Décision

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Sicard et Réparations Jocelyn Marcil inc.

2012 QCCLP 1560

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Salaberry-de-Valleyfield

27 février 2012

 

Région :

Richelieu-Salaberry

 

Dossier :

426568-62C-1012

 

Dossier CSST :

128353414

 

Commissaire :

Sonia Sylvestre, juge administratif

 

Membres :

PierreGamache, associations d’employeurs

 

Normand Aubin, associations syndicales

 

 

Assesseur :

Pedro Molina-Negro, médecin

______________________________________________________________________

 

 

 

Daniel Sicard

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Réparations Jocelyn Marcil inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 7 décembre 2010, monsieur Daniel Sicard (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 29 octobre 2010, à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme, pour d’autres motifs, une décision du 29 juin 2010 et déclare que le travailleur n’a pas subi, le 24 septembre 2009, de récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle initiale du 5 août 2005, sous forme de dérobade du genou droit et souris articulaire.

[3]           La CSST confirme également une décision du 28 septembre 2010, déclare que le travailleur est capable, à compter du 27 septembre 2010, d’exercer l’emploi convenable de téléphoniste en télémarketing, que cet emploi peut lui procurer un revenu brut de 19 760 $ et que le versement de l’indemnité de remplacement du revenu se poursuit jusqu’à ce qu’il occupe cet emploi ou au plus tard, le 26 septembre 2011.

[4]           L’audience s’est tenue à Salaberry-de-Valleyfield le 3 novembre 2011 en présence du travailleur et de son représentant. Aucun représentant de l’employeur et de la CSST, partie intervenante au litige, n’était présent. La cause est mise en délibéré le 7 novembre 2011, date du dépôt en preuve d’un relevé pharmacologique.

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[5]           En début d’audience, le procureur du travailleur informe la Commission des lésions professionnelles que la contestation ne porte que sur la détermination de l’emploi de téléphoniste en télémarketing à titre d’emploi convenable et non sur le refus de reconnaître une récidive, rechute ou aggravation en date du 24 septembre 2009.

LA PREUVE

[6]           Le travailleur, qui est mécanicien pour le compte de Réparations Jocelyn Marcil inc. (l’employeur), subit une lésion professionnelle le 5 août 2005 en soulevant l’extrémité d’une remorque et se blesse au dos.

[7]           Les diagnostics d’entorse lombaire et sciatalgie droite sont initialement posés, mais une imagerie par résonance magnétique (IRM) réalisée le 14 septembre 2005 révèle la présence d’une hernie discale L5-S1. Le travailleur est alors référé au docteur Ferron, chirurgien orthopédiste, pour une chirurgie.

[8]           Ce dernier procède, le 22 mars 2006, à une laminectomie partielle L5-S1 droite, une foraminectomie décompressive de S2, une décompression radiculaire S1 et une discoïdectomie lombaire foraminale L5-S1 droite.

[9]           Le 15 mai 2006, le docteur Ferron produit un rapport final consolidant à cette date la lésion professionnelle et complète un rapport d'évaluation médicale.  Il retient un déficit anatomo-physiologique de 7 % pour discoïdectomie lombaire en L5-S1 avec perte d’amplitude articulaire en flexion antérieure et extension et émet les limitations fonctionnelles de classe I selon l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST). Le travailleur est dirigé à son médecin de famille, le docteur Lanctôt, pour le suivi.

[10]        Le travailleur est admis en réadaptation et une étude du poste de travail est réalisée par une ergonome qui conclut au respect des limitations fonctionnelles émises. Il appert des notes évolutives contemporaines à cette période que le travailleur ne remet pas en cause les conclusions de l’ergonome, mais que ses préoccupations se situent davantage au plan des douleurs et à son suivi médical.  Il rapporte avoir plus de douleurs et d’engourdissements dans la jambe et le pied droit qu’avant son opération.

[11]        Lors d’un bilan téléphonique réalisé le 25 août 2006 avec la docteure Gariépy, médecin-conseil à la CSST, le docteur Lanctôt indique qu’il n’y a pas de signe clinique d’aggravation outre la présence de douleurs. Il est alors convenu que la CSST autorise des traitements de physiothérapie pour trois mois à titre de mesure de réadaptation physique. Subséquemment, le travailleur est dirigé à la clinique de la douleur AGIR, toujours dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation, et bénéficie d’un suivi en psychologie et en ergothérapie.

[12]        En mai 2007, le docteur Lanctôt recommande une nouvelle IRM pour objectiver s’il y a augmentation de la fibrose périneurale depuis octobre 2006, date de la précédente IRM. 

[13]        Les traitements à la clinique de la douleur prennent fin en juin 2007. À cette même époque, le conseiller en réadaptation en charge du dossier amène le travailleur à se questionner sur de possibles pistes d’emploi convenable advenant que le retour à son emploi prélésionnel soit impossible. Le travailleur pense alors à l’emploi de dessinateur en mécanique industrielle.

[14]        Une IRM est réalisée le 26 juin 2007.  Le radiologiste note une régression des modifications post-chirurgicales L5-S1 droite avec résolution des phénomènes de fibrose périradiculaire. Il écrit « En fait, je n’ai pas d’explications pour la progression de la douleur chez ce patient ».

[15]        Le 26 juillet 2007, la CSST statue que le travailleur est apte à refaire son emploi prélésionnel, conformément aux conclusions de l’ergonome.  Le travailleur demande la révision de cette décision.

[16]        Lors d’un bilan téléphonique entre le médecin régional de la CSST et le docteur Lanctôt qui se tient le 23 août 2007, ce dernier indique que le travailleur présente des dérobades des genoux occasionnant des chutes, qu’il éprouve des difficultés à se déplacer, et ce, même si l’IRM de juin 2007 démontre une amélioration de la fibrose périneurale. Il veut poursuivre l’investigation médicale pour déterminer la cause de cet état.

[17]        Le 12 septembre 2007, le travailleur communique avec une intervenante de la CSST pour lui faire part, notamment, qu’il est totalement invalide et que sa situation est incurable.

[18]        Le 17 octobre 2007, l’instance de la révision administrative de la CSST déclare prématurée la décision portant sur la capacité de travail puisqu’il appert que le travailleur avait produit une réclamation pour récidive, rechute ou aggravation survenue en 2006 qui est demeurée sans réponse.

