Décision

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Modèle de décision CLP - juin 2011

Jubinville et Hôpital Maisonneuve-Rosemont

2012 QCCLP 3277

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

15 mai 2012

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

409686-71-1004

 

Dossier CSST :

135662112

 

Commissaire :

Lina Crochetière, juge administratif

 

Membres :

Alain Crampé, associations d’employeurs

 

Isabelle Duranleau, associations syndicales

 

 

Assesseur :

Serge Bélanger, médecin

______________________________________________________________________

 

 

 

Nathalie Jubinville

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Hôpital Maisonneuve-Rosemont

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 30 avril 2010, madame Nathalie Jubinville (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 9 avril 2010, à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, l’instance de révision confirme la décision initiale rendue le 16 février 2010 et déclare que la travailleuse n’a pas subi de lésion professionnelle le 2 novembre 2009.

[3]           L’audience est tenue à Montréal les 25 janvier 2011, 11 avril 2011 et 7 juin 2011. La travailleuse est présente lors des trois audiences. Elle n’est pas représentée lors des deux premières audiences mais est représentée lors de la dernière audience. L’Hôpital Maisonneuve-Rosemont (l’employeur) et la CSST, partie intervenante, sont représentés lors des trois audiences.

[4]           Des délais sont consentis aux procureurs des parties pour compléter la preuve médicale et produire une argumentation écrite. Sur réception du dernier document, la cause est prise en délibéré le 7 octobre 2011.

[5]           Entre-temps, le 12 septembre 2011, le tribunal retourne à la travailleuse une lettre par laquelle elle veut exprimer des choses qu’elle n’a pas exprimées à l’audience parce que trop intimidée. Le tribunal rappelle à la travailleuse qu’elle a témoigné lors des trois audiences et qu’il ne lui a pas été permis, à la suite de ces audiences, de produire des commentaires écrits susceptibles d’introduire en preuve de nouveaux faits alors que les autres parties ne peuvent plus la contre-interroger.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[6]           La travailleuse demande au tribunal de reconnaître qu’elle a subi une lésion professionnelle, le 2 novembre 2009 une « réaction vaccinale sévère » et/ou une « myélite transverse » à la suite de l’administration du vaccin Arepanrix avec adjuvant contre l’influenza pandémique A-H1N1 dans le cadre de son travail d’infirmière de recherche. Le diagnostic à retenir, aux fins de rendre la décision sur l’admissibilité de la réclamation, fait l’objet d’un débat contradictoire que le tribunal tranchera plus loin.

LE MOYEN PRÉALABLE portant sur le statut du docteur Karl Weiss

[7]           Vu les allégations de la travailleuse au dossier, le tribunal devait vérifier, avant d’entendre la cause au mérite, si le docteur Karl Weiss, spécialiste en microbiologie médicale, infectiologie et maladies infectieuses, directeur de recherche clinique à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, était l’employeur de la travailleuse.

L’avis des membres

[8]           Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont d’avis que l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont est l’employeur au dossier.

Les faits et motifs

[9]           Le présent tribunal est tenu au respect des règles de justice naturelle. Ces règles fondamentales, d’origine ancienne, ont été développées en jurisprudence et ont été intégrées à nombre de lois et de règlements.

[10]        L’article 9 de la Loi sur la justice administrative[1] prévoit que les procédures menant à une décision prise par un organisme[2], telle la Commission des lésions professionnelles, sont conduites, de manière à permettre un débat loyal, dans le respect du devoir d’agir de façon impartiale. L’article 10 prévoit que l’organisme est tenu de donner aux parties l’occasion d’être entendues.

[11]        L’article 1 du Règlement sur la preuve et la procédure de la Commission des lésions professionnelles[3], qui s’applique aux recours soumis à la Commission des lésions professionnelles, vise le traitement des demandes dans le respect des règles de justice naturelle et de l’égalité des parties.

[12]        Ainsi, toutes les parties[4] à un litige ont le droit d’être entendues et, à cette fin, le tribunal doit les convoquer en audience. Chaque partie est libre de se présenter ou non. Le tribunal peut débuter l’audience malgré l’absence d’une partie si celle-ci a été dûment convoquée car le tribunal s’est alors acquitté de son devoir de l’informer de la tenue de l’audience.

[13]        L’employeur inscrit au dossier, par la CSST, est l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont. Dans la preuve versée au dossier, la travailleuse alléguait qu’en tant qu’infirmière de recherche, son employeur était le docteur Weiss. Pour la première audience du 25 janvier 2011, ce dernier n’avait pas été convoqué et était absent.

[14]        Afin de déterminer si le docteur Weiss devait vraiment être convoqué, le tribunal a soulevé cette question au début de l’audience, le 25 janvier 2011, et la travailleuse a été brièvement interrogée concernant ses allégations. Elle a affirmé n’être plus l’employée de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont. Les parties ont fait des représentations. Un appel téléphonique en mode main-libre a été fait, en salle d’audience, afin d’informer le docteur Weiss de la situation. Une date d’audience a été fixée au 11 avril 2011 afin que celui-ci soit présent et que la situation soit clarifiée.

[15]        Lors de l’audience du 11 avril 2011, le docteur Weiss a témoigné concernant  son statut de médecin effectuant de la recherche à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont. Cet établissement gère les fonds de recherche et fournit les employés.

[16]        Vu la présence du docteur Weiss à l’audience, le tribunal a voulu le questionner concernant les constatations cliniques qu’il a faites dans le dossier de la travailleuse. Avant de répondre, le docteur Weiss a demandé un ajournement, ce qui fut accordé. Il s’est présenté à la troisième audience du 7 juin 2011 et a témoigné concernant ses constatations cliniques et les documents qu’il a produits.

[17]        Le tribunal ne résume pas ici l’ensemble de la preuve entendue sur la question préliminaire, ne jugeant plus l’exercice utile. Qu’il suffise de mentionner que les liens juridiques entre le Centre de recherche, l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, les compagnies pharmaceutiques, les médecins et les employés de recherche sont complexes et le tribunal estime que les allégations de la travailleuse sont insuffisantes pour effectuer des modifications à son dossier et considérer que son employeur était le docteur Weiss plutôt que l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont. La travailleuse n’a présenté aucune argumentation soutenant que le docteur Weiss était son employeur et l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont qui se dit l’employeur au dossier, inclut le revenu de la travailleuse dans sa masse salariale aux fins de sa cotisation à la CSST.

[18]        La principale question en litige dont le tribunal est saisi est l’admissibilité de la réclamation de la travailleuse et la préoccupation initiale du tribunal était de vérifier si toutes les parties au litige étaient dûment convoquées afin de respecter les règles de justice naturelle. Compte tenu des représentations initiales de la travailleuse, la question devait être discutée et le docteur Weiss avait le droit d’être convoqué et avisé des allégations concernant son statut afin de pouvoir faire valoir son point de vue.

[19]        L’employeur au dossier demeure l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont.

LA QUESTION PRÉLIMINAIRE portant sur la compétence du tribunal

[20]        Lors de la seconde audience, le 11 avril 2011[5], la procureure de l’employeur soulève une objection portant sur la compétence du tribunal à entendre la présente cause. Elle soutient que la Loi sur la santé publique[6] prévoit un régime d’indemnisation complet et que la demande d’indemnisation de la travailleuse aurait dû être présentée selon cette loi. La procureure de l’employeur soumet que la Commission des lésions professionnelles n’a pas compétence pour disposer du présent recours. Cette objection est prise sous réserve à l’audience et le tribunal doit maintenant en disposer.

L’avis des membres

[21]        La membre issue des associations syndicales est d’avis que la Commission des lésions professionnelles a compétence pour statuer sur l’admissibilité de la réclamation de la travailleuse logée en application de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[7] (la loi).

[22]        Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis que, dans le cas d’un préjudice résultant d’une vaccination, seule la Loi sur la santé publique et son règlement s’appliquent et que la Commission des lésions professionnelle n’a pas compétence pour disposer de la réclamation de la travailleuse.

Les faits et motifs

[23]        Voici les dispositions pertinentes de la Loi sur la santé publique :

CHAPITRE I

OBJET DE LA LOI

 

1. La présente loi a pour objet la protection de la santé de la population et la mise en place de conditions favorables au maintien et à l'amélioration de l'état de santé et de bien-être de la population en général.

[...]

 

SECTION III

INDEMNISATION DES VICTIMES D'UNE VACCINATION

 

70. Dans la présente section, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

1° «victime»: la personne vaccinée, la personne qui contracte la maladie d'une personne vaccinée ou le fœtus de l'une ou l'autre de ces personnes, ou, s'il y a décès, la personne qui a droit à une indemnité de décès;

 

2° «préjudice corporel»: préjudice permanent grave, physique ou mental, incluant le décès.

2001, c. 60, a. 70.

 

71. Le ministre indemnise, sans égard à la responsabilité de quiconque, toute victime d'un préjudice corporel causé par une vaccination volontaire contre une maladie ou infection prévue au règlement du gouvernement pris en vertu de l'article 137 ou causé par une vaccination imposée en vertu de l'article 123.

 

Dans les deux cas, la vaccination doit avoir eu lieu au Québec.

2001, c. 60, a. 71.

 

72. Les règles prévues à la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A-25) et à ses règlements s'appliquent au calcul de l'indemnité prévue à l'article 71, compte tenu des adaptations nécessaires.

2001, c. 60, a. 72.

 

73. Le droit à une indemnité, en vertu de la présente section, se prescrit par trois ans à compter de la date de l'acte vaccinal et, dans le cas d'une indemnité de décès, à compter de la date de ce décès.

 

Toutefois, si le préjudice corporel se manifeste graduellement, le délai ne court qu'à compter du jour où il s'est manifesté pour la première fois.

2001, c. 60, a 73.

 

74. La victime peut, en outre, exercer une poursuite civile contre toute personne responsable des préjudices corporels.

2001, c. 60, a. 74.

 

75. Le ministre est subrogé de plein droit aux droits et actions de la victime contre le responsable du préjudice jusqu'à concurrence du montant de l'indemnité qu'il a versé ou du capital représentatif des rentes qu'il est appelé à verser.

2001, c. 60, a. 75.

 

76. Un réclamant qui se croit lésé par une décision rendue par le ministre en vertu des articles 71 et 72 peut, dans un délai de 60 jours de la date de sa notification, la contester devant le Tribunal administratif du Québec.

2001, c. 60, a. 76.

 

77. Un recours devant le Tribunal administratif du Québec ne suspend pas le paiement d'une indemnité versée sous forme de rente.

2001, c. 60, a. 77.

 

78. Les sommes nécessaires à l'application de la présente section sont prises sur le fonds consolidé du revenu.

2001, c. 60, a. 78.

 

 

[24]        Le Règlement d’application de la Loi sur la santé publique[8] prévoit les règles relatives à la réclamation d’une victime faite auprès du ministre de la Santé et des Services sociaux. Cette réclamation est examinée par un comité d’évaluation, formé de trois médecins, qui étudie le dossier, évalue l’existence d’un lien de causalité, l’indemnité et fait des recommandations au ministre. Ce comité peut examiner la victime, établir un diagnostic, l’incapacité et le pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique. Le ministre rend sa décision après examen des recommandations de ce comité.

[25]        La procureure de l’employeur plaide que la Loi sur la santé publique prévoit un régime d’indemnisation pour toutes les personnes vaccinées. La victime peut, en outre, exercer une poursuite civile et le ministre est alors subrogé de plein droit, ce qui fait échec à la double indemnisation. Elle soumet que la Loi sur la santé publique ne prévoit pas que la personne puisse exercer d’autres recours. Elle soumet que la loi et son règlement d’application prévoient un régime d’indemnisation complet, spécialisé pour se prononcer sur le lien de causalité entre la vaccination et les symptômes et traitant de questions médicales avancées. Elle affirme que le programme d’indemnisation, dispensé par la Société d’assurance automobile du Québec, est similaire au régime offert par la CSST. En cas de contestation, un recours peut être logé au Tribunal administratif du Québec.

[26]        La procureure de la CSST plaide, pour sa part, qu’aucune disposition de la Loi sur la santé publique ne prévoit que le ministre, la Société d’assurance automobile du Québec ou le Tribunal administratif du Québec ont compétence exclusive en matière d’indemnisation à la suite d’une vaccination. Elle interprète que l’expression « en outre » utilisée à l’article 74 de la Loi sur la santé publique implique qu’une victime a d’autres recours.

[27]        Elle soumet que l’interdiction du cumul d’indemnités, prévue à l’article 448 de la loi, ne s’applique pas au présent cas car la travailleuse n’est pas dans la situation où elle reçoit déjà une indemnité de remplacement du revenu et réclame pour un nouvel événement :

448.  La personne à qui la Commission verse une indemnité de remplacement du revenu ou une rente pour incapacité totale en vertu d'une loi qu'elle administre et qui réclame, en raison d'un nouvel événement, une telle indemnité ou une telle rente en vertu de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A-25) ou d'une loi que la Commission administre, autre que celle en vertu de laquelle elle reçoit déjà cette indemnité ou cette rente, n'a pas le droit de cumuler ces deux indemnités pendant une même période.

 

La Commission continue de verser à cette personne l'indemnité de remplacement du revenu ou la rente pour incapacité totale qu'elle reçoit déjà, s'il y a lieu, en attendant que soient déterminés le droit et le montant des prestations payables en vertu de chacune des lois applicables.

__________

1985, c. 6, a. 448.

 

 

[28]        Elle soumet aussi que l’option exigée à l’article 452 de la loi ne s’applique pas car la Loi sur la santé publique n’est pas une loi « autre » qu’une loi du Parlement du Québec :

452.  Si une personne a droit, en raison d'une même lésion professionnelle, à une prestation en vertu de la présente loi et en vertu d'une loi autre qu'une loi du Parlement du Québec, elle doit faire option et en aviser la Commission dans les six mois de l'accident du travail ou de la date où il est médicalement établi et porté à la connaissance du travailleur qu'il est atteint d'une maladie professionnelle ou, le cas échéant, du décès qui résulte de la lésion professionnelle.

 

À défaut, elle est présumée renoncer aux prestations prévues par la présente loi.

__________

1985, c. 6, a. 452.

 

 

[29]        Elle en conclut qu’il s’agit d’un cas où la double indemnisation est permise.

[30]        Le tribunal rappelle qu’en matière de santé et de sécurité du travail, la CSST,  en vertu de l’article 349 de la loi, et la Commission des lésions professionnelles, en vertu de l’article 369 de la loi, ont compétence exclusive :

349.  La Commission a compétence exclusive pour examiner et décider toute question visée dans la présente loi, à moins qu'une disposition particulière ne donne compétence à une autre personne ou à un autre organisme.

__________

1985, c. 6, a. 349; 1997, c. 27, a. 12.

 

 

369.  La Commission des lésions professionnelles statue, à l'exclusion de tout autre tribunal :

 

1° sur les recours formés en vertu des articles 359 , 359.1 , 450 et 451 ;

 

2° sur les recours formés en vertu des articles 37.3 et 193 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1).

