Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

Boa-Franc, s.e.n.c. et Boulet

2012 QCCLP 5171

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Québec :

10 août 2012

 

Région :

Chaudière-Appalaches

 

Dossiers :

436014-03B-1104   437928-03B-1105

444919-03B-1107   454564-03B-1111

 

Dossier CSST :

134443050

 

Commissaire :

Paul Champagne, juge administratif

 

Membres :

Michel Piuze, associations d’employeurs

 

Yves Poulin, associations syndicales

 

 

Assesseur :

Yves Landry, médecin

______________________________________________________________________

 

 

 

Boa-Franc, s.e.n.c.

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Priscilla Boulet

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

Andy Barbe inc.

 

Partie intéressée

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

Dossier 436014-03B-1104

[1]           Le 15 avril 2011, Boa-Franc, s.e.n.c, (l’employeur) dépose auprès de la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 11 avril 2011 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme une décision qu’elle a initialement rendue le 2 février 2011 et elle déclare que madame Priscilla Boulet (la travailleuse) est atteinte d’une maladie pulmonaire professionnelle et qu’elle a droit aux prestations prévues par la loi.

Dossier 437928-03B-1105

[3]           Le 3 mai 2011, l’employeur dépose auprès de la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la CSST rendue le 26 avril 2011 à la suite d’une révision administrative.

[4]           Par cette décision, la CSST confirme une décision qu’elle a initialement rendue le 28 janvier 2011 et elle déclare que l’employeur doit être imputé du coût des prestations reliées à la maladie professionnelle dont est atteinte la travailleuse.

Dossier 444919-03B1107

[5]           Le 19 juillet 2011, l’employeur dépose auprès de la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la CSST rendue le 12 juillet 2011 à la suite d’une révision administrative.

[6]           Par cette décision, la CSST confirme une décision qu’elle a initialement rendue le 28 avril 2011 et elle déclare que la travailleuse a droit à la réadaptation.

Dossier 454564-03B-1111

[7]           Le 17 novembre 2011, l’employeur dépose auprès de la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la CSST rendue le 14 novembre 2011 à la suite d’une révision administrative.

[8]           Par cette décision, la CSST confirme deux décisions qu’elle a initialement rendues le 7 octobre 2011 et le 14 octobre 2011. La CSST déclare que la travailleuse a la capacité d’exercer l’emploi convenable de serveuse à compter du 3 octobre 2011 et qu’elle pourra tirer de cet emploi un revenu annuel de 20 126 $. La CSST déclare également que la travailleuse aura droit à une indemnité réduite de remplacement du revenu de 13 155,75 $ par année dès qu’elle travaillera comme serveuse ou à compter du 3 octobre 2012.

[9]           Une audience est tenue les 14 et 15 juin 2012 à Saint-Joseph-de-Beauce. L’employeur et la travailleuse sont présents et représentés.

[10]        L’employeur Andy Barbe inc. a été dûment convoqué dans le dossier portant le numéro 436014-03B-1104, mais il était absent lors de l’audience.

[11]        Le dossier a été mis en délibéré le 15 juin 2012.

L’OBJET DES CONTESTATIONS

Dossier 436014-03B-1104

[12]        L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que la travailleuse n’a pas subi de maladie pulmonaire professionnelle et qu’elle n’a pas droit aux prestations prévues par la loi.

Dossier 437928-03B-1105

[13]        L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer sans effet la décision rendue par la CSST le 26 avril 2011.

[14]        Subsidiairement, dans l’éventualité où le tribunal maintiendrait l’admissibilité de la maladie pulmonaire professionnelle de la travailleuse, l’employeur demande au tribunal de le convoquer à une audience pour qu’il présente toute preuve utile et soumette son argumentation.

Dossiers 444919-03B-1107 et 454564-03B-1111

[15]        L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer sans effet les décisions rendues par la CSST le 12 juillet 2011 ainsi que les 7 octobre 2011 et 14 novembre 2011. L’employeur prétend que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle, elle ne pouvait avoir droit à la réadaptation et il n’y avait pas lieu de lui déterminer un emploi convenable.

