DÉCISION
[1] Le 22 juin 1999, monsieur Jean-Guy Blanchette (le travailleur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles à l'encontre d'une décision rendue le 8 juin 1999 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d'une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision qu'elle a initialement rendue le 8 octobre 1998 à l'effet de refuser la réclamation de monsieur Blanchette pour une tuberculose alléguée contractée au travail le 10 juin 1998.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[3] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles d'infirmer la décision de la CSST et de déclarer qu'il a subi une lésion professionnelle le 16 juin 1998, date où on lui a diagnostiqué une tuberculose.
LES FAITS
[4] Monsieur Blanchette est né le 11 avril 1941. Il est à l'emploi de Ispat-Sidbec inc. (l'employeur) depuis environ 25 ans comme homme de relève au département de la brame (acier) dans la scierie. À l'occasion, il travaille également comme opérateur du pont roulant.
[5] Dans l'année qui a précédé l'événement faisant l'objet du présent litige, monsieur Blanchette a travaillé environ un an avec monsieur Claude Martin avec qui il passait au moins la moitié de son temps sur un quart de travail. Pendant toute cette période de temps, ils partageaient une cabine étroite dont le passage mesure à peine trois pieds de large par environ douze pieds de long.
[6] Dans cette cabine se trouvent les panneaux de contrôle de la machine, le poinçon automatique, les ordinateurs etc. Tous les travailleurs ayant accès à cet endroit peuvent se servir d'un haut-parleur et d'un téléphone, de même que d'une fontaine. De plus, ils peuvent utiliser des tasses pour le café et disposent d'un frigo pour leurs pauses ou leur lunch.
[7] Il a également été établi que les travailleurs peuvent faire ou recevoir plusieurs communications par jour puisqu'ils sont en contact constant avec l'opérateur de l'engin, celui du pont roulant, le contremaître de même que les mécaniciens puisqu'il s'agit là d'une machine importante dans l'usine. Monsieur Blanchette a également déclaré à l'audience que monsieur Martin, l'opérateur du pont roulant, était avec lui la plupart du temps, soit plus de temps qu'avec tout autre travailleur. D'ailleurs, ils étaient tous deux toujours sur le même quart de travail.
[8] Le 20 mai 1998, monsieur Martin a été hospitalisé pour une tuberculose pulmonaire. La Régie régionale de la santé et des services sociaux a immédiatement été informée de ce cas puisque la tuberculose étant une maladie contagieuse, on a dû établir les contacts étroits de monsieur Martin pour leur demander de passer un test au CLSC et les référer au besoin à leur médecin pour une radiographie pulmonaire et une évaluation médicale. C'est ce qui ressort notamment d'une lettre écrite le 21 septembre 1999 par madame Danielle Meilleur, infirmière intervenante en santé publique.
[9] C'est ainsi que le 16 juin 1998, le docteur Serge Savard diagnostique une tuberculose par contact au travail à monsieur Blanchette. D'ailleurs, dans une lettre écrite le 19 novembre 1999, le docteur Savard rapporte notamment que monsieur Blanchette est son patient depuis 1985 et qu'il n'a aucun antécédent infectieux ni de tuberculose. Il ajoute que monsieur Blanchette a eu la confirmation d'une tuberculose avec un PPD (réaction positive à la tuberculine) à 20 mm, le 8 juin 1998.
[10] Le 17 juin 1998, le docteur Claude Gauthier rédige un rapport à la CSST dans lequel il parle de contact avec la tuberculose et diagnostique une tuberculose active bien que monsieur Blanchette puisse travailler.
[11] Dans une lettre envoyée à la Commission des lésions professionnelles le 26 avril 2000, le docteur Savard précise que la réaction positive au PPD a confirmé un diagnostic de tuberculose-infection bien que le patient n'ait pas développé de lésion pulmonaire. De plus, il note que monsieur Blanchette a reçu un traitement à la rifampicine à 300 mg par jour pendant un an. Le docteur Savard rappelle enfin qu'il n'y a aucune condition personnelle chez son patient qui pourrait être à risque de développer une infection à la tuberculose. Il ajoute enfin que le traitement du patient est terminé et que les contrôles biochimiques qui ont eu lieu tout au cours du traitement n'ont rapporté aucune modification significative.
[12] Le 4 octobre 1999, le docteur John W. Osterman, médecin spécialiste en santé communautaire et en santé au travail, rédige une expertise médicale à la demande de l'employeur à partir des éléments contenus au dossier de monsieur Blanchette et sans examiner ce dernier.
[13] Dans son rapport, le docteur Osterman émet l'opinion que monsieur Blanchette n'est pas atteint de la maladie de la tuberculose et retient comme seul diagnostic une réaction positive à la tuberculine (PPD).