__________

1985, c. 6, a. 369; 1997, c. 27, a. 24.

 

 

[31]        La travailleuse peut valablement loger une réclamation à la CSST et ensuite une requête à la Commission des lésions professionnelles, invoquant souffrir d’une lésion professionnelle résultant d’une vaccination dans le cadre de son travail.

[32]        L’article 1 de la Loi sur la santé publique indique que cette loi a pour objet la protection de la santé de la population. Cette loi met en place différents mécanismes de mise en œuvre de cet objet. Elle prévoit, entre autres, aux articles 70 et suivants, l’indemnisation des victimes d’une vaccination dont la personne vaccinée.

[33]        L’article 71 de la Loi sur la santé publique prévoit que le ministre indemnise toute victime d’un préjudice corporel causé par une vaccination volontaire ou imposée, selon les modalités prévues dans cette loi et son règlement d’application.

[34]        La procureure de l’employeur argumente que la Loi sur la santé publique ne prévoit pas qu’une personne puisse exercer un recours autre que celui prévu par cette loi ainsi que la poursuite civile dans laquelle le ministre sera subrogé de plein droit.

[35]        Le tribunal ne retient pas cet argument puisqu’un recours qui pourrait être exercé en vertu d’une autre loi serait plutôt prévu par cette autre loi.

[36]        Si tout autre recours que ceux prévus à Loi sur la santé publique était prohibé, le législateur l’aurait énoncé explicitement.

[37]        Or, aucune disposition de Loi sur la santé publique ne prévoit qu’aucun autre recours ne peut être exercé en application d’une autre loi ou ne prévoit que le ministre a compétence exclusive pour décider de la réclamation de toute personne qui allègue avoir subi une lésion à la suite d’une vaccination.

[38]        Avec respect, le présent tribunal ne peut inférer de la phrase « Le ministre indemnise, (...) toute victime d’un préjudice corporel causé par une vaccination (...) » énoncée à l’article 71 précité, l’obligation pour toute personne qui a reçu un vaccin de loger un recours en vertu de cette loi.

[39]        Cette phrase semble plutôt signifier que l’obligation incombe au ministre d’indemniser toute victime d’un préjudice corporel causé par une vaccination qui a logé un recours en vertu de la Loi sur la santé publique et qui répond aux critères prévus dans cette loi et dans son règlement d’application.

[40]        La travailleuse a choisi de réclamer à la CSST et de loger une requête auprès de la Commission des lésions professionnelles alléguant avoir subi une lésion professionnelle en raison d’une vaccination reçue dans le cadre de son travail et alléguant vouloir bénéficier du régime d’indemnisation prévu à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, lequel, malgré certaines ressemblances, est différent de celui prévu à la Loi sur l’assurance automobile applicable dans le cadre d’un recours logé en vertu de la Loi sur la santé publique.

[41]        La procureure de l’employeur soulève le fait que la travailleuse a accepté de répondre aux questions de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal[9]et a accepté de participer à une étude menée par l’Institut national de santé publique du Québec[10] sans appuyer cet argument sur des dispositions légales spécifiques.

[42]        Le tribunal ne voit pas en quoi cette participation obligerait la travailleuse à loger son recours en vertu de la Loi sur la santé publique ou la priverait de loger son recours en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

[43]        Le recours de la travailleuse est valablement logé en vertu de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et le présent tribunal a compétence ratione materiae pour en disposer.

[44]        L’objection de l’employeur est rejetée.

LE LITIGE

[45]        La Commission des lésions professionnelles doit décider si la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 2 novembre 2009.

L’AVIS DES MEMBRES

[46]        La membre issue des associations syndicales est d’avis d’accueillir la requête pour les motifs suivants : il y a lieu de retenir le diagnostic de réaction vaccinale posé par le médecin qui a charge de la travailleuse, ultérieurement précisé par le diagnostic de myélite transverse posé par le docteur Grodzicky qui, selon le témoignage de la travailleuse, a fait des tests, lors de l’examen clinique, que les autres médecins n’ont pas effectué; une relation temporelle est démontrée par l’apparition de symptômes à l’urgence, après la vaccination, symptômes qui se sont perpétués dans le temps alors que la travailleuse ne présentait pas de tels symptômes avant la vaccination; la réclamation est acceptable à titre de maladie professionnelle en raison des risques particuliers du travail d’infirmière de recherche très fortement exposée au virus de l’influenza H1N1 car travaillant avec des patients infectés par ce virus, dans des unités de soins actives ainsi qu’à l’urgence; et cela, peu importe l’obligation de se soumettre ou non au vaccin qui procure une immunisation profitable à l’employeur.

[47]        Le membre issu des associations d’employeurs est d’avis de rejeter la requête pour les motifs suivants : la présomption de lésion professionnelle ne s’applique pas car une réaction à un vaccin n’est pas une blessure; la notion d’accident du travail ne s’applique pas car la vaccination est volontaire et non imposée par l’employeur, la travailleuse se présente de son plein gré, ce qui ne correspond pas à un événement imprévu et soudain; l’apparition d’une réaction post-vaccinale n’est pas un événement imprévu et soudain car ce n’est pas la pathologie qui doit être imprévue et soudaine mais l’événement qui la cause; recommander fortement une vaccination ne prouve pas son obligation; il s’agit ici d’une perception morale qui ne fait pas de lien avec le travail; enfin, aucune relation causale n’a été démontrée et tous les spécialistes notent des signes de non organicité et des éléments de discordance.

LA PREUVE

Le contexte de la vaccination et le témoignage de la travailleuse

[48]        La travailleuse est infirmière bachelière. Elle travaille chez l’employeur depuis 1994 et au Centre de recherche de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, en collaboration avec le docteur Weiss depuis 1999, en conformité avec les protocoles de recherche des compagnies pharmaceutiques. Dans ce cadre, elle doit voir des patients pratiquement tous les jours dans tous les départements de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont.

[49]        En novembre 2009, elle travaille quatre jours et demi à cinq jours par semaine, notamment dans le cadre d’un protocole de recherche sur la Clostridium difficile. Elle se prépare aussi pour une étude sur la grippe A-H1N1 qui doit débuter à la fin du mois de novembre 2009. À l’appui de cette prétention, elle dépose un « Formulaire d’information et de consentement »[11] concernant cette étude devant avoir lieu auprès de patients infectés par le virus de cette grippe. Il est prévu qu’elle procède à différents prélèvements. Elle a appris qu’elle travaillerait sur ce protocole quelques mois auparavant et ajoute qu’il est habituel que quelques mois s’écoulent entre la soumission et la version finale du protocole.

[50]        La travailleuse dépose un document intitulé « L’intention de vaccination contre la grippe A(H1N1) parmi des travailleurs de la santé de première ligne à Montréal » rédigé en 2009 et émanant de la Direction de la santé publique de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal. Le docteur Richard Lessard, spécialiste en médecine communautaire, directeur de santé publique, écrit en présentation de ce rapport :

Le rapport qui suit présente les principaux constats d’une enquête, menée par la Direction de santé publique (DSP) de l’Agence de la santé et des services sociaux de Montréal auprès de certains travailleurs de la santé de 1e ligne. Elle a permis d’obtenir une estimation des intentions de vaccination contre la grippe A (H1N1) en septembre 2009, en fonction, entre autres, de leur type de profession. Elle a aussi permis de documenter les principales raisons évoquées par ces professionnels pour accepter ou refuser ce vaccin.

 

Les travailleurs de la santé, en particulier ceux de la première ligne, sont considérés par plusieurs, dont le Groupe de travail provincial sur la vaccination en situation de pandémie d’influenza, comme l’un des groupes à vacciner de façon prioritaire contre cette maladie. Ils sont non seulement essentiels pour le maintien des services de santé et du programme de vaccination en soi, mais ils peuvent également être vecteur de transmission d’influenza auprès de leurs collègues et de leurs patients.

 

 

[51]        La travailleuse dépose aussi une lettre du docteur Weiss datée du 11 mai 2010 :

À qui de droit,

 

Je certifie que Madame Nathalie Jubinville qui travaillait à titre d’infirmière de recherche pour mon compte à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont en microbiologie-infectiologie a été vacciné contre l’influenza H1N1 pandémique en date du lundi 2 novembre 2009.

 

Madame Jubinville de par son emploi était très fortement exposée au virus de l’influenza H1N1 et avait un risque d’acquisition extrême de l’infection. Elle travaillait uniquement avec des patients infectés, œuvrant en recherche en microbiologie et étaient quotidiennement dans les unités de soins actives et à l’urgence du centre hospitalier Maisonneuve-Rosemont. Une de ses tâches consistait à identifier les patients potentiellement porteurs d’infections respiratoires durant une phase pandémique identifiée au niveau 6 par l’OMS.

 

Elle a été vacciné au centre hospitalier Maisonneuve-Rosemont durant ses heures de travail, dans la période ciblée pour les travailleurs de la santé et en suivant strictement les recommandations et les lignes directrices émises par le ministère de la santé et des services sociaux du Québec. [sic]

 

 

[52]        La travailleuse témoigne n’avoir jamais été vaccinée contre la grippe auparavant même si son employeur a toujours offert la vaccination contre la grippe saisonnière. À cette époque, elle ne se considère pas à risque. Son carnet de vaccination de base pour la pratique infirmière est à jour et elle n’appréhende pas de se faire vacciner. Elle n’a jamais eu de réaction vaccinale auparavant.

[53]        Durant les mois précédant la vaccination du 2 novembre 2009, à quelques reprises, le docteur Weiss l’avise de l’importance de se faire vacciner du fait qu’elle doit travailler dans un protocole de recherche sur la grippe A-H1N1 impliquant des patients infectés à rencontrer à l’Hôpital ou au domicile. Ses tâches vont impliquer de faire des prélèvements et de manipuler des liquides biologiques. C’est la première fois que le docteur Weiss lui fait cette demande : la vaccination est  importante dans le cadre d’une pandémie de grade 6 selon l’Organisation mondiale de la santé et la travailleuse peut être un vecteur de transmission important. Ils ne discutent pas des conséquences éventuelles d’une non vaccination.

[54]        La travailleuse reconnaît que personne chez l’employeur ne l’oblige ou ne lui fait part d’une éventuelle mesure disciplinaire si elle ne se fait pas vacciner. Toutefois, elle évoque l’existence d’un feuillet, remis par l’employeur durant le mois qui précède la campagne de vaccination, et mentionnant qu’en cas de pandémie un employé non vacciné sera retourné à son domicile sans salaire. La travailleuse n’a pas gardé copie de ce feuillet. Madame Cathy Lévesque, conseillère cadre en santé et sécurité du travail chez l’employeur, témoignera avoir vérifié le journal interne chez l’employeur, Le Suivi, lequel ne fait état que du lieu et de l’horaire de la clinique de vaccination. À sa connaissance, ni la direction de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, ni le bureau de santé n’ont émis de directive s’adressant aux employés qui ne reçoivent pas le vaccin contre l’Influenza A-H1N1. Elle confirme qu’il existe un journal syndical, que l’employeur envoie des courriels à ses employés, qu’il y a eu des rencontres d’information sur la vaccination mais elle ne peut dire si des documents furent distribués.

[55]        À cette époque, la travailleuse sait qu’elle n’est pas obligée de se faire vacciner mais elle considère, dans les circonstances, ne pas avoir vraiment le choix compte tenu des risques encourus à son travail.

[56]        Ainsi, le 2 novembre 2009, la travailleuse est au travail et effectue des prélèvements durant tout l’avant-midi. Selon son témoignage, tout va bien, quoiqu’elle soit un peu fatiguée. Ce matin-là, le docteur Weiss lui rappelle d’aller se faire vacciner car c’est la dernière journée de la clinique de vaccination du personnel de l’hôpital. Elle n’a pas eu le temps d’y aller avant. Les coûts du vaccin sont défrayés par l’employeur et la vaccination est effectuée par ses employés. La travailleuse se fait vacciner durant ses heures de travail.

[57]        Entre deux tâches, la travailleuse se présente à la clinique de vaccination vers 11 h 30, rencontre une infirmière, complète le « Formulaire de vaccination pandémie grippe A(H1N1) » dans lequel elle indique souffrir de céphalée et de fatigue ce jour-là et indique avoir été informée des avantages et des manifestations indésirables du vaccin et y consentir. Elle reçoit ensuite au bras gauche le vaccin Arepanrix avec adjuvant contre l’influenza A-H1N1 fabriqué par la compagnie pharmaceutique GlaxoSmithKline inc. L’infirmière demande à la travailleuse d’attendre de 15 à 20 minutes dans la salle d’attente avant de quitter.

[58]         Après ce délai, alors que la travailleuse fait des mots croisés, sa vision devient embrouillée, elle a de la difficulté, sent qu’elle va perdre conscience. Elle se lève, marche quelques pas et dit à l’infirmière qu’elle ne se sent pas bien. Cette dernière la couche sur une civière et la travailleuse commence à ressentir des engourdissements aux pieds, plus spécifiquement aux orteils, montant graduellement vers le haut du corps, par paliers, jusqu’en bas de l’épaule gauche et jusqu’à  la joue droite. Elle affirme qu’elle est paralysée jusqu’au cou mais capable de bouger la tête et incapable de s’asseoir sur la civière. Elle se sent très engourdie comme anesthésiée chez le dentiste. Elle est incapable de bouger et a une diminution de la perception du toucher. Elle affirme n’avoir jamais eu d’œdème, de serrements de gorge ni de difficultés respiratoires comme dans le cas d’allergies. Selon elle, la difficulté à respirer est plus comme une paralysie musculaire du même ordre que ses jambes.

[59]        La travailleuse est alors transférée sur civière à l’urgence. Chemin faisant, dans l’ascenseur, les engourdissements montent et elle a de la difficulté à respirer. Ensuite, elle ne se souvient plus de la période où elle sort de l’ascenseur. Elle a l’impression d’avoir perdu conscience mais ne peut le confirmer. Elle se souvient qu’ensuite, elle se retrouve à l’unité de choc de l’urgence. À ce moment, elle affirme ne plus pouvoir bouger. Elle est examinée par l’urgentologue. Moins de 15 à 20 minutes plus tard, le docteur Weiss arrive. Il lui tient les mains et lui demande si elle sent. Il touche ses jambes, ses bras. Le docteur Weiss semble inquiet et téléphone en neurologie. Peu après, le docteur Pierre Laplante, neurologue, arrive et l’examine.

[60]        Lorsqu’elle reçoit son congé de l’hôpital en fin d’après-midi, la travailleuse affirme ne pas avoir retrouvé la mobilité de son bras droit et avoir beaucoup de faiblesse dans les jambes. Elle a de la difficulté à se rendre à son bureau chercher son sac et son manteau. Elle quitte vers 16 h 30 ou 17 h 00 et doit prendre un taxi pour se rendre chez elle.

