DÉCISION
[1] Le 3 juillet 2001, monsieur Daniel Marin (le travailleur) par l’intermédiaire de sa représentante, dépose une requête en révision en vertu de l’article 429 ,56 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) à l’encontre d’une décision rendue le 18 mai 2001 par la Commission des lésions professionnelles.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles déclare irrecevable la requête en révision en vertu de l’article 429,56 de la loi présentée le 3 octobre 2000 à l’encontre d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 28 janvier 2000. Par cette dernière décision, la Commission des lésions professionnelles déclarait que le travailleur avait été congédié le 26 octobre 1998 pour une cause juste et suffisante.
[3] A l’audience tenue devant les membres de la Commission des lésions professionnelles, le travailleur était présent et représenté. Compagnie de Chemin de fer St-Laurent et Hudson (l’employeur) était également représentée.
QUESTION PRÉLIMINAIRE
[4] L’employeur présente une requête en irrecevabilité à l’encontre de la requête en révision au motif qu’il s’agit d’une deuxième requête en révision et que le contexte de cette deuxième requête ne contient aucune circonstance inusitée et déterminante qui pourrait exceptionnellement donner ouverture à une seconde requête. L’employeur demande donc le rejet de la requête.
[5] La Commission des lésions professionnelles a entendu les arguments de cette requête en irrecevabilité en même temps que les arguments visant le fond de la requête en révision.
L'OBJET DE LA REQUÊTE ET ARGUMENTATION DES PARTIES
[6] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser la décision qu’elle a rendue le 18 mai 2001 et de déclarer recevable sa requête en révision à l’encontre de la décision rendue le 28 janvier 2000 par la Commission des lésions professionnelles.
[7] Il importe de résumer les faits pertinents suivants avant de résumer les principaux arguments des parties.
[8] Le 8 mars 2000, le premier représentant du travailleur écrit une lettre à la Commission des lésions professionnelles dans laquelle il demande une révision en vertu de l’article 429,56 de la loi de la décision du 28 janvier 2000. Les motifs, si ce n’est une référence à l’article 429,56 alinéa 1, ne sont pas énumérés. Le représentant termine en affirmant qu’une argumentation écrite suivra.
[9] Le 14 mars 2000, la Commission des lésions professionnelles écrit au représentant du travailleur pour l’aviser que l’article 429,57 de la loi exige que la requête contienne un exposé des motifs et que la lettre du 8 mars 2000 ne répond pas à ces exigences.
[10] Le 3 octobre 2000, Me Gagnon, la nouvelle et actuelle représentante du travailleur écrit à la Commission des lésions professionnelles pour l’informer qu’elle a reçu mandat de représenter monsieur Marin et elle joint les motifs de la requête en révision.
[11] Le 19 octobre 2000, l’employeur écrit à la Commission des lésions professionnelles pour lui demander de déclarer la requête irrecevable parce que présentée à l’expiration du délai de 45 jours requis pour loger valablement une requête en révision.
[12] Le 5 mars 2001, la Commission des lésions professionnelles entend les parties et rend sa décision le 18 mai 2001. Elle déclare que la requête est présentée en dehors du délai et les motifs présentés par le travailleur pour expliquer ce délai ne peuvent être qualifiés de raisonnables. La Commission des lésions professionnelles déclare donc la requête irrecevable.
[13] Le 3 juillet 2001, Me Gagnon demande la révision de cette décision à l’origine du présent litige.
[14] La représentante du travailleur demande au tribunal de considérer qu’il s’agit d’une première requête en révision compte tenu que la décision sur laquelle on demande la révision porte sur le délai et qu’il s’agit d’une première demande de révision sur cette question. La requête porte sur un objet différent de celle présentée antérieurement et pour laquelle il n’y a jamais eu de décision portant sur la révision, considérant que la Commission des lésions professionnelles la jugeait irrecevable.
[15] Dans les motifs exposés au soutien de sa requête du 3 juillet 2001, elle invoque le dernier alinéa de l’article 429,56, soit que cette décision est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider.
[16] Elle n’a rien à reprocher à la commissaire quant à l’historique des faits et des procédures tels que rapportés aux paragraphes 28 à 33 de la décision. Quant au motif invoqué par le travailleur pour être relevé de son défaut, soit la faute de son représentant, il est conforme à ce que le travailleur avait allégué, si ce n’est qu’il n’avait pas invoqué l’erreur de l’ensemble des représentants qu’il a consultés mais seulement du premier représentant, contrairement à ce qui est allégué au paragraphe 33 de la décision.