[19]        Le dossier est dirigé au médecin-conseil de la CSST qui évalue que les résultats de l’IRM d’octobre 2006 démontrent des signes d’aggravation sous forme de fibrose périradiculaire à cette date, alors qu’en juin 2007, il y a une régression des modifications postchirurgicales L5-S1.

[20]        Le 21 février 2008, la CSST rend une décision et reconnaît rétroactivement une récidive, rechute ou aggravation en date du 13 octobre 2006.

[21]        Le 3 avril 2008, le docteur Lanctôt produit un rapport final pour les diagnostics de fibrose et radiculopathie L5-S1, consolide la lésion à cette date et indique qu’il n’y a pas d’indication chirurgicale. Il précise que le travailleur ne pourra reprendre son travail de mécanicien et qu’un recyclage professionnel est nécessaire. Il dirige le travailleur à un centre d’évaluation afin qu’un autre médecin produise un rapport d'évaluation médicale.

[22]        Le 8 mai 2008, le travailleur est évalué par le docteur Gauthier. Dans son rapport d'évaluation médicale, ce dernier rapporte que le travailleur se plaint d’une sciatalgie droite sévère persistante accompagnée d’une légère lombalgie. La douleur n’est que partiellement soulagée par la médication et entraîne une insomnie rebelle. Suivant son examen physique, il établit le déficit anatomo-physiologique à 14 % et émet les limitations fonctionnelles suivantes :

Ø  Éviter de manipuler fréquemment les charges excédant 10 kg.

Ø  Éviter d’effectuer des mouvements répétés de flexion, d’extension ou de rotation du tronc.

Ø  Éviter d’effectuer des mouvements d’amplitudes extrêmes de flexion, d’extension ou de rotation du tronc.

Ø  Éviter de travailler en position accroupie de façon prolongée.

Ø  Éviter de ramper ou grimper.

Ø  Éviter de subir des vibrations de basse fréquence ou des contrecoups à la colonne vertébrale.

Ø  Éviter de garder la même posture (assis ou debout) plus de 60 minutes.

 

 

[23]        À titre de conclusions, il spécifie « Suite à l’accident du 5 août 2005 et à la chirurgie, monsieur Sicard demeure avec une symptomatologie résiduelle relativement importante qui nécessite la prise d’une médication narcotique de façon régulière. Il devra être réorienté dans un emploi très léger ».  Il estime qu’une évaluation dans un autre système n’est pas nécessaire.

[24]        Le travailleur est une fois de plus référé en réadaptation et une première rencontre a lieu avec une nouvelle conseillère le 20 janvier 2009. Lors de cette rencontre, le travailleur rapporte les faits suivants :

Ø  Il a une douleur à la jambe droite, du bas du dos jusqu’aux orteils;

Ø  Il dort dans un « La-Z-Boy depuis plusieurs années »;

Ø  Il est très limité dans ses activités et a besoin de beaucoup de temps pour faire ses tâches, car il a besoin de longues pauses;

Ø  Il se déplace avec une canne et s’enquiert si la CSST pouvait lui fournir un triporteur pour ses déplacements;

Ø  Il ne voit pas comment il pourrait réintégrer un emploi à temps plein, car il a des problèmes de concentration, ce qui serait peut-être dû à sa médication. Il a de la difficulté à utiliser son ordinateur au-delà de 15 minutes et a tenté de faire un cours de dessin industriel par correspondance qu’il n’a pu mener à terme.

[25]        La conseillère en réadaptation note que le travailleur devient émotif pendant la discussion. Devant son état de découragement face à la gestion de la douleur et à son avenir professionnel et social, elle lui propose un suivi psychologique, ce à quoi il acquiesce. Elle lui demande de faire lui-même les démarches afin de se trouver un psychologue dans la région, et de la rappeler au besoin.

[26]        Plusieurs mois s’écoulent pendant lesquels il semble y avoir eu des problèmes de communication entre le travailleur et la conseillère en réadaptation. Une deuxième rencontre a lieu le 6 octobre 2009 et le travailleur informe alors la conseillère qu’il fait fréquemment des chutes et son médecin croit qu’il s’agit d’une souris articulaire au genou gauche qui en est la cause. Il attend de passer une IRM au genou gauche.

[27]        Concernant le suivi psychologique, le travailleur précise ne pas avoir débuté les rencontres avec le psychologue, car il croyait que la CSST ferait les démarches appropriées. Il précise prendre un nouveau médicament antidépresseur (Cymbalta) pour la douleur[1]. En ce qui a trait aux activités de la vie quotidienne, le travailleur dit se débrouiller, mais doit vivre constamment avec la douleur.  Il est alors convenu qu’une évaluation à domicile par une ergothérapeute sera réalisée afin d’améliorer son niveau fonctionnel.  À titre d’analyse, la conseillère écrit « T se perçoit comme invalide.  Ne se voit pas retourner au travail, douleur ++ et jambes qui se dérobent avec chutes. Problèmes de sommeil en raison de la douleur ».

[28]        Selon le contrat de services professionnelles que la CSST conclut avec le psychologue Girard, son mandat est d’évaluer les besoins psychosociaux du travailleur et d’établir un pronostic en regard d’une intervention psychologique en lien avec une possibilité de mobilisation face à un retour au travail ainsi qu’en ce qui concerne la gestion de la douleur.

[29]        Dans une correspondance reçue à la CSST le 4 février 2010, le psychologue Girard informe avoir rencontré le travailleur à quatre reprises et estime qu’une psychothérapie de type cognitif et pour la gestion du stress pourrait l’aider. Il écrit notamment :

[…]

 

Côté psychologique, il présente des traits dépressifs : perte d’intérêt, faible concentration, troubles du sommeil, tristesse et il a déjà eu des idées suicidaires, actuellement absentes.

 

Il coopère bien durant l’entrevue, a l’esprit vif et s’intéresse vivement à son gadget électronique du moment, un iPod touch.

 

Il se sent dévalorisé par sa condition physique et préférerait endurer la douleur des déplacements plutôt que d’utiliser une marchette, car l’utilisation de cette aide aux déplacements l’humilierait au plus haut point.

 

 

[30]        Suivant cette évaluation, la CSST autorise une thérapie de 20 rencontres. Le but de cette thérapie, selon l’annexe produite au contrat de services professionnels, est d’atténuer les symptômes dépressifs et d’aider le travailleur à gérer son stress, le tout dans le but d’un éventuel retour au travail.