[61]        La travailleuse dépose le « Feuillet de renseignements sur le produit » préparé le 20 avril 2010 par GlaxoSmithKline inc. concernant « AREPANRIXMC H1N1 Vaccin contre la grippe pandémique (H1N1) contenant l’adjuvant AS03 », ainsi que les « Renseignements pour le consommateur » énumérant les effets secondaires suivants :

o   Très courants[12] : douleur au point d’injection, mal de tête, fatigue, rougeur ou enflure au point d’injection, frissons, transpiration, douleurs musculaires et articulaires;

o   Courants[13] : Réactions au point d’injection telles ecchymose (bleu), démangeaisons et chaleur;

o   Peu courants[14] : étourdissements, sensation de malaise général, faiblesse inhabituelle, vomissements, maux d’estomac, sensation inconfortable dans l’estomac, éructation après avoir mangé (rots), incapacité de dormir, picotements ou engourdissements au niveau des mains et des pieds, essoufflements, douleur à la poitrine, démangeaison, éruption cutanée, douleur au dos ou au cou, raideur musculaire, spasmes musculaires, douleurs dans les membres, par exemple dans la jambe ou la main;

o   Rares[15] : des réactions allergiques, si non traitées donnant lieu à une chute dangereuse de la tension artérielle pouvant mener à un état de choc, convulsions, sévères douleurs pulsatiles ou en coup de poignard dans un ou plusieurs nerfs, faible numération plaquettaire pouvant causer un saignement ou une ecchymose, enflure sous la peau donnant lieu à des papules généralement autour des yeux et des lèvres mais aussi sur les mains et les pieds;

o    Très rares[16] : vascularite (inflammations des vaisseaux sanguins pouvant causer des éruptions cutanées, des douleurs articulaires et des problèmes rénaux), troubles neurologiques tels encéphalomyélite (inflammation du système nerveux central), une névrite (inflammation des nerfs) et un type de paralysie mieux connue sous le nom de syndrome de Guillain-Barré.

[62]        Pour le cas de la travailleuse, un « Rapport de manifestations cliniques survenues après une vaccination » est complété les 5 et 13 novembre 2009 et contient : 1) les renseignement propres au vaccin administré; 2) des manifestations cliniques d’ordre neurologique, soit une « anesthésie/paresthésie localisée aux membres inférieurs + BDR »; 3) d’autres manifestations cliniques graves ou inhabituelles soit « serrement de gorge et dyspnée ; pls à 122 irrégulier »; 4) les renseignements complémentaires notés: par un employé chez l’employeur : « amenée au choc de l’urgence de l’Hôpital-Maisonneuve-Rosemont, employée de l’Hôpital, a été vaccinée sur un des sites de vaccination, consultation médicale pte en microbiologie et neurologie », par un intervenant de la Direction de la santé publique : « 10 minutes post vaccination paresthésie membres inférieurs progressant vers le haut, dit avoir perdu l’usage ↓ ses jambes. Prend Neurontin + ID depuis 11 novembre (prescrit par neurologue) Dit à ce jour avoir récupéré de 50% seulement. En congé de maladie (travaille comme infirmière à l’HMR) ».

[63]        La travailleuse témoigne, qu’au niveau des symptômes, les paresthésies (engourdissements)  présentes depuis le premier jour aux membres inférieurs, au bras droit et au visage, persistent dans les jours suivants. Le lendemain, 3 novembre 2009, s’ajoutent des sensations de brûlure et de chocs électriques qui s’aggravent. Le 7 novembre 2009, elles sont insupportables. La travailleuse est capable de marcher sauf pour des périodes de 15 minutes à cinq heures où elle en est incapable. La fatigue musculaire, présente le premier jour, devient de plus en plus importante. Au cours des semaines suivantes, s’ajoutent des troubles de l’équilibre et de la difficulté à faire certains mouvements.

[64]        La travailleuse témoigne que, du 2 au 30 novembre 2009, elle continue de faire des tâches cléricales dont le traitement de documents pour l’étude sur la grippe A- H1N1. Elle fait des démarches pour être remplacée dans ses tâches en cours auprès des patients. Ensuite, ayant trop de difficulté à marcher, devant s’appuyer aux murs pour y arriver, elle cesse de travailler. Étant la seule infirmière de recherche qui travaille avec le docteur Weiss et n’étant pas remplacée immédiatement, la recherche sur la grippe A-H1N1 n’est pas continuée. Le 11 mai 2010, le docteur Weiss écrit une lettre à l’effet qu’elle ne peut plus exercer ses fonctions au sein de son équipe.

[65]        La travailleuse commente les effets des médicaments prescrits. Le Neurontin, pris durant un mois à partir du 10 novembre 2009, n’apporte pas de bénéfice mais des effets indésirables : ralentissement sans soulagement de la douleur. Le Lyrica, pris durant trois semaines à compter du 15 octobre 2010, même si efficace pour la douleur,  entraîne des effets secondaires : hypotension, étourdissements, humeur dépressive, pertes de mémoire. Le Kétorolac (Toradol) n’est pas efficace.

[66]        La travailleuse se dit beaucoup mieux depuis qu’elle consulte des médecins à l’extérieur de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont. À compter du 17 mars 2010, elle est prise en charge et suivie par la docteure Françoise Jasserand qui la suit encore aujourd’hui. Cette prise en charge l’a aidée et la prescription de Baclofen faite par ce médecin depuis cette date contribue à diminuer les spasmes. La physiothérapie prescrite par ce médecin et suivie depuis le 3 août 2010 améliore aussi sa condition.

[67]        Depuis janvier 2011, elle marche plus droit qu’avant. Elle peut marcher trois ou quatre rues alors qu’avant la vaccination, elle courait facilement cinq kilomètres.

[68]        Depuis février 2011, elle travaille en tant qu’infirmière consultante à la Résidence Gouin (en collaboration avec le Centre Lucie-Bruneau). Elle y rencontre le docteur Roman Victor Grodzicky qui l’évalue le 26 avril 2011 et conclut qu’elle est atteinte de myélite transverse. Il lui propose de suivre, à ce centre, un programme portant sur les atteintes médullaires. Elle doit le revoir dans quelques semaines et commencer le programme dans deux ou trois mois. Elle admet qu’elle est suivie par la docteure Jasserand et que ce n’est pas ce médecin qui l’a référée au docteur Grodzicky.

[69]        Les symptômes actuels sont les mêmes qu’au début mais moins intenses. Elle affirme avoir encore de la difficulté à marcher, avoir des paraparésies et paresthésies. L’amélioration de la joue et du bras est de 75%.

[70]        La travailleuse est aussi questionnée concernant la procédure suivie après sa vaccination. Elle explique que sa réaction est déclarée par l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont à la Direction de la santé publique de Montréal (Agence de la santé et des services sociaux de Montréal). Monsieur Jean-Loup Sylvestre de cet organisme lui téléphone régulièrement par la suite pour faire un suivi. Ensuite, l’Institut national de santé publique qui fait une « Enquête épidémiologique de santé publique concernant les manifestations cliniques inhabituelles survenues à la suite du vaccin contre la grippe pandémique A (H1N1) » obtient sa collaboration et lui fait compléter des questionnaires (pièce T-2). Elle est aussi questionnée par téléphone. Elle accepte de participer à une « étude clinique des anesthésies/paresthésies persistantes survenues à la suite de l’administration du vaccin adjuvanté contre l’Influenza pandémique A-H1N1 ». À cette fin, elle se rend à Québec, est examinée cliniquement et subi une résonance magnétique cérébrale. Au moment de l’audience, la travailleuse n’a pas les résultats écrits de ces examens. Des documents seront obtenus après l’audience, déposés en preuve et les parties auront la possibilité de les commenter.

Le témoignage du docteur Weiss

[71]        Concernant la vaccination, le docteur Weiss explique qu’un ordre prioritaire est établi, en 2009, pour la vaccination contre l’Influenza A-H1N1, divisant la population en cinq groupes. Les travailleurs de la santé font partie du premier groupe à être vacciné, de façon prioritaire, en raison du fait que leur travail implique un risque plus élevé d’être exposé à l’Influenza pandémique. Pour cette raison, il leur est fortement suggéré de se faire vacciner, tel que le recommande le Ministère de la santé et des services sociaux, mais les travailleurs conservent leur libre choix.

[72]        En tant qu’officier de prévention des infections chez l’employeur, le docteur Weiss peut recommander la vaccination mais il ne peut obliger personne à recevoir un vaccin ou quelque traitement que ce soit. D’ailleurs, pour cette vaccination, chaque personne au Québec doit signer un formulaire de consentement.

[73]        La clinique de vaccination organisée chez l’employeur, à la fin du mois d’octobre et au début du mois de novembre 2009, invite tous les employés et se déroule en quelques jours. Ceux-ci se présentent, par vague, selon un horaire déterminé et 95% des travailleurs de la santé chez l’employeur sont alors vaccinés.

[74]        La travailleuse réfère le docteur Weiss à sa lettre du 11 mai 2010 où il écrit qu’elle est très fortement exposée au virus de l’Influenza A-H1N1 et a un risque d’acquisition extrême de l’infection. Il témoigne que la travailleuse a la même exposition que tous les autres travailleurs de la santé du premier niveau en phase pandémique décrété par l’Organisation mondiale de la santé. Il estime qu’à cette époque, la travailleuse n’est pas plus à risque que les autres employés chez l’employeur et qu’elle est vaccinée au même titre qu’eux. Il nie l’avoir obligée à se faire vacciner et si elle avait choisi de ne pas se faire vacciner, elle aurait quand même continué de faire son travail.

[75]        Le docteur Weiss affirme que le protocole de recherche sur l’Influenza A-H1N1 n’a finalement pas lieu et que les protocoles dans lesquels la travailleuse est impliquée, à cette époque, ne comportent pas de patients atteints par l’Influenza A-H1N1.

[76]        Concernant son implication après la vaccination de la travailleuse, en date du 2 novembre 2009, le docteur Weiss témoigne que l’urgentologue lui téléphone parce qu’il fait face à une situation particulière à l’urgence. L’urgentologue le contacte lui parce qu’il est spécialiste en maladies infectieuses et parce que la personne en cause est sa collaboratrice.

[77]        Le docteur Weiss se rend donc au chevet de la travailleuse, vérifie les paramètres de base : respiration, signes vitaux, pouls, tension artérielle, état éveillé et conscient. Il constate que tout est normal. La travailleuse dit que ses membres inférieurs sont engourdis. Il regarde le dossier et constate que les signes vitaux enregistrés sont normaux, sauf de la tachycardie alors qu’elle est au repos, ce qui peut être un  signe d’anxiété.

[78]        Le docteur Weiss explique que, dans un cas de réaction de type vaccinal, il est  important de s’assurer qu’il n’y a pas de choc anaphylactique. Il constate que la travailleuse n’en présente pas, que le score de Glasgow est normal à 15 et que sa condition est stable d’un point de vue neurologique, cardiovasculaire et respiratoire.

[79]        Concernant les symptômes décrits par la travailleuse, le docteur Weiss ne comprend pas trop ce qui se passe et préfère appeler la neurologie. C’est ainsi que le neurologue de garde, le docteur Laplante, examine la travailleuse et conclut à une réaction vaccinale atypique avec éléments suggestifs de présyncope initiale et évolution spontanée favorable.

[80]        Le docteur Weiss revoit la travailleuse vers 14 h 20 et elle va relativement bien. Il constate du dossier que la travailleuse reçoit son congé de l’hôpital à 15 h 10, qu’elle est revue par le neurologue le 5 novembre 2009. Ce dernier prescrit un arrêt de travail du 2 au 8 novembre 2009.

[81]        Le docteur Weiss explique que le 10 novembre 2009, la travailleuse revient le voir et lui dit qu’elle est incapable de travailler. Il explique qu’il est alors dans l’incertitude et ne comprend pas trop ce qui se passe. Cependant, il sait qu’elle doit revoir le docteur Laplante le 17 novembre 2009. Malgré le tableau atypique, puisque la travailleuse se dit  incapable de travailler, il lui donne congé jusqu’à ce qu’elle revoit le neurologue qui tranchera. Le docteur Weiss complète un rapport sur un formulaire de la CSST, prescrit du Neurontin, un médicament souvent utilisé pour des douleurs dont l’étiologie n’est pas connue.

[82]        Le docteur Weiss rapporte que, le 17 novembre 2009, la travailleuse est revue en neurologie et qu’ils ne savent pas trop ce qui se passe. La travailleuse revient le voir en lui disant que le docteur Laplante aimerait qu’elle passe un électromyogramme. Le docteur Weiss prescrit ce test qui s’avérera normal. Il dit avoir agi un peu comme le docteur Laplante qui prescrit une résonance magnétique  « au cas où ».

[83]        Le docteur Weiss affirme ne pas avoir beaucoup suivi la travailleuse par la suite. Cette dernière est suivie en neurologie et par le médecin de l’employeur, le docteur Paradis. Elle est vue en médecine interne et ensuite est suivie par la docteure Jasserand, médecin de famille, qui lui fera passer des tests. À cette époque, le docteur Weiss réalise que la travailleuse est incapable de revenir travailler comme elle le dit. Le 11 mai 2010, il rédige la lettre suivante :

 

À qui de droit,

 

Je certifie par la présente que Madame Nathalie Jubinville qui oeuvrait comme infirmière de recherche pour moi n’est plus du tout capable d’effectuer ses tâches régulières suite à sa vaccination contre l’influenza pandémique H1N1 en novembre 2009.

 

Elle est donc dans l’incapacité totale de travailler comme infirmière de recherche en microbiologie-infectiologie. Elle ne peut en aucun cas de par ses limitations physiques effectuer les travaux réguliers attendus d’une infirmière de recherche.

 

Par conséquent, elle ne peut plus continuer à l’intérieur de mon équipe du fait de sa condition médicale.

 

 

[84]         Vers le mois de mai 2010, la docteure Jasserand téléphone au docteur Weiss afin que la travailleuse consulte un physiatre. Afin de faciliter les démarches, en date du 31 mai 2010, le docteur Weiss réfère la travailleuse au docteur Marc Filiatrault, physiatre, qui l’examine le 24 août 2010. Le docteur Weiss affirme que son intervention au dossier s’arrête là.

[85]        Questionné sur le fait que, le 10 novembre 2009, il émet une attestation médicale sur un formulaire de la CSST comportant un diagnostic de « réaction vaccinale sévère », le docteur Weiss témoigne qu’il s’agit alors d’un diagnostic d’incertitude, que la condition est atypique, qu’il ne peut l’expliquer, qu’à ce moment il n’a pas autre chose pour expliquer cette condition. Il se dit que la neurologie va trancher mais, en attendant il écrit ce diagnostic, lequel est basé sur une relation temporelle et non sur une relation causale car il ne voit pas de relation de cause à effet. Il souligne que, ni lui, ni le neurologue, ni l’urgentologue ne peuvent expliquer la condition. Donc, de façon ponctuelle, parce qu’il est tôt dans le processus et que, habituellement, la situation s’éclaircit avec le temps, parce que la travailleuse se dit incapable de travailler, il émet ce rapport retenant ce diagnostic.

Les consultations et/ou évaluations médicales

[86]        Dans cette rubrique, le tribunal rapporte l’essentiel de la preuve médicale.