[17] Quant aux principes juridiques invoqués, la représentante du travailleur n’a pas plus non de reproches à faire à la commissaire sur cette question.
[18] Les griefs se situent plutôt aux paragraphes 38, 39 et suivants de la décision. Selon la représentante du travailleur, les conclusions tirées à partir de la preuve présentée sont irrationnelles.
[19] Entre le mois d’avril 2000 et le mois d’octobre 2000, le travailleur a consulté plusieurs professionnels sans succès jusqu’à ce qu’il trouve sa représentante actuelle. La preuve démontre qu’il n’a pas été négligent mais plutôt qu’il a fait preuve de diligence. On ne peut conclure qu’il a abandonné ou qu’il s’est désintéressé de son dossier puisqu’il a consulté quatre professionnels. La commissaire reproche au travailleur de ne pas avoir contacté la Commission des lésions professionnelles pour s’enquérir de la procédure de révision étant donné qu’il savait qu’il y avait un problème avec son dossier. La représentante du travailleur considère cette conclusion déraisonnable. Le travailleur a fait mieux que de téléphoner à un agent de bureau du tribunal mais a choisi de consulter quatre professionnels, ce qui ne peut être jugé moins approprié que d’appeler un préposé aux renseignements.
[20] La représentante du travailleur invoque que l’interprétation de la preuve qui a été faite est déraisonnable, ce qui justifie la révision.
[21] La représentante de l’employeur soutient que malgré que la matière soit différente, on ne peut conclure à une première requête en révision. Il s’agit bel et bien, selon elle, d’une deuxième requête en révision.
[22] Elle invoque la jurisprudence développée par la Commission des lésions professionnelles dans ces situations. Dans l’affaire Industries Cedan et CSST-Montérégie[2] il s’agissait d’une deuxième requête en révision à l’encontre d’une décision qui refusait une première fois de réviser. Le commissaire faisait la remarque suivante :
« [20] La Commission des lésions professionnelles tient à souligner qu’une requête en révision ne constitue pas un processus de contestation en plusieurs tomes ni que l’on peut multiplier les requêtes autant de fois qu’on le juge à propos en invoquant à chaque fois un nouvel argument présenté sous une autre forme.
[22] Lorsqu’une décision fait l’objet d’un recours en révision, il faut être en mesure de démontrer clairement l’erreur que comportait la première décision en révision avant de s’aventurer sur le terrain d’une autre requête.
[23] Autrement on peut multiplier à l’infini le nombre de requêtes espérant peut-être qu’à l’usure on finira par avoir raison. »
[23] Et dans la cause Zoom réseau affichage intérieur et Commission de la santé et de la sécurité du travail[3],la Commission des lésions professionnelles faisait le commentaire suivant dans le cas d’une troisième requête en révision alors que la première requête avait été accueillie et la deuxième refusée :
« [21] D’abord, il faut revenir à l’expression utilisée par le juge Mc Ruer, qui prend la précaution d’utiliser le superlatif, -the most unusual circumstances- lorsqu’il veut qualifier le type de circonstances pouvant donner ouverture à une requête multiple en révision d’une décision de révision. À cet égard, la traduction de cette expression par celle de circonstances exceptionnelles pourrait mal rendre le sens donné par le savant juge, l’expression française de circonstances inusitées (utilisée par le commissaire dans la cause précitée de Gagnon) reflétant mieux la réalité que semble avoir voulu couvrir le juge Mc Ruer.
[22] Il faut en conséquence se demander si la requête multiple en révision d’une décision de révision, invoque une circonstance qui soit inusitée en regard même des motifs donnant ouverture à la requête prévue à l’article 429,56 de la loi, sans quoi son caractère n’aurait finalement rien de vraiment inusité. »
[24] La représentante de l’employeur allègue que ces principes s’appliquent au présent cas et que l’analyse du contexte ne révèle aucune circonstance pouvant être qualifiée d’inusitée. Il y a donc lieu de rejeter la requête.
[25] Concernant les motifs invoqués par la représentante du travailleur au soutien de sa requête, la représentante de l’employeur rétorque que la décision ne manque pas de rationalité et est fondée sur la preuve, sans aucune erreur. La conclusion n’est pas manifestement déraisonnable comme le prétend la représentante du travailleur.
[26] La commissaire devait analyser le comportement du travailleur pour savoir si elle pouvait le relever des conséquences de son défaut puisque l’erreur du représentant n’est pas suffisante. Encore faut-il démontrer que le travailleur lui-même a fait preuve de diligence. L’appréciation de la preuve a conduit la commissaire à conclure que le travailleur n’avait pas fait preuve de diligence. Il s’agit de son appréciation de la preuve, laquelle ne peut donner lieu à révision.
