Charette c. Commission des lésions professionnelles |
2008 QCCS 2393 |
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JL1086 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
LABELLE |
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N° : |
560-17-000885-076 |
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DATE : |
6 JUIN 2008 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
LOUIS-PHILIPPE LANDRY, J.C.S. |
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SERGE CHARETTE |
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Demandeur |
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c. |
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LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES |
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Défenderesse Et LA COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL |
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ET TRANSPORT GUY PICHÉ 1984 INC. Mis en cause |
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JUGEMENT |
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[1] Il s'agit d'une demande de révision de deux décisions de la défenderesse en date des 5 avril et 23 octobre 2007. Ces décisions donnent suite au rapport final du médecin choisi par le demandeur et qui en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] doit être considéré comme le médecin ayant la charge du dossier
[2] Le médecin en charge du dossier a, en décembre 2000, consolidé au sens de la Loi les séquelles d'un accident de travail survenu en janvier 2000. Le demandeur a par la suite subi une aggravation de sa condition et cette aggravation a été constatée dans une décision de la Commission des lésions professionnelles (CLP) en date du 13 juillet 2004. Le demandeur soutient que son médecin traitant n'a pas procédé à une nouvelle évaluation de sa condition suite à sa rechute. Le demandeur estime que le médecin traitant dans son rapport final ne tient pas compte de cette rechute ou aggravation.
[3] Vu le refus du médecin traitant de produire une nouvelle évaluation, le demandeur s'est adressé à un autre orthopédiste et il a produit un nouveau rapport d'évaluation. La CLP a refusé de tenir compte de ce dernier rapport au motif qu'elle était lié par le rapport du médecin en charge du dossier.
[4] Le demandeur soutient que dans les circonstances, le refus de la CLP de tenir compte de ce nouveau rapport d'évaluation constitue une décision déraisonnable.
LES FAITS
[5] Le 3 janvier 2000, le demandeur, à l'emploi de la mis en cause Transport Guy Piché à titre de chauffeur de camion, a été victime d'un accident de travail. Il a alors subi une entorse cervicale.
[6] Le 13 décembre 2000, le Dr. Maurais, le médecin traitant choisi par le demandeur , évalue le déficit anatomo-physiologique à 2% et il indique le type d'emploi que pourra occuper le demandeur. À cette date on estime que la situation du demandeur est consolidé et que son incapacité n'est pas sujette à une progression suite à l'accident . Des mesures de ré-adaptation sont alors entreprises dans le cadre de la Loi. et en juin 2001 on détermine que le demandeur peut occuper un emploi de répartiteur.
[7] En janvier 2002 le Dr. Maurais requiert d'autres examens afin d'identifier les causes de la persistances de symptômes chez le demandeur. Suite à ces examens le demandeur invoque une rechute ou une aggravation de sa lésion professionnelle. Le 13 juillet 2004 la CLP reconnaît l'aggravation.
[8] Dans sa décision du 13 juillet 2004 la CLP note dans un obiter ce qui suit aux paragraphes 98 à 100 de la décision :
''[98] Par sa contestation, le travailleur désire obtenir une modification de son plan individualisé de réadaptation professionnelle. Pourtant, ce plan est complété et terminé depuis le mois de juin 2001. Il ne peut donc plus être modifié aujourd’hui.
[99] La Commission des lésions professionnelles constate, par contre, qu’en raison de son mauvais état de santé actuel, le travailleur ne peut pas exercer à plein temps l’emploi convenable identifié dans la décision du 29 juin 2001. La preuve à ce sujet est claire, concluante et non contredite. Maintenir le travailleur dans cet emploi paraît manifestement irréaliste.
[100] Compte tenu de l’aggravation de sa lésion cervicale, le travailleur doit faire l’objet d’une nouvelle évaluation de son déficit anatomo-physiologique et de ses limitations fonctionnelles. Lorsque son médecin procédera à cette évaluation et fera connaître ses conclusions, le travailleur pourra demander une révision de son dossier par la CSST. Il obtiendra alors un réexamen de sa capacité de travailler et, le cas échéant, la mise en oeuvre d’un nouveau plan de réadaptation qui lui permettra de s’orienter vers un emploi convenable adapté à sa capacité résiduelle.
[101] Il pourrait avoir droit, entre temps, à l’indemnité de remplacement du revenu prévue à la LATMP.''