[87]        À la suite de la vaccination, le 2 novembre 2009, la travailleuse est dirigée à l’urgence de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont.

[88]        L’urgentologue écrit l’histoire de la maladie actuelle. La travailleuse a reçu le vaccin contre l’Influenza A-H1N1 dans le bras gauche. Environ dix minutes après, elle s’est sentie faible de partout avec engourdissement des pieds et des bras, plus engourdie au bras droit qu’au bras gauche, sensation LOC imminente, dyspnée ++. La travailleuse se dit actuellement mieux sauf paralysie du bras droit, faiblesse et dysphagie.

[89]         À l’examen objectif, l’urgentologue note un pouls à 86, une tension artérielle à 140/90. La saturation et la glycémie sont normales. Il n’observe pas de dyspnée. À l’examen général, la travailleuse est anxieuse, sa nuque est souple. La région cervicale, le coeur et les poumons sont normaux. L’abdomen est souple. Il n’y a pas de masse. Les réflexes ostéotendineux, bicipitaux, rotuliens et achilléens sont à 2+ bilatéralement. La force est diminuée dans les membres inférieurs à 3+ bilatéralement. Il n’y a pas de force dans le bras droit mais la force est normale dans le bras gauche. L’urgentologue retient le diagnostic de réaction d’hyperventilation. Il recommande la surveillance, prescrit de l’Ativan, permet la diète au goût et recommande que la travailleuse soit revue dans deux à trois heures.

[90]        Le 2 novembre 2009, tel que relaté précédemment, le docteur Weiss se rend à l’urgence  à la suite de l’appel de l’urgentologue. Le docteur Weiss demande une consultation en neurologie.

[91]        Le 2 novembre 2009, le docteur Laplante, neurologue, examine la travailleuse, à la suite de l’appel du docteur Weiss.

[92]        Dans les notes cliniques, à l’examen subjectif, le docteur Laplante rapporte un trouble de la concentration, étourdissements, asthénie généralisée avec lourdeur des deux membres inférieurs, vision brouillée avec voile dans le champ visuel, paralysie progressive des membres inférieurs et du membre supérieur droit, sensation de lourdeur au niveau de la poitrine avec difficulté à respirer. Il écrit que, depuis l’observation, la travailleuse note une légère amélioration, la résolution du problème visuel, l’amélioration des mouvements des pieds et du membre supérieur droit.

[93]        À l’examen objectif, le docteur Laplante constate que la travailleuse est bien consciente, éveillée, orientée. Le langage est normal. Les nerfs crâniens sont tous normaux. Au niveau de la motricité, il note une « triparésie » des membres inférieurs et du membre supérieur droit mais la travailleuse exécute peu de mouvements à la demande. Il évalue ensuite les forces segmentaires qui sont globalement diminuées mais obtient des résultats différents selon les segments. Le tonus est variable et les efforts non soutenus. Les réflexes ostéotendineux sont symétriques à 2/4. La sensibilité au tact et à la piqûre est normale. Les tests de vibration et de posture sont normaux.

[94]        Le docteur Laplante conclut à une réaction vaccinale atypique et à des éléments de présyncope initiale. Il considère l’évolution spontanée favorable et recommande l’observation durant quelques heures.

[95]        Le 5 novembre 2009, la travailleuse revoit le docteur Laplante qui écrit dans ses notes cliniques qu’elle est connue pour une réaction vaccinale atypique. Elle allègue des épisodes récurrents de paralysie des deux membres inférieurs ainsi qu’une lourdeur dans le membre supérieur droit durant 10 à 15 minutes jusqu’à une heure à une heure trente lors des pires crises. Elle affirme avoir eu une crise sévère la veille et le matin même. Le docteur Laplante conclut que l’examen objectif est superposable à celui du 2 novembre 2009. La force, caractérisée par une performance fluctuante, augmente par encouragement et diminue par réaction antalgique. Les réflexes ostéotendineux sont toujours normaux et symétriques aux membres supérieurs et aux membres inférieurs. Le tableau est inexpliqué. Il y a un caractère  de fluctuation avec des périodes où la travailleuse se sent bien et fonctionnelle, ce qui est rassurant. Le docteur Laplante conclut que le pronostic demeure bon avec une guérison attendue. Il prescrit un arrêt de travail jusqu’au 8 novembre 2009.

[96]        Le 10 novembre 2009, le docteur Weiss écrit, dans les notes d’évolution externe, que le tableau est toujours atypique d’une atteinte neurologique post-vaccination         A-H1N1.Le médecin mentionne que la travailleuse a été vaccinée le 2 novembre 2009 au bras gauche, a eu une réaction moins de 15 minutes après, non allergique, avec parésies, paresthésies, que la symptomatologie est « on off », qu’elle a été vue deux fois par neurologue, que le tableau présente une évolution atypique. Le docteur Weiss  prolonge l’arrêt de travail jusqu’au 15 novembre 2009 et prescrit le retour à temps complet par la suite.

[97]        Ce 10 novembre 2009, le docteur Weiss émet la première attestation médicale sur un formulaire de la CSST. Il écrit : « Réaction vaccinale sévère nécessitant arrêt de travail jusqu’au 15 novembre 2009 inclus. Travailleuse santé ayant reçu vaccin Influenza H1N1 (2 nov 09) ».

[98]        Le 17 novembre 2009, le docteur Laplante revoit la travailleuse. À l’examen subjectif, cette dernière se plaint de douleurs dans les membres et explique que le docteur Weiss lui a prescrit du Neurontin : les premiers jours, ce médicament a des effets sédatifs et analgésiques mais les douleurs reprennent avec sensation de brûlure dans les jambes (coup de soleil) 8 à 12 heures puis disparaissent quelques heures. Les douleurs sont pires quand elle marche beaucoup et elle a des engourdissements quand elle marche. À l’examen objectif, le docteur Laplante note que la travailleuse est anxieuse et que le langage est normal. Il observe qu’elle utilise sa main droite pour remettre ses chaussettes. La force est fluctuante, 5/5 à l’encouragement. Les réflexes rotuliens sont normaux et symétriques à tous les étages. Les cutanés plantaires sont en flexion. La sensibilité est normale au tact et à la piqûre. Le test de vibration et de posture reproduit un léger choc électrique jusqu’à la cuisse. Le Romberg est négatif.

[99]         Le docteur Laplante conclut que le tableau demeure énigmatique. L’examen objectif demeure normal et l’évolution est fluctuante, ce qui est inexplicable dans ce contexte et surtout le décours temporel : paraplégique en 15 minutes post-vaccination puis amélioration rapide en quelques heures puis (illisible). Le docteur Laplante considère qu’aucun médicament n’est utile. Il prescrit une résonance magnétique cervicale « au cas où ». Ce test sera effectué le 1er décembre 2009 et sera normal.

[100]     Le 20 novembre 2009, le docteur Aram Razavi émet un rapport médical mentionnant qu’il s’agit d’une réaction vaccinale et que la travailleuse présente des engourdissements aux membres inférieurs. Il lui prescrit des anti-inflammatoires et poursuit l’arrêt de travail jusqu’au 27 novembre 2009.

[101]     Le 1er décembre 2009, la docteure Marie-Claude Lefebvre émet un rapport médical, sans préciser de diagnostic. Elle recommande le retour au travail progressif et réfère la travailleuse au docteur Laplante, à qui elle laisse le soin de déterminer le retour au travail à temps complet. Elle demande le dossier antérieur.

[102]     Le 3 décembre 2009, la docteure Lefebvre reçoit le dossier antérieur et prend connaissance de la note du docteur Laplante du 21 novembre 2009. Elle en conclut qu’il s’agit d’une réaction vaccinale atypique avec éléments suggestifs présyncope initiale et évolution favorable. Elle prend connaissance de la note du 5 novembre 2009 et retient qu’il s’agit d’un tableau inexpliqué à caractère de fluctuation avec période où la travailleuse se sent bien et fonctionnelle. La docteure Lefebvre en conclut que l’existence d’un lien causal entre le vaccin et les symptômes allégués n’est pas claire. Elle note en terminant que la résonance magnétique cervicale est normale.

[103]     Le 9 décembre 2009, un médecin de l’unité de médecine familiale voit la travailleuse, sans être en possession de son dossier. Cette dernière allègue des symptômes de fatigue et de faiblesse dans les membres inférieurs avec paresthésies. Elle travaille trois heures par jour et consulte pour faire augmenter ses heures.

[104]     Le 16 décembre 2009, le docteur Eddy Guillaume émet une attestation médicale retenant le diagnostic de réaction vaccinale sévère et mentionnant qu’un suivi en neurologie est à faire.

[105]     Le 7 janvier 2010, le docteur Jacques Paradis examine, pour la première fois, la travailleuse à la demande de l’employeur. Cette dernière confirme que cette rencontre se déroule bien et que l’état actuel rapporté par ce médecin est conforme :

ÉTAT ACTUEL le 7 janvier 2010

 

Elle accuse des maux de jambes. Initialement, les douleurs se situaient des orteils jusqu’à l’aine. Actuellement, elle ressent, lorsqu’il fait froid, une froideur au creux poplité. Elle ressent moins la froideur au niveau de la partie antérieure des jambes. Elle a l’impression de crampes lorsqu’elle marche ou monte les escaliers ou marche plus de cinq à dix minutes.

 

Elle a l’impression de claudiquer lorsqu’elle marche plus de cinq minutes.

 

Actuellement, au centre de recherche, elle effectue des activités de type sédentaire. Elle ne peut se rendre sur les étages et effectuer de longues marches comme elle effectuait précédemment avant le 2 novembre 2009. Elle a l’impression d’avoir les jambes qui tremblent lorsqu’elle effectue une activité prolongée. L’appétit est normal. Le poids est normal. Elle pèse en général 118 livres. Le poids actuel serait de 121 livres.

 

EXAMEN OBJECTIF  le 7 janvier 2010

 

À l’examen neurologique, la marche sur les talons est alléguée difficile, bien qu’elle soit en mesure de le faire. On relate une légère diminution du côté droit par rapport à l’élévation du pied du côté gauche. La dorsiflexion sur le pied droit et sur le pied gauche est légèrement réduite de façon bilatérale. Elle arrête après quatre extensions sur le pied droit et sur le pied gauche.

 

L’évaluation de la sensibilité au test à la piqûre et au tact est normale, sauf sur certaines zones ne correspondant pas à un dermatome précis au membre inférieur droit et au membre inférieur gauche.

 

Elle présente une xérose cutanée sans rougeur, sans œdème et sans atrophie.

 

Le tonus musculaire au niveau des quadriceps droits apparaît légèrement diminué par rapport au côté gauche.

 

Au niveau rotulien et achilléen, il y a hyperréflexie du côté gauche à 3 sur 4 alors que du côté droit, les réflexes sont à 2 sur 4. Le test de Lasègue est négatif.

 

Les réflexes abdominaux apparaissent présents du côté droit. Les réflexes abdominaux supérieur et inférieur du côté gauche sont diminués. Il y a une diminution de sensibilité à gauche.

 

Au niveau des membres supérieurs, il n’y a pas de faiblesse ni de malaise invoqué à l’examen clinique.

 

Examen de la colonne cervicale.

 

Elle présente une diplopie au regard latéral droit et gauche.

 

CONCLUSIONS

 

En réponse à vos questions :

 

Impression diagnostique

 

On ne retient pas de latéralisation, les engourdissements concernant le bassin et les membres inférieurs.

 

Par ailleurs, la réaction qui s’est manifestée quinze minutes après la réception d’un vaccin est très atypique pour un syndrome de Guillain-Barré étant donné la rapidité du malaise invoqué qui fait davantage penser à une réaction vagale avec hyperventilation ou une lésion neurologique centrale ou encore, par discopathie (sténose spinale) lombaire (ancienne lésion traumatique à L1).

 

L’orientation thérapeutique

 

Par ailleurs, l’investigation neurologique, bien que partielle (IRM colonne cervicale et EMG), mériterait à tout le moins d’être poursuivie avec IRM cérébral et IRM lombaire.

 

Étant donné la possibilité d’une myopathie inflammatoire ou encore un syndrome inflammatoire neurologique atypique comme une mononévrite multiplex, un bilan inflammatoire devrait être effectué avec les tests suivants :

 

1.         Sédimentation;

2.         Électrophorèse des immunoglobulines;

3.         Facteur CRP (protéines C réactives);

4.         Dosage du fibronogène.

 

Nous référons madame au centre d’investigation en médecine interne.

 

 

[106]     La travailleuse témoigne avoir consulté en médecine interne, sur référence du docteur Paradis, sans que les recommandations de ce dernier ne soient suivies. Aucun document n’est versé concernant ces consultations.

[107]     Le 15 janvier 2010, la docteure Geneviève Mathieu émet un rapport médical retenant le diagnostic de réaction post-vaccinale. Elle prescrit un arrêt de travail et de la physiothérapie.

[108]     Le 17 mars 2010, la travailleuse consulte la docteure Françoise Jasserand qui émet un certificat médical attestant qu’elle peut travailler deux jours et demi par semaine.

[109]     Le 26 mars 2010, la docteure Jasserand produit des notes cliniques difficiles à lire (pièce T-2). Le tribunal peut en déchiffrer les éléments suivants. À l’examen clinique, elle note le chiffre 120, un rythme cardiaque régulier, une augmentation des réflexes ostéotendineux aux membres inférieurs et au membre supérieur droit, une diminution de la force, une sensibilité (illisible), une notion d’anomalie de L1 et mentionne le bassin. La docteure Jasserand demande une résonance magnétique lombaire et cervicale. Elle émet l’impression diagnostique de paraparésie ou problème PTSD traumatique. Elle écrit que la travailleuse est en attente de physiothérapie et de résonance magnétique cérébrale. Elle écrit avoir discuté avec le docteur Weiss et mentionne un problème atypique ou de conversion hystérique. Elle écrit que le cas est à discuter avec le neurologue et le spécialiste en médecine interne. En marge, la docteure Jasserand rapporte que la travailleuse a reçu son congé de la neurologie, a eu un électromyogramme normal, une résonance magnétique cérébrale normale, a été vue en médecine interne et le médecin recommande une évaluation psychiatrique. Elle prescrit du Lioresal et continue le Baclofen.

[110]     Le 10 avril 2010, la docteure Jasserand écrit qu’elle ne peut penser que la travailleuse a un examen neurologique normal car cette dernière semble avoir de la spasticité des membres inférieurs et le Baclofen semble l’aider beaucoup. Elle continue de la suivre en attendant un diagnostic.

[111]     Le 15 avril 2010, le docteur Paradis revoit la travailleuse. Cette dernière confirme que cette rencontre se déroule bien et que l’état actuel rapporté est conforme :

[…]

ÉTAT ACTUEL le 15 avril 2010

 

Elle se dit capable de travailler deux demi-journées par semaine. Elle a l’impression que le matin, elle a plus de force dans ses jambes pour ses déplacements.

 

Elle aurait éprouvé comme autres symptômes la joue droite engourdie et une dyspraxie cubitale de la main droite.