[27] La commissaire tient compte du laps de temps qui s’est écoulé et arrive à la conclusion que le travailleur n’a pas fait preuve de diligence dans le contexte. Il n’y a donc aucune erreur donnant ouverture à la révision.
L'AVIS DES MEMBRES
[28] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont tous les deux d’avis de rejeter la requête en irrecevabilité présentée par l’employeur. Le contexte de la présente affaire est bien distinct de celui qui était présent dans les décisions invoquées par l’employeur. En l’espèce, il s’agit d’une première décision sur la question du délai et il faut interpréter la requête en révision comme étant la première, car elle ne réitère en aucun point les motifs de la précédente qui n’a jamais donné lieu à une décision.
[29] Toutefois, sur le fond de la requête, ils sont aussi d’avis de la rejeter car aucun vice de fond n’a été démontré. L’appréciation de la preuve n’est pas déraisonnable et irrationnelle au point de donner ouverture à la révision. Dans la mesure où le délai était long, même entre les consultations des professionnels, il n’était pas déraisonnable de conclure à l’absence de motifs raisonnables. Cette décision n’est pas révisable.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[30] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si elle accueille la requête en irrecevabilité présentée par l’employeur et dans l’éventualité où elle rejette cette requête, elle devra déterminer s’il y a lieu de réviser la décision rendue le 18 mai 2001 par la Commission des lésions professionnelles.
[31] Après étude des motifs soumis par les parties, la Commission des lésions professionnelles est d’avis de rejeter la requête en irrecevabilité présentée par l’employeur pour les motifs qui suivent.
[32] La présente situation est bien différente des circonstances invoquées dans les décisions de la Commission des lésions professionnelles alléguées par l’employeur. Dans la cause Industries Cedan précitée, il s’agissait d’une deuxième requête en révision toujours pour les mêmes motifs. Pour être encore plus clair, une première décision avait été rendue par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) le 27 juin 1997, refusant de donner raison à l’employeur. Ce dernier présente une requête en révision pour cause et la Commission des lésions professionnelles refuse, dans sa décision du 11 juin 1998, de réviser. L’employeur présente une deuxième requête le 24 juillet 1998 en demandant la révision. La CSST, qui était intervenue au dossier, présente une requête en irrecevabilité à l’encontre de la deuxième requête. C’est dans ce contexte que le commissaire, saisi de la deuxième requête, écrit que le recours en révision n’est pas un processus de contestation en plusieurs tomes. Toutefois, il est intéressant de constater que malgré qu’il rejette la deuxième requête, il ne conclut pas à son irrecevabilité. Il conclut plutôt que l’employeur devait être en mesure de démontrer clairement l’erreur dans le cas d’une deuxième requête, ce qu’il n’avait pas fait.
[33] Quant à la décision Zoom réseau affichage intérieur, précitée, il s’agissait d’une troisième requête portant toujours sur le même débat ou la même question, c’est-à-dire décider s’il y avait lieu de réviser ou non la décision rendue par la Commission d’appel le 21 octobre 1997. De toute évidence, il s’agissait du même débat présenté pour la troisième fois à la Commission d’appel et ensuite à la Commission des lésions professionnelles et toujours introduit par une requête en révision. C’est dans ce contexte que la commissaire a accueilli la requête en irrecevabilité présentée au motif qu’il n’y avait pas de circonstances inusitées permettant les requêtes multiples.
[34] Dans le présent cas, il n’y a jamais eu de décision de la Commission des lésions professionnelles concernant la question de savoir s’il y avait lieu de réviser ou non la décision du 28 janvier 2000 pour la simple et bonne raison que la Commission des lésions professionnelles, saisie de la question, a décidé, le 18 mai 2001, que cette requête en révision était irrecevable parce que présentée en dehors du délai prévu à l’article 429,57 de la loi et en raison de l’absence de motif raisonnable. Et c’est de cette décision, concluant à l’absence de motif raisonnable, dont la représentante du travailleur demande la révision le 3 juillet 2001. L’objet de sa requête diffère en tous points de celle qu’elle avait présentée le 3 octobre 2000.
[35] Dans le contexte, on ne peut conclure être en présence de requêtes multiples comme c’était le cas dans les décisions précitées analysées.
[36] Il y a lieu maintenant de déterminer si la Commission des lésions professionnelles peut réviser la décision rendue le 18 mai 2001.
[37] Après appréciation des arguments soumis, la Commission des lésions professionnelles est d’avis de ne pas réviser pour les motifs qui suivent.