[31]        Le 3 mai 2010, le travailleur produit une réclamation pour récidive, rechute ou aggravation dans laquelle il indique « suite à des chutes fréquentes à cause de ma jambe droite le genou gauche a subi des chutes. Après IRM résultat souris articulaires »[sic]. Le 29 juin 2010, la CSST refuse cette réclamation puisque produite hors délai en ce qui concerne la condition de souris articulaire, et parce qu’il n’y a pas détérioration objective de la lésion professionnelle reconnue. 

[32]        Le 18 août 2010, l’ergothérapeute mandatée par la conseillère en réadaptation produit un compte rendu de ses démarches qui se sont déroulées sur 11 rencontres et qui ont porté sur l’évaluation d’aides techniques ainsi que la planification d’activités quotidiennes en vue d’augmenter l’endurance à l’effort du travailleur. En conclusion, l’ergothérapeute indique avoir aidé le travailleur à reprendre un peu plus d’autonomie fonctionnelle, mais constate que dernier est encore très limité du fait qu’il chute fréquemment.

[33]        Le 31 août 2010, une troisième rencontre en réadaptation a lieu. Le travailleur se dit alors incapable de travailler puisqu’il a toujours de la douleur, dort peu et a des problèmes de mémoire et de concentration après 10 à 15 minutes, ce que confirme sa conjointe. Il se questionne sur le refus pour la CSST de reconnaître une récidive, rechute ou aggravation.

[34]        Le travailleur dit que sa médication lui cause des sueurs et qu’il ne se voit pas travailler avec le public, car il trouve cela très gênant. À titre d’antécédents professionnels, il indique avoir été propriétaire d’un commerce de réparation de petits moteurs de 1988 à 1992. Il a vendu son commerce à son actuel employeur et a continué à y pratiquer la mécanique. Lorsqu’il était propriétaire, sa conjointe s’occupait de la tenue des livres. Antérieurement à 1988, il a travaillé pendant neuf ans à faire la réparation de compresseurs. 

[35]        La conseillère écrit par la suite :

Nous expliquons au T que dans la démarche de réadaptation, nous sommes liés à ses L.F., que nous devons regarder des emplois en fonction de ces L.F. comme nous lui avons expliqué précédemment.  Nous lui demandons sa collaboration et sa participation dans la démarche de réadaptation.

 

M. nous dit qu’il ne nous fournira pas de recherches d’emploi puisqu’il se considère invalide et complètement incapable d’occuper un emploi dans son état actuel.

 

 

[36]        Suivant une étude du dossier, la conseillère en réadaptation conclut que les limitations fonctionnelles émises par le médecin traitant et le portrait socioprofessionnel ne permettent pas de soutenir que le travailleur ne peut occuper aucun emploi. Un emploi léger, ne demandant pas de formation particulière, sera donc déterminé de manière unilatérale. Selon les informations au dossier, le travailleur a complété un quatrième secondaire et parle français et anglais.

[37]        La conseillère retient l’emploi convenable de téléphoniste en télémarketing. Selon les données émanant du système Repères[2], cet emploi se définit comme suit :

Préposé ou préposée des services de sollicitation d’une agence de télémarketing ou d’un commerce qui communique avec les gens par téléphone pour leur vendre un produit ou un service offert par une entreprise, à partir d’une liste de clients potentiels déterminée en fonction d’un secteur favorable à la vente, et ce, en vue de publiciser ce produit ou ce service et d’augmenter le volume des ventes.

 

Principales tâches :

 

-     Prend connaissance du produit ou du service à vendre.

-     Prend connaissance du texte à lire au téléphone.

-     Identifie le nom et l’adresse des clients à rejoindre à partir d’une liste habituellement déterminée à l’avance ou utilise une base de données qui détermine les clients à appeler.

-     Contacte la clientèle par téléphone.

-     Lit le texte et donne des informations sur le produit ou le service offert.

-     Remplit un questionnaire, une feuille-réponses ou un coupon de vente.

-     Prend les coordonnées des personnes intéressées, explique les modalités et établit les contacts de la vente.

-     Fait un rapport de la clientèle contactée à un supérieur.

-     Assure le suivi auprès de la clientèle intéressée.

 

 

[38]        À titre d’exigences physiques, il est notamment spécifié que l’on doit être capable de travailler principalement en position assise et être capable de soulever un poids jusqu’à 5 kg. Quelques années d’études secondaires peuvent être exigées à titre de formation préalable et une formation spécifique de quelques jours est donnée par l’employeur, en cours d’emploi.  Les perspectives sont acceptables et le salaire retenu par la conseillère est équivalent au salaire minimum.

[39]        Dans sa grille de détermination d’emploi convenable, la conseillère mentionne que les limitations fonctionnelles sont respectées même si les tâches sont généralement exécutées en position assise, puisque le travailleur peut se lever au besoin, ses interlocuteurs n’étant pas en sa présence. De plus, il s’agit d’un emploi léger.

[40]        Le 20 septembre 2010, le docteur Lanctôt produit un rapport médical dans lequel il indique que le travailleur sera vu par la docteure Browman, orthopédiste, qu’il conserve des séquelles de chirurgie lombaire discale L5-S1 avec pachyméningite, qu’il n’y a pas d’autre traitement que des traitements antalgiques et que le travailleur ne pourra plus reprendre un travail.

[41]        Le 27 septembre 2010, la conseillère communique avec le travailleur afin de lui faire part de l’emploi convenable retenu.  Le travailleur dit comprendre sa position, mais l’informe qu’il contestera cette décision. La conseillère rappelle au travailleur qu’il lui reste deux rencontres avec le psychologue sur le nombre prédéterminé, après quoi elle ne pourra autoriser de prolongement. Lors de cette discussion, le travailleur précise avoir reçu une injection à son genou gauche, sans grand soulagement, que le diagnostic de souris articulaire est mis en doute et qu’il attend un rendez-vous avec un orthopédiste en vue d’obtenir une deuxième opinion.

[42]        Le travailleur témoigne à l’audience. Il corrobore les informations quant à sa formation académique, ses expériences professionnelles et au fait qu’il parle français et anglais. Il estime qu’il n’est toutefois pas parfaitement bilingue. 