EXAMEN OBJECTIF le 15 avril 2010

 

À l’examen objectif, après un redressement de la position accroupie (squat), elle éprouve des tremblements aux deux membres inférieurs. Elle est incapable d’effectuer une longue distance sans que les tremblements cessent. Les tremblements persistent une fois assise sur la table d’examen.

 

Il y a présence d’une sensibilité diminuée à gauche à la piqûre comparativement au côté droit aux membres inférieurs. Il n’y a pas de clonus aux membres inférieurs. Les réflexes achilléens sont très difficiles à mettre en évidence actuellement.

 

CONCLUSIONS

 

En réponse à vos questions :

 

Impression diagnostique

 

Lors du dernier examen, elle présentait une diplopie au regard latéral droit et gauche. On retient une certaine symétrie dans les anomalies à l’examen clinique qui demeurent atypiques pour un syndrome de Guillain-Barré et pour un diagnostic de sclérose en plaques.

 

Il y aurait lieu de prendre connaissance des lectures effectuées par les radiologistes concernant l’IRM cérébral et l’IRM lombaire.

 

Nous recommandons une évaluation en neurologie avec le docteur Peyronnard ou par le docteur Girard à l’Hôpital Notre-Dame.

 

Un test de potentiel évoqué somesthésique devrait être effectué.

 

[…]

 

[112]     La travailleuse affirme que la recommandation du docteur Paradis de consulter en neurologie à l’hôpital n’a pu être suivie car elle n’a jamais reçu le rapport précité de ce médecin, autrement que dans la copie de dossier expédiée par le tribunal.

[113]     Sur un billet du 23 avril 2010, la docteure Jasserand recommande de continuer de travailler deux jours et demi par semaine avec possibilité de travailler à la maison.

[114]     Le 24 août 2010, le docteur Marc Filiatrault, physiatre, examine la travailleuse à la demande du docteur Weiss contacté par la docteure Jasserand. La travailleuse témoigne que l’entrevue avec le docteur Filiatrault se déroule rapidement et, selon elle, ce médecin effectue un examen rudimentaire :

[…] j’ai vu Madame Jubinville pour évaluation. C’est une patiente qui est infirmière de formation âgée de 40 ans, célibataire, sans enfant, qui demeure seule et qui est connue porteuse comme seul antécédent d’une ménopause précoce.

 

Elle travaille comme infirmière de recherche. Elle a reçu le vaccin H1N1, au mois de novembre dernier, était dans la salle d’attente lorsqu’elle a présenté une sensation de voile noire, d’étourdissements d’allure un peu donc de syncope vagale. On l’a alitée pour ensuite être amenée à l’Urgence avec sensation d’engourdissement, qui a débuté aux pieds et qui a remonté jusqu’au niveau cervical, avec de la difficulté à respirer. Selon la note de l’urgentologue, il s’agissait un peu peut-être d’hyperventilation.

 

Par la suite, elle a quand même pu retourner chez elle en taxi, dit avoir eu des faiblesses dans les jambes, des spasmes et a toujours une certaine difficulté à fonctionner et à marcher, avec des tremblements. Elle a été vue en Neurologie, un bilan extensif a été fait qui s’est avéré négatif. Le neurologue a suspecté une atteinte plutôt fonctionnelle. Elle a même suggéré à un interniste qu’elle soit vue en Psychiatrie mais il semble qu’à Maisonneuve, les psychiatres traitent seulement des problèmes de psychose.

 

Elle aurait été investiguée par la Médecine interne, a parlé d’un possible déconditionnement, référé la patiente en physiothérapie, qu’elle a débuté accompagnée d’aquaforme, elle dit aller un peu mieux. Elle a actuellement perdu son emploi, est sans revenue et reçoit du chômage.

 

Lorsqu’on la questionne, on voit une patiente qui dit fonctionner seule mais qui parfois ne peut pas marcher pendant plusieurs heures. Elle dit que ses jambes arrêtent de fonctionner. Elle a parfois des tremblements. Sensation d’engourdissement et de faiblesse très variable.

 

Lorsqu’on l’examine en position assise, aucun tremblement. Lorsqu’on lui demande de marcher, position debout, elle se met  à trembler de façon certes non-organique. Elle parvient à marcher sur la pointe des pieds et sur les talons, avec un tremblement diffus de tout le corps qui s’explique certes pas par une atteinte neurologique. Spontanément en position assise, lorsqu’on lui demande de faire la flexion du genou, elle dit qu’elle est absolument incapable alors qu’elle s’était levée de la position assise, impliquant nécessairement une bonne force proximale de la ceinture pelvienne.

 

Les réflexes ostéotendineux sont symétriques avec les cutanés plantaires en flexion. Je n’ai pas refait tout l’examen neurologique, puisqu’elle a été vue de façon extensive avec résonance magnétique cérébrale ainsi que vertébrale, de même que les potentiels évoqués sont tout à fait normaux.

 

De façon évidente, il s’agit d’une pathologie qui est non-organique selon moi, avec pathologie fonctionnelle. Conséquemment, ceci est difficile à traiter. Je crois que l’idée de l’envoyer en physiothérapie et de lui parler d’un possible déconditionnement sous-jacent, est intéressant puisqu’on devrait l’encourager et lui dire que ceci devrait récupérer progressivement par les exercices et ira en s’améliorant, si elle travaillait fort au niveau de sa mobilité.

 

Par ailleurs, je crois qu’il serait intéressant de la référer à des gens spécialisés en psychosomatique. Je suggère qu’elle soit vue à l’Hôpital Sacré-Cœur, au Département Psychosomatique avec le Docteur Verrier et son équipe. Je l’ai questionnée sur les choses qui pourraient l’avoir traumatisée ou autre fait. Elle me dit qu’elle fonctionnait très bien avant, qu’elle voit rien de particulier.

Je retiens cependant qu’elle a été adoptée. Elle n’a pas trop élaboré sur son réseau social. Je ne vois pas d’autre suggestion thérapeutique chez elle, outre l’encourager et lui mentionner que tout va récupérer et de la faire voir en Psychosomatique.

[115]     Tel que mentionné précédemment, la travailleuse participe à une « étude clinique des anesthésies/paresthésies persistantes survenues à la suite de l’administration du vaccin adjuvanté contre l’influenza pandémique A-H1N1 »[17].

[116]     Dans le cadre de cette étude, le docteur Kevin Lacroix, résident en médecine, examine la travailleuse, le 10 janvier 2011, et rédige le rapport suivant  qui ne comporte toutefois aucune conclusion :

Âge de la patiente : 41 ans

 

Il s’agit d’une femme droitière.

 

Comme occupation, cette patiente travaille comme infirmière de recherche en microbiologie. Elle est en arrêt de travail et a perdu son emploi secondairement à ses symptômes neurologiques.

 

Au niveau des antécédents, celle-ci n’a pas d’antécédents personnels particuliers sauf pour une ménopause précoce à l’âge de 38 ans environ. Aucun antécédent familial n’est connu vu que cette patiente a été adoptée. Elle a été opérée en bas âge pour du strabisme.

 

Aucune réaction antérieure  à des vaccins n’a été notée chez cette patiente.

 

Au courant de la semaine de la vaccination, la patiente n’a pris aucune médication, ni produits naturels.

 

Celle-ci a pris plusieurs médications sans effet pour ses symptômes d’engourdissement, soit du Lyrica, Neurontin. Elle dit que le Baclofen l’aidait un petit peu. De plus, elle a essayé de l’Élavil sans succès.

 

Dans la semaine de la vaccination, la patiente ne fumait pas, ne prenait pas d’alcool ni de drogues. Ses habitudes demeurent négatives également au questionnaire aujourd’hui.

 

Pour l’histoire de la maladie actuelle, la patiente a rencontré un neurologue le 2 novembre 2009 et à 3 reprises par la suite dans le même mois, soit le Dr Lefebvre à Maisonneuve-Rosemont. Elle n’a jamais rencontré d’autre neurologue dans d’autres circonstances dans le passé.

 

Histoire de la maladie actuelle :

Les symptômes de la patiente ont débuté 15 à 20 minutes suite au vaccin. Elle a eu à ce moment une vision floue avec sensation de vague dans les 2 yeux. Ses symptômes ont duré quelques minutes et elle avait l’impression également de ne pas bien comprendre les choses qu’elle lisait. Elle dit avoir eu une perte de connaissance sur la civière. Cependant la tension artérielle est demeurée normale. Après cette perte de connaissance, celle-ci a commencé à avoir un engourdissement sous forme de fourmillement et d’hypoesthésie qui en quelques secondes est parti du bout des pieds jusqu’au haut du thorax. Cet engourdissement touchait également le bras droit. Cependant, l’engourdissement n’est jamais allé du côté du bras gauche. Ces symptômes ont perduré à cette intensité jusqu’au 17 mars où ceux-ci ont diminué graduellement. Elle dit avoir eu au même moment depuis ce temps des sensations de douleur lorsqu’elle se touche différentes parties du corps. Elle dit avoir une diminution de la sensation également qui perdure maintenant à tous les membres inférieurs seulement au niveau du devant de la jambe. En effet, celle-ci ne sent pas bien le froid et le chaud à ce niveau. Elle dit que ces symptômes d’engourdissement sont toujours présents au niveau des jambes maintenant surtout mais que très rarement au niveau du bras droit surtout au niveau des 5e et 4e doigts de la main droite et que quelque fois celui touche la partie médiale de l’avant-bras droit par moment. Ces symptômes sont diminués par le Baclofen. Elle dit que ces symptômes d’engourdissement et de brûlure augmentent à l’effort et la nuit. Elle dit avoir une sensation de douleur musculaire au même moment de façon généralisée lorsqu’elle essaie de faire de l’exercice. Il est à noter que cette patiente était très active physiquement auparavant. Elle n’a pas de difficulté à se lever de sa chaise. Son pied peut accrocher par moment lorsqu’elle marche. Elle dit avoir de la difficulté à ouvrir les pots, à boutonner sa chemise surtout en distal au niveau de sa main droite par moment mais de façon non constante maintenant depuis le mois de mars 2010. N’a pas eu d’autres symptômes neurologiques focaux. Elle demeure avec une intolérance à l’effort et une difficulté à faire des activités de longue durée car des myalgies apparaissent.

 

Elle n’a pas eu d’incontinence urinaire ou d’autres troubles sphinctériens et n’a pas eu également d’engourdissement des organes génitaux externes. Elle dit que par moment elle a une sensation de faiblesse au niveau de ses genoux qui semblent se dérober et elle peut chuter à quelques reprises. Elle n’a pas franchement de troubles d’équilibre.

 

La patiente n’a jamais présenté ces symptômes dans le passé.

 

Il est à noter que cette patiente a eu un EMG qui était tout à fait normal, une résonance magnétique  cérébrale ainsi que de la moelle cervicale a été faite et était normale.

 

Elle n’a pas de signe de Uhthoff.

 

Au questionnaire des symptômes d’allure allergique. Celui-ci est normal sauf pour la présence d’une perte de conscience dans les 10 à 15 premières minutes suivant le vaccin.

 

À l’examen physique, la nuque était souple, l’examen tégumentaire est sans particularité. Les paires crâniennes sont toutes normales.

 

Au niveau de l’examen des forces musculaires : les forces aux membres supérieurs sont tout à fait normales bilatéralement 5 sur 5. Il n’y a pas de faiblesse au niveau du territoire cubital gauche. Au niveau de l’examen des membres inférieurs, notons des psoas à 2 sur 5 bilatéralement mais il y a beaucoup de let go et la patiente a des douleurs lorsque nous prenons les forces à ce niveau. De plus, le quadriceps est également à 2 sur 5 avec beaucoup de let go. Les ischio-jambiers sont à 2-3 sur 5. Cependant les fléchisseurs extenseurs des pieds sont normaux à 5 sur 5. Les forces sont symétriques bilatéralement à tous les niveaux. Aucune spasticité ou rigidité n’a été notée à l’examen. Les réflexes sont tous normaux à 2 sur 4 bilatéralement autant aux membres supérieurs qu’aux membres inférieurs. Les réflexes cutanés plantaires sont en flexion.

 

À l’examen sensitif :

Nous notons une diminution de la sensation jusqu’à la mi-jambe à 1 sur 2 à la piqûre. Ensuite celle-ci note une sensation d’hyperesthésie un peu plus haut en zone « patchy » (disparate). La sensation d’hypoesthésie à 1 sur 2 s’arrête à environ à la mi-cuisse bilatéralement. Également aux membres supérieurs notons au niveau du nerf cubital droit une diminution de la sensation au niveau des deux doigts du 4e et 5e doigt de la main droite. Et celui-ci gradé à 1 sur 2 et également la diminution de sensation à la piqûre se reproduit à la partie médiale de l’avant-bras droit sur environ 10 cm. Également 1 sur 2.

 

Notons une diminution de la vibration à 5 secondes aux deux membres inférieurs gradé à 1 sur 3. La proprioception est quant à elle tout à fait normale. Les épreuves cérébelleuses sont dans les limites de la normale. À la démarche nous notons un polygone tout à fait normal. Le talon-pointe est effectué sans difficulté. Le funambule n’a pas été fait chez la patiente. Le Romberg est chancelant mais pas franchement positif et s’améliore beaucoup avec une manœuvre de diversion. [sic]

 

[117]     Le 26 avril 2011, le docteur Grodzicky examine la travailleuse à sa demande. Rappelons le contexte. Depuis février 2011, la travailleuse est infirmière consultante à la résidence Gouin. Au cours de la séance d’orientation, une collègue lui présente le docteur Grodzicky qui pratique au Centre de réadaptation Lucie-Bruneau. Dans le cadre d’une démarche personnelle, la travailleuse téléphone au docteur Grodzicky pour lui poser des questions concernant les paresthésies et paraparésies qui persistent dans ses jambes. Elle veut savoir si elle doit cesser la physiothérapie ou la continuer. Le docteur Grodzicky s’intéresse à son cas, la rencontre et l’évalue le 26 avril 2011. Elle témoigne que, durant une séance de deux heures, il effectue différents tests et conclut qu’elle est atteinte de myélite transverse. Le docteur Grodzicky produit un rapport dont voici un large extrait. Pour la première fois au dossier, ce diagnostic de myélite transverse post-vaccinale est posé :

[…]

Examen :

 

Collabore bien.

 

TA : 100/70, pouls : 76. régulier

 

Auscultation cardio-pulmonaire normale.

 

Abd. : Légère hypoesthésie au toucher léger du côté droit de l’abdomen.

 

Peau : les deux genoux et au pourtour : cyanose contenant des zones blanches de quelques cm de diamètre, avec froideur au niveau des zones cyanosées et des zones blanches. Pas d’œdème des membres inférieurs.

Neuro :

 

·         Yeux : fundi normaux. RPM normaux.

 

·         Nerfs crâniens (II à XII) : hypoesthésie légère au visage en V2 et V3 à droite.

·         Sensibilité : diminution de la sensibilité au toucher léger (pouvant aller jusqu’à 30% de moins que la normale) de façon diffuse et variable à droite : V2 et V3 droits, MSD et MID, abdomen à droite … Sensibilité à la piqûre demeure normale.