L’AVIS DES MEMBRES

Dossiers 436014-03B-1104, 444919-03B-1107 et 454564-03B-1111

[16]        Conformément aux dispositions de l’article 429.50 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), le soussigné a obtenu l’avis des membres qui ont siégé à l’audience sur la question faisant l’objet de la présente contestation.

[17]        Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que le tribunal devrait accueillir les requêtes de l’employeur. La preuve prépondérante démontre que la travailleuse n’est pas atteinte d’un asthme. Puisque la travailleuse n’a pas de maladie professionnelle, elle ne peut avoir droit à la réadaptation et il n’y avait pas lieu de lui déterminer un emploi convenable.

[18]        Le membre issu des associations syndicales est d’avis que le tribunal devrait rejeter les requêtes de l’employeur. Il s’en remet aux avis des membres du Comité des maladies pulmonaires professionnelles ainsi qu’aux membres du Comité spécial des présidents sur cette question. La travailleuse a donc droit à la réadaptation et il y a avait lieu de lui déterminer un emploi convenable ailleurs sur le marché du travail en raison de sa limitation fonctionnelle.

LES FAITS ET LES MOTIFS

[19]        Dans un premier temps, le tribunal doit décider si la travailleuse est atteinte d’une maladie pulmonaire professionnelle. S’il y a lieu, le tribunal devra décider des autres questions en litige dans la présente affaire.

[20]        Du dossier constitué de la CSST, de la preuve documentaire déposée à l’audience ainsi que des témoignages entendus à l’audience, le tribunal retient les éléments suivants.

[21]        La travailleuse est opératrice de couleur et de ligne de vernissage pour l’employeur depuis 2002. L’employeur est une entreprise spécialisée dans la fabrication de plancher en bois franc, les tâches de la travailleuse consistent à faire des mélanges de teintures et de vernis destinés à être appliqués sur des lattes de bois franc et à surveiller les équipements de production.

[22]        Le 14 décembre 2009, la travailleuse consulte le docteur Couillard, il mentionne sur une attestation médicale destinée à la CSST les éléments suivants :

Dermatite de contact à la main bilat et Allergie volatile vue rash + angio œdème.

[…]

 

[23]        Le 21 janvier 2010, la travailleuse consulte la docteure Lantagne pour un bronchospasme, une évaluation en pneumologie est prescrite. La travailleuse poursuit son travail en prenant des « Réactine ».

[24]        Le 25 janvier 2010, le docteur Dion prescrit des tests d’allergie pour un eczéma des mains.

[25]        Le 29 janvier 2010, le docteur Dion inscrit sur un rapport médical que les tests épicutanés standards n’ont démontré aucune allergie.

[26]        Les notes évolutives au dossier, datées du 21 avril 2010 et du 29 avril 2010 font état des démarches de l’agente de la CSST au dossier, la travailleuse est informée qu’elle doit se procurer une attestation médicale CSST pour sa condition pulmonaire afin que le dossier soit acheminé au comité sur les maladies pulmonaires professionnelles (CMPP). La travailleuse s’engage alors à prendre rendez-vous avec son médecin. Le 6 juin 2010, la travailleuse sera référée en pneumologie par son médecin.

[27]        Le 21 juin 2010, la travailleuse rencontre le docteur Dominique Deschênes, pneumologue, celui-ci est d’avis que la travailleuse ne présente aucune évidence d’asthme. Dans son rapport, il mentionne que la travailleuse n’a pas d’adénopathies ni de clubbing, l’auscultation pulmonaire est normale, les bruits du cœur sont réguliers et sans souffle, l’abdomen est sans particularité et les membres inférieurs sont libres d’œdème. Il mentionne également qu’une épreuve de provocation bronchique à la métacholine a révélé des débits expiratoires normaux et une CP20 supérieure à 16, ce qui est normal.

[28]        Afin d’exclure tout doute sur une réaction des voies respiratoires à l’Azéridine, le docteur Deschênes prescrit des tests par débits expiratoires de pointe au produit à réaliser de façon sériée au travail et à la maison pendant un mois.