[43]        Il précise que le commerce qu’il a opéré de 1988 à 1992 consistait à la réparation de petits moteurs tels que scie à chaîne, tondeuse, tracteur à pelouse, outils de jardinage, etc.  Il accueillait la clientèle afin de connaître les problèmes mécaniques, exécutait les réparations nécessaires et lorsqu’il y avait un bris, offrait de remplacer l’équipement par du neuf. Son épouse le secondait et c’est elle qui s’occupait notamment de répondre au téléphone. Il n’avait pas à utiliser un ordinateur lorsqu’il était à son compte, ni lorsqu’il travaillait pour l’employeur et n’a aucune formation en informatique.

[44]        Il précise qu’il « hait » parler au téléphone et déléguait souvent cette tâche à son épouse ou à la secrétaire chez l’employeur.  Il n’aime pas être sollicité ou avoir à solliciter les gens et n’a pas d’expérience en vente. Son commerce impliquait principalement la réparation d’équipement et non la vente ou le service à la clientèle. Lorsqu’il vendait un nouvel équipement, cela se faisait sur commande, car il n’avait pas d’inventaire.

[45]        En réponse à une question du tribunal, le travailleur dit ne pas se rappeler s’il a fait part à la conseillère, lorsqu’elle lui a communiqué sa décision, que l’emploi convenable retenu ne correspondait aucunement à ses intérêts. 

[46]        Il indique n’avoir eu qu’une seule rencontre avec la conseillère concernant la détermination de cet emploi et déplore le fait qu’il n’a jamais eu de retour sur les conclusions du psychologue qu’il a consulté. Ce suivi psychologique l’aidait et il se sentait encore dans le besoin, mais la conseillère l’a avisé que c’était terminé.

[47]        Le travailleur mentionne ne rien faire de ses journées. Il dort dans un La-Z-Boy, environ deux heures par nuit, et récupère dans le jour. Il ne fait plus d’activités et prend une importante médication qu’il énumère, précisant parfois le dosage. Cette importante médication entraîne certains effets secondaires comme l’assèchement de la bouche et la transpiration. Il dit qu’il est aussi un peu étourdi suivant la prise de Supeudol

[48]        Malgré sa médication, il ressent des douleurs constantes dans sa jambe droite, ce qui affecte son énergie et sa vitalité. Il a également des pertes de la mémoire courte et moins de concentration. Sa vie sociale et conjugale est grandement affectée. Il ne fait plus de sorties, car et il n’est pas capable de faire de longs trajets en voiture. Il possède un vélo électrique qu’il utilise parfois.

[49]        Concernant l’emploi convenable déterminé, il invoque qu’il pourrait demeurer assis 20 à 30 minutes tout au plus sur une chaise de bureau, car sa jambe droite engourdit et il doit se lever. D’ailleurs, il est rarement assis ailleurs que dans son La-Z-Boy. Il ne croit pas être en mesure de faire ce travail, car il devrait se reposer pendant la journée.

[50]        Le tribunal a demandé au travailleur de décrire précisément une journée typique. En réponse, il indique :

Ø  L’heure du lever varie selon la nuit qu’il a passée;

Ø  Vers 9 h, il va déjeuner dans un restaurant près de chez lui;

Ø  À son retour, il s’assoit dans son La-Z-Boy et regarde la télévision toute la journée. Il utilise aussi son IPad pour prendre ses courriels et surfer ou faire des recherches sur Internet. Il n’a pas la force ni le goût de rien faire d’autre. Il précise qu’il n’a plus de motivation pour aucune activité et que cela empire d’année en année;

Ø  Après l’heure du souper, suivant sa deuxième prise de médication, il ressent un certain “regain” et s’adonne alors à du bricolage pendant une heure, maximum;

Ø  Il se couche vers 22 h.

[51]        Questionné par la soussignée sur le fait que regarder la télévision requiert une certaine concentration, le travailleur rétorque qu’il s’en tient à des choses simples et qu’il n’a pas visionné un film au complet depuis 2005.

[52]        Enfin, le travailleur admet qu’il ne se voit dans aucun autre type d’emploi.

L’ARGUMENTATION

[53]        Le représentant du travailleur allègue que le processus de réadaptation menant à la détermination de l’emploi convenable de téléphoniste en télémarketing a été expéditif, soulignant que le travailleur n’a eu qu’une seule rencontre avec la conseillère en réadaptation avant que ne soit déterminé cet emploi. Il rappelle que la CSST a un devoir important au niveau de la réadaptation et qu’elle doit faire un minimum d’efforts pour supporter le travailleur, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce.  Sur ce, il dépose la décision rendue dans l’affaire Greffard et Entretien P.E.A.C. Plus inc.[3] et attire l’attention du tribunal sur certains passages.

[54]        Il soutient également que l’emploi de téléphoniste en télémarketing ne respecte pas tous les critères d’emploi convenable prévus à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[4] . Premièrement, cet emploi s’exécute principalement en position assise selon les données émanant de Repères.  Or, une des limitations fonctionnelles du travailleur est d’éviter de garder la même posture (assis, debout) plus de 60 minutes. Il soumet deux décisions de la Commission des lésions professionnelles[5] dans lesquelles il a été décidé que l’emploi de téléphoniste en télémarketing ne permet pas d’alterner les positions.

[55]        Le représentant soumet, en second lieu, qu’en plus de ses limitations fonctionnelles, le travailleur ressent des effets secondaires non négligeables de l’importante médication qu’il consomme, comme un état de somnolence qui l’oblige à faire des siestes pendant la journée, l’anhédonie et la sudation. Le travailleur a également développé des problèmes de concentration ainsi qu’une condition psychologique à cause des douleurs qu’il éprouve et déplore le peu d’aide que le travailleur a reçue de la part de la CSST qui a mis fin abruptement aux traitements psychologiques.  Il soumet que la CSST n’a pas tenu compte de ces éléments lors de la détermination de l’emploi convenable de téléphoniste en télémarketing, emploi où il est primordial de performer.

[56]        De plus, le travailleur n’a pas la personnalité ni les qualités pour occuper cet emploi dans lequel on doit aimer communiquer avec les gens pour les convaincre et les persuader. Le travailleur n’a aucun intérêt pour ce type d’emploi, lui qui est un travailleur manuel de carrière et n’a aucune expérience en vente et peu de connaissances en informatique. Pour tous ces motifs, le travailleur ne peut donc occuper l’emploi convenable de téléphoniste en télémarketing, selon lui.