[9] Cette décision rejette la demande de reconsidérer le plan de ré-adaptation au motif que la demande a été formulée hors délai. Cependant le tribunal constate alors qu'une preuve '' claire, concluante et non contredite'' révèle qu'en fait le demandeur n'est plus apte à occuper l'emploi de répartiteur en raison de l'aggravation des séquelles de l'accident de janvier 2000.
[10] Suite à cette décision il était donc essentiel que le demandeur obtienne une nouvelle évaluation de sa situation en regard de l'aggravation de sa condition telle que constatée par la décision de juillet 2004.
[11] Depuis 2001 le Dr. Murais, orthopédiste a continué de faire le suivi médical du demandeur. Le demandeur a continué de le considérer comme le médecin traitant au sens de la Loi. Le 5 avril 2006 Mme Neveu de la CSST s'est entretenu avec le Dr. Maurais. Dans une note (P-5) elle résume cet entretien comme suit:
''Un bilan a donc été effectué le 5 avril 2006 par notre bureau médical avec Dr. Maurais. Dr. Maurais maintient que lors de l'événement du 3 janvier 2000, le T s'était infligé une entorse cervicale consolidée en décembre 2000 et il avait mis les limitations fonctionnelles. Il informe le bureau médical qu'il a continué à suivre monsieur Charrette depuis ce temps en relation avec une dégénérescence du rachis cervical et non en relation avec l'entorse cervicale de 2000. Il est clair pour lui que monsieur Charrette est toujours consolidé. Compte tenu de la RRA de 2002, il reverra le T en mai et consolidera avec un diagnostic d'entorse cervicale en mettant les mêmes limitations que lors du dernier REM''
[12] Le 16 mai 2006 le Dr. Maurais a revu le demandeur et il a effectivement dans un rapport ''final'' référé à son rapport de décembre 2000. Ce document est un formulaire où le médecin a coché quelques cases pré-imprimées et où il indique ''entorse cervicale'' comme lésion professionnelle suite à l'accident de janvier 2000. À la question relative aux limitations fonctionnelles le Dr. Maurais inscrit ''idem'' sans doute en voulant référer à son rapport de décembre 2000. (P-4) Ce rapport se réfère donc a celui complété en décembre 2000. À la lecture de ce rapport fort laconique et de la note de Mme Neveu, il appert que le Dr. Maurais ne semble pas retenir l'aggravation reconnue par la CLP dans la décision précitée.
[13] Le médecin de famille du demandeur le Dr. Dubé avait produit en novembre 2005 un rapport dans lequel il note que le demandeur ''accuse maintenant des limitations fonctionnelles plus importantes que celles décrites'' en décembre 2000. (P-4) Mme Neveu dans la note précitée fait état de cette note du Dr. Dubé. Mme Neveu note cependant que même si le Dr. Dubé voit le demandeur régulièrement, le demandeur lui a indiqué que ''le grand chef', dans son dossier est le Dr. Maurais. Le Dr. Maurais suite au choix indiqué par le demandeur est donc le médecin en charge du dossier au sens de la Loi et comme nous le verrons plus loin c'est en principe son opinion qui doit prévaloir
[14] Le demandeur a tenté sans succès d'obtenir du Dr. Maurais un rapport d'évaluation .qui tiendrait compte de l'aggravation constatée par la décision du 14 juillet 2004. Devant le refus du Dr. Maurais de procéder à une nouvelle évaluation, le demandeur s'est adressé à un autre orthopédiste, le Dr.Bertrand. Le Dr. Bertrand a procédé à une évaluation et son rapport en date du 29 août 2006 a été produit .
[15] La CLP a refusé de tenir compte de ce rapport au motif qu'elle était liée par le rapport du Dr. Maurais en date du 16 mai 2006 puisque le demandeur avait indiqué préalablement que le médecin en charge du dossier au sens de la Loi était le Dr. Maurais.
[16] Le résultat pour le demandeur est donc le suivant.; L'évaluation du Dr. Maurais de décembre 2000 et la décision de juin 2001 à l'effet qu'il est apte à occuper un emploi de répartiteur est maintenu et ce même si la CLP dans la décision de juillet 2004 constatait en regard de la preuve qu'il était irréaliste de vouloir maintenir le demandeur dans un tel emploi.