[29]        Le 20 juillet 2010, le docteur Deschênes, dans un complément d’information adressée au docteur Dion, indique que des débits expiratoires au travail ne montrent pas de franche variation avec l’exposition dans le milieu professionnel. Puisque la travailleuse rapporte des difficultés respiratoires en contact avec le catalyseur de vernis, il demande une consultation en allergologie. Il conclut qu’il n’y a pas d’évidence d’asthme.

[30]        Le 29 juillet 2010, la travailleuse consulte le docteur Bérubé qui diagnostique un bronchospasme sévère suite à l’inhalation de catalyseur de peinture, il réfère la travailleuse en pneumologie. Le 30 juillet 2010, la travailleuse consulte à nouveau le docteur Bérubé pour une récidive de bronchospasme. La travailleuse sera en arrêt de travail par la suite.

[31]        Le 3 septembre 2010, Le Comité des maladies pulmonaires professionnelles rend un premier avis. Le rapport du Comité fait état des éléments suivants :

[…]

 

Histoire de la maladie actuelle : Le 14 décembre 2009, madame Boulet aurait fait un épisode d’urticaire avec angio-œdème survenu au travail après avoir mélangé un catalyseur avec de la teinture. Elle a eu des plaques érythémateuses diffuses sur tout le corps  avec œdème au niveau de la gorge. Elle a par la suite commencé à prendre du Reactine qu’elle a dû utiliser tous les jours pour aller travailler. Sinon elle présentait à chaque fois une réaction cutanée immédiate avec récidive des symptômes associés d’œdème angioneurotique. Le 29 juillet 2010, elle a brassé de la teinture avec un catalyseur. 5 à 10 minutes plus tard, elle a développé de la toux importante avec une dyspnée subite, des sillements et une lipothymie. Elle n’a pas perdu conscience. Elle a été emmené à l’urgence et on lui a administré du Solu-Medrol et du Ventolin. Elle a été observée pendant ½ journée et les symptômes sont rentrés dans l’ordre. Le lendemain, soit le 30 juillet 2010, la patiente est passée devant la chaudière de teinture qui contenait du catalyseur et les symptômes respiratoires ont récidivé. Elle avait alors du Ventolin qu’elle a pris immédiatement, ce qui a amélioré les symptômes. Elle a été retiré du travail le 30 juillet 2010 et n’a eu aucune récidive des systèmes respiratoires. Elle a cessé la Reactine. Madame Boulet n’avait jamais fait de bronchospasme auparavant. Il lui arrivait d’avoir des éternuements au travail et de la rhinorrhée claire mais sans plus.

 

[…]

 

Opinion et commentaires : Cette patiente a présenté une réaction anaphylactique très importante qui s’est accompagnée de manifestation cutanée sous forme d’éruption urticarienne et prurigineuse associée à de l’œdème angioneurotique et du bronchospasme. Le produit incriminé est le catalyseur de teinture CS-100 SAMPLE 1lb. Ce produit est constitué à 99,7 %  par l’aziridine qui est une substance connue comme un sensibilisant de l’arbre respiratoire.

 

Par ailleurs, la patiente n’avait pas d’antécédent d’asthme et n’a jamais présenté d’autre réaction allergique dans le passé.

 

Avant de donner un avis définitif, notre comité recommande qu’on explore la possibilité de faire un test de provocation en laboratoire mais avec la plus grande prudence. On devra faire un « patch test » cutané. Dépendant de la réaction obtenue sur ce test, on décidera alors s’il faut ou non poursuivre avec un test d’inhalation de l’aziridine.

 

[sic]

 

[32]        Le 25 octobre 2010, la travailleuse passe un test de provocation bronchique spécifique en laboratoire. Le docteur Marc Desmeules, pneumologue, mentionne dans son  rapport les éléments suivants :

[…]

 

Entre 1h 30 et 2 heures après l’application du « patch test », la patiente commence à présenter un éternuement et un écoulement nasal important, la face et la peau rougis, les yeux deviennent injectés, elle se plaint d’étourdissement, d’une vague sensation de serrement laryngé accompagnée d’un rash au niveau des deux mains. Le « patch » est retiré immédiatement et montre une plaque de rougeur plus marquée et oedémateuse à ce niveau. L’auscultation pulmonaire ne montre pas de sibilance. Nous poursuivons la surveillance du VEMS pour une durée totale de 5 heures. Les valeurs demeurent normales, la patiente n’a pas présenté de bronchospasme.