[14] Cependant, comme son expertise est basée sur un ensemble de faits qui ne sont pas conformes à la réalité vécue par monsieur Blanchette en juin 1998, le représentant de l'employeur a proposé de ne pas retenir cette opinion du docteur Osterman.
[15] L'employeur a cependant déposé de la littérature médicale dont des extraits du Manuel Merck[1]. À la page 124 de ce document, on décrit la tuberculose (TB) comme étant :
«Une infection chronique, récurante plus fréquente au niveau des poumons, mais tout organe peut être atteint. Une fois l'infection établie (avec positivation du test intradermique à la tuberculine), la TB clinique peut se développer en quelques mois, ou peut être retardée pendant des années ou même des décennie.»
[16] Plus loin à la page 125 du document, on décrit trois stades de la tuberculose soit : 1) l'infection initiale ou primaire; 2) l'infection dormante ou latente; 3) la recrudescence du type adulte de la tuberculose. À la page 127, on rapporte que le test intradermique à la tuberculine, bien que loin d'être décisif, est un point utile au diagnostic. Ainsi, une induration de plus ou moins dix millimètres est en faveur d'une infection par «M. tuberculosis».
[17] Des extraits du Larousse Médical (édition 1995), également déposés par le représentant de l'employeur, rapportent, à la page 1065 que la recherche de la sensibilité à la tuberculine permet de déterminer si un sujet a déjà été en contact avec le bacilles de Koch, soit spontanément (primo-infection, soit après vaccination par le B.C.G. (une réaction positive témoigne alors de son succès). Plus loin, on peut lire :
«Le premier contact avec le bacille déclenche une affection appelée primo-infection tuberculeuse. Il se forme d'abord un petit foyer tuberculeux (chancre tuberculeux), le plus souvent dans les poumons. En général, le patient ne ressent encore aucun symptôme. La primo-infection se manifeste uniquement par un virage des tests cutanés à la tuberculine(intradermoréaction) : ils deviennent positifs, la peau réagissant à la présence de tuberculine (apparition d'une petite papule sous-cutanée). Dans 90 % des cas, la primo-infection guérit définitivement et spontanément, ne laissant qu'une cicatrice anodine, signalée sur les radiographies thoraciques par une petite calcification dans un poumon ou un ganglion voisin.
Dans 5 % des cas, le bacille se dissémine par voie sanguine et est à l'origine de foyers infectieux qui peuvent rester latents plusieurs années puis, à l'occasion d'une immunodéficience, passagère ou non, se réactiver. (…)»
[18] Toujours selon le Larousse Médical, à la page 1065, la contamination se fait par l'intermédiaire des gouttelettes de salive contenant le bacille, propulsées lorsque le malade parle, éternue ou tousse.
[19] La preuve est à l'effet également que la tuberculose diagnostiquée chez le travailleur contagieux était très active, susceptible de se transmettre aux personnes proches, et ce, dans la mesure où la preuve est également à l'effet que les jours précédant son hospitalisation, il toussait beaucoup. Or, la veille de son arrêt de travail, monsieur Martin a été en contact étroit avec monsieur Blanchette.
L'AVIS DES MEMBRES
[20] Le membre issu des associations d'employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous deux d'avis que la tuberculose contractée par monsieur Jean-Guy Blanchette constitue une maladie professionnelle dans la mesure où même au stade de l'infection initiale ou primaire ou encore dormante ou latente, la maladie constitue néanmoins une tuberculose. De plus, la preuve médicale milite en faveur de la reconnaissance de cette maladie.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[21] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la tuberculose diagnostiquée le 16 juin 1998, à monsieur Blanchette, constitue une lésion professionnelle.
[22]
La lésion professionnelle et la maladie professionnelle sont toutes
deux définies à l'article
2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :
«lésion professionnelle» : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation.
«maladie professionnelle» : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail ;
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1985, c. 6. a. 2; 1997, c. 27, a. 1.
[23]
Le législateur a également retenu une présomption de maladie professionnelle
lorsque les conditions prévues à l'article
29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.
Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.
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1985, c. 6, a. 29.
[24] Quant à l'annexe I à laquelle réfère l'article 29, elle est composée de cinq sections. La section II concerne les maladies causées par des agents infectieux où l'on retrouve spécifiquement la tuberculose. La section V concerne les maladies pulmonaires causées par des poussières organiques et inorganiques. Cette dernière section ne réfère pas spécifiquement à la tuberculose. De plus, rien dans le dossier sous étude permet de conclure que la tuberculose diagnostiquée à monsieur Blanchette en juin 1998 en soit une spécifiquement pulmonaire. Ainsi, la Commission des lésions professionnelles est d'avis que cette section ne s'applique pas au cas sous étude et que partant, c'est à juste titre que la CSST n'a pas enclenché le processus visant à demander l'avis du comité des maladies professionnelles pulmonaires.