L’AVIS DES MEMBRES

[57]        Conformément à l’article 429.50 de la loi, la soussignée a obtenu l’avis motivé des membres ayant siégé avec elle dans la présente affaire.

[58]        Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis de rejeter la requête du travailleur.  Selon lui, la preuve médicale ne soutient pas l’allégation du travailleur voulant qu’il soit inemployable.  De même, il serait futile de retourner le dossier à la CSST pour l’élaboration d’un nouveau plan individualisé de réadaptation, car tout emploi convenable sera contesté. La preuve ne démontre pas, de manière prépondérante, que l’emploi de téléphoniste en télémarketing ne constitue pas un emploi convenable.

[59]        Le membre issu des associations syndicales est d’avis d’accueillir la requête du travailleur. Selon Repères, l’emploi de téléphoniste en télémarketing s’exerce principalement en position assise, ce qui ne permet pas au travailleur d’alterner les positions toutes les 60 minutes. L’emploi de téléphoniste en télémarketing n’est donc pas convenable puisqu’il ne respecte pas la capacité résiduelle du travailleur.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[60]        La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’emploi de téléphoniste en télémarketing constitue un emploi convenable pour le travailleur et si ce dernier est en mesure de l’occuper en date du 28 septembre 2010.

[61]        Il y lieu de souligner certaines dispositions pertinentes en matière de réadaptation :

145.  Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 145.

 

 

146.  Pour assurer au travailleur l'exercice de son droit à la réadaptation, la Commission prépare et met en oeuvre, avec la collaboration du travailleur, un plan individualisé de réadaptation qui peut comprendre, selon les besoins du travailleur, un programme de réadaptation physique, sociale et professionnelle.

 

Ce plan peut être modifié, avec la collaboration du travailleur, pour tenir compte de circonstances nouvelles.

__________

1985, c. 6, a. 146.

 

 

[62]        La loi définit comme suit les concepts de réadaptation sociale et professionnelle:

151.  La réadaptation sociale a pour but d'aider le travailleur à surmonter dans la mesure du possible les conséquences personnelles et sociales de sa lésion professionnelle, à s'adapter à la nouvelle situation qui découle de sa lésion et à redevenir autonome dans l'accomplissement de ses activités habituelles.

__________

1985, c. 6, a. 151.

 

[…]

 

166.  La réadaptation professionnelle a pour but de faciliter la réintégration du travailleur dans son emploi ou dans un emploi équivalent ou, si ce but ne peut être atteint, l'accès à un emploi convenable.

__________

1985, c. 6, a. 166.

 

[…]

 

171.  Lorsqu'aucune mesure de réadaptation ne peut rendre le travailleur capable d'exercer son emploi ou un emploi équivalent et que son employeur n'a aucun emploi convenable disponible, ce travailleur peut bénéficier de services d'évaluation de ses possibilités professionnelles en vue de l'aider à déterminer un emploi convenable qu'il pourrait exercer.

 

Cette évaluation se fait notamment en fonction de la scolarité du travailleur, de son expérience de travail, de ses capacités fonctionnelles et du marché du travail.

__________

1985, c. 6, a. 171.

 

 

[63]        À la lumière de ces dispositions, il appert que la détermination d’un emploi convenable s’inscrit dans le cadre de la réadaptation professionnelle et fait partie du plan individualisé de réadaptation, lequel doit se faire préférablement avec la collaboration du travailleur.

[64]        Il a cependant été établi que la CSST est justifiée de déterminer un emploi convenable de manière unilatérale lorsqu’il y a absence de collaboration du travailleur.  Dans ce cas, elle doit toutefois avoir déployé les efforts nécessaires et avoir eu recours à toutes les ressources appropriées pour inciter le travailleur à s’impliquer et à participer activement à son processus de réadaptation.[6]

[65]        Avant de décider si l’emploi de téléphoniste en télémarketing constitue un emploi convenable pour le travailleur, il y a donc lieu d’évaluer si l’élaboration du plan individualisé de réadaptation s’est faite en respect des exigences de la loi.

[66]        Le tribunal note que le processus de réadaptation, suivant la récidive, rechute ou aggravation d’octobre 2006, s’est étalé sur une période de plusieurs mois, soit du 29 janvier 2009 au 27 septembre 2010.

[67]        Constatant l’état de découragement du travailleur face à la gestion de la douleur et à son avenir, la conseillère en réadaptation, dès la première rencontre, évalue certains besoins en matière de réadaptation sociale et offre au travailleur un soutien psychologique, malgré l’absence de diagnostic de nature psychologique émis dans le dossier.

[68]        En effet, une revue de la preuve médicale au dossier démontre qu’aucun diagnostic de nature psychologique ne fut émis par les médecins traitants lors du suivi médical. La prétention du représentant du travailleur voulant que le travailleur ait développé un problème psychologique en lien avec sa condition douloureuse n’est donc pas soutenue par la preuve médicale. Même si des antidépresseurs ont été prescrits au travailleur, il appert qu’il s’agit d’une mesure thérapeutique dans le cadre de la gestion des douleurs, et non d’un traitement médical en lien avec une pathologie psychologique.

[69]        L’objectif du suivi psychologique proposé par la conseillère était d’aider le travailleur à gérer son stress et sa douleur, dans le but d’un éventuel retour au travail. Il ne s’agissait pas d’un traitement médical prescrit par le médecin qui a charge. Le nombre de rencontres avait été prédéterminé et l’arrêt de la thérapie ne découle aucunement d’une décision arbitraire de la part de la conseillère.

[70]        Le travailleur a aussi bénéficié d’une évaluation en ergothérapie qui avait été jugée utile par la conseillère en réadaptation lors de la deuxième rencontre. L’ergothérapeute a rencontré le travailleur à plus d’une occasion et lui a proposé des aides techniques et exercices afin d’augmenter son autonomie fonctionnelle.  