[17] Les décisions
[18] Le 2 août 2006 la direction de la révision administrative de la CSST rendait une décision confirmant que le demandeur était apte à occuper l'emploi déjà déterminé de répartiteur. Cette décision note que suite aux indications du demandeur la CSST retient l'opinion du Dr. Maurais puisqu'il est le médecin traitant désigné par le demandeur. La décision réfère au rapport du Dr. Dubé mentionné plus haut mais elle n'en tient pas compte puisque c'est l'avis du Dr. Maurais qui doit primer.
[19] Cette décision réfère aux notes évolutives du dossier. Ces notes contiennent ce qui suit quant à l'opinion du Dr. Maurais telle qu'exprimée au Dr. Allard de la CSST:
''Après avoir obtenu l'information de qui le travailleur considère le médecin qui a charge de son dossier, le Dr. Allard du service conseil de la CSST procède donc à un bilan avec le docteur Maurais le 5 avtril 2006. Nous retrouvons aux notes évolutives de la CSST l'information à l'effet que selon lui, il a toujours été dans le même état, accusant symptomatologie en relation avec une dégénérescence du rachis cervical et non en relation avec l'entorse cervicale de 2000. Il est clair pour lui que M. Charrette est toujours consolidé. Compte tenu qu'une RRA a été acceptée, le Dr. Maurais va revoir M. Charrette en mai et va consolider cette RRA avec un diagnostic d'entorse cervicale en mettant les mêmes limitations fonctionnelles que lors du dernier REM''…
[20] Cette décision du 2 août 2006 a fait l'objet d'une révision par la CLP en date du 5 avril 2007. La décision de la CLP énonce que suivant la Loi les conclusions du Dr. Maurais lient le tribunal:
''Les conclusions du médecin qui a charge lient le tribunal aux fins de rendre sa décision en regard du présent litige. Or selon ce médecin la lésion professionnelle subie par monsieur Charrette le 13 janvier 2002 n'entraîne pas de nouvelles limitations fonctionnelles ni d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique. Monsieur Charrette est donc capable d'exercer l'emploi convenable de répartiteur préalablement déterminé.''…
[21] La décision du 5 avril 2007 énonce également que le Dr. Maurais n'entend pas produire un Rapport d'évaluation médicale (REM).C'est donc dire que la décision de la CLP est fondé sur le ''Rapport final'' du 16 mai 2006. Il convient de souligner que le Dr. Maurais n'affirme pas dans ce rapport ''que la lésion professionnelle subie par monsieur Charrette le 13 janvier 2002 n'entraîne pas de nouvelles limitations fonctionnelles''. En fait le Dr. Maurias ne réfère d'aucune manière dans son rapport à la récidive, rechute ou aggravation (RRA) constatée par la décision de juillet 2004. L'événement auquel réfère le rapport du Dr. Maurais porte la date de janvier 2000 et non la date de janvier 2002 soit le moment de l'aggravation .
[22] La décision du 5 avril 2007 ne tient pas compte non plus de la décision de juillet 2004 qui constatait qu'il était irréaliste de vouloir contraindre le demandeur à occuper un emploi de répartiteur. Le tribunal de révision se considère non lié par cette décision de juillet 2004 qui ne constitue qu'un obiter.
[23] La décision du 5 avril 2007 a fait l'objet d'une demande de révision devant la CLP. Le 23 octobre 2007 la CLP concluait que le demandeur n'avait pu démontrer d'erreur manifeste pouvant justifier la révision de la décision du 5 avril 2007.
Le droit
[24] L'article 224 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles stipule que ''la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphe 1 à 5 du premier alinéa de l'article 212'' . Les sujets mentionnés visent la date de consolidation de la lésion, la nature, la nécessité , la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits, le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique de même que l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.
[25] La Loi définit l'expression ''lésion professionnelle'' comme suit:
''Une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation''.
Le terme ''consolidation '' est défini comme suit:
''La guérison ou la stabilisation d'une lésion professionnelle à la suite de laquelle aucune amélioration de l'état de santé du travailleur victime de cette lésion n'est prévisible''
[26] L'article 351 de la Loi énonce ce qui suit:
''La Commission rend ses décisions suivant l'équité, d'après le mérite réel et la justice du cas. Elle peut par tous les moyens légaux qu'elle juge les meilleurs, s'enquérir des matières qui lui sont attribuées.'