[25] Suivant la section II, la tuberculose est présumée constituer une maladie professionnelle si le travailleur démontre avoir exercé:
«un travail impliquant des contacts avec des humains, des animaux, des produits humains ou animaux ou d'autres substances contaminées.»
[26] Dans un premier temps, la Commission des lésions professionnelles rappelle que le seul diagnostic présent au dossier de monsieur Blanchette en est un de tuberculose et que ce diagnostic n'a jamais été remis en cause par le processus d'évaluation médicale tel que prévu à la loi. Il lie donc le présent tribunal et ne saurait être remis en cause. Reste donc à examiner si cette lésion en est une professionnelle c'est-à-dire contractée par le fait ou à l'occasion du travail.
[27]
Revenant à la présomption de maladie professionnelle prévue à
l'article
[28] En effet, il a été démontré que monsieur Blanchette travaillait plusieurs heures par jour en contact étroit avec monsieur Martin, et ce, dans une cabine où ils étaient nécessairement toujours très près l'un de l'autre.
[29] De plus, la preuve est à l'effet que monsieur Martin a été hospitalisé pour une tuberculose active importante et que la veille de son hospitalisation, il a travaillé toute la journée avec monsieur Blanchette. De plus, il a été établi que les jours précédant son arrêt de travail, monsieur Martin toussait beaucoup.
[30] Or, il ressort de la preuve médicale produite à l'audience, que la contamination se fait par l'intermédiaire des gouttelettes de salives contenant le bacille, propulsées lorsque le malade parle, éternue ou tousse. Ainsi, compte tenu de la promiscuité des lieux, et du nombre important d'heures par jour passées avec monsieur Martin, il apparaît que monsieur Blanchette était tout à fait susceptible d'être contaminé.
[31] Bien sûr, il semble que monsieur Blanchette n'ait développé qu'une primo-infection. Il s'agit néanmoins, comme nous l'avons vu, d'un des stades de la tuberculose et, compte tenu de la gravité de cette maladie, les médecins de monsieur Blanchette ont choisi de lui faire prendre des médicaments pendant un an pour enrayer toute possibilité, si minime soit-elle, de propagation ou d'aggravation de l'infection. Cette précaution bien qu'il ne nous appartient pas d'en juger, était nécessaire, si on se réfère à l'extrait du Larousse médical, cité plus haut, qui parle de réactivation possible dans 5 % des cas.
[32] De plus, le docteur Savard, qui est le médecin de famille de monsieur Blanchette, certifie que depuis 1985 qu'il suit son patient, il est en mesure d'affirmer qu'il n'a aucun antécédent infectieux ni de tuberculose. Cette information est également reprise par madame Meilleur de la Régie régionale de la santé et des services sociaux, dans sa lettre du 21 septembre 1999.
[33] La Commission des lésions professionnelles ne retient pas l'argument du représentant de l'employeur quand il prétend que comme monsieur Blanchette, parmi toutes les personnes ayant côtoyé monsieur Martin, est le seul à avoir contracté la tuberculose, il est peu probable qu'il ait été contaminé par ce dernier. En effet, d'une part il a été démontré que monsieur Blanchette est de loin celui qui a côtoyé le plus monsieur Martin au travail durant la période critique.
[34] D'autre part, même si monsieur Blanchette est le seul à avoir contracté le virus, la Commission des lésions professionnelles est d'avis que la preuve prépondérante, dans les circonstances du présent dossier, est à l'effet qu'il a contracté cette lésion au travail, au contact de monsieur Martin.
[35] Qu'il suffise de rappeler, outre la preuve factuelle, les opinions non contredites, puisque l'expertise du docteur Osterman a été écartée pour d'autres raisons, des docteurs Savard et Gauthier et de l'intervenante de la Régie régionale de la santé et des services sociaux, Direction de la Santé publique.
[36]
Enfin, bien que la présomption de maladie professionnelle
prévue à l'article
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête déposée le 22 juin 1999 par monsieur Jean-Guy Blanchette à la Commission des lésions professionnelles;
INFIRME la décision rendue le 8 juin 1999 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d'une révision administrative;
DÉCLARE que le 16 juin 1998, monsieur Jean-Guy Blanchette a subi une lésion professionnelle.
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Me Hélène Marchand |
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Commissaire |
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Monsieur Robert Bernier Syndicat des Métallos (Local 6586) 600, rue Charron, case postale 610 Contrecoeur (Québec)
J0L 1C0 |
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Représentant de la partie requérante |
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Monsieur Jean Hébert Ispat-Sidbec inc. 3900, route des Acieries, case postale 1000 Contrecoeur (Québec)
J0L 1C0 |
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Représentant de la partie intéressée |
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