 

·         Absence du réflexe de Hoffman à gauche et à droite.

 

·         ROT :

 

Bicipitaux : gauche : 2+; droite : 3+

Tricipitaux : gauche : 2+; droite : 3+

Stylo-radiaux : gauche : 1+; droite : 2+

Rotuliens : gauche : 3+; droite : 3+

Achilléens : gauche : 3+; droite : 3+

 

·         Réflexes cutanés plantaires : en flexion à droite; à gauche, les 4 derniers orteils adoptent une position en éventais, sans dorsiflexion du 1er orteil.

 

·         Épreuves cérébelleuses aux m.sup. et aux m, inf. : normaux (mouvements répétitifs rapides).

 

·         Hypertonie légère au MSG.

 

·         Hypertonie modérée au MSD, avec apparition de spasmes lors de la vérification du tonus, accentués par des contractions musculaires et/ou mouvements volontaires : les spasmes sont semblables au clonus, accentuent les douleurs déjà présentes, cessent plusieurs secondes après la fin des efforts de mouvements ou de maintien de posture(s), avec hypertonie résiduelle - et douleurs - plus importantes qu’avant l’apparition des spasmes. Avant l’apparition des spasmes, les forces de flexion et d’extension du coude droit étaient à 3 ½  / 5 à droite (versus 5/5 à gauche).

 

·         Aux membres inférieurs : on constate les mêmes phénomènes qu’au MSD, mais de façon plus prononcée et persistante : la simple démarche prudente demeure possible, mais l’examen de la force déclenche des spasmes, au point où la démarche en tandem et les épreuves de Romberg et de Barré ne peuvent être effectuées subséquemment. Avant le déclenchement des spasmes, la force était suffisante pour faire le quart d’un accroupissement.

 

Impression diagnostique et plan :

 

1.         Séquelles de myélite transverse (cervicale, asymétrique, probablement avec atteinte à C5) post-vaccinale, incluant des douleurs neurogènes. (Soulignons qu’une RMN cervicale normale n’exclut pas ce diagnostic.)

2.         Des modifications neurophysiopatholiques induites par les douleurs chroniques se sont ajoutées au diagnostic 1 ci-dessus, modifient et complexifiant le tableau clinique.

 

À ce stade-ci de l’évolution, la priorité consiste à réduire la survenue, l’intensité et la durée des spasmes : la gestion des activités et du baclofène et la poursuite de la physiothérapie constituent les moyens à privilégier pour atteindre cet objectif. Ainsi on risque d’améliorer non seulement les spasmes, mais aussi les douleurs neurogènes.

 

Une évolution lente et graduelle (sur au moins plusieurs mois, avec des fluctuations de l’état clinique) risque de survenir. Avec un meilleur contrôle des spasmes et des douleurs neurogènes, des gains au niveau fonctionnel et au niveau de la qualité de vie sont envisageables. Explications et conseils donnés à la patiente. Dre Jasserand continuera le suivi médical de la patiente. Mme Jubinville ou Dre Jasserand pourront me contacter au besoin pour des informations supplémentaires.

 

Quelques références :

 

1.     Adams and Victor’s Principles of Neurology. 7e edition, Victor, M. Ropper, A. H., New York, McGrw_Hill, 2001.

2.     DynaMed (...) : Tranverse myelitis. Consulté le 2011-04-26.

3.     Harrisson’s principles of internal medecine. 15e edition, Braunwald, E., et coll. (éditeurs). New York; Montreal. McGraw-Hill, 2001.

4.     Lidbeck, J. (2002). Central hyperexcitability in chronic muskuloskeletal pain : A conceptual breakthroughwith multiple clinical implications. Pain Res Manage, 7 (2), 81-92).

 

[118]     Le rapport précité du docteur Grodzicky est déposé par la travailleuse au stade de la troisième audience du 7 juin 2011. L’employeur veut répondre à cette preuve et un délai lui est accordé pour ce faire.

[119]     C’est ainsi que le 7 juillet 2011, le docteur Jacques Lachapelle, neurologue, analyse le dossier et examine la travailleuse à la demande de l’employeur :

[...]

HISTORIQUE

 

[...]

 

Le 2 novembre 2009, dans le cadre de la campagne nationale contre le H1N1, elle a reçu le vaccin Arepanrix. Quinze à vingt minutes plus tard, elle a noté un embrouillement visuel bilatéral anormal et une sensation de faiblesse et d’engourdissement progressif des deux membres inférieurs et du bras droit avec une sensation de perte de conscience imminente et de l’essoufflement.

 

Le premier médecin qui l’a reçue à la salle d’urgence de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont a constaté la faiblesse des jambes et du bras et a demandé une consultation urgente en neurologie.

 

Le Dr Pierre Laplante l’a vue peu après. Madame Jubinville se sentait alors un peu mieux mais l’examen montrait encore une « triparésie des membres inférieurs et du membre supérieur droit dont l’organicité semblait douteuse » puisque « le tonus était variable, l’effort musculaire non soutenu et saccadique », que les « réflexes ostéo-tendineux étaient « partout symétriques à 2/4 » et que les « réflexes cutanés plantaires étaient en flexion bilatéralement ». Il s’agissait donc probablement, a conclu le Dr Laplante, d’une « réaction vaccinale atypique avec des éléments subjectifs de présyncope initialement ».

 

La force musculaire s’est peu à peu améliorée et, après une observation de quelques heures, madame Jubinville a « souhaité retourner chez elle » parce qu’elle pouvait « maintenant se lever, marcher jusqu’à la toilette et qu’il y avait une amorce d’amélioration du bras ».

 

Madame Jubinville a revu le Dr Laplante à la salle d’urgence le 5 novembre suivant  parce qu’elle avait « des épisodes récurrents de paralysie des deux membres inférieurs et une lourdeur anormale du membre supérieur droit qui durait dix à quinze minutes ad une heure à une heure et demie dans les pires <crises>. L’examen était inchangé depuis le précédent et montrait encore une « force caractérisée par des performances fluctuantes augmentée par encouragement et diminuée par réaction antalgique » sans asymétrie des réflexes ostéo-tendineux. « Le tableau était inexpliqué », a écrit le Dr Laplante, mais « le caractère fluctuant des symptômes était rassurant », a-t-il ajouté.

 

Peu après cette visite, un tableau douloureux est apparu. Le 17 novembre, en revoyant le Dr Laplante, madame Jubinville se plaignait d’une « sensation de brûlure dans les jambes » qui variait sans raison d’intensité et « d’engourdissement des jambes à la marche ». Les mêmes constatations étaient encore retrouvées à l’examen neurologique et le Dr Laplante a conclu une autre fois que « le tableau demeurait inexpliqué ». Par prudence, il a poursuivi l’investigation.

 

Le 1er décembre 2009, la résonance magnétique  n’a révélé aucune pathologie de la moelle cervicale.

 

Le 7 décembre 2009, l’électromyogramme a éliminé l’hypothèse d’une polyneuropathie qu’avait soulevée le Dr Karl Weiss. L’examen clinique précédant l’enregistrement de la Dre Nicole Khairallah, neurologue, était « entièrement normal malgré les relâches à l’évaluation de la force, les réflexes étaient normaux et symétriques et l’examen sensitif était dans les limites de la normale ».

 

Le 7 janvier 2010, dans un rapport d’évaluation médicale adressé à l’employeur, le Dr Jacques Paradis a recommandé de compléter le bilan immunologique et radiologique.

 

Après plusieurs mois de recherche, madame Jubinville a finalement trouvé un médecin de famille. Elle consulte régulièrement la Dre Françoise Jasserand à la Clinique médicale Joliette depuis le début de l’année 2010. Elle a complété l’investigation neurologique. Elle a obtenu un enregistrement EEG et des études en résonance magnétique  de la tête et de la colonne lombo-sacrée qui n’ont montré aucune dysfonction ou lésion au premier niveau étudié et uniquement des signes d’arthrose au niveau du dos.

 

Le 15 avril 2010, le Dr Paradis a recommandé à l’employeur d’obtenir une évaluation en neurologie.

 

Le 24 août 2010, à la demande du Dr Karl Weiss, madame Jubinville a été évaluée en physiatrie. Le Dr Filiatrault n’a alors observé « aucun tremblement en position assise ». Cependant, « lorsqu’on lui demandait de marcher ou de se tenir debout, elle se mettait à trembler de façon certes non organique d’un tremblement diffus de tout le corps qui ne s’expliquait certes pas par une atteinte neurologique ». De façon évidente, a écrit le Dr Filiatrault, « il s’agissait d’une pathologie qui n’était pas organique ».

 

Le 3 janvier 2011, un examen de résonance magnétique  demandé dans le cadre d’un projet de recherche de l’Institut national de la santé publique du Québec, a montré fortuitement deux petits méningocèles près des foramens ovales des deux côtés mais aucune lésion du parenchyme cérébral.

 

Le 26 avril 2011, le Dr Roman Grodzicky, médecin au Centre de réadaptation Lucie-Bruneau, contrairement aux observations précédentes, a diagnostiqué des « séquelles de myélite transverse post-vaccinale incluant des douleurs neurogènes » et de  « modification neurophysiologiques induites par les douleurs chroniques qui se sont ajoutées et complexifient le tableau clinique ». Ce diagnostic est basé sur son interprétation des résultats de l’examen neurologique. Il a en effet retrouvé une hypertonicité des membres, des contractions musculaires anormales, une asymétrie des réflexes ostéo-tendineux, une atteinte de la sensibilité et un curieux réflexe cutané plantaire qui lui ont fait croire qu’il s’agissait d’une atteinte pyramidale due à une lésion de la moelle.

[...]

EXAMEN

 

Madame Jubinville a bien collaboré à l’évaluation. Elle est droitière, pèse 120 livres et mesure 5 pieds 6 pouces.

 

La difficulté à la marche saute aux yeux. Madame Jubinville marche à petits pas d’une démarche enraidie. Elle sautille à chaque pas et son corps est animé d’un tremblement grossier. Le patron de marche est inchangé lorsqu’elle circule nu-pieds. Elle retrousse mal les orteils et les pieds lorsqu’elle prend appui sur les talons, mais elle fait quelques pas sur la pointe des pieds sans difficulté.

 

L’équilibre statique est également perturbé. Madame Jubinville chute immédiatement vers la gauche lorsqu’elle tente de se tenir au garde-à-vous, est attirée du même côté même en écartant un peu les pieds et est incapable de marcher en tandem.

 

Je note, à l’examen des nerfs crâniens, une zone d’insensibilité à la joue droite qui s’étend de la paupière inférieure jusqu’à la lèvre supérieure et de l’aile du nez jusqu’au milieu de la joue. Le reste de l’examen des nerfs crâniens est normal. Les pupilles sont égales et bien réactives, l’examen des fundi est normal, la motilité oculaire est complète, les champs de vision sont pleins à la confrontation, les traits du visage sont symétriques et l’examen des nerfs crâniens bulbaires est normal.

 

Il n’y a aucun trouble de la sensibilité, de la motricité ou de la coordination à l’examen du membre supérieur gauche.  Les sensations superficielles et profondes sont intactes. La force musculaire segmentaire est normale tant distalement que proximalement. La dextérité manuelle est préservée et les gestes de coordination sont exécutés avec rapidité et précision.

 

À l’examen du membre supérieur droit, je note une diminution de la sensibilité au côté cubital de la main et peut-être de l’avant-bras avec respect des sensibilités profondes, une faiblesse diffuse de l’épaule jusqu’aux doigts avec une force résiduelle formelle d’au plus 3/5, puisque l’élévation du bras se rend péniblement jusqu’à la verticale et que la dorsiflexion des doigts se rend juste à l’horizontale. J’observe aussi une importante lenteur des mouvements de la main et une perte sévère de la dextérité digitale. Le degré important de faiblesse observée à l’examen formel n’était pas prédit à l’observation puisque la gestuelle spontanée apparaissait symétrique durant l’entrevue et qu’elle m’avait semblé utiliser convenablement sa main pour enlever certaines pièces de vêtement avant l’examen. La faiblesse de la main ne semblait pas aussi prononcée lorsque j’ai vérifié la qualité de son écriture puisqu’elle a pu tenir fermement le crayon entre ses doigts pour écrire quelques mots, ce qui a cependant suffit à provoquer des spasmes musculaires et un tremblement grossier d’action et d’attitude qui a persisté quelques minutes par la suite. Le bras est également hypertonique mais l’exagération du tonus touche autant les mouvements passifs de flexion et d’extension de l’avant-bras et ne varie pas selon la vitesse du mouvement.

Les réflexes ostéo-tendineux des deux membres supérieurs sont symétriques et de vivacité physiologique.

 

À l’examen sensitif des membres inférieurs, j’observe une diminution des sensibilités superficielles en chaussette jusqu’aux genoux mais qui remonte à la face antérieure des cuisses. Les sensations profondes sont intactes. L’examen moteur a pu être faussé par un spasme en extension de la jambe et en inversion du pied avec les orteils en éventail provoqué par mon observation de la marche faite en tout début d’examen et qui a persisté jusqu’à la fin. Les deux jambes, surtout à gauche, sont très hypertoniques et la flexion passive demande un effort. Les deux jambes, de la racine jusqu’au bout des pieds, sont faibles et la force résiduelle est à 2/5 puisqu’elle est incapable de fléchir contrairement les cuisses, d’étendre les jambes ou de faire une dorsiflexion complète des pieds contre gravité. Malgré cet important déficit moteur, les réflexes ostéo-tendineux restent physiologiques. Le réflexe cutané plantaire droit semble bien en flexion, mais le gauche est indifférent. Le degré de faiblesse retrouvée à l’examen formel est contredit par l’observation puisqu’elle peut se lever facilement du fauteuil où elle est assise, marcher et circuler en prenant appui uniquement sur la pointe des pieds ou les talons.

 

COMMENTAIRES

 

Madame Jubinville s’est plainte, quelques minutes après avoir été vaccinée le 2 novembre 2009 à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, d’une réaction atypique non allergique avec des symptômes d’atteinte de l’état général et l’installation rapide d’un déficit neurologique sensitif et moteur aux deux membres inférieurs et au membre supérieur droit qui est resté inexpliqué jusqu’à maintenant et dont l’existence réelle est même mise en doute. Les observations cliniques du Dr Laplante soulignent abondamment la non-organicité du déficit allégué et l’investigation n’a pu mettre en évidence de lésion cérébrale médullaire. Mes propres observations concordent avec celles du Dr Laplante et l’ensemble du tableau actuel est fonctionnel et non organique. Il n’y  a ici aucune lésion du système nerveux central. Les observations erronées du Dr Grodzicky sont certainement dues à son inexpérience de l’interprétation de l’examen neurologique. L’hypothèse du diagnostic de myélite post-vaccinale ne tient pas.

