cyr procède à l'emballage de la marchandise, donc à une opération qui implique une autre fois la manipulation de produits avec les mêmes mouvements de préhension.
[57] Le témoignage de madame Cyr voulant qu'à l'époque où sa symptomatologie est apparue elle devait, la plupart du temps, faire l'emballage de la marchandise étant donné le ratio d'un emballeur pour trois caissières n'est pas contredit. En outre, lors de son témoignage, madame Gibeault a expliqué que durant la transaction financière et le temps d'attente du prochain client, la caissière s'adonne à diverses tâches, dont à celle de l'emballage.
[58] D'autre part, madame Cyr ne travaille évidemment pas dans le contexte d'une cadence imposée par une machinerie automatisée ou par une ligne de production. Cependant, cette dernière travaille certes sous une certaine contrainte de temps en raison des besoins de service à la clientèle, particulièrement en période d'achalandage, et ce, d'autant plus que l'analyse de son horaire de travail révèle qu'elle travaille la plupart du temps lors de telles périodes, soit les jeudi, vendredi, samedi et dimanche.
[59] La preuve démontre donc que le travail de madame Cyr exige de répéter des mouvements de préhension de la main droite de façon quasi constante, sans temps de repos compensatoire significatif et dans le contexte d'une certaine contrainte de temps imposée par des besoins de service à la clientèle.
[60] La Commission des lésions professionnelles retient en second lieu que, selon la littérature médicale déposée en preuve, les mouvements répétés de préhension pleine main ou de préhension avec pinces digitales constituent des mouvements reconnus à titre de facteurs de risque contributifs au développement d'un syndrome du canal carpien lié au travail alors que, par ailleurs, madame Cyr ne présente aucune pathologie ou état de santé susceptible d'expliquer l'apparition de cette maladie.
[61] De plus, on ne peut ignorer que la symptomatologie n'est pas apparue alors que madame Cyr exerçait un travail de caissière dans un autre type d'établissement commercial mais bien, quelques mois après le début d'un travail de caissière au sein d'un marché d'alimentation qui exige d'effectuer des mouvements répétés de préhension de la main droite.
[62] Le médecin conseil de la CSST s'est dit d'avis que la présence d'une atrophie musculaire témoignait d'une pathologie présente depuis longtemps, sans cependant élaborer plus longuement sur la question.
[63] Or, en l'absence d'une preuve contraire, la Commission des lésions professionnelles estime que l'atrophie de l'éminence thénar observée pour la première fois par la docteure Soland le 8 décembre 2000 n'apparaît pas incompatible avec une maladie liée au travail de caissière de madame Cyr dans la mesure où, au moment de cette consultation médicale, la symptomatologie était présente depuis déjà plusieurs mois, soit depuis le mois de juin ou juillet 2000 selon le témoignage de cette dernière.
[64] Le fait que madame Cyr ait aussi éprouvé des engourdissements à la main gauche n'apparaît pas non plus concluant. Un syndrome du canal carpien a été diagnostiqué à droite seulement alors que, selon la littérature médicale produite, telle maladie se manifeste habituellement à la main dominante ou la plus fortement sollicitée, ce qui est en l'espèce le cas.
[65] De l'avis de la Commission des lésions professionnelles, ces éléments révélés par la preuve, considérés dans leur ensemble, établissent de façon probante l’existence d’une relation causale entre le travail de caissière de madame Cyr, tel qu’exercé chez l’employeur depuis le 23 août 1999, et le syndrome du canal carpien droit dont elle a souffert.
[66] La Commission des lésions professionnelles ne retient pas la prétention de l'employeur selon laquelle madame Cyr devait démontrer la relation causale existante entre sa maladie et son travail de caissière au moyen d'une opinion médicale, son seul témoignage complété par le dépôt de littérature médicale étant insuffisant.
[67] Dans certains cas, une opinion médicale peut s'avérer nécessaire aux fins d'établir le caractère professionnel d'une maladie. Cependant, le défaut de produire telle opinion ne fait pas nécessairement obstacle à la reconnaissance d'une maladie professionnelle, particulièrement lorsque de la littérature médicale se rapportant à la problématique en cause est susceptible de pallier cette lacune.
[68] Par ailleurs, chaque cas doit être apprécié à la lumière de l'ensemble des faits révélés par la preuve et l'analyse de ceux-ci peut conduire à la reconnaissance du caractère professionnel d'une maladie et ce, suivant la règle de la prépondérance de la preuve qui demeure la seule applicable.