 

Conclusion : devant cette réaction cutanée rapide et assez sévère , nous décidons d’interrompre l’épreuve de provocation spécifique à l’azinidrine. Nous sommes d’avis que les risques qui seraient associés à une inhalation de ce produit ne seraient pas sécuritaires pour cette patiente. Nous croyons également que les résultats observés font la démonstration que cette patiente, à tout le moins, une très forte sensibilisation cutanée à l’azinidrine.

 

[33]        Le 29 octobre 2010, le Comité des maladies pulmonaires professionnelles de Québec se réunit à nouveau. Dans un rapport complémentaire, le Comité fait état des éléments suivants :

[…]

 

Le faciès, tel qu’en témoigne les photos annexées, démontrait une conjonctivite extrêmement importante avec rougeur également du menton et des lèvres. Le VEMS toutefois ne s’est pas modifié sur la période d’observation qui s’est prolongée sur une période totale d’environ 5 heures.

 

Cet événemnet fait donc la démonstration que la patiente a une sensibilisation cutanée très importante à l’Aziridine. Nous n’avons pas mis en évidence de bronchospasme avec ce test cutané. Cependant, il nous apparait imprudent de poursuivre l’investigation par nébulisation à cause des dangers qui pourrainet comporter pour la malade. Nous avons donc convenu de ne pas poursuivre le test de provocation spécifique, estimant que la démonstration de la sensibilisation, à tout le moins, sur le plan cutané, était faite.

 

Après avoir revu l’ensemble des données de ce dossier, considérant les événements décrits au cours de la dernière année où la patiente a fait notamment de l’œdème angioneurotique, ayant dû travailler avec de la Reactine pendant quelques mois et ayant présenté des épisodes de bronchospasme sévère à 2 reprises, en juillet, associés à la démonstration de ce test de provocation, suffisent à notre avis, à porter un diagnostic d’asthme professionnel par sensibilisation à l’Aziridine.

 

[sic]

 

[34]        Le 9 décembre 2010, le Comité Spécial des présidents entérine les conclusions du Comité des maladies pulmonaires professionnelles à l’effet que la travailleuse présente un asthme professionnel par sensibilisation à l’Aziridine.

[35]        Le 21 mars 2011, le docteur Paolo Renzi, médecin désigné de l’employeur, produit une opinion médicale dans laquelle il mentionne les éléments suivants :

1. Le diagnostic;

 

1. Pas d’évidence d’asthme d’après les documents qui ont été fournis.

 

2. Allergie à l’Azéridine selon la réponse aigue cutanée lors du « patch test » cutané. La présence de : yeux rouges, étourdissements, érythème laryngé et rash au niveau des mains est extrêmement atypique d’une réaction au « patch test ». Le Dr Desmeules a considéré que ceci était compatible avec une anaphylactie à l’Aziridine. J’ai révisé la littérature médicale et une réaction anaphylactique à l’Aziridine sous forme de patch test n’est pas décrite. Il y a cependant des cas d’allergie à l’Aziridine qui engendrent des problèmes cutanés et/ou d’asthme.

 

La tension artérielle est rapportée normale, la saturation en oxygène est normale, la fréquence est dans les limites de la normale à 92 battements/minute. Le VEMS ne change aucunement durant cette période. Il est donc clair qu’il n’y a pas eu d’anaphylaxie lors du « patch test » et il est difficile pour moi au niveau physio-pathologique d’expliquer comment l’application d’Aziridine au niveau cutané s’est rendue au niveau  des conjonctives, du larynx et des mains sans avoir d’effet systémique et sans avoir d’effet sur le VEMS1.

 

[…]

 

Comme je l’ai donc mentionné, il n’y a aucune évidence d’asthme au dossier mais le Comité s’est basé sur la présomption en considérant que les symptômes et signes rapportés lors du patch test et lors de la visite à l’urgence sont compatibles avec une réaction importante à l’Aziridine.