 

Rien ne peut expliquer l’invalidité de madame Jubinville et la vaccination du 2 novembre 2009 ne joue aucun rôle dans sa maladie fonctionnelle.  [sic]

 

 

Les tests spécifiques

[120]     Pour plus de commodité, voici les résultats des tests spécifiques regroupés :

o   Le 1er décembre 2009, la résonance magnétique cervicale est normale;

o   Le 7 décembre 2009, l’électroneuromyogramme n’objective aucune neuropathie;

o   Le 31 mars 2010, l’électroencéphalogramme montre un tracé normal;

o   Le 13 avril 2010, la résonance magnétique cérébrale est normale;

o   Le 3 janvier 2011, la résonance magnétique de la tête montre une étude de diffusion normale, une étude parenchymateuse intracrânienne normale mais une étude en écho de gradient qui montre de petites méningocèles au niveau des foramens ovales gauche et droit pouvant affecter le ganglion de Gasser et la IIIe division du Ve nerf de chaque côté. Le radiologiste n’y voit pas de relation causale avec la vaccination et estime qu’il peut s’agir d’une découverte fortuite.

 

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

Le diagnostic émis par le médecin qui a charge de la travailleuse

[121]     Aux fins de rendre la décision portant sur l’admissibilité de la réclamation, en l’absence de procédure d’évaluation médicale menant à l’obtention d’un avis du Bureau d’évaluation médicale, le tribunal est lié par l’avis du médecin qui a charge de la travailleuse quant au diagnostic à retenir.

[122]     Lors de l’audience du 7 juin 2011, le représentant de la travailleuse demande au tribunal de retenir le diagnostic de « réaction vaccinale » posé initialement. Dans son argumentation écrite du 30 août 2011, il demande de retenir celui de « myélite transverse post-vaccinale » posé le 26 avril 2011 par le docteur Grodzicky, prétendant que ce dernier est alors devenu le médecin qui a charge de la travailleuse.

[123]     Dans sa réponse, la procureure de l’employeur s’oppose à cette prétention puisque le docteur Grodzicky n’a complété aucun rapport médical au dossier et n’a effectué aucun suivi de la travailleuse, son opinion ayant été déposée après le début des audiences et la CSST ne s’étant jamais prononcée sur ce diagnostic.

[124]     L’identification du médecin qui a charge d’un travailleur est une question essentiellement factuelle. Chaque cas en est un d’espèce. Les critères généralement retenus en jurisprudence favorisent le médecin choisi par le travailleur, celui qui l’examine, établit un plan de traitements, effectue le suivi, procède à une investigation, réfère à un médecin spécialiste tout en poursuivant le suivi. Si le travailleur consulte indifféremment plusieurs médecins, il y a lieu de vérifier lequel est consulté le plus souvent. Si les médecins sont consultés successivement, il y a lieu de vérifier si, suivant les autres critères, le dernier consulté acquiert le statut de médecin qui a charge

[125]     En l’espèce, la situation est complexe. Rappelons que la travailleuse reçoit sa vaccination, le 2 novembre 2009, dans l’établissement de l’employeur. Le premier diagnostic posé immédiatement après la vaccination est celui de réaction vaccinale. Ensuite, compte tenu des symptômes allégués, les médecins cherchent à éliminer une réaction d’ordre neurologique.

[126]     Les premiers médecins qui examinent la travailleuse ne la prennent pas en charge à long terme. Ce n’est qu’à compter du 17 mars 2010 que la travailleuse rencontre la docteure Jasserand qui accepte de la suivre. Cependant, nous ne retrouvons au dossier aucun rapport médical émis par ce médecin sur un formulaire de la CSST, possiblement parce que la réclamation est alors refusée. De plus, dans les documents émanant de ce médecin, versés au dossier, elle ne semble pas retenir un diagnostic précis mais semble encore en investigation.

[127]     D’autre part, la travailleuse consulte le docteur Grodzicky qui effectue une évaluation le 26 avril 2011 et pose le diagnostic de myélite transverse post-vaccinale. Ce médecin n’a pas pris charge de la travailleuse comme tel mais, selon le témoignage de cette dernière, s’apprête à la suivre dans les prochains mois dans le cadre d’un programme au Centre Lucie-Bruneau.

[128]     Dans un tel contexte, il devient difficile de déterminer qui est le médecin qui a charge de la travailleuse puisque, bien malgré elle, cette dernière doit consulter plusieurs médecins. Lorsque la travailleuse réussit à trouver un médecin qui la prend en charge, la docteure Jasserand, le diagnostic n’est pas clairement établi. Lorsque la travailleuse consulte un médecin qui avance un diagnostic précis, le docteur Grodzicky, la prise en charge semble reportée.

[129]     Afin de rendre une décision qui dispose entièrement de la question, le tribunal retiendra les deux principaux diagnostics de réaction vaccinale et de myélite transverse post-vaccinale et se prononcera à savoir s’ils sont admissibles, l’un ou l’autre ou tous deux, à titre de lésion professionnelle. L’employeur a eu l’occasion de produire une opinion médicale tenant compte de l’ensemble de la preuve. Bien que la CSST ne se soit pas prononcée sur la relation causale entre la myélite transverse et la vaccination, le tribunal procède de novo et considère davantage approprié de se prononcer sur cette preuve plutôt que de lui retourner le dossier et de risquer de multiplier les recours.

La présomption de lésion professionnelle

[130]     L’article 28 de la loi prévoit une présomption de lésion professionnelle si les trois éléments énoncés sont démontrés de façon prépondérante :

28.  Une blessure qui arrive sur les lieux du travail alors que le travailleur est à son travail est présumée une lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 28.

 

 

[131]     Ni le diagnostic de réaction vaccinale, ni celui de myélite transverse post-vaccinale ne répondent à la notion de blessure[18], de sorte que cette présomption ne s’applique pas.

La présomption de maladie professionnelle

[132]     L’article 29 de la loi prévoit une présomption de maladie professionnelle si la preuve démontre, de façon prépondérante, que la travailleuse est atteinte d’une des maladies énumérées à l’annexe I de la loi et qu’elle exerçait le travail correspondant à cette maladie d’après l’annexe :

29.  Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.

 

Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.

__________

1985, c. 6, a. 29.

 

 

[133]     Les diagnostics de réaction vaccinale et de myélite transverse post-vaccinale ne sont pas prévus à l’annexe I de la loi, de sorte que cette présomption ne s’applique pas.

La notion d’accident du travail

[134]     L’article 2 de la loi définit la notion d’accident du travail :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par :

 

« accident du travail » : un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l'occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

 

[135]     Dans cette définition, l’événement doit être la cause de la lésion alléguée et non sa manifestation. Ce qui implique que c’est l’événement qui doit être imprévu et soudain et non la manifestation de la lésion alléguée.

[136]     Dans le présent dossier, la preuve ne démontre la survenance d’aucun événement imprévu et soudain par le fait ou à l’occasion du travail. Le fait qui serait susceptible de constituer l’événement est la vaccination.

[137]     Or, la vaccination reçue par la travailleuse, le 2 novembre 2009, n’est pas imprévue et soudaine mais planifiée et encadrée par l’employeur ainsi que connue et reçue de consentement par la travailleuse. Les symptômes que présente la travailleuse, de façon imprévue et soudaine, après cette vaccination, ne peuvent constituer l’événement dont il est question dans la définition de la notion d’accident du travail.

[138]     La jurisprudence[19] portant sur des cas de vaccination en arrive à des conclusions similaires et conclut notamment en l’absence d’accident du travail.

La maladie professionnelle

[139]     Lorsque la présomption de maladie professionnelle, prévue à l’article 29 de la loi, ne trouve pas application parce que le diagnostic n’est pas prévu à l’annexe I de la loi, il y a lieu de vérifier si la preuve rencontre les critères établis à l’article 30 de la loi :

30.  Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

__________

1985, c. 6, a. 30.

 

 

[140]     La première situation prévue dans cette disposition, la maladie caractéristique d’un travail exercé, ne s’applique pas car aucune preuve de nature épidémiologique ne démontre que les diagnostics de réaction vaccinale et de myélite transverse post vaccinale soient caractéristiques du travail d’infirmière de recherche exercé par la travailleuse.

[141]     Demeure la seconde situation prévue dans cette disposition, la maladie contractée par le fait ou à l’occasion du travail, reliée directement aux risques particuliers d’un travail exercé.

            -  La notion de maladie

[142]     L’employeur et la CSST soulèvent l’argument que la travailleuse n’a pas démontré qu’elle était atteinte d’une « maladie ». Le tribunal écarte cet argument car les diagnostics de réaction vaccinale et de myélite transverse post-vaccinale sont des diagnostics médicalement reconnus, non contestés par une procédure d’évaluation médicale statuant sur le diagnostic. Le litige soumis au présent tribunal porte plutôt sur la relation causale entre ces diagnostics et la situation au travail mise en preuve et, à ce stade, s’il s’agit d’une maladie professionnelle au sens de la seconde qualification prévue à l’article 30 de la loi.

            -  À l’occasion du travail, le lien de connexité et les risques particuliers

[143]     L’expression « à l’occasion du travail » que l’on retrouve dans la définition de la notion d’accident du travail et dans la notion de maladie professionnelle prévue à l’article 30 de la loi permet de tenir compte de situations qui ne surviennent pas par le fait du travail mais qui ont un lien de connexité avec celui-ci, des situations qui sont connexes au travail et/ou utiles à son accomplissement, des situations qui profitent à l’entreprise de l’employeur.

[144]     Ces principes sont établis de longue date. À cet égard, le représentant de la travailleuse dépose le jugement rendu par la Cour Suprême du Canada dans The Montreal Tramways company et Girard [20]qui interprète cette notion :

[...]

 

La loi sur les accidents du travail (...) ne couvre pas seulement l’accident survenu par le fait du travail mais aussi à l’occasion du travail, c’est-à-dire celui qui sans avoir pour cause directe le travail de la victime a été déterminé par un acte connexe au travail et plus ou moins utile à son accomplissement (...)

 

[...]

 

 

[145]     Tel qu’énoncé précédemment, le fait que la vaccination soit connue et volontaire fait échec au caractère d’imprévisibilité que doit revêtir un événement pour répondre à la notion d’accident du travail.

[146]     Toutefois, le fait que la vaccination soit volontaire ne rompt pas le lien de connexité avec le travail dans le cas d’une maladie professionnelle si elle est contractée à l’occasion du travail en raison de risques particuliers de ce travail.

[147]     La Charte des droits et libertés de la personne[21] garantit à tous le droit à l’intégrité de sa personne :

1. Tout être humain a droit à la vie, ainsi qu'à la sûreté, à l'intégrité et à la liberté de sa personne.

 

Personnalité juridique.

Il possède également la personnalité juridique.

 

1975, c. 6, a. 1; 1982, c. 61, a. 1.

 

 

[148]     Le Code civil du Québec[22] reconnaît à tous le droit à l’inviolabilité de sa personne :

3. Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l'inviolabilité et à l'intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée.

 

Ces droits sont incessibles.

 

1991, c. 64, a. 3.

 

 

[149]     Les employeurs doivent respecter ces principes et c’est en raison de ce cadre légal qu’ils laissent à leurs employés le libre choix de recevoir ou non un vaccin, tout en les informant des avantages et des risques.

[150]     Ainsi, l’argument de l’employeur quant au caractère volontaire de la  vaccination n’a aucune incidence sur l’existence d’un lien de connexité avec le travail, dans le cadre de l’analyse d’une maladie professionnelle contractée à l’occasion du travail, parce que le choix de la travailleuse de se faire vacciner ou non relève de droits fondamentaux que l’employeur doit respecter.

[151]     Par ailleurs, lorsqu’une employée du réseau de la santé et des services sociaux décide, comme en l’espèce, de se faire vacciner en raison de l’exposition probable, dans le cadre de son travail, au virus visé par le vaccin, le caractère connexe de cette vaccination avec son travail s’établit facilement[23].

[152]     L’employeur allègue que la campagne de vaccination tenue dans son établissement est consécutive à une directive du Ministère de la santé et des services sociaux qui suit les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé à l’effet que, dans le cadre de la pandémie de la grippe A-H1N1, toute la population doit être vaccinée, à commencer par les travailleurs du réseau de la santé et des services sociaux. L’employeur se réfère au témoignage du docteur Weiss à l’effet que la travailleuse, à cette époque, n’est pas plus exposée au virus de la grippe A-H1N1 que les autres travailleurs du réseau de la santé et des services sociaux. L’employeur prétend maintenant que son objectif de prévention était simplement d’éviter la pandémie en facilitant l’accès au vaccin.

[153]     Avec respect, le tribunal considère cette position indéfendable. L’employeur organise une campagne de vaccination massive de ses employés dans son établissement. Le coût des vaccins n’est pas défrayé par les employés. Les vaccins sont administrés sur les lieux du travail, durant les heures de travail rémunérées. Les directives du Ministère de la santé et des services sociaux et les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé ne déchargent aucunement l’employeur de ses responsabilités d’employeur eu égard à l’application de la présente loi.

[154]     D’autre part, la prétention avancée en audience à l’effet que la travailleuse n’est pas plus exposée au virus de la grippe A-H1N1 que les autres travailleurs du réseau de la santé et des services sociaux peut aussi être interprétée comme la reconnaissance par l’employeur que les travailleurs du réseau de la santé et des services sociaux sont effectivement exposés au virus de la grippe A-H1N1 dans le cadre de leur travail. C’est d’ailleurs pourquoi ils font partie de la première cohorte à être vaccinée.

[155]     À cet égard, le mot du directeur de santé publique, le docteur Lessard, rappelle sans équivoque l’importance, dans le contexte, de la vaccination des travailleurs de la santé de première ligne.

[156]     Cette clinique de vaccination des employés est utile à l’accomplissement des services offerts par l’employeur à la population. En effet, l’employeur est un établissement de santé qui reçoit et s’apprête dans un avenir rapproché à recevoir des patients infectés par le virus visé par le vaccin. L’immunisation de ses employés, acquise par ce vaccin, est sans l’ombre d’un doute profitable à l’employeur car elle permet de réduire l’absentéisme des employés qui pourraient autrement être infectés par ce virus et permet qu’ils ne soient pas des vecteurs de transmission de ce virus au sein du personnel et de la clientèle traitée dans cet établissement.

[157]     Dans le cas précis de la travailleuse, infirmière de recherche, appelée aussi à se déplacer dans tous les départements de l’établissement, la preuve contemporaine à la vaccination démontre qu’elle devait travailler à un protocole spécifique portant sur l’Influenza A-H1N1. Elle devait être directement exposée à des personnes infectées par ce virus. Une version non finale de ce protocole de recherche corrobore les allégations de la travailleuse et le fait que ce protocole de recherche est par la suite annulé importe peu. Ce qui importe, c’est que la travailleuse se soit soumise à cette vaccination croyant, selon les informations de l’époque, qu’elle travaillerait à ce protocole et serait ainsi très exposée. La lettre du docteur Weiss du 11 mai 2010, davantage contemporaine à la vaccination que son témoignage, corrobore éloquemment les risques d’exposition.

[158]     La vaccination gratuite dont a bénéficié la travailleuse a eu lieu durant ses heures de travail dans un contexte encadré par l’employeur et à son bénéfice. Le tribunal ne voit pas sur quelles bases sérieuses l’employeur puisse nier la connexité de cette vaccination avec le travail et le fait que l’exposition à la grippe A-H1N1 fasse partie des risques particuliers du travail d’infirmière de recherche exercé par la travailleuse dans les conditions d’exposition précédemment relatées.