[71]        Ainsi, avant d’enclencher le processus de réadaptation professionnelle visant la détermination d’un emploi convenable, la CSST a évalué globalement les besoins du travailleur et mis en œuvre les mesures appropriées. Dans ce contexte, on ne peut prétendre qu’elle n’a pas déployé d’efforts afin de permettre au travailleur d’entrevoir une possibilité de retour sur le marché du travail. Certes, le processus de réadaptation a été ponctué de certaines périodes d’inactivité à cause d’un malentendu entre le travailleur et la conseillère en réadaptation, mais cela n’altère en rien la qualité du processus.

[72]        La présente affaire se distingue très nettement des faits au soutien de la décision rendue dans l’affaire Greffard[7] dans laquelle la Commission des lésions professionnelles considérait que la CSST avait placé le travailleur sur la voie d’évitement parce que tout le processus de réadaptation s’était soldé en une seule rencontre.

[73]        Il est vrai que lors du processus de réadaptation du travailleur, une rencontre a véritablement porté sur sa réadaptation professionnelle. Lors de cette rencontre, le travailleur a réitéré ce qu’il soutient depuis 2007, à savoir qu’il est totalement invalide, et a informé la conseillère qu’il ne fournirait pas de recherches d’emploi.

[74]        Compte tenu des mesures de réadaptation déjà mises sur pied pour tenter de susciter l’intérêt du travailleur face à un retour sur le marché du travail, mesures qui ont prévalues pendant plusieurs mois, que pouvait faire de plus la conseillère devant ce discours du travailleur?

[75]        La détermination unilatérale d’un emploi convenable, dans ce contexte, est une solution justifiée puisque rien dans la preuve médicale contenue au dossier ne permet de conclure que le travailleur est inapte à tout travail.

[76]        Les limitations fonctionnelles émises par le docteur Gauthier ne sont pas incompatibles avec l’exercice d’un emploi. Certaines limitations fonctionnelles correspondent à des restrictions modérées de classe 2, selon l’échelle de restrictions de l’IRSST, d'autres sont à mi-chemin entre la classe 2 et la classe 3, représentant des restrictions sévères.

[77]        Le docteur Gauthier a aussi considéré la prise de médication narcotique en précisant que le travailleur devrait être réorienté dans un emploi léger.  Il n’y a donc aucune preuve médicale qui soutienne que les effets secondaires de la médication prise par le travailleur l’empêchent d’occuper tout emploi rémunérateur.

[78]        L’opinion émise par le docteur Lanctôt sur son dernier rapport médical du 20 septembre 2010 voulant que le travailleur ne puisse reprendre un travail ne peut être retenue comme prépondérante, compte tenu de l’ensemble de la preuve. De plus, le docteur Lanctôt n’explicite pas les motifs au soutien de son opinion et cette attestation est émise postérieurement à une réclamation pour une récidive, rechute ou aggravation survenue en septembre 2009 qui a été refusée dans une décision devenue finale.

[79]        Par conséquent, la soussignée estime que l’élaboration du plan individualisé de réadaptation s’est faite en respect de la loi.

[80]        La détermination unilatérale d’un emploi convenable, bien que justifiée, n’exempte toutefois pas la CSST de retenir un emploi qui respecte tous les critères de l’emploi convenable prévus à l’article 2 de la loi.

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

[…]

 

« emploi convenable » : un emploi approprié qui permet au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles, qui présente une possibilité raisonnable d'embauche et dont les conditions d'exercice ne comportent pas de danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

 

[81]        Le représentant du travailleur allègue essentiellement que l’emploi de téléphoniste en télémarketing n’est pas approprié et ne permet pas au travailleur d’utiliser ses qualifications professionnelles, ni sa capacité résiduelle.

[82]        Le critère portant sur l’utilisation de la capacité résiduelle exige que l’emploi convenable respecte les limitations fonctionnelles découlant de la lésion professionnelle, mais aussi les autres conditions médicales affectant la santé du travailleur dans la mesure où celles-ci sont médicalement démontrées et existaient au moment de la détermination de l’emploi convenable[8].

[83]        En ce qui concerne les limitations fonctionnelles, le tribunal est lié par celles émises par le docteur Gauthier dans son rapport d'évaluation médicale qui retient notamment que le travailleur doit éviter de garder la même posture (assis ou debout) plus de 60 minutes. À ce sujet, le tribunal ne peut retenir les prétentions du travailleur voulant qu’il doive alterner les positions à toutes les 20 à 30 minutes s’il est assis sur une chaise de bureau, puisque le médecin qui a charge ne fait aucune spécification en ce sens.

[84]        Selon les caractéristiques d’emploi émanant du système Repères, l’emploi de téléphoniste en télémarketing requiert de travailler principalement en position assise. 

[85]        Le représentant du travailleur a soumis deux décisions de ce tribunal dans lesquelles on jugeait que l’emploi de téléphoniste en télémarketing ne permettait pas d’alterner les positions assises et debout, étant donné la nature des tâches exercées.

[86]        Dans l’affaire Lefebvre et Infirmières Plus enr.[9], le juge administratif Ducharme écrit :

[167]    Le tribunal comprend mal, dans ce contexte, l'argument soumis par le représentant de la CSST voulant que l'exercice de cet emploi permette d'alterner les positions assise et debout à volonté, surtout si l'on prend en considération que les principales tâches qu'il comporte, selon la fiche Repères, amènent l'agent de télémarketing à compléter un questionnaire ou une feuille réponse et à prendre les coordonnées des personnes intéressées et, toujours selon la fiche Repères, que l'agent a des quotas à atteindre et qu'il s'agit d'un milieu de travail qui est sous surveillance informatique. 

 

[168]    L'alternance de positions aux 20 minutes apparaît bien théorique et le tribunal ne voit pas en quoi l'offre de la CSST d'adapter le poste de travail qu'occuperait éventuellement madame Lefebvre en lui fournissant un siège assis-debout change quoi que ce soit à cette situation.  À tout le moins, aucune preuve en sens contraire ne lui a été soumise.

 

[nos soulignements]

 

 

[87]        Dans l’affaire Dassylva et Groupe T.B.C. inc. et S.A.A.Q.[10], le travailleur devait alterner les positions à toutes les 30 à 60 minutes.  S’appuyant notamment sur une  étude de marché déposée en preuve par le travailleur et réalisée par une conseillère en orientation, le commissaire conclut qu’il serait difficile, dans un milieu de travail informatisé, d’alterner la position puisque la personne doit lire les informations sur l’écran d’ordinateur et rentrer les données à l’aide d’un clavier.  Il distingue sa position de celle retenue dans une décision rendue par le Tribunal administratif du Québec[11] où on concluait que le travail de téléphoniste en télémarketing permet aisément aux téléphonistes d’adopter une position debout périodiquement afin d’éviter la position assise prolongée.