[69] La Commission des lésions professionnelles ne retient pas non plus la prétention de l'employeur voulant que le syndrome du canal carpien ne constitue pas une maladie reliée aux risques particuliers du travail de caissière puisque c'est ainsi qu'en a déjà décidé le tribunal[3].
[70] En effet, une lecture attentive de ces décisions permet de constater que le tribunal en est venu à telle conclusion en raison des faits particuliers propres à chaque affaire, lesquels se distinguent de ceux qui sont en l'espèce en cause.
[71] Ainsi, dans l'affaire Sansfaçon, la Commission des lésions professionnelles a conclu à l'absence de lien entre la maladie et le travail de caissière compte tenu du rapport de performance propre à la travailleuse et du mode de présentation de la symptomatologie chez cette dernière.
[72] Dans l'affaire Provigo inc., la travailleuse n'exerçait pas le travail de caissière à plein temps et la preuve médicale révélait qu'une fracture ancienne des poignets pouvait être à l'origine de sa maladie.
[73] Dans l'affaire Tremblay, une des deux travailleuses occupait un poste de caissière à temps partiel alors que la symptomatologie de la seconde était apparue durant un congé de maladie relié à une autre condition médicale.
[74] Dans l'affaire Leclerc-Kazinévich, la symptomatologie était apparue alors que la travailleuse occupait des postes autres que celui de caissière, soit ceux de commis à la charcuterie, de préposée à la boulangerie et d'emballeuse de viande.
[75] Dans l'affaire Dusablon-Lachapelle, la travailleuse occupait un poste à temps partiel et la preuve soumise par cette dernière ne permettait pas de connaître les données exactes relatives à son profil de productivité.
[76] Dans l'affaire Beauport, la travailleuse était affectée d'une pathologie pouvant être à l'origine du syndrome du canal carpien et elle n'exerçait pas son emploi de caissière au sein d'un marché d'alimentation.
[77] Finalement, dans l'affaire Demers, la travailleuse souffrait de trois pathologies distinctes et, au moment de l'apparition de la symptomatologie, elle occupait un autre poste que celui de caissière.
[78] Pour l'ensemble de ces motifs, la Commission des lésions professionnelles en vient donc à la conclusion que le syndrome du canal carpien droit diagnostiqué chez madame Cyr constitue une maladie professionnelle s'étant manifestée le 9 novembre 2000.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de la travailleuse, madame Louise Cyr;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 4 mai 2001 à la suite d'une révision administrative; et
DÉCLARE que le syndrome du canal carpien droit diagnostiqué chez madame Louise Cyr à compter du 9 novembre 2000 constitue une maladie professionnelle et qu'elle a droit aux prestations prévues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.
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Ginette Morin |
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Commissaire |
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T.U.A.C. (Madame Nicole Bernèche)
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Représentante de la partie requérante |
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BORDEN LADNER GERVAIS (Me André Royer) |
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Représentant de la partie intéressée
PANNETON LESSARD (Me Martine St-Jacques)
Représentante de la partie intervenante
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[1] L. R. Q., c. A-3. 001
[2] L. Patry, M. Rossignol, M.J. Costa, M. Baillargeon, 1997, Guide pour le diagnostic des lésions musculo‑squelettiques attribuables au travail répétitif, vol. 1, « Le syndrome du canal carpien » Sainte‑Foy, Éditions MultiMondes, Montréal, Institut de recherche en santé et en sécurité du travail du Québec, Québec, Régie régionale de la santé et des services sociaux, 1997.
[3] Sansfaçon et Maxi Nouveau Concept, C.L.P. 128832-31-9912, le 8 janvier 2001, Marie Beaudoin; Provigo inc. et Langlois, C.L.P. 160136-03B-0104, le 20 novembre 2001, Marielle Cusson; Tremblay et Trembaly et Supermarché Ste-Julie, C.L.P. 77827-62-9603 et 82013-62-9608, le 12 janvier 1999, Camille Demers; Leclerc-Kazinévich et Alimentaion Sogesco inc., C.L.P. 115770-62B-9905, le 22 juillet 1999, Nicole Blanchard; Dusablon-Lachapelle et Alimentation Du Sommet, C.L.P. 116494-63-9905, le 15 décembre 1999, Claude Bérubé; Beauport et Zellers inc., C.A.L.P. 68773-62A-9504, le 6 mai 1997, Camille Demers; Demers et Super C Repentigny et CSST, C.A.L.P. 76283-63-9601, le 19 septembre 1997, Bernard Lemay.
AVIS :
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