            - La relation causale

[159]     Rappelons qu’au départ, les médecins « traitants » de la travailleuse retiennent généralement le diagnostic de réaction vaccinale en la qualifiant d’atypique. Puis, le docteur Grodzicky pose le diagnostic de myélite transverse post-vaccinale.

[160]     Revoyons, de façon condensée, les principaux éléments de cette preuve.

[161]     À la suite de la vaccination, le 2 novembre 2009, l’urgentologue constate un pouls et une tension artérielle dans les limites de la normale. La saturation et la glycémie sont normales. Il n’y a pas de dyspnée. Les réflexes ostéotendineux sont symétriques. La force est diminuée dans les membres inférieurs et dans le membre supérieur droit. Il constate que la travailleuse est anxieuse et conclut à une réaction d’hyperventilation pour laquelle il prescrit de l’Ativan.

[162]     Appelé par l’urgentologue au chevet de la travailleuse, le 2 novembre 2009, le docteur Weiss constate que les paramètres de base sont normaux sauf une tachycardie. Il n’y a pas de choc anaphylactique et le score de Glasgow est normal.

[163]     Appelé par le docteur Weiss, le neurologue, le docteur Laplante conclut à une réaction vaccinale atypique avec éléments suggestifs de présyncope initiale et évolution spontanée favorable.

[164]     Le 5 novembre 2009, le docteur Laplante considère son examen objectif superposable au précédent mais constate des incohérences. La performance de la travailleuse est fluctuante, lors de l’évaluation de la force des membres, ce qui est peu compatible en cas d’atteinte neurologique. Il en est de même de la normalité et de la symétrie des réflexes ostéotendineux. Alors que les symptômes qu’allègue la travailleuse sont d’allure neurologique, ce spécialiste considère le tableau inexpliqué.

[165]     Le 10 novembre 2009, le docteur Weiss émet un rapport médical sur un formulaire de la CSST comportant un diagnostic de réaction vaccinale sévère. Il expliquera, à l’audience, qu’à ce stade la relation causale est d’ordre temporel, la relation causale n’est pas encore véritablement établie.

[166]      À la suite de l’examen clinique objectif négatif du 17 novembre 2009, le docteur Laplante conclut que le tableau fluctuant demeure énigmatique.

[167]     Après examen clinique et étude du dossier, le 3 décembre 2009, la docteure Lefebvre, médecin de famille, considère qu’il n’est pas clair qu’il existe un lien causal entre le vaccin et les symptômes allégués.

[168]     En janvier et avril 2010, le docteur Paradis, médecin mandaté par l’employeur, doute qu’il s’agisse d’un syndrome de Guillain-Barré[24] en raison de la rapidité des malaises invoqués après la vaccination, mais il avance des hypothèses : réaction vagale avec hyperventilation, lésion neurologique centrale, sténose spinale lombaire, myopathie inflammatoire, syndrome inflammatoire neurologique atypique et mononévrite multiplex. Sa première hypothèse, celle d’une réaction vagale avec hyperventilation, rejoint l’opinion de l’urgentologue, premier médecin à avoir examiné la travailleuse. Plus tard, le docteur Paradis conclura que le tableau n’est pas typique d’une sclérose en plaques.

[169]     La docteure Jasserand qui prend charge de la travailleuse, le 17 mars 2010, la suit, demande des tests et prescrits des traitements n’émet aucune opinion ferme quant à l’étiologie de la symptomatologie dans la preuve versée au dossier.

[170]     Le docteur Filiatrault, physiatre, examine la travailleuse le 24 août 2010, sur référence du docteur Weiss. À l’examen clinique, il note des incohérences. Assise, la travailleuse ne tremble pas alors que debout, elle tremble de façon non-organique. En marchant, elle a un tremblement diffus de tout le corps, ce qui ne s’explique pas par une atteinte neurologique, selon lui. Il note que la travailleuse refuse de faire la flexion du genou, s’en disant incapable. Ce qui est peu cohérent avec la bonne force proximale de la ceinture pelvienne qu’elle présente en se levant de la position assise. Le docteur Filiatrault note que les réflexes ostétendineux sont symétriques et que les résultats des résonances magnétiques cérébrale, vertébrales ainsi que les potentiels évoqués sont normaux. Il conclut qu’il est évident que la pathologie n’est pas d’origine organique, par rapport aux pathologies fonctionnelles qui relèvent de sa spécialité. C’est pourquoi, il suggère que la travailleuse soit vue en psychosomatique.

[171]     Le 26 avril 2011, le docteur Grodzicky pose le diagnostic de myélite transverse post-vaccinale avec douleurs neurogènes et modifications neurophysiopathologiques induites par les douleurs chroniques.

[172]     Le 7 juillet 2011, le docteur Lachapelle, neurologue commente la preuve au dossier. En fonction de ses connaissances spécialisées, il constate que la résonance magnétique cervicale du 1er décembre 2009 ne montre pas de pathologie de la moelle cervicale, que l’électromyogramme du 7 décembre 2009 écarte l’hypothèse d’une polyneuropathie, que l’électroencéphalogramme et les résonances magnétiques de la tête et de la colonne lombo-sacrée, effectués en 2010, ne montrent aucune dysfonction ou lésion au premier niveau étudié, que la résonance magnétique de la tête effectuée en 2011 ne montre aucune lésion du parenchyme cérébral.

[173]     Le docteur Lachapelle écrit qu’après la vaccination du 2 novembre 2009, la travailleuse présente une réaction atypique, non allergique avec des symptômes d’atteinte de l’état général et l’installation rapide d’un déficit neurologique sensitif et moteur des membres inférieurs et du membre supérieur droit inexpliqué dont l’existence réelle est mise en doute. Le docteur Lachapelle examine la travailleuse et explique les incohérences de l’examen clinique. Il émet l’opinion que le tableau est non organique, que la travailleuse ne souffre d’aucune lésion du système nerveux central, que l’hypothèse de la myélite transverse ne tient pas, que l’invalidité de la travailleuse est inexpliquée et que la vaccination du 2 novembre 2009 ne joue aucun rôle dans sa « maladie fonctionnelle ».

[174]     Le tribunal souligne que cette malencontreuse expression de « maladie fonctionnelle » porte à confusion. Selon la teneur de l’opinion émise par le docteur Lachapelle, le tribunal comprend qu’il voulait dire que la vaccination ne joue aucun rôle dans l’état de la travailleuse, d’un point de vue fonctionnel.

[175]     La preuve démontre, de façon prépondérante, qu’avant la vaccination du 2 novembre 2009, la travailleuse vaque normalement à ses tâches d’infirmière de recherche. Outre un peu de fatigue et une céphalée non incapacitante, elle ne présente pas de symptômes particuliers.

[176]     La preuve démontre aussi, de façon prépondérante,  que, dans les quelques 15 minutes qui suivent cette vaccination, la travailleuse accuse une série de symptômes qui justifient qu’elle soit transportée à l’urgence et vue par un urgentologue, un microbiologiste-infectiologue et un neurologue. De façon contemporaine, un diagnostic de réaction vaccinale est posé.

[177]     Ce diagnostic de réaction vaccinale n’a pas été contesté par la CSST ou par l’employeur dans le cadre de la procédure d’évaluation médicale. L’opinion du docteur Lachapelle ne peut servir à cette fin. Si cette démarche de contestation avait été faite et que le tribunal avait été saisi d’une décision rendue à la suite d’un avis du Bureau d’évaluation médicale sur le diagnostic, il aurait pu discuter des subtilités de ce diagnostic et décider du bien-fondé ou non d’avoir posé ce diagnostic dans le cas de la travailleuse. Cette démarche n’a pas été faite et le tribunal est lié par ce diagnostic, son rôle ne s’étend pas à en discuter le bien-fondé mais à déterminer s’il est en relation avec la situation mise en preuve.

[178]     Le tribunal constate donc qu’à la suite de la vaccination du 2 novembre 2009, la travailleuse présente, selon la preuve médicale contemporaine, une réaction vaccinale. Dans le cas de la travailleuse, ce diagnostic est acceptable à titre de maladie professionnelle en raison des risques particuliers de son travail d’infirmière de recherche, risques susceptibles de l’exposer, en toute probabilité à l’époque, au virus de l’Influenza A-H1N1 et justifiant qu’elle reçoive le vaccin Arepanrix avec adjuvant.

[179]     Par ailleurs, au fil du temps, le tableau clinique devient inexpliqué. Les évaluateurs se questionnent mais aucun ne fait une démonstration prépondérante de l’existence d’une relation causale entre ce tableau et la vaccination. Plusieurs nient cette relation causale.

[180]     Le docteur Grodzicky tente d’expliquer ce tableau par une condition d’ordre neurologique, la myélite transverse qu’il qualifie d’emblée de post-vaccinale. Le tribunal précise que le diagnostic ici est la myélite transverse. La qualification de post-vaccinale ne fait référence qu’à l’opinion du médecin quant à son étiologie. Or, la myélite transverse est un syndrome neurologique d’étiologie multiple.

[181]     Le docteur Grodzicky énumère les signes constatés à l’examen sans expliquer sur quels éléments cliniques et sur quels éléments de la preuve spécifique il se base pour retenir ce diagnostic de myélite transverse. Il n’explique pas quelles démarches il a faites pour exclure les autres causes possibles que la vaccination pour retenir ce diagnostic qui peut être d’origine personnelle. Il ne fait qu’énoncer des impressions diagnostiques et suggérer des traitements. La qualification de post-vaccinale qu’il ajoute au diagnostic de myélite transverse ne suffit pas en soi à établir le lien de causalité avec la vaccination du 2 novembre 2009. Il ne donne aucune explication factuelle et scientifique dans le but de démontrer, de façon prépondérante, l’existence d’une telle relation causale.

[182]     Le tribunal rappelle que la discussion porte sur la reconnaissance d’une condition d’ordre neurologique, il y a donc lieu d’accorder une grande valeur probante aux opinions émises par les neurologues, les docteurs Laplante et Lachapelle dans leur champ de spécialité.

[183]     Le docteur Laplante a eu l’opportunité d’examiner la travailleuse peu après la vaccination et dans le mois qui a suivi. Il a recherché des signes cliniques objectifs d’ordre neurologique mais a toujours conclu à un tableau atypique et n’a jamais soulevé l’hypothèse d’une myélite transverse.

[184]     Le docteur Lachapelle a eu l’opportunité d’examiner la travailleuse en dernier et de commenter l’essentiel de la preuve médicale pertinente en fonction de ses connaissances spécialisées en la matière. Il considère que les observations du docteur Grodzicky sont erronées en raison de son inexpérience de l’examen neurologique. Le docteur Lachapelle est formel, l’hypothèse d’une myélite transverse en relation avec la vaccination du 2 novembre 2009 ne tient pas.

[185]     La travailleuse avait le fardeau de démontrer par preuve médicale prépondérante la relation causale entre ce diagnostic de myélite transverse post-vaccinale et la vaccination du 2 novembre 2009 mais ce fardeau de preuve n’est pas relevé.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE en partie la requête de la travailleuse, madame Nathalie Jubinville;

INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 9 avril 2010, à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que la travailleuse a subi une lésion professionnelle le 2 novembre 2009, soit une maladie professionnelle dont le diagnostic est celui de réaction vaccinale;

DÉCLARE que le diagnostic de myélite transverse post-vaccinale posé le 26 avril 2011 n’est pas en relation avec la lésion professionnelle du 2 novembre 2009;

DÉCLARE que la travailleuse a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

 

 

 

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Lina Crochetière

 

 

 

 

Monsieur Jean-François Lapointe

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Stéphanie Rainville

MONETTE BARAKETT

Représentante de la partie intéressée

 

 

Me Marie-France Lebel

VIGNEAULT, THIBODEAU, BERGERON

Représentante de la partie intervenante

 



[1]           L.R.J., c. J-3.

[2]           exerçant une fonction juridictionnelle

[3]           R.R.Q., c. A-3.001, r. 12.

[4]           incluant celle qui, selon le dossier, est susceptible d’être reconnue partie au litige

[5]           Après avoir annoncé dans une lettre du 4 avril 2011 son intention de le soulever à l’audience.

[6]           L.R.Q., c. S-2.2.

[7]           L.R.Q., c. A-3.001.

[8]           L.R.Q., c. S-2.2, r.1.

[9]           Dans le cadre de la surveillance des manifestations cliniques inhabituelles (MCI) en application du Programme portant sur les effets secondaires possiblement reliés à l’Immunisation (ESPRI).

[10]         Étude clinique des anesthésies/paresthésies persistantes survenues à la suite de l’administration du vaccin adjuvanté contre l’Influenza pandémique A-H1N1.

[11]         Le nom et les coordonnées de la travailleuse apparaissent à la fin du formulaire à titre de personnes à contacter en cas de questions.

[12]         Plus de 1 cas sur 10 doses du vaccin, devrait durer un ou deux jours.

[13]         Jusqu’à 1 cas sur 100 doses du vaccin.

[14]         Jusqu’à 1 cas sur 100 doses du vaccin.

[15]         Jusqu’à 1 cas sur 1 000 doses du vaccin.

[16]         Jusqu’à 1 sur 10 000 doses de vaccin.

[17]         Cette étude implique le Centre Hospitalier Affilié Universitaire de Québec, le docteur Nicolas Dupré (CHAUQ), chercheur principal et les collaborateurs suivants : le résident Kevin Lacroix (CHAUQ), les docteurs Gaston De Serres (Institut National de Santé Publique du Québec), Serge Rivest, Isabelle Rouleau, Roseline Thibault, Renée-Myriam Boucher (Centre Hospitalier Universitaiire du Québec) et Danuta Skowronski (British Columbia Center for Disease Control).

[18]         La blessure est généralement reconnue, en jurisprudence, comme une lésion qui survient aux tissus vivants à la suite de l’action d’un agent vulnérant extérieur.

[19]         Corbin et CHRTR Pavillon St-Joseph, C.L.P. 88192-04-9705, 3 décembre 1998, A. Gauthier; Desjardins et CHUM Pavillon Notre-Dame, C.L.P. 108624-71-9812, 26 avril 1999, C. Racine; C.S.S.S. de la Montagne et Danis, C.L.P. 355915-71-0808, 9 octobre 2009, F. Charbonneau; Duval et Centre Gertrude Lafrance & George Phaneuf, C.L.P. 414764-62A-1007, 13 avril 2011, E. Malo; Bourdages et Bombardier inc. Centre de Finition, 2012 QCCLP 717 .

[20]         [1920] R.C.S. 12.

[21]          L.R.Q., c. C-12.

[22]          L.R.Q., c. CCQ.

[23]         La relation causale, par preuve médicale prépondérante, devra ensuite être établie entre la lésion pour laquelle la travailleuse réclame et la vaccination.

[24]         Syndrome qui peut survenir à la suite d’une vaccination, de façon très rare.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.