[88]        Le tribunal note que dans ces décisions, les limitations fonctionnelles émises en regard de l’alternance des positions étaient plus sévères que celles en cause dans la présente affaire alors que le travailleur doit éviter de garder la même posture plus de 60 minutes.

[89]        Par ailleurs, dans d’autres décisions[12], il a été reconnu que l’emploi de téléphoniste en télémarketing respectait la limitation fonctionnelle nécessitant l’alternance de positions.

[90]        En l’instance, le tribunal ne dispose d’aucune preuve factuelle particularisée ou d’études qui démontrent que même si l’emploi de téléphoniste en télémarketing s’exerce principalement en position assise, cela exclut la possibilité pour le travailleur de pouvoir  se lever chaque heure, tout en exerçant les tâches principales ou connexes à cet emploi.

[91]        La Commission des lésions professionnelles est donc d’avis que l’emploi de téléphoniste en télémarketing respecte les limitations fonctionnelles du travailleur.

[92]        Quant aux effets secondaires de la médication, le tribunal note qu’ils sont peu rapportés et discutés dans la preuve médicale. Seul le docteur Gauthier précise que la prise de narcotique commande que le travailleur exerce un emploi léger, ce que constitue l’emploi de téléphoniste en télémarketing selon la soussignée. 

[93]        Le relevé pharmacologique déposé en preuve atteste que le travailleur consomme une médication importante. Cela ne témoigne toutefois pas des effets spécifiques que cela engendre chez lui et jusqu’à quel point cela perturbe sa capacité de travail.

[94]        Or, tel que mentionné précédemment, les conditions médicales affectant la santé du travailleur seront considérées dans l’établissement de la capacité résiduelle dans la mesure où celles-ci sont médicalement démontrées et existaient au moment de la détermination de l’emploi convenable.  Cette preuve n’est pas faite en l’espèce.

[95]        De plus, à la lumière de la preuve testimoniale, certaines allégations méritent d’être nuancées.

[96]        Dans son témoignage, le travailleur mentionne avoir des étourdissements, des pertes de la mémoire courte et une perte de concentration importante après 10 à 15 minutes.  Outre que cela n’est pas corroboré médicalement, le tribunal retient que le travailleur a rendu un témoignage cohérent, et ce, pendant près de 45 minutes, qui faisait appel à sa mémoire, notamment lorsqu’il a énuméré la médication consommée, et qu’il était très alerte et non confus, même en fin de témoignage. 

[97]        Le tribunal retient également que le travailleur passe ses journées à regarder la télévision et à utiliser un IPad, ce qui exige, selon la soussignée, un certain degré de concentration.  Ce n’est qu’après avoir soulevé l’incohérence de cette situation que le travailleur a précisé s’en tenir à des émissions demandant peu de concentration.

[98]        Bref, la Commission des lésions professionnelles estime que la preuve ne supporte pas, de manière prépondérante, les allégations du travailleur relativement à l’importance de ses pertes de mémoire et de concentration.

[99]        De même, le tribunal ne peut retenir l’argument du représentant du travailleur voulant que la médication entraîne un état de somnolence obligeant le travailleur à faire des siestes pendant la journée, puisque ce n’est point ce que la preuve a établi.

[100]     En témoignage, le travailleur a dit devoir récupérer de ses nuits plus ou moins réparatrices, mais n’a jamais évoqué la nécessité de devoir dormir dans la journée. Appelé par la soussignée à décrire en détail une journée typique, il a indiqué spontanément passer ses journées assis dans un La-Z-Boy à regarder la télévision et utiliser son IPad, sans faire une quelconque allusion au fait qu’il devait faire des siestes.

[101]     Quant aux autres effets secondaires invoqués, soit l’assèchement de la bouche et la sudation, le tribunal estime qu’ils ne sont pas un obstacle à l’exercice de l’emploi de téléphoniste en télémarketing. Aucune preuve n’a d’ailleurs été faite sur ce point.

[102]     Pendant le processus de réadaptation, le travailleur a grandement fait état à la conseillère de sa condition aux genoux qui lui occasionnait des chutes et le restreignait dans ses déplacements. À l’audience, aucune preuve ne fut administrée relativement à cette condition médicale qui n’a pas été reconnue en relation avec la lésion professionnelle. De plus, aucune restriction médicale n’a clairement été établie en lien avec cette condition.

[103]     Par conséquent, le tribunal conclut que l’emploi de téléphoniste en télémarketing est un emploi léger qui permet au travailleur d’utiliser sa capacité résiduelle.

[104]     La Commission des lésions professionnelles estime également que le travailleur possède les qualifications professionnelles pour occuper cet emploi.

[105]     Le travailleur a été propriétaire d’un commerce de mécanique de petits moteurs pendant cinq ans, ce qui nécessite, d’une manière ou d’une autre, des échanges avec la clientèle. Le tribunal retient également du témoignage du travailleur que ce dernier, dans le cadre de son commerce, ne faisait pas uniquement la réparation de petits moteurs, mais assurait un certain service à la clientèle en offrant l’achat de nouveau matériel si nécessaire. Le travailleur n’avait peut-être pas à faire de la sollicitation, mais il est faux de prétendre, comme l’a fait son représentant, qu’il n’a aucune expérience en vente ou service à la clientèle.

[106]     L’emploi de téléphoniste en télémarketing ne requiert aucune formation particulière, outre une formation particularisée de quelques jours offerte par l’employeur selon les données non contredites émanant de Repères. Le téléphoniste en télémarketing peut cependant être appelé à travailler à l’aide d’un ordinateur.

[107]     Même si le travailleur n’a jamais eu à utiliser un ordinateur dans le cadre de ses emplois antérieurs, la preuve révèle qu’il a des aptitudes et intérêts face à l’informatique puisqu’il a déjà envisagé l’emploi de dessinateur en mécanique industrielle, ayant même débuté une formation par correspondance dans ce domaine, s’est montré vivement intéressé par son IPod Touch lors d’une rencontre avec son psychologue, dit « surfer » sur Internet et utiliser régulièrement un IPad.  Ces faits témoignent, de l’avis de la soussignée, d’une habileté certaine pour le travailleur face à l’apprentissage d’un nouvel environnement informatique, si besoin était.