[38] Dans le présent cas, étant donné qu’il existe un délai de presque six mois entre le moment où le travailleur a été avisé par son représentant que la Commission des lésions professionnelles ne recevait pas sa requête en raison de l’absence de motifs invoqués à son soutien et le dépôt de la requête, la question du délai était pertinente. Dans le contexte, il était pertinent d’examiner la situation sous l’angle du hors-délai et de voir si le travailleur avait présenté des motifs raisonnables.
[39] Le motif de révision présenté par la représentante du travailleur est que l’analyse de la preuve ou l’appréciation est déraisonnable et irrationnelle. Une telle erreur dans l’appréciation de la preuve peut donner ouverture à la révision. La soussignée souscrit à cette affirmation et constate que des décisions ont accueilli des requêtes en révision sur cette base[4].
[40] Toutefois, la soussignée est d’avis que tel n’est pas le cas. Il n’y a pas d’erreur dans l’appréciation de la preuve.
[41] L’appréciation n’est pas irrationnelle, s’appuie sur la preuve et n’apparaît nullement arbitraire.
[42] Selon la représentante du travailleur, à partir du moment où le travailleur a expliqué avoir consulté quatre professionnels entre le mois d’avril 2000 et le mois d’octobre 2000, il a démontré être diligent et c’est à cette conclusion qu’aurait dû arriver la commissaire. Toutefois, tel que soulevé à juste titre par la représentante de l’employeur, il y a, malgré ces autres consultations, un délai important entre chacune de ces consultations. Au mois de juin 2000, Me Lacoursière informe le travailleur qu’il devrait plutôt présenter une requête en révision judiciaire mais l’informe qu’il ne pourra le représenter. Le 15 juillet, il rencontre un représentant à qui il ne donne pas de mandat en raison des honoraires trop élevés. C’est 60 jours plus tard, le 14 septembre 2000, qu’il communique avec la FATA, lequel organisme le réfère à Me Gagnon qui accepte de le représenter. Durant ces 60 jours, le travailleur avait communiqué avec un représentant qu’il connaît mais qui a refusé de le représenter en raison du délai expiré.
[43] Il est intéressant de rappeler que le délai imparti pour demander la révision est de 45 jours, tel que déterminé dans l’affaire Moshin[5]. En l’espèce, même s’il est vrai que le travailleur a fait plusieurs démarches pour se trouver quelqu’un qui accepte de le représenter, il s’est écoulé presque six mois entre le mois d’avril 2000 et le mois d’octobre 2000, soit quatre fois le délai légal de 45 jours. Et même en analysant le délai à partir du moment où il a appris par Me Lacoursière, le 20 juin 2000, que sa requête était hors-délai, il s’est écoulé plus de trois mois avant le dépôt de la requête, soit deux fois le délai de 45 jours imparti par la loi.
[44] C’est dans ce contexte que la Commission des lésions professionnelles conclut que le travailleur n’a pas démontré avoir été diligent. Il convient de reproduire les motifs de la décision qui se lisent comme suit :
« [38] Il est vrai que le travailleur a consulté une multitude de professionnels pour avoir leurs avis mais cela ne signifie pas qu’il a été diligent dans la poursuite de son dossier. Il savait depuis au moins le 20 juin 2000, date de la rencontre avec Me Lacoursière, qu’il était hors-délai pour demander la révision mais ce n’est que le 3 octobre 2000 que la requête est finalement déposée, trois mois plus tard.
[39] Le travailleur n’a pas fait preuve de diligence. Le temps qu’il a mis à se trouver un procureur consentant à le représenter, démontre une certaine insouciance à l’égard de son dossier. Le travailleur n’était certes pas décidé s’il devait poursuivre sans ses démarches ou accepter la décision. »
[45] La représentante du travailleur est en désaccord avec l’interprétation de la preuve qui a été faite par la commissaire mais ce seul motif ne peut donner ouverture à la révision dans la mesure où la conclusion n’apparaît pas irrationnelle et est fondée sur la preuve présentée et en appliquant les bonne règles de droit.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête en irrecevabilité présentée par l’employeur, Compagnie de Chemin de fer St-Laurent et Hudson ;
REJETTE la requête en révision présentée par le travailleur, monsieur Daniel Marin.
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Me Anne Vaillancourt |
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Commissaire |
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FASKEN, MARTINEAU, DUMOULIN, AVOCATS (Me Jean Yoon) |
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Représentant de la partie requérante |
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OUELLET, NADON & ASSOCIÉS (Me Annie Gagnon) |
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Représentante de la partie intéressée |
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AVIS :
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