 

[…]

 

[36]        Le docteur Renzi conclut par ailleurs qu’il est probable que l’Aziridine ait causé une réaction cutanée. Pour compléter son opinion, le docteur Renzi demande que les résultats des tests de débit de pointe lui soient transmis ainsi que les documents associés aux visites à l’urgence.

[37]        Le 14 avril 2011, le docteur Renzi produit un rapport complémentaire dans lequel il commente l’évaluation réalisée par le docteur Steeve Couillard le 14 décembre 2009. Cette évaluation ne fait état d’aucun angio-œdème et donc aucune évidence d’anaphylaxie. Le docteur Renzi demande que lui soit acheminées les notes de l’urgence du 29 juillet 2010 et du 30 juillet 2010.

[38]        Le 6 mai 2011, suite à l’analyse de documents additionnels[2] qui lui ont été transmis, le docteur Renzi produit un complément d’expertise dans lequel il fait état des éléments suivants :

[…]

 

Madame Boulet avait beaucoup de symptômes avec des examens pulmonaires et saturations en oxygène normaux il n’y a malheureusement pas eu de spirométrie effectuée au moment des symptômes. J’ai pris connaissance que les débits de pointe n’ont pas varié de façon significative lorsque madame Boulet était au travail et l’amélioration complète  en 1 heure à 2 h ½ va à l’encontre d’un angio-œdème ou d’un bronchospasme significatif.

 

Dans ce contexte je maintiens mon opinion médicale du 21 mars 2011 qu’il n’y a pas d’évidence d’asthme chez Mme Boulet. S’il n’y a pas d’asthme  il n’y a donc pas d’asthme professionnel.

 

Basé sur les informations additionnelles, je remets en question le diagnostic d’allergie cutanée à l’Aziridine. En effet, la symptomatologie que je retrouve dans ce dossier va plus avec un diagnostic d’hyperventilation et/ou de dysfonction des cordes vocales. […]

 

[39]        À l’audience, la travailleuse a témoigné. La travailleuse a fait état de son historique de travail chez l’employeur ainsi qu’une description de ses tâches habituelles à son poste d’opératrice sur la ligne de vernissage. Elle prépare les teintures 10 à 15 fois par jour. Au besoin, elle ajoute un catalyseur pour épaissir les teintures. Une bonne partie de son temps de travail consiste à activer les équipements de l’employeur et surveiller le bon fonctionnement de ceux-ci.

[40]        En 2003 et 2004, la travailleuse a eu des démangeaisons et des rougeurs aux bras et aux mains. Des tests d’allergie aux vernis, au catalyseur et à la teinture ont été réalisés en 2004 ou 2005 et les résultats ont été négatifs.

[41]        De façon périodique, la travailleuse a des rougeurs aux mains. La travailleuse a aussi une toux « creuse » surtout en début de semaine. Elle porte des gilets à manche longue et elle a commencé à prendre des « Reactine » et des « Bénadryl » en octobre 2009.

[42]        La travailleuse a affirmé que c’est à la demande de la CSST, en avril 2010, qu’elle a fait les démarches utiles pour être examinée par un pneumologue. Le docteur Deschênes, pneumologue, l’a référé  en allergologie mais elle n’y est pas allée.

[43]        Le 29 juillet 2010, en brassant la teinture, la travailleuse s’est mise à tousser et elle voyait des « étoiles », elle a consulté un médecin. Elle portait un masque avec cartouche pour faire le mélange. Le lendemain, soit le 30 juillet 2010, la travailleuse a eu les mêmes symptômes et elle a consulté à nouveau un médecin.

[44]        Suite à son retrait du milieu du travail, la travailleuse a affirmé qu’elle n’a plus aucun symptôme. Elle n’a plus de rougeur sur la peau et elle ne tousse plus.

[45]        Le tribunal a aussi entendu le témoignage de monsieur Stéphane Champagne, superviseur chez l’employeur. Monsieur Champagne a fait état de quelques malaises occasionnels que la travailleuse a présenté entre le mois de février 2010 et le mois de juillet 2010 soient de la toux et des rougeurs. Lorsque la travailleuse était stressée, il a constaté que des rougeurs apparaissaient. Monsieur Champagne a aussi affirmé qu’il n’y avait aucun cas d’asthme chez l’employeur.