Discussion
[27] La problématique du présent dossier réside dans la question de savoir si le Dr. Maurais a véritablement évalué les suites de la récidive, rechute ou aggravation de janvier 2002. La décision faisant l'objet de la demande de révision prend pour acquis que le rapport final du 16 mai 2006 constitue un rapport suite à la lésion professionnelle que constituait l'aggravation de janvier 2002. Or le rapport du Dr. Maurais en date du 16 mai 2006 réfère à la lésion de janvier 2000 et non à l'aggravation de janvier 2002 constatée par la décision du 14 juillet 2004..
[28] La note de Mme Neveu mentionnée plus haut indique que le Dr. Maurais aurait indiqué au Dr. Allard que l'état du demandeur a déjà été consolidé en décembre 2000 et qu'il n'y a pas de modification dans la situation du demandeur suite à la lésion professionnelle de janvier 2000. La note de Mme Neveu indique de plus que dans ce contexte le Dr. Maurais entend consolider la récidive, rechute ou aggravation de janvier 2002 (RRA) lors de la prochaine visite de son patient en mai.
[29] En fait le Dr. Maurais dans son rapport final que la Cour a qualifié plus haut de ''laconique'' ne réfère pas à la lésion professionnelle de janvier 2002 mais plutôt à la lésion de janvier 2000. En inscrivant ''idem'' à la question des limitations fonctionnelles le Dr. Maurais réfère simplement à son rapport de décembre 2000 sans plus.
[30] Même si la CLP devait être liée par ce rapport en vertu de l'article 224 de la Loi, encore faut-il que ce rapport énonce clairement qu'il s'agit d'un rapport qui tient compte de l'aggravation de janvier 2002.
[31] L'objectif de la Loi vise à protéger les travailleurs et à leur ''assurer une indemnisation rapide, souple et équitable''[2]. Ici une décision de la CLP du 14 juillet 2004 retenait le fait qu'en janvier 2002 le demandeur avait subi une aggravation et que de plus la preuve était concluante à l'effet qu'il ne pouvait occuper l'emploi de répartiteur. La décision sous étude met de côté ce constat au motif qu'il s'agit d'un obiter qui ne lie pas le tribunal.
[32] Dans un contexte où ce même tribunal à l'obligation d'agir avec équité, il ne paraît pas raisonnable d'ignorer un tel constat alors que le ''rapport final'' sur lequel on se fonde ne semble pas conforme aux exigences de la Loi. En effet ce rapport ne traite pas à sa face même de la lésion professionnelle de janvier 2002. Pourtant c'est relativement aux conséquences de cette lésion que le rapport était exigé. De plus suivant les notes au dossier il appert que le Dr. Dumais était d'avis qu'aucun changement n'était survenu depuis sa consolidation de décembre 2000 alors qu'une aggravation avait fait l'objet d'une reconnaissance par la CLP.
[33] La CLP avait devant elle un rapport du médecin de famille du demandeur qui constate une modification des limites fonctionnelles du demandeur. Elle avait en preuve le refus du Dr. Morais de procéder à une nouvelle évaluation. Elle avait également en preuve le rapport d'une autre orthopédiste dont elle a conclu ne pouvoir tenir compte.
[34] La Cour estime que le ''Rapport final'' du Dr. Maurais ne rencontrait pas les exigences de la Loi puisqu'il ne porte pas à sa face même sur la lésion professionnelle de janvier 2002. Dans les présentes la question que devait trancher la CLP était celle de savoir qu'elles étaient les conséquences de l'aggravation de 2002. Le rapport du Dr. Maurais n'en traite pas.
[35] Tenant compte de toutes ces circonstances la Cour estime que les décisions de la CLP en date du 5 avril 2007 et du 23 octobre 2007 sont déraisonnables et doivent être cassées.
POUR CES MOTIFS LA COUR
ANNULE les décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles dans le dossier no. 297051-64-0608 le 5 avril 2007 et le 23 octobre 2007;
RETOURNE le dossier à la dite Commission des lésions professionnelles afin que la Commission en dispose suivant la loi;
Le tout avec dépens
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__________________________________ LOUIS-PHILIPPE LANDRY, J.C.S. |
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Me Me Gina Constantin |
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Procureure du demandeur |
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Me Guylaine Moffet |
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Procureure de la défenderesse |
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Me François Bilodeau Procureur de la mise en cause La Commission de la santé et de la sécurité du travail |
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Date d’audience : |
9 mai 2008 |
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AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.