[108]     De plus, le tribunal a été à même de constater que le travailleur s’exprime aisément, de manière claire et qu’il est articulé dans ses propos.

[109]     Reste le critère de l’emploi approprié.

[110]     L’emploi convenable déterminé doit respecter, autant que possible, les préférences du travailleur[13]. En l’espèce, le travailleur dit détester parler au téléphone et avoir à solliciter les gens. Selon le représentant du travailleur, cela n’a pas été considéré par la conseillère en réadaptation alors que c’est l’essence même de l’emploi de téléphoniste en télémarketing.

[111]     Dans le contexte où le travailleur n’a pas voulu collaborer avec la conseillère en réadaptation dans la détermination d’un emploi convenable et a refusé de participer au processus en invoquant son invalidité, la soussignée estime bien malvenu de la part de son représentant d’invoquer que la CSST n’a pas tenu compte des goûts et intérêts du travailleur, d’autant plus que la preuve révèle que celui-ci n’a aucun intérêt pour quelque emploi que ce soit.

[112]     De plus, selon la jurisprudence, l’emploi convenable n’a pas à répondre parfaitement aux goûts et à la personnalité du travailleur. En l’absence de tout autre élément, le non-respect des goûts et intérêts d’un travailleur face à un emploi convenable n’est pas déterminant[14]. La loi n’exige pas de déterminer un emploi qui serait idéal pour le travailleur,  puisque l’emploi convenable retenu n’est pas un emploi que le travailleur sera nécessairement obligé d’occuper.[15]

[113]     En l’espèce, le travailleur a été dans le commerce pendant cinq ans, ce qui l’a amené à avoir un contact avec la clientèle. Il s’exprime aisément et de manière articulée. La soussignée estime qu’il existe une corrélation suffisante entre ces attributs et l’occupation de l’emploi de téléphoniste en télémarketing pour retenir, compte tenu des faits particuliers du présent dossier, que cet emploi est approprié même s’il n’est pas idéal et ne colle pas aux goûts et intérêts du travailleur.

[114]     Enfin, il n’a nullement été démontré que l’emploi déterminé pouvait comporter des dangers pour la santé et la sécurité du travailleur ou que cet emploi n’offrait pas de possibilités raisonnables d’embauche.

[115]     Pour tous ces motifs, la Commission des lésions professionnelles conclut que l’emploi de téléphoniste en télémarketing constitue un emploi convenable pour le tribunal. Malgré les prétentions du travailleur et de son représentant voulant que cet emploi ne constitue pas un emploi convenable, les lacunes dans la preuve ne permettent pas au tribunal de conclure en ce sens.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de monsieur Daniel Sicard, le travailleur;

CONFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 29 octobre 2010 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que l’emploi de téléphoniste en télémarketing constitue un emploi convenable pour monsieur Daniel Sicard et que ce dernier est apte à l’exercer à compter du 27 septembre 2010.

 

 

__________________________________

 

Sonia Sylvestre

 

 

 

 

Me Christian Bergevin

Slogar 2 SST inc.

Représentant de la partie requérante

 

 

 

Me Pierre Bouchard

Vigneault Thibodeau Bergeron, avocats

Représentant de la partie intervenante

 



[1]           Selon ce qu’il appert d’une note évolutive du 14 janvier 2010 rédigée par la docteure Gariépy, médecin-conseil à la CSST, cet antidépresseur, anxiolytique, analgésique est médicalement en lien avec la lésion reconnue de séquelles de discoïdectomie L5-S1.

[2]           Repères, Le site officiel de l’information scolaire et professionnelle [En ligne], <https://reperes7.reperes.qc.ca/reperes/asp/reperes.aspx, versé au dossier.

[3]           2011 QCCLP 986 .

[4]           L.R.Q., c. A-3.001.

[5]           Lefebvre et Infirmières Plus enr., C.L.P. 168587-72-0109, 17 juin 2003, C.-A. Ducharme; Dassylva et Groupe T.B.C inc. (F) et S.A.A.Q., C.L.P. 294372-63-0607, 16 novembre 2007, N. Lacroix.

[6]           Maltais et Acier d’armature Ferneuf inc. [2007] C.L.P. 929 .

[7]           Précitée, note 3.

[8]           Fortin et Entr. Peinturlure inc., C.L.P. 200948-01A-0302, 31 octobre 2004, C.-A. Ducharme          (décision accueillant la requête en révision); Nadeau et Les Produits Paradis 1988 inc. (fermé),   C.L.P. 249285-62B-0411, 16 mai 2005, J.-M. Dubois, révision rejetée, 5 décembre 2005, B.     Lemay.

[9]           Précitée, note 5.

[10]         Précitée note 5.

[11]         SAS-M-055960, 12 mars 2005, A. Leydet, avocate, S. Tardif, médecin.

[12]         Lavoie et Excavation Bernier & Frères 1984 inc., C.L.P. 172637-01Z-011, 4 juillet 2002, L. Collin; SAS-M-055960, précitée, note 11; Sanseverino et Banque Royale du Canada, C.L.P. 365464-64-0812, M. Montplaisir.

[13]         Lapointe et Atelier de mécanique Lapointe, C.L.P. 62422-64-9409, 23 janvier 1996, S. Di Pasquale.

[14]         Proulx et Ville de St-Raymond, C.L.P. 102034-03-9806, 10 février 1999, M. Beaudoin; Lambert et Service Aide aux Ainés, C.L.P. 110214-31-9902, 28 juillet 1999, M. Beaudoin; Venet et Électrique Haco inc., C.L.P. 105755-61-9810, 25 février 1999, M. Cuddihy; Jalbert et La Boîte à coupe, C.L.P. 151993-32-0011, 25 mars 2002, G. Tardif; Dunn et Services alimentaires Desco inc., C.L.P. 258882-63-0504, 8 décembre 2005, J.-P. Arsenault; Hubert et C.O.S.M.E. inc., C.L.P. 377817-71-0905, 31 mars 2010, F. Juteau.

[15]         Proulx et Ville de St-Raymond, précitée, note 14; Lambert et Service Aide aux Ainés, précitée, note 14.

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