[46]        Madame Marie-Chantale Lecours a témoigné à l’audience, elle est responsable des dossiers de santé et de sécurité chez l’employeur. Elle a affirmé que l’employeur n’avait pas reçu les rapports médicaux du docteur Deschênes datés du 21 juin 2010 et du 20 juillet 2010 ni les résultats des tests de débit de pointe effectués en juin et juillet 2010. Suite à des demandes répétées auprès de la travailleuse, elle les a obtenus par télécopieur le 29 avril 2011. Une demande de reconsidération a alors été déposée auprès de la CSST puisque le pneumologue traitant de la travailleuse est d’avis qu’il n’y a pas d’évidence d’asthme relié au travail et que les résultats des tests de débit de pointe étaient négatifs.

[47]        Madame Lecours a également affirmé qu’elle a communiqué avec la travailleuse le 9 août 2010 et celle-ci lui aurait dit qu’elle faisait une bronchite.

[48]        Le docteur Paolo Renzi, pneumologue, a également témoigné en qualité d’expert pour l’employeur. Le docteur Renzi est d’avis que la travailleuse n’est pas atteinte d’asthme. Les tests effectués par le docteur Deschênes en juin et juillet 2010 en milieu de travail se sont avérés négatifs, ce médecin a conclu alors qu’il n’y avait pas d’évidence d’asthme relié au travail.

[49]        Le docteur Renzi retient également que les examens cliniques effectués lors des consultations médicales du 29 et du 30 juillet 2010 font état d’une saturométrie  et d’un rythme cardiaque normaux, deux signes incompatibles avec un bronchospasme.

[50]        Le docteur Renzi a analysé les résultats du « patch test » et des examens des fonctions respiratoires effectués le 25 octobre 2010.  Il est d’avis que le test démontre une réaction cutanée à l’Aziridine mais aucune au niveau des poumons. Le test effectué chez la travailleuse ne rencontre pas les directives de la Société canadienne de thoracologie pour l’asthme professionnel[3] puisque la travailleuse n’a pas passé les tests bronchiques standards. Lors du test, les mesures des VEMS sont demeurées normales, l’auscultation pulmonaire ne fait état d’aucune sibilance.

[51]        Pour le docteur Renzi, il faut différencier les effets irritatifs des effets bronchiques, la travailleuse a probablement fait un eczéma en réaction au contact cutané avec la « patch ». Pour expliquer la voix enrouée de la travailleuse, le docteur Renzi est d’avis qu’elle peut être causée par un reflux d’acide gastrique, ceci provoque la fermeture de la glotte et cause de l’essoufflement, ce phénomène est souvent associé à de l’asthme. Un examen plus poussé est alors nécessaire.

[52]        Le docteur Renzi a également affirmé que les symptômes qu’a présentés la travailleuse peuvent être d’origine psychologique. Le stress peut causer tous les symptômes constatés chez la travailleuse.

[53]        Lors de son témoignage, le docteur Renzi s’est référé à des articles de doctrine médicale concernant l’asthme professionnel[4], la dysfonction des cordes vocales[5] et les facteurs psychologiques à l’origine des maladies de la peau[6].

[54]        À ce stade, le tribunal dispose de toute la preuve utile pour disposer des litiges dans le présent dossier.

[55]        Pour conclure à l’existence d’une maladie et de sa relation avec le travail, il faut d’abord qu’il soit démontré l’existence même de cette maladie. Dans le présent dossier, la preuve prépondérante ne permet pas de conclure à l’existence d’un asthme chez la travailleuse.

[56]        Le tribunal s’en remet aux conclusions des docteurs Deschênes et Renzi sur cette question. Le docteur Deschênes a conclu que la travailleuse ne présentait pas un asthme suite aux tests de débit de pointe effectués en juin et juillet 2010.

[57]        Les conclusions du docteur Renzi sont au même effet. Suite à l’analyse de l’ensemble de la preuve médicale au dossier, le docteur Renzi constate que les examens médicaux et le test en laboratoire font état d’un rythme cardiaque normal, d’un VEMS1 normal, sans sibilance ni angio-œdème ni de réaction anaphylactique. Dans tous les cas, les examens médicaux de la travailleuse ne font état d’aucun symptôme d’un asthme.

[58]        Le tribunal constate que les avis du CMPP et du Comité spécial des présidents ont été rendus alors qu’ils ne disposaient pas des notes médicales des consultations de la travailleuse, ni des rapports du docteur Deschênes, ni des résultats des tests de débit de pointe effectués en juin et juillet 2010.

[59]        Les conclusions des comités sont donc fondées sur un dossier incomplet. Le tribunal présume que leurs conclusions auraient été différentes si tous les éléments pertinents avaient été portés à leur connaissance. Le CMPP a conclu à l’existence d’un asthme en considérant le fait que la travailleuse a présenté des bronchospasmes à 2 reprises en juillet 2010 et que le test de provocation a démontré que la travailleuse présente une sensibilisation cutanée importante à l’Aziridine. Or, les notes médicales, suite aux consultations de la travailleuse, ne font état d’aucune atteinte au niveau des fonctions respiratoires. Il en a été de même à la suite des tests de débit de pointe réalisés en juin et juillet 2010 et du « patch test » du 25 octobre 2010.

[60]        Puisqu’il est démontré que la travailleuse n’est pas atteinte d’un asthme, elle ne peut être atteinte d’une maladie pulmonaire professionnelle.

[61]        Dans les circonstances, les requêtes de l’employeur sont donc accueillies.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossier 436014-03B-1104

ACCUEILLE la requête de Boa-Franc, s.e.n.c., l’employeur;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 11 avril 2011 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que madame Priscilla Boulet, la travailleuse, n’est pas atteinte d’une maladie pulmonaire professionnelle;

DÉCLARE que la travailleuse n’a pas droit aux prestations prévues par la loi.

Dossier 437928-03B-1105

DÉCLARE sans objet la requête de Boa-Franc, s.e.n.c., l’employeur;

DÉCLARE sans effet la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 26 avril 2011 à la suite d’une révision administrative.

Dossier 444919-03B-1107

DÉCLARE sans objet la requête de Boa-Franc, s.e.n.c., l’employeur;

DÉCLARE sans effet la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 12 juillet 2011 à la suite d’une révision administrative.

Dossier 454564-03B-1111

DÉCLARE sans objet la requête de Boa-Franc, s.e.n.c., l’employeur;

DÉCLARE sans effet la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 14 novembre 2011 à la suite d’une révision administrative.

 

 

__________________________________

 

Paul Champagne

 

 

 

 

Me Jean-François Lecours

Beauvais, Truchon et ass.

Représentante de la partie requérante

 

 

Monsieur Benoît Boulet

Syndicat des Métallos

Représentant de la partie intéressée

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           Dont les notes médicales de l’urgence du 29 juillet 2010 et du 30 juillet 2010.

[3]           S. M. TARLO et al., « Directives de la Société canadienne de thoracologie pour l’asthme professionnel », (1998) 5 Can Respir J, pp. 397-410.

[4]           André CARTIER et al., « Guidelines for Bronchoprovocation on the Investigation of Occupationnal Asthma », (1989) 84 J. Allergy Clin Immunol, pp. 823-829; S. M. TARLO « Diagnosis and Management of Work-Related Asthma », (2008) 134 (Suppl.) Chest, pp. 15-45; André CARTIER, « Séminaires sur le traitement de l’asthme », (1998) 2 L’asthme professionnel, pp. 1-15.

[5]           Michael J. MORRIS et al., « Diagnostic Criteria for the Classification of Vocal Cord Dysfunction », (2010) 138 Chest, pp. 1213-1223.

[6]           A. KIMYAI-ASADI et al., « The Role of Psychological Stress in Skin Disease », (2001) Journal of Cutaneous Medicine and Surgery, pp. 140-145; J. A. COTTERILL, « Psychological Aspects of Eczema » (1990) 9, Seminars in Dermatology, pp. 216-219.

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